Comité Départemental du Souvenir des Fusillés de Châteaubriant de Nantes et de la Résistance en Loire-Inférieure

Sabotage aux Batignolles

résistance-séparation
Accueil » Blog » La Résistance » Généralités » Sabotage aux Batignolles

Article publié dans le bulletin de l’ALPAC

Les Batignolles, 1942 : le sabotage du grand pont roulant

L’usine des Batignolles à Nantes construisait des locomotives, et aussi du matériel de guerre, comme les « tourelles » de la Ligne Maginot, de gros cylindres montés sur vérins qui permettaient de camoufler sous terre les canons lorsqu’ils n’étaient pas en service.

Lorsque les Allemands envahirent la France à la suite de la débâcle de 1940, l’établissement, bien sûr, dut travailler pour l’ennemi. Mais tout le monde n’acceptait pas la défaite, et les cités en bois qui entouraient l’usine devinrent vite un des principaux foyers de la Résistance du pays nantais. Il y a quelques années, à l’occasion d’une exposition sur l’histoire de notre quartier, la Commune Libre avait consacré quelques panneaux à trois héroïnes de ces années terribles, Mmes Renée Losq, Marcelle Baron et Paule Vaillant. Aujourd’hui, les Archives de cette période commencent à s’ouvrir et nous livrent quelques-uns des épisodes peu connus, ou oubliés, de la Résistance au nazisme.

L’usine était composée de plusieurs vastes bâtiments disposés en « arêtes de poisson » de part et d’autre du Bâtiment G, « la Cathédrale », comme le nommaient les ouvriers. Une soixantaine de ponts roulants se déplaçaient dans les ateliers. Les conducteurs de ces engins étaient souvent des femmes, les pontonnières. Le plus impressionnant, capable de déplacer une locomotive complète, était le grand pont roulant de 150 tonnes du bâtiment G. L’inspecteur de police judiciaire Jean Poitou, chargé d’une enquête par le juge d’instruction Le Bras, rapporte ….

« Dans la nuit du 23 avril 1942, vers 0 h 30, plusieurs explosions se sont produites dans le bâtiment G de l’usine des Batignolles, spécialisée actuellement dans la fabrication de locomotives pour le compte de l’Allemagne. L’attentat a été commis contre le pont roulant de 150 tonnes servant au transport des locomotives en cours de montage. Quatre charges avaient été posées sur le groupe Léonard du pont de 150 tonnes, l’une sur le moteur de 110 CV, une autre sur l’excitatrice, et les deux dernières sur les deux génératrices. Ces appareils ont subi de gros dégâts et sont hors d’usage pour une période d’au moins six semaines. La fabrication des locomotives n’est cependant pas interrompue par cet attentat, car l’usine dispose de deux ponts de 40 tonnes avec lesquels le travail peut se poursuivre. Les auteurs du sabotage ont pu avoir accès au pont roulant soit par un escalier métallique se trouvant à l’intérieur du bâtiment, soit par une échelle de secours se trouvant à l’extérieur et donnant sur le terrain de l’usine. Cette échelle extérieure a d’ailleurs été supprimée depuis l’attentat.
Le bâtiment dans lequel s’est produit le sabotage abrite la dernière locomotive en cours d’essais avant livraison, elle est gardée en permanence par un surveillant non armé et disposant d’une couchette. Cet homme, un nommé Moreau Valentin, né le 19 septembre 1900 à Nantes, demeurant chemin des Agenêts à Nantes, est un ancien ouvrier de l’usine employé comme gardien
de nuit depuis le 12 janvier 1942. C’est un ancien sous-officier de carrière en retraite dont les notes militaires sont excellentes et sur lequel le Directeur de l’usine m’a donné les meilleurs renseignements.
Le jour de l’attentat, Moreau a été interrogé successivement par la Feldgendarmerie, la Police Française et la Geheimfeldpolizei. Cet individu de caractère faible et timide a été complètement désorienté par ses interrogatoires successifs et a fait aux enquêteurs des déclarations assez étranges. Il prétend que, vers minuit 15, un individu a pénétré dans le bâtiment G par la porte située près de sa couchette au bout de la locomotive en cours d’essais. Il avait pourtant pris la précaution de bloquer le loquet de cette porte avec un coin de bois placé à l’intérieur. L’individu, dont il ne peut donner aucun signalement précis, l’aurait menacé d’un revolver en lui disant : ‘’Ne dis rien et tu auras la vie sauve ‘’. Moreau serait resté la tête tournée vers le mur pendant une dizaine de minutes. Pendant ce temps, il aurait remarqué l’arrivée de trois autres individus également armés de revolvers, ceux-ci seraient ressortis du bâtiment immédiatement pour revenir au bout de dix minutes en disant :’’C’est fait’’. Ils seraient partis aussitôt tous les quatre et Moreau prétend s’être échappé immédiatement pour donner l’alerte à la conciergerie. C’est au cours de ce déplacement qu’il prétend avoir entendu les explosions.
Je n’ai pu entendre Moreau car les policiers de la Geheimfeldpolizei l’ont arrêté et écroué à la maison d’arrêt de Nantes.

