LES 50 OTAGES

Ceux de Nantes

©Comité du souvenir. Chaque année le vendredi le plus proche du 22 octobre, une Veillée du souvenir se tient devant le Monument

Le 23 octobre 1941, en ouvrant leur journal quotidien, validé par la Propaganda Staffel, les Nantais découvrent l’avis publié par le Militärbefehlshaber  Otto von Stülpnagel. Le commandant des troupes allemandes annonce l’exécution la veille de 48 otages en représailles à la mort du Feldkommandant Hotz, abattu le 20 octobre.

Plus tard dans la journée, une affiche recouvre les murs de la ville.

La liste (ci-dessous dans L’OEuvre) comprend 19 noms d’otages « de Nantes », 1 de Saint-Nazaire, 1 de Saint-Herblain. La veille en fin d’après-midi, 16 ont été fusillés au champ de tir du Bêle, 5 au Mont-Valérien près de Paris et 27 dans la carrière de La Sablière à Châteaubriant soit 48 noms au total.

Ceux de Nantes, qui sont-ils ?

Ce sont des anciens combattants de la guerre 1914-1918, regroupés derrière Léon Jost, président-fondateur du comité d’entente des associations d’anciens combattants créé en 1932, fort de 60 000 adhérents, unis par le serment de Verdun pour « travailler à la paix des vivants ». Le 19 juin 1940, Nantes, déclarée « ville ouverte » par les autorités locales, tombe aux mains des Allemands. Ceux-ci regroupent les nombreux soldats français, britanniques, belges présents en ville. Dès le 19 au soir, ils sont 2 500 entassés sans eau, ni pain, dans la caserne Cambronne et au quartier Richemont.

L’oeuvre. 23 octobre 1941

De l’aide aux prisonniers de guerre…

 Le 28 juin, alertés par Paul Birien, plusieurs responsables Fernand Ridel, Léon Jost, Alexandre Fourny se réunissent dans un café de la route de Paris et décident d’une intervention auprès des autorités allemandes afin d’améliorer la situation des prisonniers de guerre retenus à Nantes. Dès le lendemain, ils obtiennent l’autorisation de ravitailler les prisonniers et livrent 125 kg de pain et de charcuterie. Le 30 juin, le bureau du Comité d’entente, réuni à son siège 10, rue de L’Arche-Sèche, apprend que 35 000 prisonniers dont 20 000 de la région nantaise sont répartis dans plusieurs camps à Châteaubriant, ville occupée depuis le 17 juin,

 dans un complet dénuement. Un autre camp est ouvert à Savenay et comprend 16 000 hommes et un autre encore à Ancenis. Afin de légaliser son activité, le Comté d’entente crée un Comité d’aide aux prisonniers et obtient le soutien des autorités – préfet, maire etc. – de la Croix rouge, de la Chambre de commerce.

…au réseau d’évasion

Dans l’ombre, se développe une autre activité, illégale celle-ci, d’aide à l’évasion de prisonniers dirigée par Auguste Bouvron. Le plus souvent, ces évasions ont lieu à l’occasion de corvées effectuées à l’extérieur des camps. Les prisonniers se cachent et sont reconduits à Nantes dans les camions de ravitaillement qui ne repartent donc pas à vide. Dans les bureaux du Comité, 18 rue Saint-Léonard, les évadés reçoivent des faux papiers, des fiches de démobilisation, des cartes d’alimentation, un peu d’argent et des vêtements civils. Epaulé par un cheminot, Marin Poirier, Auguste Bouvron constitue un réseau de passeurs en Charente pour franchir la ligne de démarcation ou dans le Finistère, en direction de l’Angleterre. Les Allemands constatent des évasions sans en connaître le nombre exact et soupçonnent le Comité d’entente qu’ils mettent sous surveillance. Le 15 juin, les hommes de la Geheime feldpolizei (GFP), la police militaire secrète se rend rue Saint-Léonard et arrêtent Paul Birien, Auguste Blot et les 2 secrétaires Mme Lemeute et Mlle Litoux. Puis ils se rendent à l’usine LU dont Léon Jost est directeur de la production et du personnel et l’arrêtent. Le circuit se poursuit, Alexandre Fourny est arrêté dans son cabinet d’avocat. Le soir ils sont écroués à la prison militaire des Rochettes, accompagnés dès le lendemain par Me Ridel. Le 20 janvier, trois autres anciens combattants rejoignent le groupe : Auguste Blouin, Pierre Roger et Marin Poirier. Informé de ces arrestations, Auguste Bouvron reste caché à Clisson où il se trouve.

