Comité Départemental du Souvenir des Fusillés de Châteaubriant de Nantes et de la Résistance en Loire-Inférieure

« Les femmes seront électrices et éligibles dans les mêmes conditions que les hommes. »

M. le Président. – Je donne lecture de l’article 16 : « Les femmes seront éligibles dans les mêmes conditions que les hommes ».
J’ai été saisi d’un amendement de M. Grenier ainsi conçu : « Les femmes seront électrices et éligibles dans les mêmes conditions que les hommes ».
M. Grenier. – Je ne reviendrai pas pour défendre mon amendement sur ce que j’ai déjà dit au sujet du vote des femmes. Ce sont les mêmes considérations qui m’ont inspiré. Je pense que l’amendement de M. Prigent ayant été adopté par l’Assemblée, les femmes doivent voter, non seulement aux élections qui aboutiront à la Constituante, mais également à toutes les élections qui auront lieu dès la libération.
M. le Président de la Commission. – Je dois rappeler que c’est à l’unanimité moins une voix que la Commission avait adopté le principe du vote des femmes, et que c’est à l’unanimité qu’elle avait estimé que les femmes ne voteraient pas aux élections provisoires qui auraient lieu en cours de libération.
Il ne s’agit pas d’apprécier les capacités, les mérites et les droits de la femme à voter, mais uniquement d’examiner les conditions de fait dans lesquelles elle va être amenée à exercer ce droit pour la première fois. N’oubliez pas que le délai de trois mois que nous avons prévu pour la reconstitution des listes électorales est extrêmement court, même pour des élections ordinaires. Or, le travail sera encore compliqué par l’absence des réfugiés, prisonniers et déportés. Si l’on doit ajouter les femmes sur ces listes les difficultés seront encore accrues. D’autre part, il est établi qu’en temps normal les femmes sont déjà plus nombreuses que les hommes. Que sera-ce à un moment où prisonniers et déportés ne seront pas encore rentrés ? Quels que soient les mérites des femmes, est-il bien indiqué de remplacer le suffrage universel masculin par le suffrage universel féminin ?
Enfin, je pense que la confection matérielle des listes électorales où, pour la première fois, figureront les femmes, donc des listes nouvelles, demandera beaucoup de temps. Si donc l’on admet les femmes à voter aux premières élections qui suivront la libération, on ouvre la porte à toutes sortes de fraudes et d’irrégularités dans cette période incertaine qui accompagnera les premières consultations populaires. Autant je considère que l’amendement de M. Prigent était fondé, autant j’estime qu’il n’y a pas lieu de retenir celui de M. Grenier. La Commission en demande donc le rejet.
M. Antier. – Je ne partage pas l’avis de la Commission. Je considère que la France, hommes et femmes réunis, résiste dans son ensemble. Il serait donc injuste d’écarter les femmes des premières élections, d’autant plus que ces élections se dérouleront à l’échelon communal et départemental. La confection des listes est donc possible.
M. Poimbœuf. – J’avais, à la Commission, soutenu le vote des femmes dès les premières élections, et c’est uniquement parce qu’il apparaissait pratiquement impossible de dresser les listes dans le délai légal de trois mois que, par la suite, je m’y étais opposé. J’insiste sur le terme « pratiquement ». On pourrait donc, peut-être, envisager une prorogation de ce délai de trois mois, ce qui permettrait de concilier tous les points de vue.
M. Grenier. – Je dois avouer qu’aucun des arguments exposés ne m’a convaincu. L’éloignement de leurs foyers de nombreux prisonniers et déportés qui ont été remplacés dans leurs tâches par leurs femmes, confère à ces dernières un droit encore plus fort de voter dès les premières élections. Quant à la confection matérielle des listes électorales, j’estime qu’il s’agit d’une question de bonne volonté et d’organisation dans chaque mairie. Il suffirait d’y employer un personnel suffisamment nombreux. On l’a bien fait pour les cartes de vêtements ou d’alimentation.
Je ne comprends pas non plus qu’on puisse supposer que nous demandons le vote féminin dès les premières élections pour faciliter je ne sais quelles irrégularités. Nous demandons simplement que toute la Nation soit appelée à se prononcer sur ceux qui la dirigeront, que ce soit à l’échelon municipal, départemental ou national.
Je dois d’ailleurs vous mettre en garde contre une réaction éventuelle de l’opinion publique. À la suite de nos derniers débats, le presse et la radio ont annoncé que le suffrage des femmes était décidé, et l’on n’a pas précisé s’il s’agissait d’élections suivant immédiatement la libération ou plus tardives. Si mon amendement n’est pas retenu, nous donnerons l’impression de nous être déjugés. (Applaudissements)
M. Hauriou. – C’est le groupe des indépendants de la Résistance qui a proposé d’ajouter à l’article 1er du projet d’ordonnance sur les élections à l’Assemblée constituante, une disposition prévoyant le vote des femmes. Nous ne pouvons donc être suspectés d’hostilité à cet égard. Je voudrais cependant présenter quelques observations.
En premier lieu, je dois souligner que sous le biais des élections municipales, c’est en réalité tout le problème des élections provisoires qui suivront que nous abordons. Car si nous admettons les femmes à voter aux premières élections qui suivront la libération, il sera impossible de ne pas les admettre aux élections pour l’Assemblée nationale provisoire. Il faut bien savoir dans quelle voie nous nous engageons. Le groupe des résistants indépendants a admis que, s’agissant d’élections pour une représentation provisoire, il ne saurait être question de faire voter les femmes, car ceci ne manquerait pas de provoquer un déséquilibre dans le corps électoral.
Par contre nous ne formulons aucune réserve au suffrage féminin quand les conditions seront redevenues normales.
Il y a dans notre position une seconde raison. Nous souhaitons que le vote féminin réussisse. Or, si nous suivions M. Grenier dans son amendement, il serait à redouter que les femmes n’encourent des responsabilités et des reproches immérités, dans une consultation populaire où elles auraient eu la majorité. Nous estimons que le premier essai de vote des femmes doit avoir lieu dans des conditions normales, et c’est pourquoi nous voterons contre l’amendement de M. Grenier.
M. Antier. – La participation des femmes au suffrage universel est un droit qui n’est pas discutable.
M. le Président de la Commission. – Je voudrais répondre d’un mot à M. Grenier quant aux irrégularités et aux fraudes qui risquent de se produire si les femmes sont admises à voter tout de suite. Il sera matériellement et techniquement impossible, étant donnés les délais restreints, de procéder à une constitution régulière des listes électorales. J’insiste donc pour le rejet de l’amendement.
M. Ribière. – Au point de vue de la constitution de listes, je ne vois vraiment pas d’obstacles sérieux à l’admission des femmes. Notre collègue Grenier a judicieusement fait observer qu’il avait été possible, sans grandes difficultés, d’établir les cartes d’alimentation.
D’autre part, il faut reconnaître que les femmes qui sont en France et dont les maris sont prisonniers en Allemagne voteront dans le même esprit qu’auraient voté leurs maris. Refuser le droit de vote aux femmes pour ce premier suffrage serait à mon avis une injure pour les femmes.
M. Grenier. – Il semble que l’argument décisif contre mon amendement soit celui de la difficulté d’établir des listes électorales complètes. Je fais observer que, même pour les électeurs masculins, il sera impossible d’obtenir des listes complètes. Si l’on annonçait dans les communes que toutes les femmes doivent se présenter à la mairie, munies de leurs pièces d’identité, les femmes se feraient elles-mêmes inscrire. Si certaines ne se dérangent pas, tant pis pour elles, elles ne voteront pas. De toute façon, j’estime qu’il vaut mieux une participation des femmes à 80 ou 90 % que pas de participation du tout. Il faut qu’ici chacun se prononce par oui ou par non.
M. Vallon. – Je retrouve dans ce débat les traditions de l’ancien Parlement français dans ce qu’elles avaient de plus détestable. À maintes reprises, le Parlement s’est prononcé à la quasi-unanimité pour le principe du vote des femmes, mais, chaque fois, l’on s’est arrangé par des arguments de procédure pour que la réforme n’aboutisse pas. Ces petits subterfuges doivent cesser (Applaudissements) ; il faut parfois savoir prendre des risques.
M. Bissagnet. – L’amendement Grenier amènera un déséquilibre très net, car il y aura deux fois plus de femmes que d’hommes qui prendront part au vote. Aurons-nous donc une image vraie de l’idée du pays ? En raison de ce déséquilibre, je préfère que le suffrage des femmes soit ajourné jusqu’à ce que tous les hommes soient rentrés dans leurs foyers, et c’est pourquoi je voterai contre l’amendement.
M. Charles Laurent. – Je tiens à préciser que ce n’est pas du tout la question des difficultés d’établissement des listes électorales, qui m’a amené à voter contre l’amendement, à la Commission. Le véritable argument est celui tiré du déséquilibre auquel M. Bissagnet vient de faire allusion.
Au moment où la population sera appelée à aller aux urnes, il y aura cinq millions d’absents, et les femmes seront, en France, deux fois et demi plus nombreuses que les hommes. Il est impossible d’envisager le suffrage dans ces conditions. Aussi voterai-je dans le sens demandé par la Commission.
M. Darnal. – Je m’étonne pour ma part qu’on ait soulevé cet argument de déséquilibre. Est-ce à dire que les femmes françaises sont des déséquilibrées ? S’il peut y avoir déséquilibre, pourquoi alors a-t-on admis le vote des femmes lorsqu’il s’agit de questions aussi importantes que celles qui feront l’objet des élections à l’Assemblée nationale ? Devons-nous oui ou non légiférer pour sortir la France du marasme et de sa misère présente, et devons-nous nous attacher à des questions de procédure ?
La Résistance a dit, par la voix de M. Prigent, que nous avions résisté avec nos femmes et nos filles. Pourquoi alors les femmes n’apporteraient-elles pas leur concours intellectuel comme elles ont donné leur concours physique ?
M. Valentino. – Jusqu’à présent, on a semblé approuver l’octroi du vote aux femmes au moment des élections à l’Assemblée constituante et refusé ce même droit lors des élections municipales provisoires.
J’ai voté en faveur du vote des femmes à l’Assemblée constituante, je voterai cependant contre l’amendement de M. Grenier. Il n’y a pas contradiction dans mon attitude car je suis pour le respect de la légalité républicaine.
Pour la Constituante, il s’agit de fixer de nouvelles règles pour la Constitution de la France, et les femmes doivent participer au vote.
Mais nous ne sommes pas une Assemblée législative, nous ne pouvons bousculer la légalité républicaine.
Notre rôle consiste à réparer les lézardes que Vichy a pu créer et les conséquences des défaillances humaines. Ce qui est indispensable c’est de renouveler l’Administration municipale en restant fidèle aux règles.
M. Costa. – Après les arguments qui ont été présentés, je déclare que je voterai pour le vote « immédiat » des femmes.
M. Poimbœuf. – L’observation que je vais faire semblera remettre en discussion, contrairement à toutes les règles de procédure, l’article 15 qui a déjà été adopté (*) ; en réalité elle ne fera qu’apporter une précision.
J’estime, eu égard aux arguments invoqués, que le délai imparti risque d’être trop court, et je demande que l’on ajoute à l’article 15 qui parle « d’un délai de trois mois » la disposition suivante : « sous réserve de la constitution des listes électorales ». (Mouvements divers). Cette réserve ne constitue pas un « torpillage » du projet ; j’admets que les élections devront avoir lieu dans un délai de trois mois, et que les femmes y seront appelées. Ce n’est que si le délai s’avère trop court qu’il y aura lieu de le proroger. Les élections ne seront reculées que dans le cas où les listes électorales ne pourraient pas être établies à temps (Mouvements divers). Je déclare, en tout cas, que je voterai pour la participation immédiate des femmes aux premiers votes.
M. Duclos. – J’appartiens à un département, le Var, qui a connu un sénateur qui a lutté pendant de nombreuses années en faveur du vote des femmes. Aussi je saisis l’occasion qui m’est offerte de faire triompher la proposition, étant certain d’autre part d’exprimer le vœu des conseillers généraux. Les arguments présentés contre le vote des femmes ne me semblent pas pertinents. Les femmes des prisonniers et de ceux qui sont morts pour la Patrie remplaceront leurs maris. Quant à l’équilibre électoral, il est aisé de répondre que l’équilibre de la Nation a été rétabli par les sacrifices et le courage des femmes.
On a soulevé les difficultés d’ordre pratique qui ne manqueraient pas d’apparaître lors de l’établissement des listes électorales. Ces difficultés sont exagérées ; il sera très facile de se référer en la matière aux cartes d’alimentation. On me dira peut-être que les résultats numériques que fourniront ces cartes ne seront pas parfaits. Peut-être en effet, y aura-t-il quelques fraudes, mais les listes électorales d’antan étaient-elles parfaites ? Je prétends qu’il est possible de réduire considérablement les tripotages. Par un travail consciencieux et un contrôle sévère on aboutira à un double résultat heureux : réprimer les fraudes et rendre possible le vote des femmes.
M. le Président de la Commission. – Je n’aurais pas repris la parole si l’intervention de M. Poimbœuf n’avait pas remis en question l’article 15 précédemment voté. Nous constatons les inconvénients que peuvent présenter les amendements soulevés au cours des débats. Ils sèment la confusion dans la discussion.
Quant à l’amendement Grenier, s’il était adopté, il aboutirait en fait à retarder les élections (Mouvements). Je n’ai aucun amour-propre à défendre, j’ai voté au sein de la Commission en faveur du vote des femmes et j’ai accepté au nom de la Commission l’amendement Prigent, mais il me semble impossible de constituer les listes électorales dans les délais impartis.
Pour les hommes, il sera possible de retrouver les listes de recrutement. Cet élément n’existe pas pour les femmes.
On vous a parlé des cartes d’alimentation. Mais M. Duclos a admis que les listes établies sur cette base pourraient ne pas être très régulières, et en dépit de ses espoirs je crains que des tripotages ne puissent être évités. C’est pour écarter ce grave problème d’irrégularité que je propose de réserver le vote des femmes pour les élections subsidiaires.
SCRUTIN
L’amendement Grenier est mis aux voix par scrutin public.
A la majorité de 51 voix contre 16 sur 67 votants, l’amendement est adopté.
Ont voté pour : MM. Antier, d’Astier de la Vigerie, Aubrac, Aurange, Auriol, Billoux, Blanc, Bonte, Bourgoin, Bouzanquet, Buisson, R. P. Carrière, Claudius, Costa, Croizat, Cuttoli, Darnal, Debiesse, Duclos, Evrard, Fayet, Ferrière, Froment, Gazier, Gervolino, Giovoni, Girot, Grenier, Marty, Mayoux, Mercier, Mistral, Moch, Muselli, Parent, Poimbœuf, Prigent, Pourtalet, Rencurel, Ribière, Tubert, Vallon, de Villèle.
Bulletins 4, 6, 7, 9, 11, 13, 14, 15.
Ont voté contre : MM. Astier, Azaïs, Bosman, Cassin, Dumesnil de Gramont, Francke, Gandelin, Giacobbi, Hauriou, Jean-Jacques, Laurent, Maillot, Rucart, Valentino, Viard.
Bulletin 3.
En congé ou excusés : MM. Boillot, Ely Manel Fall, Seignon, Zivarattinam.
N’ont pas pris part au scrutin : MM. Bendjelloul, Bissagnet, de Boissoudy, Cot, Guérin, Guillery, Lapie, Morandat, Serda et M. Félix Gouin qui présidait la séance.
(*) Article 15 : « Dès que dans un département l’établissement des listes électorales sera terminé, et au plus tard dans les trois mois suivant la libération de ce département, le Préfet sera tenu de convoquer le Collège électoral pour procéder à l’élection des municipalités et d’un conseil général provisoire. »
Source :
Supplément au Journal Officiel de la République française du 30 mars 1944, pp. 2-3 et 8 (scrutin).

