Le 11 novembre est une date particulière et en 1940, non seulement le souvenir de la Première guerre mondiale est extrêmement vif, mais c’est la première commémoration depuis l’occupation allemande. Malgré l’interdiction des autorités militaires allemandes et de la préfecture de police, 3 000 lycéens et étudiants parisiens remontent les Champs Elysées et se rassemblent devant l’Arc de Triomphe pour commémorer, au nez et à la barbe des Allemands, la victoire de 1918 et défier l’armée d’occupation. Ils y déposent des fleurs, entonnent La Marseillaise. Certains arborent des rubans tricolores, quelques uns brandissent deux gaules. Cet événement symbolique est le premier acte public de résistance.
Faire quelque chose
Après seize semaines de combats, la France est défaite le 14 juin 1940. Les Allemands pénètrent dans Paris déclarée ville ouverte, le surlendemain les troupes paradent sur les Champs-Elysées. Le 17, le maréchal Pétain ordonne la cessation des combats, signe un armistice le 22 juin et le 28 juin, Hitler vient faire le tour du propriétaire. A la fin de l’été les réfugiés reviennent. Les vacances scolaires terminées, les cours reprennent. Mais tout le monde ne se résigne pas. La fronde gronde à l’Univer-sité où la présence de l’occupant suscite un rejet. Beaucoup pensent qu’il « faut faire quelque chose » et tâtonnent. De premiers gestes de résistance s’esquissent. Des « V » comme Victoire sont tracés à la craie sur les murs. Des incidents voire des bagarres éclatent entre jeunes et soldats allemands, notamment au café d’Harcourt. Les étudiants communistes font des lâchers de tracts dans les amphis. Le décret du 3 octobre excluant les Juifs de l’enseignement provoque un mouvement de sympathie envers les enseignants évincés. La rencontre, le 24 octobre à Montoire, de Hitler et Pétain et le discours du 30 octobre où ce dernier appelle à la « collaboration » jettent le trouble.
« Libérez Langevin ! »
Ce même jour, le professeur Paul Langevin, physicien de renom international et fondateur en 1934 du Comité de vigilance des intellectuels antifascistes est arrêté dans son laboratoire de l’Ecole de physique et chimie et interné. Le 8 novembre une manifestation a lieu devant le Collège de France à 16 h, « à l’heure où le Professeur Langevin aurait dû faire son cours », à l’initiative du Comité de Défense de Paul Langevin et d’étudiants communistes dont Claude Lalet, qui sera interné et fusillé à Châteaubriant.
Le 1er novembre, à l’occasion de la Toussaint, sans aucune consigne, 20 000 personnes étaient passées sous l’Arc de Triomphe où la police comptabilisa 500 bouquets. Dès les premiers jours de novembre, des papillons circulent dans les lycées parisiens à Janson de Sailly, Carnot (où Guy Môquet est élève), Buffon, Condorcet, Chaptal, Henri IV etc. L’un de ces tracts appelle à manifester le 11 novembre, à l’Etoile à 17 h 30. La radio de Londres invite la population française à commémorer l’armistice de 1918. Le 10 novembre, les journaux publient l’avis de la préfecture de police annulant les cérémonies commémoratives. L’avis est affiché dans les lycées et facultés. Ce qui amplifie la rumeur propagée par le bouche-à-oreille. L’interdiction provoque une réaction spontanée de petits groupes qui veulent défier l’occupant et décident de braver l’interdit. En fin d’après-midi, à la sortie des cours (car ce 11 novembre n’est pas férié), des lycéens surtout, des étudiants, des enseignants, se mêlent aux flâneurs sur les Champs-Elysées et se dirigent vers l’Etoile. De nombreux bouquets s’ajoutent aux gerbes déposées sur la tombe du Soldat inconnu. Les manifestants offrent un certain échantillonnage politique, du royaliste Alain Griotteray (qui fera une carrière politique au communiste Tony Bloncourt (qui sera fusillé en 1942). La foule ne cesse de grossir. Madeleine Riffaud parle d’ « une foule impressionnante ». Elle est estimée entre 3 000 et 5 000 personnes. Alors que la nuit tombe des cortèges défilent, se dispersent à l’arrivée de la police puis se reforment. Vers 18 heures des soldats de la Wehrmacht, armés de fusils, de mitrailleuses et de grenades débouchent sur les Champs-Elysées et la place de l’Etoile. Les uns manient la matraque, d’autres tirent sur la foule, faisant des blessés, des véhicules militaires roulent en zigzag sur les trottoirs. Les fourgons de police et les camions bâchés se remplissent de manifestants arrêtés. Le nombre exact des arrestations est difficile à établir : la préfecture de police énumère 105 noms, le gouvernement en annonce 123, le commandement militaire allemand évoque 143 arrestations et le recteur d’Académie avance le nombre de 150. Beaucoup seront retenus dans les locaux de la police, certains seront incarcérés dans les prisons du Cherche Midi et de la Santé.
La manifestation est perçue comme le premier acte collectif de résistance. La jeunesse a ainsi affirmé sa volonté de combattre pour la liberté et, trois semaines après la poignée de mains de Pétain et Hitler à Montoire, de refuser la collaboration. C’est donc un désaveu de Vichy. En représailles l’Université de Paris est fermée, le recteur Gustave Roussy est limogé. Le Quartier latin est placé sous haute surveillance et des arrestations préventives sont opérées – plus d’un millier le 21 novembre. Les journaux parisiens accordent peu de place à la manifestation, Londres y voit un encouragement pour le général de Gaulle. Des étudiants y auront fait leur premier apprentissage et se rapprocheront des mouvements de résistance.
Des manifestations ont eu lieu à Dijon, à Rouen et à Nantes. Des opérations collectives avec arrêts de travail sont menées dans le bassin minier du Nord. Chaque année durant l’Occupation, le 11 novembre donnera lieu à des gestes symboliques, dont l’un des plus célèbres reste le défilé des maquisards à Oyonnax dans l’Ain le 11 novembre 1943.
Aragon « Les enfants de France » in Le Crime contre l’esprit, Editions de Minuit (clandestines) « Dans Paris bâillonné, le 11 novembre 1940, moins de cinq mois après qu’un maréchal de France eut proclamé que la Patrie avait touché la terre des épaules, les étudiants descendirent dans la rue, et leur jeune voix retentit si haut que la France tout entière l’entendit et cessa de croire à la défaite. (…) L’ennemi ne s’y trompa pas. On était au lendemain de Montoire, et cette manifestation des étudiants de Paris, il y vit bien le désaveu national de la politique de soumission instaurée (…) par les capitulards. » |
Références :
Raymond Josse, La naissance de la Résistance étudiante à Paris et la manifestation du 11 novembre 1940. Revue d’Histoire de la Deuxième guerre mondiale, PUF, n°47, juillet 1962
Alain Monchablon, La manifestation étudiante à l’Etoile du 11 novembre 1940, revue Vingtième siècle, 2011- n° 110, Presses de Sciences Po
Henri Noguères et alii, Histoire de la Résistance en France, tome 1, Robert Laffont, 1967