Les détenus sont jugés mais, faute de preuves, les juges du tribunal militaire allemand, qui siège 4 rue Sully, délivrent un non-lieu. Cependant, 48 heures plus tard, ils sont de nouveau arrêtés et Léon Jost l’est à son tour le 3 mars. Le 22 avril 1941, le groupe des anciens combattants est une nouvelle fois convoqué au tribunal, mais après deux renvois successifs au 6 puis au 30 mai l’audience n’a finalement lieu que le 15 juillet. Ils sont accusés d’avoir favorisé 900 évasions de prisonniers de guerre. Interrogés un à un, tous nient les faits, à l’exception de Pierre Roger qui charge ses « camarades ». Il est relaxé. Jost, Fourny, Ridel, Blot et Blouin sont condamnés à 3 ans de prison, Mlle Litoux à 6 mois et Marin Poirier à 4ans et demi. Ils déposent un pourvoi en appel. Le 27 août, les sentences tombent : le tribunal confirme les peines sauf pour Mlle Litoux dont la peine passe de 6 mois à 3 ans de prison tandis que Marin Poirier est condamné à mort. Le Feldkommandant Hotz rejette le recours en grâce rédigé par les avocats. Le 30 août, l’abbé Fontaine, aumônier de la prison Lafayette, l’assiste jusqu’au champ de tir du Bêle. Selon son témoignage, Marin Poirier refuse que ses bourreaux lui bandent les yeux. Il refuse la main que lui tend l’officier allemand. « Je ne me suis jamais sali. Faites votre devoir » lui rétorque-t-il.

Marin Poirier est ainsi le premier fusillé nantais.  Il est enterré sur place avant d’être transféré à Saint-Julien-de-Concelles le 8 novembre 1941, puis ses obsèques solennelles se déroulent le 13 novembre 1945 à Nantes en même temps que celles de tous les fusillés. La veille, le lieutenant de vaisseau Henri Honoré d’Estienne d’Orves et ses compagnons Yann Doornick et Maurice Barlier avaient été fusillés au Mont-Valérien.

11 novembre 1940 : les étudiants manifestent à l’Etoile et à Nantes aussi.

L’entrée des Allemands dans Nantes le 19 juin 1940, produit un nouvel effet de sidération après celui de la débâcle. Si la plupart des Nantais choisissent de ne pas choisir, quelques actes de refus de l’Occupation se produisent peu à peu, spontanément : inscriptions à la craie sur les murs, refus de descendre du trottoir pour laisser le passage aux militaires allemands, papillons (on ne disait pas encore flyers), sabotage de lignes téléphoniques ou de câbles électriques etc.

Un coup d’éclat survient à l’occasion du 11 novembre 1940, le premier depuis l’Occupation. La marche à l’Etoile des étudiants et lycéens parisiens est bien connue. A Nantes aussi, à l’appel d’étudiants de Clemenceau, des lycéens et étudiants bravant l’interdiction, célèbrent la victoire de 1918. Plusieurs dizaines se rassemblent dans le Jardin des Plantes, puis pénètrent dans la cour d’honneur du lycée Clemenceau et déposent une gerbe devant le monument aux Morts. Ils défilent ensuite en ville et le cortège grossit d’élèves du lycée de jeunes filles, de l’école professionnelle Launay, de Livet et d’autres établissements. Le groupe remonte vers le monument aux morts de la ville. La police allemande procède à des arrestations, mais cette première manifestation publique a encouragé un certain nombre de jeunes à aller plus loin.

Le drapeau français flotte au sommet de la cathédrale.

L’impact de cette journée est d’autant plus fort qu’une surprise attend les Nantais au saut du lit. Des passants constatent que le drapeau français, interdit, flotte au sommet de la cathédrale Saint-Pierre au cœur de Nantes. Initiative de l’évêque Mgr Villepelet ? Peu probable. Le bouche à oreille provoque bientôt un attroupement. L’évêché alerte la Kommandantur qui envoie ses Feldgendarmes pour tenter de disperser la foule. Un soldat est missionné pour grimper et arracher le drapeau, mais ne parvient qu’à déchirer la partie rouge. Il faut faire appel aux pompiers et à la grande échelle qui parviennent à décrocher le drapeau seulement à … 11h30. Toute la matinée, les Nantais ont apprécié le spectacle. Les auteurs de cet acte de résistance seront connus plus tard. Il s’agit de Michel Dabat, 19 ans, étudiant aux Beaux-Arts et son ami Christian de Mondragon, lycéen de 16 ans qui ont entrepris de hisser le drapeau tricolore sur l’une des tours de la cathédrale au nez et à la barbe des patrouilles allemandes et en défi au couvre-feu.

De premiers réseaux se constituent

Après la manifestation étudiante, plusieurs jeunes rencontrent un cheminot, Marcel Hévin qui cherche des bonnes volontés « pour faire quelque chose ». Un groupe se forme autour de lui pour venir en aide aux personnes qui souhaitent gagner la Grande Bretagne et collecter des renseignements stratégiques en vue de les transmettre à Londres. Il y a là notamment Henri Vandernotte, employé des magasins Decré, Hubert Caldecott, un pharmacien nazairien, Frédéric Creusé, un ancien de l’école Livet, Jean Grolleau et Jean-Pierre Glou, étudiants de l’Institut polytechnique de l’Ouest (future Ecole centrale), Philippe Labrousse, un ancien du lycée Clemenceau, qui après des études de droit est maintenant directeur du contentieux aux chantiers de Penhoët à Saint-Nazaire.