LE TEMOIGNAGE DE FERNAND GRENIER

Le droit de vote des femmes est conquis en 1944. Merci qui ?

Un long chemin vers le droit de vote des femmes : d’Olympe de Gouges à Fernand Grenier

Les camps d’internement de Châteaubriant, Choisel et Moisdon-la-Rivière

Mardi 2 avril 2024 de 18h00 à 19h30 à Nantes                  

Archives de Loire-Atlantique 6, rue de Bouillé 44000 Nantes

Samedi 6 avril à 15h à Châteaubriant

Médiathèque 6 place de Saint-Nicolas

Conférence par Louis Poulhès, agrégé et docteur en histoire, ancien directeur régional des Affaires culturelles de Bourgogne.

Les otages exécutés par les Allemands en 1941 à Châteaubriant sont bien connus. Tel n’est pas le cas de l’histoire du camp de Choisel où ils étaient internés, encore moins celle du camp de Moisdon-la-Rivière affecté aux nomades. C’est l’objet du livre, récemment publié, que son auteur présente aujourd’hui.

Entrée libre

 Nous reproduisons ci-dessous un entretien avec l’auteur, publié dans UN AUTOMNE 41, bulletin du Comité départemental du souvenir des fusillés de Châteaubriant et Nantes et de la Résistance en Loire-Inférieure.

