A la mémoire de Robert Cruau
(12/3/21-6/10/43)
Robert Cruau est né à Fégréac (Loire-Atlantique) le 12 mars 1921. Il rentre aux PTT, d’abord aux Chèques postaux puis à la Recette Principale de Nantes. Il adhère alors à la fédération postale de la CGT. Rober Cruau est également membre des auberges de jeunesse, organismes en plein essor dans les années 30. Les auberges de jeunesse ont été un lieu de politisation de la jeunesse au moment du Front populaire et un vivier de la Résistance.
Pour tous les ajistes de l’époque, le camping était un loisir accessible et un espace de liberté. Robert Cruau allait souvent camper, notamment dans les marais de Couëron. A Couëron justement, un groupe du PSOP (Parti socialiste ouvrier et paysan de Marceau Pivert) s’était constitué en 1939 avec d’anciens membres des Jeunesses socialistes. De nombreux militants se réclamant de la 4ème internationale fréquentaient les auberges de jeunesse et militaient également au PSOP. Est-ce de là que date l’engagement politique de Robert Cruau ? C’est vraisemblable.
Robert Cruau anime une cellule des Comités pour la 4ème internationale jusqu’en 1942 et participe activement à la rédaction d’un journal ronéoté. Début 1943, avec une ronéo apporté par les militants parisiens du Parti Ouvrier Internationaliste (POI) est publié un journal clandestin « Front ouvrier, organe clandestin des ouvriers de la région nantaise » dont le numéro 1 affirme « Il faut que la défaite d’Hitler soit une victoire ouvrière et non la victoire des banquiers anglo-américains ». Ce journal clandestin, imprimé à Couëron, paraîtra jusqu’à la libération. « Nous avions mis des matelas aux portes de la pièce dans laquelle on tirait pour camoufler les bruits » rapporte un témoin de l’époque.
En mars 1943, Robert Cruau quitte Nantes, à la fois semble-t-il pour échapper au Service du travail obligatoire (STO) mais aussi pour des raisons de sécurité. Il passe à Quimper, puis part pour Brest, accompagné notamment de deux militants rezéens d’une vingtaine d’années, les frères Georges et Henri Berthomé. Tous trois s’installent dans un même appartement et reprennent leurs activités militantes avec leurs camarades du Parti Ouvrier Internationaliste.
Henri Berthomé, ajusteur aux Chantiers Dubigeon, et son frère Georges se font embaucher dans les chantiers de construction du mur de l’Atlantique situés au-dessus de la base sous-marine de Brest. Cette situation permet au groupe de transmettre à Londres des renseignements topographiques concernant l’emplacement des sas d’accès et de sortie des sous-marins. Selon la sœur des frères Berthomé (citée dans l’ouvrage « Les rezéens dans la résistance »), ces renseignements transmis par le groupe « Front ouvrier » ont permis un bombardement de la Royal Air Force en juin 1943 qui a rendue inopérante pendant deux ou trois mois cette base sous-marine.
Pour ces jeunes militants se réclamant d’un communisme internationaliste, le combat contre les nazis devait unir travailleurs français et travailleurs allemands. Aussi le groupe engage-t-il une action audacieuse par la diffusion de tracts en direction des soldats allemands. Leur objectif est de recruter des soldats allemands anti-nazis à la 4° Internationale. Savoir que de nombreux soldats allemands de Brest ont originaires de la ville portuaire et ouvrière d’Hambourg est considéré comme un atout pour les jeunes trostskystes brestois. Robert Cruau, qui a appris l’allemand, est un des piliers de ce travail de recrutement de soldats, dont certains fournirent des « Ausweiss », pièces d’identité précieuses pour les militants français. Le groupe trotskyste de Brest, essentiellement composé de jeunes de 19 à 25 ans, diffuse en juillet 1943 un journal en langue allemande «Arbeiter und Soldat » (Travailleur et soldat) édité à Paris par le Parti ouvrier internationaliste (POI), et rédigé notamment par des trotskistes allemands clandestins qui avaient fui le régime hitlérien et résidaient à Paris. Une édition locale ronéotée est également publiée à Brest.
Démoraliser l’armée allemande de l’intérieur, amener des soldats allemands à s’opposer à Hitler et préparer une révolution sociale, tels étaient les objectifs de Robert Cruau et de ces jeunes camarades. Plusieurs soldats allemands furent ainsi recrutés, 27 selon André Calves l’un des survivants du groupe. Mais l’un de ces soldats, informateur ou retourné sous la menace, trahit. Début octobre, une rafle décime tout le groupe. Robert Cruau est arrêté le 6 octobre. Il est abattu par la Feldgendarmerie. Sans doute en essayant de s’enfuir. Il avait 22 ans.
Les jeunes soldats allemands anti-nazis recrutés par Cruau auraient eux aussi été arrêtés et exécutés. Le groupe trotskiste de Brest est démantelé, de même qu’une grande partie du groupe parisien. «Faire de la propagande à des soldats allemands est le plus grand crime ! » telle aurait été une phrase d’un officier de la Gestapo prononcée au cours des interrogatoires et rapportée par une sympathisante libérée de la prison de Rennes.
Le 22 janvier 1944, Georges et Henri Berthomé, immatriculés respectivement 42401 et 42421, quittent Compiègne pour Buchenwald dans un premier temps, puis Henri à Dora et Georges à Albertstadt où il disparaît vraisemblablement abattu en tentant de s’évader lors de la débâcle en 1945. Seul Henri reviendra.
On retrouve la famille de Robert Cruau dans la liste des secours versés, après la Libération, par la CGT aux familles de résistants tués par l’occupant. Les noms de Robert Cruau et de son camarade Georges Berthomé figurent sur la plaque mémorielle de la maison des syndicats dans la liste des martyrs victimes de la barbarie nazie. Une rue de Rezé porte le nom de Georges Berthomé.
Pendant trop longtemps, la place de ces militants dans la lutte contre le nazisme a été tue. Nous rendons hommage aujourd’hui hommage à Robert Cruau et à ses camarades comme à tous les résistants anti-fascistes et à toutes les victimes du nazisme.
Pour conclure, laissons la parole à Eliane Rönel, mariée à Henri Berthomé en 1947. Eliane a été arrêtée le 7 octobre 43, et déportée à 23 ans à Ravensvrück. «Résister ne devrait pas être un choix, c’est un devoir. C’est une dette que nous avons envers tous ceux qui ont lutté pour conquérir leur liberté ».