Madame le Maire, Mesdames, Messieurs les parlementaires ; Mesdames et Messieurs les élus, Mesdames et Messieurs représentants les familles de fusillés Mesdames et Messieurs les représentants des associations et organisations patriotiques, syndicales, politiques, Mesdames et Messieurs les porte-drapeaux, Mesdames et Messieurs, chers amis.
Voilà 78 ans déjà que Nantes, la France recevait l’horrible choc des fusillades d’octobre 41. Depuis, chaque année, les Nantais et de nombreux Français se souviennent. De 1944 à aujourd’hui, chaque année grâce à l’engagement et au travail des bénévoles du comité du souvenir et des collectivités qui les accompagnent, cette flamme du souvenir vacille, mais ne s’éteint pas. Elle doit être entretenue, afin que les jeunes générations sachent ce qui s’est passé le 22 octobre 1941 à Châteaubriant, à Nantes, au Mont-Valérien. L’acte de résistance du commando composé de Marcel Bourdarias, Gilbert Brustlein et Spartaco Guisco qui abattit le Feldkommandant de la place, n’était pas un assassinat comme on le lit encore trop souvent, mais bien un acte majeur de la Résistance naissante qui ouvrait la lutte armée contre l’occupant nazi, sur le sol national.
Les assassins, ceux qui fusillaient, torturaient, déportaient, exterminaient étaient les envahisseurs, leur armée d’occupation avec sa sinistre cohorte de l’ABWEHR, de la Gestapo, du SIPO SD et de leurs supplétifs du régime de Pétain, du SPAC, des sections de police anticommuniste et ensuite de la milice.
Comme l’écrit si justement l’historienne Dominique Comelli dès les premières lignes du dossier pédagogique, qu’elle a bien voulu nous offrir pour accompagner la belle bande dessinée « Immortels ! » je cite : « Savoir ce qui s’est passé à Châteaubriant, à Nantes et au Mont-Valérien, c’est bien sûr rendre hommage à ceux qui ont été fusillés. Mais cela ne suffit pas. Les fusillés du 22 octobre 1941 ne sont pas morts par hasard, et ne sont pas morts seulement pour libérer la France. Ils sont morts aussi pour un monde différent, et ce monde différent nous concerne, parce qu’on ne peut pas dire qu’on vive dans un monde idéal.
Connaître ce qui s’est passé, c’est réaliser que ces morts nous ressemblent beaucoup : on ne partagerait pas forcément leurs idées politiques, tous leurs engagements et le monde a évolué. Mais se lever pour dire que le monde est injuste, inégale, qu’il va la catastrophe sociale, politique, climatique, et qu’on peut y faire quelque chose, cela nous concerne tous actuellement. Il y a plein de manières de dire non, de résister. À chacun de les trouver. Et c’est cette volonté de résister qui nous rend très proches de ces morts.
Nous ne doutons pas que cette bande dessinée contribuera à la connaissance de cette période tragique de notre histoire, qu’il importe de ne pas voir sombrer dans l’oubli. Nous sommes satisfaits de l’écho qu’elle rencontre déjà. Nous souhaitons vivement qu’elle puisse retenir l’intérêt de nombreux lecteurs qui voudront mieux connaître l’engagement des 48 otages dont les portraits jalonnent le cours éponyme qui s’ouvre devant ce monument. , d’ailleurs très heureux d’accueillir ce soir, à cette veillée du souvenir et aux cérémonies de tout le week-end, l’artiste auteure de ces beaux portraits, Madame Chantal Trubert. Nous la remercions une nouvelle fois, puisque l’occasion nous en est fournie, pour son travail qui donne à chacun de ces 48 fusillés, un visage pour les Nantais. Nous saluons Camille Ledigarcher dessinatrice et auteure de la bande dessinée. Nous saluons aussi l’auteur du dossier pédagogique, historienne et auteure d’ouvrages pour la jeunesse Madame Dominique Comelli. Nous disposons donc d’un nouveau support pour transmettre la mémoire des 50 otages, une bande dessinée.