A l’occasion de la parution de l’ouvrage de  Louis Poulhès, Les camps d’internement de Châteaubriant. Choisel et Moisdon-la-Rivière, Atlande

nous avons posé quelques questions à Louis Poulhès, déjà auteur des livres : Un camp d’internement en plein Paris. Les Tourelles 1940-1945 et L’Etat contre les communistes 1938-1944 parus en 2019 et 2021 chez le même éditeur.

  • Pourquoi un tel ouvrage ?

Le camp est connu pour les internés qui y ont été fusillés comme otages, notamment Guy Môquet, Jean-Pierre Timbaud, Charles Michels. Paradoxalement, l’histoire du camp a été assez peu étudiée. La mémoire des fusillés a contribué à la reléguer un peu dans l’ombre. Le livre ne porte pas seulement sur Choisel, mais aussi sur Moisdon-la-Rivière, un camp ouvert en novembre 1940 pour des nomades, transférés ensuite à Choisel fin février début-mars 1941, puis renvoyés à Moisdon début septembre 1941. Les deux camps ont fait l’objet d’une gestion commune jusqu’au transfert de tous les internés dans d’autres camps de la zone occupée dans la première quinzaine de mai 1942. Sous l’Occupation, le camp de Moisdon-la-Rivière a donc fonctionné de novembre 1940 à février 1941, puis de septembre 1941 à mai 1942, celui de Choisel de mars 1941 à mai 1942. Leur histoire ne doit pas être dissociée.

  • Comment avez-vous travaillé ?

Comme pour tout travail historique de fond, le recours aux archives est indispensable. La plupart des documents sont conservés aux archives départementales de Loire-Atlantique, mais aussi aux archives de la préfecture de police à Paris, aux archives départementales d’Eure-et-Loir et du Maine-et-Loire et d’autres encore. J’ai croisé ces documents avec les informations issues des internés eux-mêmes : journaux des internés, correspondances avec leurs familles, témoignages et mémoires.

  • Votre éditeur précise que vous avez conçu votre ouvrage « en dehors de tout esprit polémique et d’idéalisation ». Pourquoi ce commentaire ?

Il s’agit simplement d’indiquer que ce travail se veut distancié par rapport à son objet, même si je reste très ému du sort de ces hommes, de ces femmes et de ces enfants privés de leur liberté pour nombre d’entre eux durant des années, au-delà des seuls fusillés. En particulier, j’ai pris soin de prendre en compte les internés autres que politiques, la mémoire commune réduisant souvent le camp aux seuls politiques. La mémoire de ces camps, qui fait partie de leur histoire, a fait aussi l’objet d’un chapitre du livre.

  • Qu’est-ce qu’un camp d’internement ?

C’est un camp est destiné à enfermer des individus selon une procédure tout à fait particulière : l’internement administratif. En ce qui concerne les politiques (principalement des communistes et des syndicalistes), les internés n’ont commis aucune infraction, mais ils sont seulement suspectés de pouvoir en commettre. Ils peuvent aussi ne pas avoir libérés après avoir purgé une peine ou après avoir été absous par un juge. La décision d’internement est prise par le ministre de l’intérieur ou les préfets (autorité administrative) et non par un juge (autorité judiciaire). La durée de privation de liberté n’est pas limitée dans la très grande majorité des cas, arrestations et libérations étant totalement aux mains de l’administration. Les internés administratifs ne sont donc pas des « prisonniers » comme les autres, prévenus ou condamnés, détenus en vertu d’une procédure judiciaire. La procédure de l’internement n’a été inventée par le gouvernement de Vichy, qui a seulement élargi les publics visés à tous ceux qu’il a considéré comme « indésirables », mais par le gouvernement Daladier sous la IIIe République.

  • Combien y-a-il eu de camps d’internement sous l’Occupation allemande ?

Leur nombre a varié fortement dans le temps. Certains ont été très éphémères (quelques semaines) et leur taille extrêmement variée. On peut les estimer à moins d’une trentaine pour l’ensemble de la période de l’Occupation. Dans la zone non occupée, on distingue principalement des camps pour les étrangers (les plus grands avec jusqu’à plusieurs milliers d’internés) et des camps pour les Français (nettement plus petits avec de quelques dizaines d’internés à plusieurs centaines). Dans la zone occupée, le gouvernement de Vichy est soumis à l’autorisation des Allemands. Le premier camp est celui d’Aincourt en Seine-et-Oise créé début octobre 1940 pour les politiques, les Allemands ayant également enjoint Vichy d’interner les nomades dès octobre-novembre 1940. L’internement des Juifs commence principalement en mai 1941. Tous ces camps sont gérés et gardés par des Français sous l’autorité du gouvernement de Vichy. Rares sont les camps allemands (Compiègne, Romainville ou Drancy après juillet 1943).

  • Combien de personnes ont été internées à Châteaubriant ?

Dans les deux camps de Moisdon et Choisel, 1601 personnes au total ont été enregistrées. Les politiques sont au nombre de 682, soit un peu plus des deux cinquièmes (42,3% du total). Ils sont entrés à Choisel à partir d’avril 1941, puis surtout en mai et à l’été 1941. Les nomades sont 544, soit un peu plus du tiers (34,2 %) et les « indésirables », qui regroupent les autres catégories d’internés 375, soit un peu moins du quart avec 23,5 %. Le maximum des internés présents à Choisel est d’environ 860 personnes à la fin août 1941. Une des originalités de l’ouvrage est de produire la liste complète de tous les internés, par dates d’entrée, avec leurs noms, prénoms, dates de naissance, catégorie d’internement.

  • Qu’est-ce qui a conduit à la fermeture du camp en mai 1942 ?

Les différentes catégories d’internés ont été transférés dans des camps spécialisés dans la première quinzaine de mai 1942 : Voves pour les politiques, Mulsanne pour les nomades, Aincourt pour les femmes (politiques et « indésirables »), Rouillé pour les repris de justice, Gaillon pour les « marché noir », Pithiviers pour les juifs. Le camp de Choisel a sans doute été considéré par les Allemands comme trop connu. Les exécutions d’otages ont en effet profondément bouleversé les Français. Vichy et les Allemands souhaitent également spécialiser les camps. A la différence de Moisdon, définitivement fermé, Choisel a été réouvert en septembre 1944 jusqu’en décembre 1945 pour les collaborateurs, puis transformé en annexe de la prison de Fontevrault jusqu’en décembre 1946. Le camp a ensuite été détruit.

Fête de l’Humanité / dimanche 12 septembre /Louis Poulhes
Nous n’avons pas oublié

Plusieurs commémorations ont honoré le souvenir des FTP fusillés de 1943

Le 29 janvier 1943, plusieurs résistants, combattants FTP,  jugés depuis le 15 janvier par le tribunal militaire, siégeant exceptionnellement dans la salle de la Cour d’assises du palais de Justice de Nantes, ont été passés par les armes au champ de tir du Bêle à Nantes. Le 27 janvier dernier, pour le 81ème anniversaire de leur mort, plusieurs dizaines de personnes se sont rassemblées sur les lieux mêmes de leur exécution. 81 : le nombre qui marque cet anniversaire est aussi le nombre des fusillés en ce lieu par les nazis entre 1941 et 1943.

NANTES

La cérémonie, organisée par la municipalité de Nantes en liaison avec le Comité départemental du souvenir a été honorée de la présence du sous-préfet Pascal Othéguy, représentant le préfet, Olivier Chateau, adjoint chargé du patrimoine et de la mémoire, représentant la maire Johanna Rolland, du député Andy Kerbrat, Charlotte Girardot-Moitié, représentant le président du conseil départemental, Julien Bainvel, représentant la présidente du Conseil régional, la Colonelle Fabienne Daniel, représentant le général Le Gentil, Benoit Luc, directeur de l’ONAC-VG et de  Madame Rodier, principale du collège Simone Veil.

Avant celles des personnalités, des gerbes ont été déposées par Christian Retailleau, président du Comité du souvenir, par les délégués des associations mémorielles : ADIRP, les familles de fusillés, les organisations syndicales CGT et FSU et la fédération du PCF.

©Michel Charrier

En ouverture de la commémoration, l’appel des morts effectué avec une grande sensibilité par les comédiennes Claudine Merceron et Martine Ritz a été suivi d’une émouvante évocation historique et artistique. Neuf élèves de la classe de 3ème citoyenne du collège Simone Veil – Aïssatou, Clémence, Emmie, Karen, Léna, Lilou, Manon, Mathéo, Nolan, ont lu en binômes des extraits de lettres de plusieurs fusillés à leur famille, celles de Pierre Greleau, d’André Rouault – fusillé à 17 ans, Maurice Lagathu, Joseph Colas et Raymond Hervé avant de dire le bouleversant poème de Marianne Cohn « Je trahirai demain » et de terminer par « L’Affiche rouge », chantée à capella avec Claudine Merceron et Martine Ritz en hommage aux combattants des FTP -MOI parisiens dont le chef Missak Manouchian est enfin entré au Panthéon le 21 février 2024.

