Héroïnes des Cités en bois
(Texte extrait de l’exposition « Saint Jo, la Révolution, les guerres »,
organisée par la Commune Libre de Saint Joseph de Porterie en 1997)
Elles n’ont pas leur nom sur les plaques bleues des rues, elles n’ont jamais recherché les honneurs ; les quelques médailles ou pensions méritées, il a fallu les obliger à les accepter. Pour l’exposition « Saint Jo, la Révolution, les guerres », nous en avons rencontré trois, seulement trois : il aurait fallu commencer l’enquête plus tôt. Elles ont bien voulu parler de cette période terrible, mais, chacune, à une condition : « qu’on parle aussi des autres camarades ».
Ce sont aujourd’hui (1997) des grands-mères, des arrière-grands-mères, très dignes, très discrètes, très seules aussi, souvent. Plusieurs ont dépassé 80 ans. Elles avaient de 18 à 35 ans, pendant l’occupation. Les injustices de la société les indignent toujours autant qu’autrefois ; l’indignation, c’est un signe de jeunesse, a dit un philosophe.
Elles ont toutes trois un autre point commun : elles ont habité la Halvêque, les « cités en bois » des Batignolles, car leurs maris étaient ouvriers à la grande usine.
Souvenirs de Madame Marcelle BARON
Dès 1940, des réseaux de résistance s’organisent à Nantes, les femmes y participent activement. Madame BARON est l’une d’elles. Elle travaille alors chez Brissonneau. Le 4 novembre 1941, lorsque le jeune Christian de MONTDRAGON hisse le drapeau français sur une des tours de la cathédrale, à la barbe de l’occupant, elle participe à la manifestation, place Saint Pierre. Son domicile, rue de Pressensé, sert de cache à de nombreux résistants :
-Fernand GRENIER, avant son départ pour Londres, qui faisait la liaison entre le P.C.F. et le général de Gaulle ;
– Gaston TURPIN, F.T.P.F., qui sera fusillé au Bèle ;
– Georges GOASNAT, responsable de la résistance communiste pour la Bretagne ….
MMmes René JACQUET (l’épouse du secrétaire départemental de la C.G.T.), Zabeth LE GUYADER et Marcelle BARON deviennent responsables du mouvement des femmes communistes en Loire-Inférieure. Elles organisent la collecte de secours pour les familles de prisonniers, de déportés, de résistants. Mme BARON devient l’adjointe de Georges GOASNAT, lorsqu’elle est arrêtée.
Elle passe dans les caves de la Gestapo, place Louis XVI, où elle est tabassée, torturée. Comme la Gestapo ne peut rien obtenir d’elle (son opiniâtreté arrive même à provoquer une certaine admiration chez ses bourreaux), elle est déportée. A Ravensbrück, elle fait la connaissance de Geneviève de Gaulle, la nièce du général. Elle est envoyée dans un camp près de Karlovy Vary (Karlsbad), dans les Sudètes (Tchécoslovaquie), où les prisonniers doivent participer à la construction de fusées : le sabotage des pièces va bon train !
Au bout d’un an, c’est la libération, elle est ramenée en France, à bout de force. Elle retrouve sa famille, son mari Alfred BARON qui travaille aux Batignolles où il est responsable syndical. Ils viennent s’installer dans la cité en bois de la Halvêque, où ils resteront jusqu’en 1960.
« Surtout, dit Madame BARON (Ginette, dans la Résistance), n’oubliez pas de parler des autres camarades : Mme VAILLANT, Mme CHAUVIN, Mme LOSQ, Margot RIVET !» (dont le fils a été déporté avec elle).
Souvenirs de Madame Renée LOSQ
Madame Renée LOSQ : une alerte dame de 84 ans. Qu’a-t-elle fait, pendant la guerre ? Elle habitait la Halvêque. « On a constitué très tôt des réseaux autour des Batignolles. Et pour cause : le P.C.F. était déjà hors-la-loi avant le début de la guerre. Je cachais des copains F.T.P. dans l’illégalité, des gens de passage, le plus souvent inconnus. Je distribuais des tracts, je procurais des tickets de ravitaillement (volés) aux familles des copains en difficulté. »
« Nous formions des petits groupes très cloisonnés, question de sécurité. J’ai pourtant eu des contacts avec Raymond HERVE, avec TOUSSAINT …. » (Ce dernier, condamné à la prison dès avant la guerre pour avoir distribué des tracts anti-allemands).
Août – septembre 1942 – La résistance à l’occupant se développe, la répression aussi. Raymond HERVE est arrêté et comparaît devant le juge LE BRAS. Un commando pénètre dans le palais de justice pour le délivrer. Mme LOSQ est dans le jardin du palais pour protéger la fuite de ses camarades. Que s’est-il passé dans le bureau ?