Le démantèlement d’un autre réseau de renseignements, le réseau Nemrod, constitué par le lieutenant de vaisseau Henri Honoré d’Estienne d’Orves provoque des arrestations en chaîne. L’étau se resserre autour de Marcel Hévin, dénoncé, et il est arrêté de même que Michel Dabat puis Frédéric Creusé, Christian de Mondragon, Philippe Labrousse, Jean Grolleau et Jean-Pierre Glou. Au siège de la Gestapo, les coups pleuvent pour faire avouer les accusés. Car l’aveu est la reine des preuves et justement les preuves manquent. Au point que les juges allemands sont contraints de prononcer un non-lieu à l’encontre de Hévin, Labrousse et Caldecott le 19 juillet 1941. Le 8 août, Dabat est condamné à 4 mois, Glou écope de 6 semaines, et Grolleau de 15 jours de prison, Creusé est acquitté. Néanmoins ils sont maintenus en détention à l’exception de Christian de Mondragon, libéré en raison de son jeune âge. Ce qui motive l’interrogation de Frédéric Creusé dans une lettre à ses parents : « Sommes-nous pris comme otages ? ». Le 30 septembre, Hevin, Caldecott et Labrousse sont conduits au Fort de Romainville, près de Paris où sont déjà détenus Charles Ribourdouille, 33 ans et Victor Saunier, 28 ans.

La composition de la liste Le 20 octobre, Hitler exige 100 ou 150 otages pour venger la mort du Feldkommandant Karl Hotz, abattu à Nantes par un groupe de jeunes résistants communistes.

Puis les modalités se précisent : 50 immédiatement et 50 autres si les coupables ne sont pas arrêtés avant le 23 octobre à minuit. Des primes mirobolantes sont offertes aux délateurs. A Paris, le Commandant militaire de la Wehrmacht, Otto von Stülpnagel et le ministre de l’intérieur Pucheu, arrivé de Vichy se concertent. Pucheu a fait dresser une liste de 200 noms, réduite à 61, choisis parmi les communistes internés dans le camp de Choisel à Châteaubriant. Pucheu voudrait faire exécuter uniquement des communistes et des cégétistes qu’il exècre. Les Allemands tiennent à appliquer strictement le Code des otages promulgué il y a

peu à la demande d’Hitler. Il s’agit d’établir une liste d’hommes aux profils variés, d’âges variés et des Nantais puisque c’est à Nantes que le Feldkommandant a été abattu. Or, il y a dans les prisons de Nantes des prisonniers qui ont agi contre les Allemands et sont donc considérés comme otages. Il faut aussi puiser dans ce vivier. D’autant qu’il y a parmi eux des communistes comme René Carrel, ancien des Brigades internationales en Espagne, José Gil, ouvrier de la navale, Léon Ignasiak, ouvrier des Forges de Basse-Indre, Robert Grassineau, Maurice Allano, André Le Moal, jeune nazairien de 17 ans.

Chaque année, le 22 octobre un hommage officiel est rendu au champ de tir du Bêle

La liste des otages est ainsi arrêtée : 27 internés du camp de Choisel, élus communistes, dirigeants de la CGT seront fusillés à Châteaubriant, 16 otages emprisonnés à Nantes (13 à Lafayette, 3 aux Rochettes) seront fusillés au champ de tir du Bêle et 5 internés au Fort de Romainville seront fusillés au Mont-Valérien.

 De même qu’à Châteaubriant où les corps des fusillés sont inhumés anonymement dans 9 communes du Castelbriantais, ceux de Nantes seront enterrés dans le vignoble à Basse-Goulaine, Haute-Goulaine et Saint-Julien-de-Concelles. Les fusillés du Mont-Valérien seront inhumés au cimetière parisien d’Ivry.

Pour mémoire

Le 22 octobre 1944, le boulevard des 50 Otages, tracé sur l’ancien cours de l’Erdre, est inauguré en présence de 100 000 personnes. L’après-midi une foule immense se rassemble dans la carrière des fusillés à Châteaubriant, en présence notamment du ministre de l’Air Charles Tillon – ancien chef des FTP, Marcel Cachin, directeur de L’Humanité, Michel Debré, commissaire de la République.

Le 14 janvier 1945, le général de Gaulle vient remettre à Clovis Constant, chef de la délégation municipale (maire provisoire en attendant les élections) la Croix de Compagnon de la Libération, décernée à la ville de Nantes le 11 novembre 1941. Le 9 juin 1945, les corps des fusillés, exhumés des différents cimetières sont amenés au Musée des Beaux-Arts où est dressée une chapelle ardente avant les obsèques solennelles qui réunissent une foule considérable.

Le 22 octobre 1952 est inauguré le monument aux 50 Otages et à la Résistance, conçu par Marcel Fradin avec le concours de Jean Mazuet pour les statues.

Sources

*Didier GUYVARC’H et Loïc LE GAC, préface de Thomas FONTAINE, En vie, en joue, enjeux. Editions du CHT *Dominique BLOYET, Etienne GASCHE Nantes, Les 50 Otages, Editions CMD