© K Fontan-Praichard – Les élèves du collège Simone Veil qui ont participé à l’évocation artistique
DR  Le sous-préfet Pascal Othéguy a salué les porte-drapeaux, ici Dionisio Ordovas, porte-drapeau de la République espagnole. Cinq Républicains espagnols engagés dans la Résistance nantaise ont en effet été fusillés au Bêle.

SAINTE-LUCE

En 1952, Renée Losq s’est installée à Sainte-Luce-sur-Loire avec ses enfants. La cérémonie d’hommage l’associant à son mari Jean, fusillé le 13 février    1943 s’est déroulée le 27 Janvier, en présence de leur famille, chaleureusement saluée par Nicole Badaud, pour l’ARAC, Christian Retailleau pour le Comité départemental du souvenir. La cérémonie a commencé devant la stèle, place Jean Losq, puis dans la salle Renée Losq. Nicole Badaud s’est exprimée au nom des deux organisations. Elle a d’abord remercié la municipalité, représentée par le maire Anthony Descloziers, pour avoir permis la présentation, sur le mail de l’Europe, de l’exposition sur les « procès » des 42 et des 16, réalisée par les Archives municipales de Nantes avec la coopération du Comité du souvenir. « Cette exposition, a-t-elle dit, nous rappelle que le travail de mémoire et de transmission est une priorité pour nous tous ». Elle a évoqué la parodie de procès tenu en janvier 1943 à Nantes et le témoignage bouleversant de Renée Losq : « Lorsque les sentences sont tombées, tous les gars se sont levés et ont chanté La Marseillaise. Ils étaient enchaînés (…) » Cet acte nous dit « le courage, la dignité, la force de conviction des résistants. » Evoquant le contexte de l’année 1943, l’oratrice souligne combien au lieu de tétaniser la population, but recherché par les nazis, ce nouveau massacre de 50 résistants après celui des Otages en 1941,  a renforcé le sentiment anti-allemand, s’ajoutant aux annonces des défaites allemandes à Stalingrad et en Afrique du nord.

Nicole Badaud retrace ensuite, avec émotion, le parcours de Jean et Renée Losq et leur combat pour une société plus juste, aux Batignolles et à La Halvêque, qui les conduit à s’engager dans la Résistance. Jean est fusillé à 35 ans, Renée est déportée à 32 ans à Ravensbrück puis Mauthausen. Elle dit la difficulté de la réadaptation qu’ont connu tous les survivants et la reprise de l’activité militante de Renée à la FNDIRP, à l’UFAC, l’ARAC, au PCF. Attachée à transmettre aux jeunes générations le message de paix qu’elle portait, elle concluait toujours ses interventions dans les établissements scolaires par « Plus jamais ça ! »

©Michel Charrier
©Jacqueline Bourbigot

DIVATTE-SUR-LOIRE

L’hommage aux Républicains espagnols fusillés à l’issue du « procès » dit des 42 s’est déroulé le 28 janvier. Christine Fernandez, secrétaire générale du Comité départemental du souvenir rappelle dans son allocution que « cela fait 20 ans que nous nous retrouvons dans ce cimetière pour rendre hommage à nos camarades Républicains espagnols ». La première cérémonie, organisée par le Comité du souvenir en lien avec la municipalité et l’UNC s’est tenue le 15 février 2004. Elle rappelle que le Comité avait été alerté par Jean Chauvin, dont le père Auguste Chauvin mentionnait dans une lettre la présence de codétenus espagnols dans sa cellule à la prison Lafayette. Elle déroule ensuite le fil des démarches et recherches qui ont conduit à un premier contact avec la fille d’Alfredo Gomez Ollero et la sœur de Miguel Sanchez Tolosa « qui ignoraient tout de leur père et frère depuis leur départ d’Espagne chassés par le franquisme. » Elle évoque le temps fort qu’a été leur venue à Nantes et à La Chapelle-Basse-Mer le 12 février 2006, à l’occasion de l’inauguration de la stèle créée par le plasticien allemand Ekkehart Rautenstrauch « qui a donné lieu à des scènes émouvantes. » Cet hommage a eu des échos de l’autre côté des Pyrénées et une délégation du Comité du souvenir a pu se rendre en Galice pour l’inauguration d’une plaque dans le village natal de Gomez Ollero. L’oratrice rend hommage à Annie Buraud et Gérard Roulic, chevilles ouvrières du collectif qui a poursuivi les recherches jusqu’à l’établissement de relations avec les 5 familles. L’an dernier, elles étaient présentes jusqu’au arrières – petites – filles dans ce cimetière et à l’inauguration à Nantes d’une rue Alfredo Gomez Ollero, en présence de l’ambassadeur d’Espagne, très ému. Christine Fernandez développe ensuite l’engagement des Espagnols en Loire-Inférieure et la chute de leur groupe avec 88 arrestations à l’été 1942 qui mène à la parodie de procès dit des 42. « Ils sont morts pour libérer la France du joug nazi. Nous ne pouvons oublier leur combat alors que la loi dite asile-immigration torpille les piliers porteurs de notre pacte républicain hérité du CNR. Inlassablement, ajoute-t-elle, faisant allusion à la panthéonisation du groupe Manouchian, nous rappellerons le rôle décisif de milliers d’étrangers dans la Résistance française »

Madame Christelle Braud, maire de Divatte-sur-Loire, rappelle à son tour le travail de Jean-Paul Leroux, adjoint au maire et des regrettés Roger Jamin, maire et Roger Hivert, président de l’UNC avec le Comité du souvenir en 2004. Elle souligne l’importance de ces rassemblements annuels pour faire vivre le souvenir de ces hommes « qui ont combattu sans relâche chez eux en Espagne, fuit vers la France et malgré l’accueil qui leur a été fait, sont entrés dans la résistance et ont combattu jusqu’à la mort contre le nazisme », ajoutant « Commémorer leur engagement constitue un devoir contre l’oubli (…) Le passé nous instruit et la mémoire es un héritage que nous devons transmettre. Inlassablement. »

Des gerbes ont ensuite été déposées par Marcel Guillé (UD CGT), Anne Mesnier et Annie Cailleau-Belleau (FSU), Pedro Maïa (PCF) puis Christian Retailleau, président du Comité départemental du souvenir. Après La Marseillaise a retenti l’Hymne de la République espagnole puis le Chant des partisans. Des hommages ont ensuite été rendus à Gisèle Giraudet, pour avoir longtemps pris soin des tombes espagnoles et en présence de sa famille à Christian de Mondragon, pour avoir installé le drapeau français au sommet de la cathédrale le 11 novembre 1940, avec son ami Michel Dabat, l’un des 50 otages.

©Michel Charrier
©Michel Charrier

REZÉ

Le 25 février, sous une pluie battante, s’est déroulé l’hommage aux FTP rezéens. La cérémonie s’est ouverte devant la stèle à Jean Moulin, installée dans le square éponyme, rond-point des Martyrs de la Résistance, à l’entrée de Pont-Rousseau.

©Michel Charrier

Après une halte devant le monument aux morts, place Roger Salengro, le cortège s’est dirigé vers le cimetière Saint-Paul, rue Jean Fraix, où en présence de Philippe Audubert, adjoint chargé des anciens combattants représentant la maire Agnès Bourgeais, Jacques Floch, ancien secrétaire d’Etat et maire honoraire, Gilles Retière, maire honoraire, Christian Retailleau s’est exprimé devant le Mémorial aux résistants fusillés. Après avoir évoqué le souvenir de Gilbert Boissard, qui nous a quittés l’été dernier et qui était présent chaque année à ce rendez-vous, fidèle à la mémoire de son père Marcel Boissard et de ses camarades, le président du Comité départemental du souvenir a évoqué la figure de Maurice Lagathu, 21 ans, chef du groupe FTP de Pont-Rousseau qui écrivait dans sa dernière lettre : «  J’emporte avec moi la certitude de la victoire. »

