Ce 11 novembre 1940, a une importance toute particulière. Non seulement le souvenir de la Première guerre mondiale est vif mais il s’agit du premier 11 novembre sous l’Occupation. Nantes vit à l’heure allemande depuis six mois. Les vaincus de 1918 décrètent, avec l’appro-bation des autorités « françaises » que ce 11 novembre ne sera pas férié et que tout ras-semblement sera interdit. C’est l’humiliation de trop !
Depuis l’été, différents signes montrent que tout le monde ne se résigne pas à l’Occupation, pas plus qu’à la Collaboration. Des papillons fustigent « le boche et le macaroni », le préfet signale des actes de sabotage de lignes téléphoniques militaires. Ces actes de refus s’inten-sifient à l’automne. Le 1er novembre, le commissaire principal signale au préfet la décou-verte de papillons « Vive de Gaulle » collés sur les devantures de magasins du centre ville. Le même jour des incidents – des sifflets du public – se sont produits au cinéma Olympia pen-dant les actualités allemandes. Le lendemain, il rend compte de « faits qui dénotent l’esprit actuel d’une partie de la population nantaise : « les tombes où reposent des soldats anglais ont reçu la visite, la veille (jour de Toussaint) d’un nombreux public et elles ont été particu-lièrement fleuries. » En outre, une banderole tricolore a été tendue sur toute la longueur du Monument aux morts 1914 – 1918, entrelacée dans une banderole noire. Il annonce qu’il fera surveiller les lycées le 11 novembre. Dans son rapport au Ministre-Secrétaire d’Etat à l’intérieur Peyrouton, le préfet Dupart signale que « la propagande communiste continue clandestinement à s’exercer par la distribution, sous le manteau, de nombreux tracts aux abords des usines. » Il promet de faire procéder à des perquisitions et à des internements.
Les lycéens et étudiants bravent l’interdiction
En effet, les lycéens et étudiants ont commémoré à leur façon la victoire de 1918. Les inspecteurs de police et les Feldgendarmes venus en renfort ont constaté des attroupements devant l’Ecole de commerce (20 à 25 élèves), 70 lycéens du Lycée Clemenceau se sont re-groupés dans le Jardin des plantes avant de déposer une gerbe devant le Monument aux morts dans la cour d’honneur du lycée puis de se rendre au Monument aux morts de la ville et d’y déposer une autre gerbe ; puis le cortège parcourant le centre ville, grossit au passage de lycéennes du Lycée Guisth’au, d’élèves de l’école professionnelle Launay. Au Palais de Justice une centaine d’étudiants ont déserté leur cours de droit. A 10 h 30, 150 étudiants et étudiantes ont tenté de déposer une gerbe, mais ils ont été refoulés par le service d’ordre. Les étudiants de l’IPO (une école d’ingénieur), munis d’une gerbe et suivis de 150 personnes se sont rendus au cimetière de la Bouteillerie. Après l’ordre de dispersion, ils se regroupent place Louis XVI, en face de la Kommandantur, avant d’être de nouveau dispersés par les polices allemande et française et de se reformer dans les rues du quartier, rue d’Argentré, rue Gambetta et rue Lorette de La Refoulais. En fin de matinée, deux étudiants de l’Ecole d’Hydrographie, « coiffés d’un bonnet de l’IPO et gantés de blanc » ont été arrêtés alors qu’ils saluaient le Monument aux morts. Des arrestations sont opérées.
L’appel des lycéens de Clemenceau
Etudiants, étudiantes Il y a 22 ans, le 11 novembre 1918, la France était dans la joie de l’Armistice et de la Victoire. Chaque année, depuis cette date mémorable, le pays tout entier célébrait le 11 novembre. La France n’évoquait pas seulement, en ce jour, la victoire, mais elle honorait les héros qui avaient donné leur vie pour que ceux qui viendraient derrière eux puissent vivre dans la liberté et dans la paix. Etudiants, étudiantes, il faut, malgré l’interdiction donnée, célébrer cette année aussi le 11 novembre. N’assistez pas au cours lundi prochain. Ce sera une manifestation qui produira son effet sur l’esprit boche. Il faut que nous résistions passivement ; un jour viendra où nous pourrons changer de méthodes et célébrer à nouveau le 11 novembre. Nous espérons que notre appel sera entendu et nous vous en remercions pour les vrais Français qui n’oublient pas ceux qui ont travaillé et qui ont fait leur devoir pour eux. |
L’exploit de Michel Dabat et Christian de Mondragon
Autre souci pour le préfet Philibert Dupart : un drapeau tricolore flotte au sommet de la tour sud de la cathédrale. Le sacristain n’a pas réussi à l’enlever. Un soldat allemand a reçu l’ordre de grimper mais n’a réussi qu’à déchirer la partie rouge du drapeau qui est resté, fixé au paratonnerre. Pendant ce temps, la foule massée sur la place Saint-Pierre apprécie l’exploit. A 10 h 40, le curé de la cathédrale Saint-Pierre avise le préfet qui appelle les pompiers et la grande échelle. Peu avant midi, les couleurs nationales ont disparu.
Les auteurs de l’exploit ? Deux jeunes, Christian de Mondragon a tout juste 16 ans, lycéen et Michel Dabat, 19 ans, est élève de l’Ecole des Beaux-Arts. Celui-ci a son Brevet de prépara-tion militaire, il s’est investi pendant la débâcle dans l’aide aux réfugiés, particulièrement nombreux dans la région nantaise. A la veille de l’entrée des Allemands à Nantes, il avait tenté avec un ami de rejoindre l’Angleterre via l’Espagne mais ils avaient dû faire demi-tour à Bordeaux. Il reste déterminé à exprimer son refus de la défaite et concocte avec son ami Christian cette action spectaculaire soigneusement élaborée. Ils ont établi la liste de l’outillage nécessaire, pensé à porter des bleus de travail par-dessus leurs vêtements de ville pour ne pas les salir et éviter de se faire ainsi repérer à leur descente par une éventuelle patrouille. Car le couvre feu est en vigueur. Mais pour un coup d’essai ce fut un coup de maître.
Ces premières manifestations publiques ont encouragé un certain nombre des participants qui rejoindront les différents réseaux ou mouvements de résistance. Ainsi, après ces rassem-blements, plusieurs jeunes se rendent chez les Mahé, à la Morrhonnière, où ils rencontrent Marcel Hévin, dessinateur à la SNCF qui vient de créer un groupe de collecte de renseignements. S’ils prolongent la commémoration en allant déposer des coquelicots en papier sur les tombes de soldats britanniques au cimetière de la Gaudinière, au Pont du Cens, leur rencontre aura des prolongements et nous retrouverons les noms de Frédéric Creusé, lycéen à l’ENP Livet, Jean Grolleau, et Jean-Pierre Glou, étudiants à l’IPO aux côtés de celui de Michel Dabat dans la liste des 50 Otages fusillés le 22 octobre 1941.