Les recherches effectuées m’ont permis d’apprendre que le gardien du passage à niveau de la route de Paris situé à proximité de l’usine des Batignolles aurait remarqué dans la soirée précédant l’attentat trois individus d’allure suspecte qui rôdaient autour de l’usine et qu’il avait remarqués le long de la voie de chemin de fer. Il n’a pu en fournir un signalement précis et les recherches effectuées en collaboration avec les Services de la Sûreté nantaise n’ont pas permis d’identifier ces trois individus.

D’autre part, Monsieur le Directeur de l’usine des Batignolles m’a signalé que parmi les trois mille ouvriers occupés par son établissement, beaucoup avaient des tendances communistes, car son personnel est à peu de choses près celui de 1939. En effet, la plupart des ouvriers sont restés comme affectés spéciaux pendant les hostilités. Les militants communistes les plus notoires ont été envoyés aux armées, mais par suite des décrets intervenus, ils ont été réintégrés dans leur emploi dès leur démobilisation. Les ordres de l’Inspection du Travail étaient formels à cet égard.

Cependant, Monsieur le Directeur des Batignolles n’a pu me nommer aucun individu susceptible d’avoir des idées extrémistes et d’avoir pu commettre cet attentat.

Plusieurs ouvriers ont été interrogés par mes soins ainsi que par la Police Nantaise mais toutes les recherches que nous avons pu effectuer de concert n’ont donné aucun résultat. »

Quelques mois plus tard, les Allemands réussiront à connaître les auteurs de l’attentat : c’étaient les Résistants Louis Le Paih, Raymond Hervé, Gaston Turpin et Auguste Chauvin. Dans un procès-verbal du 19 janvier 1943 du sinistre inspecteur Fourcade de la Police Nantaise, qui dirigeait les interrogatoires de la rue Garde-Dieu sous la torture, on peut lire : « … Le Paih répond ce qui suit : … Une nuit, peu avant minuit, nous sommes entrés dans le bâtiment par le terrain de sport. Hervé a grimpé par dessus la porte et a coupé un câble qui était au-dessus. Il a ensuite ouvert la porte par laquelle nous sommes tous entrés. Nous sommes entrés dans le bâtiment G par une petite porte ; à gauche près de l’entrée, il y avait un dépôt où le gardien était couché. Nous avions tous un revolver, moi un revolver de guerre, avec lequel j’ai menacé le gardien en lui disant de se tenir tranquille. Mes trois camarades sont sortis et je sais que Turpin montait la garde pendant que Hervé et Chauvin posaient les explosifs. Je ne me souviens plus qui avait apporté les bombes, peut-être moi. Je ne sais pas non plus qui avait apporté les pistolets mais j’avais certainement le mien. Mes camarades sont venus me chercher près du gardien en disant que tout était prêt. Nous sommes partis. Nous étions éloignés de 3 ou 400 mètres à vélo quand nous avons entendu deux détonations. Nous nous sommes rendus dans une baraque au bord de la Loire près de Sainte Luce où nous avons passé la nuit tous les quatre. »

L’exécution des Cinquante Otages, en octobre 1941, loin de faire cesser la Résistance, avait tout au contraire contribué à la renforcer. Les attentats s’étaient multipliés. Mais au second semestre 1942, un sinistre organisme créé par le ministre de l’intérieur Pucheu, le S.P.A.C. (service de police anti-communiste), « pire que les Allemands », écrit Michel Doisneau, réussit à démanteler une grande partie des réseaux de Résistance. Après un simulacre de justice, le « procès des 42 », en janvier 1943, 37 résistants F.T.P., parmi lesquels nos quatre héros, sont fusillés au Bèle les 29 janvier, 13 février et 7 mai 1943. Leurs noms sont gravés sur la grande plaque commémorative, dans le vieux stand de tir. L’aviation anglaise viendra continuer le travail des Résistants en bombardant l’usine en mars 1943.

(Texte de L. LE BAIL)

Sources :
-Archives départementales, 1963 W 138, pour le rapport de police (merci à Carlos Fernandez qui nous l’a fait connaître) ;
– le livre : « Auguste Chauvin », cité ci-dessous, pour le procès-verbal de Louis Le Paih.

On retrouvera des épisodes de l’histoire de notre quartier, de la Desnerie aux Batignolles, dans deux ouvrages récents :

-« Auguste Chauvin, résistant F.T.P., 1910-1943 », par Jean Chauvin et le Collectif pour la Mémoire des 42 (2003). Merci à Jean Chauvin qui a bien voulu corriger cet article.
-« Une Nantaise dans la Résistance, Yolaine de Sesmaisons », par Yves de Sesmaisons (2003)

Facebook
Twitter
LinkedIn
WhatsApp
Email
Print