©Michel Charrier

Ces résistants avaient rejoint les Francs Tireurs et Partisans après les massacres de masse d’octobre et décembre 1941 à Châteaubriant, Nantes et au Mont Valérien. Christian Retailleau rappelle leur engagement : « Pendant des mois, ils vont multiplier les actions de guérilla : sabotages d’installations militaires, de voies ferrées, du pont-roulant de l’usine de locomotives des Batignolles, attentats contre les soldats allemands et les collaborationnistes. Ce sont plus d’une cinquantaine d’actions de résistance dans toute l’agglomération. Mais la police française, avec le SPAC, le service de police anticommuniste créé par le ministre de l’intérieur Pucheu, sous la coupe de l’Occupant, va effectuer sa sinistre besogne. Les groupes de FTP sont tombés dans l’été 1942. La parodie de procès dit des 42 en janvier 1943, suivi du procès des 16 en août avaient l’objectif de criminaliser la Résistance. Le bilan est terrible : 50 accusés sont condamnés à mort, 7 autres sont déportés dont 3 femmes. Parmi eux 5 Républicains espagnols qui avaient rejoint la Résistance française. »

©Michel Charrier

Christian Retailleau revient sur l’entrée au Panthéon de Missak et Mélinée Manouchian, accompagnés des 23 FTP qui composaient ce qui s’est  appelé ensuite «  groupe Manouchian » après la Libération, ainsi que Joseph Epstein, chef de tous les FTP parisiens. Saluant « ce moment historique », qui met en lumière « l’apport inestimable des étrangers  à la Résistance », il a exprimé sa consternation que la loi dite asile-immigration ait pu être votée « attaquant notre pacte républicain hérité du Conseil national de la Résistance ». Evoquant la situation en Ukraine et à Gaza, ravagées par la guerre, il a fustigé le climat de haine qui renaît, concluant sur les mots de Manouchian : « Je meurs sans haine en moi pour le peuple allemand ».

Annexes

Allocution de Madame Christelle Braud, maire de Divatte-sur-Loire

Allocution de Christine Fernandez à Divatte-sur-Loire

Allocution de Nicole Badaud à Sainte-Luce-sur-Loire

Allocution de Christian Retailleau à Rezé

Enfin !

Le Comité du souvenir résistance 44 honore la mémoire de Missak et Mélinée Manouchian et de leurs camarades FTP

Missak Manouchian entre au Panthéon avec Mélinée, l’ensemble des membres de son groupe de 23 résistant .es et Joseph Epstein, chef des FTP de la région parisienne.

Notre Comité considère que cette reconnaissance, certes tardive, n’est que justice eu égard au rôle qu’ont joué ces hommes et ces femmes qui se sont levés, au péril de leur vie pour combattre la barbarie à une époque où notre pays vivait sous le joug des extrêmes-droites au pouvoir avec Vichy et l’occupation nazie.

Ils et elles nous ont laissé la liberté en héritage et un ensemble de mesures pour  les « jours heureux » du Conseil national de la Résistance.

Cet événement constitue un message essentiel à l’heure où se répand une xénophobie aux effets délétères. Ces « étrangers et nos frères pourtant » symbolisent une certaine idée de la nation française, ouverte et fraternelle.

Notre Comité s’associe d’autant mieux à cet événement qu’il y associe les FTP qui ont joué un rôle majeur dans la résistance ligérienne, et parmi eux de nombreux Espagnols. D’autre part, comme le révèle notre site resistance-44.fr, à deux reprises, puis, les FTP parisiens par de nombreux faits d’armes ont rendu justice aux 50 otages le 22 octobre 1943, puis le 9 septembre 1943 aux FTP nantais condamnés à l’issue du « procès » des 16.

Notre Comité puise dans cette panthéonisation des encouragements à poursuivre son activité pour défendre et transmettre les valeurs de la Résistance.

Nantes le 19 février 2024

Les poètes de la Résistance et le groupe Manouchian

« La poésie a pris le maquis » disait Paul Eluard, traduisant ainsi l’engagement de très nombreux poètes avec leurs propres armes dans la Résistance. Après la Libération, ils ont participé à la construction de la mémoire des « étrangers et nos frères pourtant » qui ont donné leur vie et nous ont donné la liberté en héritage.

« Alors que les Nazis donnaient à leur entreprise une allure de croisade – en vérité, ils voulaient dominer et exterminerafin de s’approprier tout, être les maîtres – le destin de l’homme, son avenir se trouvaient mis en jeu par l’occupation étrangère. C’est de ce destin que les poètes prirent conscience. Sauver l’homme de l’humiliation, de l’avilissement et de l’écrasement devint action, réaction spontanée, écriture. Au-delà des difficultés et des interdits, les poètes français ne furent pas sans voix. » écrit Pierre Seghers en avant-propos à La résistance et ses poètes. Seghers 1974. Réédition 2022 -2 volumes.

Le poème d’Aragon, publié pour la première fois dans L’Humanité en 1955.          « Poème écrit pour l’inauguration d’une rue Groupe Manouchian à Paris » précise Aragon. Il l’a écrit sur une proposition du résistant toulousain Claude Lévy.  Après un échec le 15 mars 1951, Albert Ouzoulias (ancien FTP, colonel André) et Madeleine Marzin, résistante, désormais conseillers municipaux, par délibération unanime du Conseil municipal de Paris, le 28 octobre 1954, les impasses Fleury et du Progrès sont réunies en une unique voie : rue du Groupe Manouchian dont l’inauguration est fixée au 6 mars 1955. Dans un courrier en date du 25 décembre 1954, Mélinée Manouchian adresse au poète le texte de la dernière lettre de Missak. De fait, Aragon s’est inspiré de  la prose testamentaire de Missak en une réécriture en 12 alexandrins, imprimés en italique.

Le poème, mis en musique en 1961 par Léo Ferré qui lui donna le titre L’Affiche rouge, fut ensuite publié dans le recueil Le Roman inachevé (Gallimard) en 1956 sous le titre Strophes pour se souvenir.

La première interprète du poème devenu chanson fut Monique Morelli en 1961, suivie de Léo Ferré. De nombreux interprètes l’ont inscrite à leur répertoire : Lény Escudéro, Bernard Lavilliers, Mar Ogeret, Jacques Bertin, Natacha Bezriche, Grégoire, HK sur une musique aux accents orientaux, et Feu ! Chatterton (choisi pour la cérémonie d’entrée au Panthéon)

« Strophes pour se souvenir »                                                                            

Vous n’avez réclamé la gloire ni les larmes
Ni l’orgue ni la prière aux agonisants
Onze ans déjà que cela passe vite onze ans
Vous vous étiez servis simplement de vos armes
La mort n’éblouit pas les yeux des Partisans

Vous aviez vos portraits sur les murs de nos villes
Noirs de barbe et de nuit hirsutes menaçants
L’affiche qui semblait une tache de sang
Parce qu’à prononcer vos noms sont difficiles
Y cherchait un effet de peur sur les passants

Nul ne semblait vous voir français de préférence
Les gens allaient sans yeux pour vous le jour durant
Mais à l’heure du couvre-feu des doigts errants
Avaient écrit sous vos photos MORTS POUR LA FRANCE
Et les mornes matins en étaient différents

Tout avait la couleur uniforme du givre
À la fin février pour vos derniers moments
Et c’est alors que l’un de vous dit calmement
Bonheur à tous Bonheur à ceux qui vont survivre
Je meurs sans haine en moi pour le peuple allemand

Adieu la peine et le plaisir Adieu les roses
Adieu la vie adieu la lumière et le vent
Marie-toi sois heureuse et pense à moi souvent
Toi qui vas demeurer dans la beauté des choses
Quand tout sera fini plus tard en Erivan

Un grand soleil d’hiver éclaire la colline
Que la nature est belle et que le cœur me fend
La justice viendra sur nos pas triomphants
Ma Mélinée ô mon amour mon orpheline
Et je te dis de vivre et d’avoir un enfant

Ils étaient vingt et trois quand les fusils fleurirent
Vingt et trois qui donnaient leur cœur avant le temps
Vingt et trois étrangers et nos frères pourtant
Vingt et trois amoureux de vivre à en mourir
Vingt et trois qui criaient la France en s’abattant.

Louis Aragon,                                                                                                                                                  « Strophes pour se souvenir », in Louis Aragon, Le Roman inachevé, Paris, 1956.
© Éditions Gallimard, 1956

Aragon n’est pas le seul à avoir dédié un poème à la mémoire  du groupe Manouchian, c’est également le cas de Paul Eluard qui a publié Légion.

Légion

Si j’ai le droit de dire en français aujourd’hui

Ma peine et mon espoir, ma colère et ma joie

Si rien ne s’est voilé définitivement

De notre rêve immense et de notre sagesse

C’est que des étrangers comme on les nomme encore

Croyaient à la justice ici bas et concrète

Ils avaient dans leur sang le sang de leurs semblables

Ces étrangers savaient quelle était leur patrie

La liberté d’un peuple oriente tous les peuples

Un innocent aux fers enchaîne tous les hommes

Et qui se refuse à son cœur sait sa loi

Il faut vaincre le gouffre et vaincre la vermine

Ces étrangers d’ici qui choisirent le feu

Leurs portraits sur les murs sont vivants pour toujours

Un soleil de mémoire éclaire leur beauté

Ils ont tué pour vivre ils ont crié vengeance

Leur vie tuait la mort au cœur d’un miroir fixe

Le seul vœu de justice a pour écho la vie

Et lorsqu’on n’entendra que cette voix sur terre

Lorsqu’on ne tuera plus ils seront bien vengés.