« Ils m’ont raconté que le juge avait ouvert un tiroir, peut-être pour sortir une arme ? Un résistant a tiré, abattant le juge. Lequel ? Je ne l’ai pas su, sûrement pas HERVE, il n’était pas armé. »
Madame LOSQ accompagne P. HERVE à Concarneau où elle se fait arrêter, tandis que HERVE est repris à Lanester. Elle est envoyée en prison en Allemagne (Aix-la-Chapelle, Breslau, Cologne), condamnée à 12 ans de travaux forcés. Elle connaît les camps : Ravensbrück en Allemagne de l’Est, Mauthausen en Autriche….
Au bout de trois ans, c’est la Libération, elle rentre en France. Pendant ce temps, M. LOSQ, ouvrier aux Batignolles, a été arrêté, condamné à mort, fusillé au Bèle. Leur beau-frère Jacques GUILLOU, ouvrier aux Batignolles lui aussi, a été aussi fusillé au Bèle : on avait trouvé chez lui des tickets de pain volés….
Souvenirs de Madame Paule VAILLANT
Madame Paule VAILLANT est la fille de Marguerite RIVET, dite « Margot », pontonnière aux Batignolles (elle conduisait ces énormes ponts roulants que l’on aperçoit de la route de Paris), et la sœur de René RIVET dont on parlera plus loin.
En 1941, elle a 18 ans, elle est mariée, elle a un enfant. Elle participe au groupe de femmes résistantes de la Halvêque avec Marie CHAUVIN, Renée LOSQ …. Les réunions du groupe se tiennent en plein air, chemin du Perray, près d’une tenue maraîchère (magasin Décathlon actuel). C’est Madame BARON qui anime ces réunions.
On distribuait des tracts dans les files d’attente, en particulier chez L.U., rue Boileau, à l’angle de la rue du Chapeau Rouge. Au retour, on se regroupait dans les jardins du Palais de Justice. On distribuait aussi des tracts et on collait des affiches dans les trois cités en bois (Halvêque, Baratte, Ranzay).
« Un de nos exploits, c’est d’avoir réussi à coller une affiche sur le portail de l’usine Brandt, malgré les rondes de la garde allemande ». L’usine Brandt, aujourd’hui Saulnier-Duval, fabriquait des armes. « Une autre nuit, nous faisions une distribution de tracts dans la cité Baratte. Les chiens n’arrêtaient pas d’aboyer, à la Halvêque. C’est cette nuit-là que la Gestapo est venue arrêter Renée LOSQ, son mari et Jacques GUILLOU. »
Le groupe de Madame VAILLANT militait avec le Front National, organisation de la Résistance n’ayant pas la moindre ressemblance avec le parti qui porte ce nom aujourd’hui. Le responsable était le jeune Libertaire RUTIGLIANO, fils d’un émigré italien, qui mourut en déportation.
« Mon frère René RIVET était lui aussi membre du Front National. Ayant été dénoncé, il a été arrêté en avril 1944 à Trans sur Erdre, emprisonné à Lafayette, torturé place Louis XVI. Il a eu 20 ans en prison. Déporté à Buchenwald, il a été délivré par les Américains. Rapatrié sanitaire, il est décédé à l’Hôpital Bichat en juin 1945. Il avait 21 ans. »
« Nous organisions la solidarité : tous les mois, nous versions une certaine somme, suivant nos disponibilités, pour aider les familles des camarades en prison ou en fuite. »
Une anecdote parmi tant d’autres : « Marie CHAUVIN, qui était enceinte, a obtenu de se marier, à la prison Lafayette, avec Auguste CHAUVIN qui a été fusillé peu après. Courage ou inconscience du danger ? Margot RIVET, ma mère, et moi-même avons été témoins du mariage. Nous sommes allées à la prison avec ma petite fille Denise qui avait alors 2 ans, début septembre 1942. Jean CHAUVIN est né à la fin de septembre. »
Ceci n’est qu’un trop rapide aperçu de la Résistance dans le quartier. Seulement trois femmes ont témoigné pour l’exposition ; il y en a eu tant d’autres !
Il y a eu les hommes : quelques-uns ont leur nom sur la plaque des fusillés, à l’ancien stand de tir du Bèle. Mesdames BARON, LOSQ et VAILLANT nous en ont cité quelques-uns : MM. BOURSIER, MAISONNEUVE, LE PRIM, RAYNAUD, Ange VAILLANT, Marius HONNET, Rémy GACHE, Henri LEFIEVRE …, M. ASTIC qui tenait la droguerie près de la Poste des Batignolles….
Source : http://www.archives.nantes.fr/PAGES/HISTOIRE_QUARTIERS/saint_jo/saint_jo.htm