L’avis de décès de Marie-Thérèse Fleury, résistante parisienne, transmis par télégramme à son mari le 20 avril 1943 permet d’alerter la Résistance sur la présence à Auschwitz du « convoi des femmes » du 24 janvier 1943. La nouvelle est transmise à Londres et la BBC l’annonce. A l’été 1943, Aragon apprend également que Danièle Casanova et Maï Politzer y sont mortes: Maï, le 6 mars 1943, Danièle le 9 mai et que Marie-Claude Vaillant-Couturier y est déportée.
Aragon écrit le poème ci-dessous dans Le Musée Grévin, premier poème français à citer Auschwitz.
Dans le convoi du 24 janvier 1943, dont le récit a été écrit par Charlotte Delbo, figurait une jeune résistante communiste nantaise, Marguerite Joubert, dont le mari André Lermite avait été déporté par le convoi du 6 juillet 1942 (mort à Birkenau le 7 août 1942) et leur ami Alphonse Braud (mort le 17 septembre 1942). Marguerite Joubert – Lermite est morte à Birkenau le 18 mars 1943.
En hommage, nous publions le poème d’Aragon
Louis Aragon – (1897-1982)
À Auschwitz
Moi si je veux parler c’est afin que la haine
Ait le tambour des sons pour scander ses leçons
Aux confins de Pologne existe une géhenne
Dont le nom siffle et souffle une affreuse chanson
À Auschwitz À Auschwitz Ô syllabes sanglantes
Ici l’on vit ici ici l’on meurt à petit feu
On appelle cela l’exécution lente
Une part de nos cœurs y périt peu à peu
Limites de la fin limites de la force
Ni le Christ n’a tenu ce terrible chemin
Ni cet interminable et déchirant divorce
De l’âme humaine avec l’univers inhumain
Ce sont ici des Olympiques de souffrances
Où l’épouvante bat la mort à tous les coups
Et nous avons ici notre équipe de France
Et nous avons ici cent femmes de chez nous
Puisque je ne pourrais ici tous les redire
Ces cent noms doux aux fils aux frères aux maris
C’est vous que je salue en cette heure la pire
Marie-Claude en disant Je vous salue Marie
Et celle qui partit dans la nuit la première
Comme à la Liberté monte le premier cri
Marie-Louise Fleury rendue à la lumière
Au-delà du tombeau Je vous salue Marie
Hélas les terribles semailles
Ensanglantent ce long été
Cela dure trop Ecoutez
On dit que Danielle et que Maï…
Ah! Déferont-ils maille à maille
Notre douce France emportée ?
Ce qu’on dit rend l’ombre plus noire
Sur la misère de nos chants
Les mots sont nuls et peu touchants
Maï et Danielle Y puis-je croire ?
Comment achever cette histoire
Qui coupe le cœur et le chant
Je vous salue Marie de France aux cents visages
Et celles parmi vous qui portent à jamais
La gloire inexpiable aux assassins d’otages
Seulement de survivre à ceux qu’elles aimaient
Lorsque vous reviendrez car il faut revenir
Il y aura des fleurs tant que vous en voudrez
Il y aura des fleurs couleur de l’avenir
Il y aura des fleurs lorsque vous reviendrez
Vous prendrez votre place où les clartés sont douces
Les enfants baiseront vos mains martyrisées
Et tout à vos pieds las redeviendra de mousse
Musique à votre cœur calme où vous reposer
Haleine des jardins lorsque la nuit va naître
Feuillages de l’été profondeur des prairies
L’hirondelle tantôt qui vint sur la fenêtre
Disait me semble-t-il Je vous salue Marie
Octobre 1943 – Le Musée Grévin