Et ce sera justice.

Paul  ELUARD                                                                                                                recueil Hommages, 1950 –  Réédition Œuvres complètes, Pléiade, 1968

Missak Manouchian fut également poète. Nous publions ci-dessous l’un de ses poèmes, traduit par Gérard Hékimian, extrait de l’anthologie La poésie arménienne. Rouben MELIK, Editeurs Français réunis, 1973 Une édition bilingue de 56 poèmes Ivre d’un grand rêve de liberté vient de paraître aux éditions Points Poésie.

LE MIROIR ET MOI

Dans tes yeux de la fatigue et sur ton front tant de rides,
Parmi tes cheveux les blancs, vois, tant de blancs camarade…
Ainsi me parle souvent l’investigateur miroir
Toutes les fois que, muet, je me découvre seul en lui.

Tous les jours de mon enfance et les jours de ma jeunesse
Je – cœur parfois tout disjoint – les brimais pour l’holocauste
Sur l’autel des vanités tyranniques de ce temps,
Naïf – tenant pour abri l’espoir tant de fois promis.

Comme un forçat supplicié, comme un esclave qu’on brime
J’ai grandi nu sous le fouet de la gêne et de l’insulte,
Me battant contre la mort, vivre étant le seul problème…
Quel guetteur têtu je fus des lueurs et des mirages !

Mais l’amertume que j’ai bue aux coupes du besoin
S’est faite – fer devenue – que révolte, qu’énergie :
Se propageant avec fureur mon attente depuis
Enfouie jusqu’au profond du chant m’est cri élémentaire.

Et qu’importe, peu m’importe :
Que le temps aille semant sa neige sur mes cheveux !
Cours fertile qui s’élargit et qui s’approfondit
Au cœur de toute humanité très maternellement.

Et nous discutons dans un face-à-face, à « contre-temps »,
Moi naïvement songeur, lui ironique et lucide;
Le temps ? Qu’importe ce blanc qu’il pose sur les cheveux :
Mon âme comme un fleuve est riche de nouveaux courants.

Missak MANOUCHIAN

Le groupe Manouchian FTP -MOI et la Loire-Inférieure

Récit d’Arsène TCHAKARIAN

Dans son livre Les Francs-Tireurs de l’Affiche rouge, Arsène Tchakarian, le dernier survivant du groupe Manouchian, fait le récit des actions réalisées par ce groupe entre le 17 mars et le 12 novembre 1943, période pendant laquelle Missak Manouchian en était le commandant militaire. Plusieurs  de ces actions concernent Nantes et la Loire-Inférieure. En voici le récit.

Le 22 octobre 1943, 2ème anniversaire des fusillades de Châteaubriant et Nantes

C’est vers le milieu d’octobre 1943 que Manouchian1 reçut un message du commandement militaire national des FTP, lui recommandant de prendre des dispositions en vue d’exécuter des actions spectaculaires contre l’armée d’occupation pour commémorer, le 22 octobre, l’anniversaire des exécutions par les nazis des 27 otages dans la carrière de Châteaubriant, des 21 de Nantes et du massacre des 50 otages de Bordeaux2.

Deux attaques furent prévues pour ce jour anniversaire: l’une contre un foyer de la Gestapo, le café de La Terrasse, l’autre dans un salon-bar à l’angle de la rue de Hanovre et de la rue de Choiseul.

Ces deux attaques anniversaires furent accompagnées d’un message à l’adresse du commandement allemand l’avertissant qu’à chaque otage exécuté par les nazis, les francs-tireurs répondraient par l’exécution d’un nombre égal d’officiers et de soldats allemands.

Une attaque contre la Gestapo

« Geheime Staatspolizei (GESTAPO): nom de la police secrète d’Etat qui fut l’un des éléments de la puissance du national – socialisme, chargée dans les pays occupés par l’Allemagne de 1939 à 1945 de la lutte contre les patriotes et les résistants. Elle se signala par ses procédés odieux (recours à la délation, otages) et barbares (tortures et exécutions) »

Cette définition de la Gestapo que donne l’encyclopédie Quillet ne reflète que trop rapidement ce qu’elle fut en réalité. Ceux qui ont subi ses sévices et dont le témoignage a été sollicité lors des procès des criminels de guerre – le procès de Nuremberg entre autres – n’en ont parlé que contraints, avec réserve, plus même, avec gêne, comme de l’inavouable. Tant les tortures qu’ils ont vécues dépassent en horreur ce que l’humain peut entendre. Mais il faut redire, sans que ce soit  s’y attarder avec complaisance, oui il faut redire de quelles méthodes a usé la Gestapo, quel traitement attendait ceux qui étaient tombés ente leurs griffes: arrachage des ongles, brûlures de cigarettes sur le visage et sur les mains, corps plongé et maintenu de force dans une baignoire d’eau glacée jusqu’à la limite de la noyade. Ecrasement des doigts sous une presse à papier. Pendaison par les pieds pour augmenter la pression du sang dans la tête, tandis que plusieurs brutes spécialisées frappaient à la cravache ou au gourdin, envoyaient des coups de pied dans le ventre, sur les côtes, cassaient les dents, la mâchoire. Menaces de fusiller le père, la mère, le frère dans les heures à venir si le prévenu ne parlait pas. Il arrivait que des « innocents » soient arrêtés par erreur. Après avoir subi ces atroces tortures, les malheureux étaient relâchés mais on exigeait d’eux auparavant de signer une déclaration promettant de ne pas dévoiler ce qu’ils avaient enduré, sous peine d’être fusillés.

Ces policiers de la Gestapo, ces tortionnaires professionnels venaient le soir, sans doute pour se délasser de leurs « rudes journées », dans les cafés ou restaurants qui leur étaient plus ou moins réservés. Un des plus célèbres de ces cafés était La Terrasse, avenue de la Grande-Armée, près de la porte Maillot, exclusivement réservé à la Gestapo. Comme rue de Hanovre, ici se pratiquaient l’échange, la vente, l’achat des objets de valeur dérobés par les policiers dans les appartements au cours d’arrestations ou de perquisitions. Je l’ai visité après la Libération : j’y ai découvert un sous-sol, à l’arrière-salle, où se tenait ce trafic.

Le service de renseignements a signalé à Manouchian cet important repaire de la Gestapo. Ce qu’il ira vérifier sur place, en compagnie de Marcel Rayman3.

Tous deux observent les allées et venues des usagers de La Terrasse. Leur dégoût à la vue des bourreaux venus s’amuser n’a d’égal que leur volonté de les supprimer. Ils explorent minutieusement le quartier. A l’intérieur et à l’extérieur du café veillent deux ou trois inspecteurs. Alentour, un impressionnant déploiement de policiers et de militaires. Les dangers sont innombrables; il faudra beaucoup de courage et d’audace.

En dépit des difficultés, Rayman et ses camarades de l’équipe spéciale ont à cœur de réaliser l’attentat contre La Terrasse au jour demandé: le 22 octobre. C’est un vendredi. En fait, chaque vendredi soir, La Terrasse est archicomble.

Le plan, soigneusement réfléchi, mesuré, minuté, va se dérouler comme prévu, à la seconde près, au mètre près. Chaque homme de l’équipe est à son poste, prêt à accomplir très exactement sa tâche, mais prêt aussi à improviser si les nécessités l’exigent. 19h30:

Léo Kneler4, l’allure désinvolte, l’élégance discrète, le pas tranquille, se présente à la porte de l’établissement. Dans un allemand impeccable, il salue l’agent en faction. Il ouvre et lance vigoureusement une grenade dégoupillée au milieu de la salle. Ultra-rapide, il fait demi-tour et court vers Rayman, posté vingt mètres plus loin. Un inspecteur en civil a vu le geste de Kneler. Il le poursuit en sifflant, son arme braquée sur lui.

Les balles d’Alfonso5, invisible, surgissant comme par enchantement, l’arrêtent net. Il s’écroule. Le deuxième inspecteur s’élance alors derrière Alfonso. Il trouve face à lui Rayman qui, avec son sang-froid habituel, lui administre le même remède qu’à son collègue.

Pendant ce temps, la grenade explosait dans la salle, blessant sans doute des policiers. Ceux qui cherchaient à sortir se butaient aux tables, aux chaises, piétinant les corps étendus sur le sol, blessés ou morts. Les verres se renversaient. La panique était à son comble.

