Il fait beau ce lundi 9 novembre 1942. Environ 180 apprentis des chantiers de Penhoët poursuivent leur formation. Il est un peu moins de 14 heures, ils viennent de sortir du réfectoire et rejoignent leur atelier. Il y a une alerte et conformément à la consigne les apprentis se rendent aux abris du côté du parc à tôles ou sous la cale du Normandie. Déjà les tirs des 75 batteries de défense antiaérienne allemandes visent les B 17. Les moniteurs pressent leurs apprentis de rejoindre les tranchées creusées en zigzag près des bâtiments. Les premières bombes frappent le parc à tôles. Dans ses mémoires, Ferdinand Michel, sauveteur volontaire de la défense passive, écrit que « par endroits, la tranchée s’est refermée, enterrant vivants ses occupants dans un mélange de terre et de bois de coffrage. » Une seconde vague arrive, puis une troisième : 31 bombardiers B 17 et 12 B 24 ont bombardé la ville.
Les secours sont arrivent très vite. Mais il faut réparer une grue endommagée, indispensable pour soulever les tôles qui emprisonnent les victimes. Le bilan est lourd : 134 apprentis, 10 moniteurs, 19 ouvriers et 22 autres personnes ont perdu la vie, soit 186 vies brisées. Parmi les survivants, on compte de nombreux blessés. Ainsi, Joseph Michel, dans le coma, est extrait des décombres. Grièvement blessé, il sera amputé des deux jambes.
Depuis l’armistice conclu entre Pétain et Hitler, et l’occupation de la zone nord de la France, Saint-Nazaire – occupée depuis le 19 juin – et les autres ports de la façade Atlantique présentaient des enjeux stratégiques. Les Allemands ont construit le Mur de l’Atlantique, forteresse de blockhaus ainsi que la base sous-marine et pour affaiblir l’ennemi les Alliés ont procédé à d’intenses bombarde-ments. Les autorités avaient averti par tracts et radio de l’imminence d’attaques aériennes contre les sites stratégiques. Les bombardements des bases sous-marines ont commencé le 21 octobre 1942 à Lorient et le 7 novembre à Brest. Certes, les bombardiers visaient la base sous-marine et les installations portuaires. De ce point de vue, l’objectif du raid a été atteint : la base sous-marine et la zone portuaire ont été criblées de balles. Mais le centre d’apprentissage n’était pas un objectif militaire ! En novembre, l’évacuation des élèves du primaire avait déjà commencé, mais le centre d’apprentissage continuait de fonctionner à Penhoët.
Ce fait de guerre a été longtemps occulté, car il mettait en cause les Alliés. Serge Paquet, qui a été apprenti à Penhoët de 1963 à 1966, puis moniteur, se souvient que jusqu’à la fermeture du centre d’apprentissage en 1974, « on demandait aux élèves de déposer des fleurs sur les tombes des victimes. On faisait une vingtaine1 de cimetières ou monuments aux morts, mais on ne nous disait pas pourquoi. »2 C’est la raison pour laquelle il a accepté la présidence du Groupement des parents d’apprentis victimes et des rescapés du bombardement du 9 novembre 1942, afin d’entretenir la mémoire de cet événement « qui a marqué à jamais l’histoire de cette ville » a dit David Samzun, maire lors de l’inauguration d’un Mémorial en 2019, près du chantier naval. Le monument en forme de colonne qui porte l’inscription « Colonne brisée, vies brisées » et les noms des 186 victimes, lus un à un par les élèves du Lycée professionnel André Boulloche lors l’inauguration. Ce mémorial s’ajoute à la stèle dressée dans le cimetière Toutes-Aides.
Notes
1 – Les victimes sont inhumées dans 21 cimetières de 16 communes
2 – Ouest-France, 9 .11.2017
Sources
Archives municipales de Saint-Nazaire