Dehors, l’agent de police a disparu. L’équipe spéciale, elle, s’est volatilisée par les rues entourant la Place de l’Etoile.

La deuxième opération est confiée au 3ème détachement. Elle vise le café-bar-salon situé à l’angle des rues de Hanovre et de Choiseul, tout près de l’Opéra et de la Kommandantur du Grand Paris.

A 20 heures, la salle est pleine d’officiers des différents corps d’armes, de membres de la Gestapo en uniforme ou en civil, de collaborateurs et trafiquants de tout poil, tous attablés, buvant le champagne en compagnie de dames galantes. La nuit commence à tomber, propice aux quatre francs-tireurs qui font le guet: les matricules 10 613, 10 293, 10 288 que je suppose être le responsable du groupe, et 10 611, le seul dont je connaisse le nom, le Breton Georges Cloarec6. Ils doivent tout à la fois passer inaperçus et être attentifs à tout ce qui survient de prévu ou d’inattendu.

Ils comptent encore une vingtaine d’Allemands qui pénètrent dans le bar d’où monte le bruit des rires. 20h25 : prêts à sortir leur pistolet automatique, deux francs-tireurs, dans l’ombre, surveillent non loin de la porte pour protéger deux grenadiers postés à l’angle de la rue, attendant l’ordre de l’attaque. A 20h30, le chef d’équipe donne le signal : immédiatement, nos deux grenadiers s’élancent vers la porte d’entrée, font irruption dans la salle au milieu de laquelle ils lancent leurs deux grenades, pour rebondir aussitôt à reculons vers l’extérieur.

Comme ce lieu de rendez-vous n’est pas réquisitionné par les troupes d’occupation, aucune protection particulière n’est prévue par la police ; il n’y a donc pas de policiers en tenue ou en civil. Le quartier n’en fourmille pas moins de militaires. La rapidité de l’attaque et de la retraite a été telle que les Allemands n’ont rien vus. Les francs-tireurs placés en défense n’ont pas eu à intervenir.

Avant même l’explosion des grenades, les quatre combattants, déjà loin, se fondent dans le noir des rues étroites ; ils les connaissent comme leur poche pour les avoir arpentées nombre de fois dans les jours précédents pendant l’élaboration du plan. Ils savaient de quelle promptitude il fallait faire preuve ici, à quelques centaines de mètres seulement de la Kommandantur !

D’après les renseignements recueillis à l’époque, l’explosion a produit un carnage sans précédent. Ce beau monde connut l’enfer. Au milieu d’une fumée dense jaillissaient les cris des femmes mêlés aux hurlements des militaires et des trafiquants. Tables bousculées, chaises renversées, blessés piétinés (principalement des femmes), panique générale vers la sortie. Les ambulances n’avaient pas commencé l’évacuation des blessés et des morts de l’avenue de la Grande-Armée que les francs-tireurs frappaient encore plus durement leur seconde cible près de l’Opéra. En tout, une trentaine de blessés et de morts furent transportés au cours de la nuit.

1 – Missak MANOUCHIAN, pseudonyme Georges,  matricule 10 300 est un Arménien, né le  1er septembre 1906 à Adyaman (Trurquie), célibataire sans enfant, Arménien,  tourneur sans travail demeurant 11 rue de Plaisance Paris 14ème,  commissaire militaire de la M.O.I., fusillé le 21 février 1944. Son portrait figue au centre de L’Affiche rouge.

2 –  27  à Châteaubriant, 16 au Bêle à Nantes et 5 au Mont-Valérien;    50 à Souge près de Bordeaux

3 – Marcel RAYMAN, pseudonyme Michel, matricule 10 305, est un juif de Pologne, né le 1er mai 1925 à Varsovie, tricoteur sans travail, demeurant officiellement 1 rue des Immeubles industriels mais résidant dans l’illégalité 58 boulevard Soult Paris 12ème sous le nom de Rougemont. Il militait depuis 1940 aux Jeunesses communistes juives dans le 11ème et a fait partie du 1er détachement de la M.O.I. avant d’entrer dans l’équipe spéciale. Fusillé le 21 février 1944. Son portrait figure à droite de Manouchian sur L’Affiche rouge.

4 – Léo KNELER  (parfois orthographié Kneller), pseudonyme Marcel, matricule 10318, est un antifasciste allemand.

5 – Celestino ALFONSO, pseudonyme Pierrot, matricule 10 161 et 10 608 est un Espagnol, né en 1916 à Ttuéro Azaba (Espagne), célibataire sans enfant, menuisier sans travail, demeurant 16 rue de Tolbiac Paris 13ème. Ancien combattant des Brigades internationales, dans l’illégalité depuis 1941, fusillé le 21 février 1944, son portrait figure à gauche de Manouchian sur L’Affiche rouge.

6 – Georges CLOAREC,  pseudonyme Marc, matricule  10 611 est un Français, né le  22 décembre 1923 à Saint-Lubin (Eure et Loir), célibataire sans enfant, ouvrier de culture sans travail, domicilié à Droisy mais résidant en fait 15 boulevard Lamouraux à Vitry/Seine sous le nom de LAURENT Philippe, fusillé le 21 février 1944.

Pour répondre à l’exécution de 11 résistants fusillés au Bêle en août 1943,

à l’issue du « procès » dit des 16

Mercredi 8 septembre 1943 – Une décision du CMN (Comité militaire national) fut transmise au commandement des francs-tireurs parisiens en vue d’exécuter plusieurs actions contre les troupes d’occupation dans la région parisienne pour répondre à l’exécution de onze otages à Nantes le 25 août.1

Contrairement à l’habitude, un délai de vingt-quatre heures seulement était laissé aux francs-tireurs pour préparer les actions.

Plusieurs équipes (sept, je pense) sont alertées d’urgence. Manouchian laissa à chacune, dans le quartier qui lui était imparti, l’initiative du choix de sa cible. Voici ce que les FTP-MOI ont accompli le même jour :

                Première équipe: à 12h45, à l’angle de la rue de la Chapelle et de la rue Dieumegard à Saint-Ouen, près du pont de chemin de fer Paris-Nord, Steva Arias2 lance sa grenade sur un camion de feldgendarmes, protégé par le Portugais 10 606, et les matricules 10315 et 10 016 dont les noms me sont inconnus.

                Deuxième équipe : Arturo3 et le matricule 10262 exécutent deux feldgendarmes, à Argenteuil.

                Troisième équipe : à Paris, dans le 5ème, les matricules 10293, 10 609 et 10 288 exécutent deux sous-officiers venant de la rue Saint-Jacques alors qu’ils s’apprêtaient à pénétrer dans la rue de la Harpe.

                Quatrième équipe : porte d’Orléans, rue de la Voie-verte (aujourd’hui rue du Père-Corentin), à 20 mètres du boulevard Jourdan et de la station de métro, l’objectif est un café exclusivement fréquenté par des soldats allemands. La salle est archipleine. C’est Kostantinian4 qui lance la grenade, moi qui suis sa défense.

Ce café fut ensuite fermé pendant plusieurs mois, le propriétaire ayant cru que l’attentat était dirigé contre lui. Le communiqué indique que cette équipe devait opérer dans le secteur de la place Clichy. A la dernière minute,  elle a préféré changer de terrain.

                Cinquième équipe : rue de la Convention, Slama Grzywacz5 et le matricule 10207 exécutent un soldat, puis deux cents mètres plus loin, quinze minutes après, un autre dans la rue de Vaugirard.

                Sixième équipe : Witchitz6 et Rouxel7 abattent deux soldats boulevard Masséna, près de la porte d’Ivry.

D’autres actions ont été signalées, aucun document ni aucun témoignage ne me permettent, hélas, de les confirmer.

Quoi qu’il en soit, la décision du CMN fut exécutée avec rapidité et succès par les francs-tireurs.

1- Dans une note, l’auteur indique: « C’est bien ce qu’affirme le rapport d’activité rendant compte de ces actions, sans que l’on puisse dire à quel événement exact il se réfère. » Il s’agit de toute évidence des onze résistants fusillés au stand de tir du Bêle, à Nantes le 25 août 1943, à l’issue du « procès » dit des 16.

2 -Steva ARIAS, pseudonyme Pacha, avait le matricule 607. Il était Espagnol

3 – ARTURO est le pseudonyme d’un Italien portant le matricule 10 241

4 – Alexandre KOSTANTINIAN, matricule 10 307, est un Arménien né en 1904

5 – Slama GRZYWACZ  est né en 1909 à Wolomin, en Pologne.  A l’âge de 16 ans,  il s’engage aux Jeunesses communistes. Persécuté par la police, condamné à cinq ans de prison, il s’enfuit en France et arrive à Paris en 1937 où il est hébergé par les Krasucki (également originaires de Wolomin). Il s’engage dans les Brigades internationales et part combattre en Espagne. Après la défaite républicaine, il est interné dans les camps de Gurs et Argelès mais réussit à s’évader. Sous l’occupation, il devient très actif dans le mouvement syndical clandestin de la fourrure et rejoint les FTP-MOI parisiens.

6 – Robert WITCHITZ, né le 5.8.1924 à Abscon (Nord), célibataire sans enfant, Français, manœuvre sans travail, il est domicilié 10 ruelle des Badicots à Ivry/seine, mais réside depuis 2 mois au 84 rue de Montreuil à Paris sous le nom de « Legros ». Il est connu au détachement sous le pseudonyme « René ».

7 – Roger ROUXEL, est né le 3.11.1925 à Paris 6ème, célibataire sans enfant, mécanicien, il est domicilié chez ses parents 135 voie Bacchus à Vitry/Seine, membre du détachement depuis mars 1943 sous le pseudonyme de Léon.

Source: Arsène Tchakarian, Les Francs-Tireurs de l’affiche rouge,  préface de Roger Bourderon,  Messidor-Editions sociales, 1986

La création du CNR 27 MAI 1943

La création du CNR

Dans la nuit de l’Occupation, des hommes, des femmes résistent. Le 27 mai 1943, au 48, rue du
Four à Paris l’ensemble des mouvements de résistance s’unifient. Ce jour là les résistances à
l’occupant nazi deviennent « La Résistance »

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Le 15 mars 1944 Le CNR adopte son programme

les_jours_heureux.jpgLe CNR, constitué le 27 mai 1943, sous l’impulsion de Jean Moulin, regroupe dans la clandestinité, huit mouvements de Résistance intérieure, les deux confédérations syndicales (la CGT réunifiée après les Accords du Perreux d’avril 1943 et la CFTC) et six représentants de partis politiques. Ainsi, les résistances deviennent La Résistance.

Neuf mois d’échanges coordonnés par Pierre Villon, de multiples moutures proposées par les différentes compo-santes aboutissent à ce texte, qui ouvre à la France d’après-guerre une ère d’invention sociale. Le CNR est porteur de conceptions diverses, mais les conflits sont chaque fois surmontés par un compromis, l’impératif catégorique admis de tous étant l’unité de la Résistance. De ce fait, certaines questions restent « en suspens », comme celle du droit de vote des femmes, résolue par l’amendement Grenier en avril 1944 ou la question de la nouvelle Constitution, reprise en 1946.

Ce programme très ambitieux prône la participation des citoyens à la conduite de la nation et leur émancipation des forces de l’argent.
Il développe en une 1ère partie « un plan d’action immédiate », qui lie appel à l’insurrection populaire et développement de la lutte pour hâter la libération: intensifier la lutte contre l’envahisseur, combattre l’attentisme, développer les grèves, empêcher la déportation, soutenir les maquis, créer des comités locaux et départementaux de Libération, traquer les gestapistes et les miliciens, améliorer les conditions de vie.
La 2ème partie énonce des réformes démocratiques:
*des mesures politiques, comme le rétablissement de la démocratie, du suffrage universel et de la liberté de la presse;
* des mesures économiques, caractérisées par « l’instauration d’une véritable démocratie économique et sociale, impliquant l’éviction des grandes féodalités économiques et financières de la direction de l’économie » – en clair, les nationalisations, ce qui est exprimé dans le texte comme « le retour à la nation des grands moyens de production monopolisée, fruits du travail commun, des sources d’énergie, des richesses du sous-sol, des compagnies d’assurances et des grandes banques. »
* des mesures sociales: rajustement important des salaires, rétablissement d’un syndicalisme indépendant, extension des droits syndicaux et « un plan complet de sécurité sociale, visant à assurer à tous les citoyens des moyens d’existence, dans tous les cas où ils sont incapables de se les procurer eux-mêmes par le travail, avec gestion appartenant aux représentants des intéressés et de l’Etat. »
Une grande partie de ce programme a été effectivement appliquée à la Libération: nationalisations, Sécurité sociale, retraites, statut de la Fonction publique, Comités d’entreprise, vote des femmes etc. Il a permis de redresser le pays. C’est ce modèle social français qui a été un amortisseur de la crise de 2008. 75 ans plus tard, tout semble à refaire mais tandis que l’ex-numéro 2 du MEDEF, D. Kessler propose de « défaire méthodiquement le programme du CNR », retrouver le souffle de la Résistance devrait plutôt conduire à en écrire le tome 2 : « Résister se conjugue toujours au présent » Lucie Aubrac

L’Affiche rouge, arme de propagande de guerre et son détournement

Les armes de guerre ne se limitent pas aux fusils, canons, bombes, chars etc. La propagande est aussi une arme de guerre. C’était vrai hier, c’est aussi vrai aujourd’hui. L’Affiche rouge en est un excellent exemple. Mais son détournement était imprévu.

Le 20 octobre 1941, le lieutenant-colonel Hotz, chef de la Kommandantur est abattu à Nantes par un groupe de jeunes résistants communistes. Le lendemain, les murs de la ville sont recouverts d’une affiche rouge bilingue, dénonçant « de lâches criminels, à la solde de l’Angletterre et de Moscou », annonçant la décision de fusiller 50 voire 100 otages et appelant à la délation récompensée de 15 millions de Francs sous la signature du commandant militaire Otto von Stülpnagel.

L’affiche placardée à 15 000 exemplaires sur les murs de Paris le 22 février 1944 et dans les principales villes de France – l’urbaniste Paul Virilio se souvient l’avoir vue à Nantes en allant au lycée -, dès le lendemain de l’exécution des 23 combattants FTP – MOI  est d’une facture différente.

Publiée par le centre d’études antibolchéviques, elle est le point d’orgue d’une campagne de presse virulente qui cherche à instrumentaliser l’arrestation et le procès du groupe Manouchian pour discréditer la Résistance. L’effet dramatique est amplifié par rapport à l’affiche d’octobre 1941, par l’utilisation de portraits et la recherche typographique qui se veut percutante.

Un texte-slogan encadre la partie imagée. Les termes « libérateurs » et « libération » font partie du lexique de la Résistance, mais ils sont ici détournés. Dix médaillons présentent les portraits de dix des condamnés. Les photos les présentent mal rasés, hirsutes, pour provoquer un effet de peur sur le public. La mise en page est agressive, deux diagonales formant un V coupent la composition. Au centre, une flèche pointée sur Manouchian le désigne comme « chef de bande », terminologie qui confisque son engagement politique et lui confère un profil de criminel. On retrouve la couleur dominante rouge qui joue sur un double registre : rouge communiste et rouge sanguinaire pour cultiver l’ambiguité.

Les éléments de langage renforcent l’effet recherché : ce sont pour sept d’entre eux des juifs étrangers, Polonais, Hongrois, Italien, Espagnol, des communistes ou des rouges, des « judéo-bolchéviques ». La mention des noms cherche à provoquer un rejet xénophobe, antisémite et anticommuniste au sein de la population. La partie basse inventorie et quantifie les « crimes » qui leur sont attribués : photos d’armes, déraillement, sabotages, cadavre. 

L’objectif recherché de criminalisation de la Résistance est affirmé par la conclusion : « La libération par l’armée du crime ! ». Un tract reproduisant l’affiche au recto et un texte au verso(ci-dessous) est abondamment distribué dans le cadre de cette campagne de propagande

Effet boomerang :  voulue ignoble, elle est devenue noble.

Au fil des années, l’image de l’Affiche rouge s’est gravée dans la mémoire des Français, on la retrouve dans la presse, dans tous les manuels scolaires. C’est qu’« il émane de cette affiche une force que ses auteurs ne soupçonnaient pas » dit Adam Rayski, membre de la MOI, devenu historien.

L’affiche s’est retournée contre ses auteurs. Immédiatement des passants ont déposé des fleurs au pied des murs où elles étaient placardées, ou ont  inscrit « Morts pour la France » comme le note Aragon dans son superbe poème. Finalement la contradiction absolue entre l’objectif attendu et l’effet obtenu est totale.

L’affiche est devenue le symbole de la lutte des Résistants contre l’oppression nazie, mais aussi de l’apport des étrangers à la Résistance française.

Une fresque dans le 20e arrondissement de Paris

Missak Manouchian reste présent sur les murs de Paris, une fresque géante est visible dans le 20e arrondissement de Paris

Des graphistes ont consacré des portraits à Missak Manouchian, pris comme symbole du groupe qui a pris son nom après la fusillade de février 1943. Citons le pionnier du street art  Ernest-Pignon-Ernest, le graphiste C 215 ou encore Mustapha Boutadjine qui maîtrise l’art du collage.