Après le documentaire « Ils étaient 48 » réalisé par Chloé Glotin et les élèves du lycée Carcouët, cette nouvelle initiative permettra, nous l’espérons, aux lecteurs d’élargir leurs connaissances sur la Résistance dans sa diversité, d’enrichir leur savoir, grâce au dossier de Dominique Comelli qui constitue un apport historique précieux. Chacun pourra y puiser des enseignements en appréhendant mieux les valeurs que portaient ces résistants pour aujourd’hui se prémunir de l’obscurantisme, du racisme, de la xénophobie, de l’idéologie du chacun pour soi, dans une période où les idées de l’extrême droite sont banalisées à un niveau sans précédent depuis la Libération. Aujourd’hui, un chroniqueur fascisant bénéficie de la transmission intégrale sur la chaîne LCI, de ses propos xénophobes, racistes et de haine, tenus devant une assemblée d’extrême droite, ce même individu et ses acolytes sont omniprésents dans les médias qui leur offrent des tribunes. Comment s’étonner dès lors de la progression de leurs idées nauséabondes qui prospèrent sur le terreau du mal-être, du mal-vivre engendrés par les politiques antisociales, d’austérité, de désintégration des services publics au profit d’une poignée de privilégiés des sphères de la finance ? Eux, dont les aînés résumaient leur conception antidémocratique avant-guerre dans l’expression » plutôt Hitler que le Front populaire. »
Cette propagande devrait tomber pourtant sous les coups de la loi, mais la tolérance dont ils bénéficient atteste du dangereux jeu politicien par lequel le pouvoir pense se maintenir en favorisant un duo avec l’extrême droite. Cette opération de diversion est indigne, tout comme celle à propos du voile, déclenchée par la méprisable sortie d’un élu du Rassemblement National, qui selon l’expression, fait le buzz. Le plus affligeant dans cette histoire est que certains par bêtise, ignorance ou pire, par calcul politicien confondent un foulard porté par une maman avec un voile assimilé à l’islamisme radical pour discriminer une population tout entière ! Attention, danger ! Il ne s’agit ici nullement de laïcité. Souvenons-nous que l’antisémitisme en Allemagne, qui mena à la Shoah, débuta par le même genre de provocations à propos des coutumes vestimentaires de la communauté juive.
À l’évidence, le travail mémoriel n’est absolument pas archaïque ou dépassé, il demeure nécessaire, d’autant plus que pour certains il serait bientôt clos avec la disparition des témoins directs, des rescapés des camps, des compagnons de combat des fusillés. Nous le constatons, hélas, « le ventre est encore fécond, d’où sortit la bête immonde ». Il est donc primordial de poursuivre le travail de mémoire, de rendre hommage aux 48 du 22 octobre 41 et à leurs compagnons tombés dans les semaines qui suivirent : les neuf fusillés à la Blisière sur la commune de Juigné-des-Moutiers, puis les 10 jeunes communistes d’origine juive qui, extraits par petits groupes du camp de Choisel, à Châteaubriant sous prétexte de transfert, furent dirigés vers le champ de tir du Bêle.
Et puis, les groupes des FTP nantais du procès des 42 et du procès des 16 qui tombèrent en 1943 et encore les 27 du maquis de Saffré, fusillés au château de la Bouvardière en juin 1944, sans oublier tous les autres fusillés dans la cour de la prison de Nantes et dans d’autres communes de notre département ni les centaines de déporté-e-s de notre département qui ne rentrèrent pas. En leur rendant hommage, ce soir comme chaque année, c’est toutes celles et ceux qui d’une manière ou d’une autre constituèrent la Résistance, quelques furent leur opinions, leur convictions, leurs origines ou nationalités que nous honorons pour leur engagement souvent jusqu’au sacrifice de leur vie, pour nous léguer un pays libéré se dotant avec les conquis du programme du Conseil National de la Résistance, d’avancées sociales et démocratiques telles que les régimes de retraite, la Sécurité sociale, les nationalisations des grands moyens de production, du secteur bancaire, de la liberté de la presse affranchie des puissances d’argent, du statut de la fonction publique, de celui du fermage et du métayage… et la liste n’est pas exhaustive, mais autant de conquêtes que depuis, les puissances d’argent ne cessent de remettre en cause, sous prétexte de « réformes », d’économies à réaliser, mais en réalité de transfert de richesses qui se traduisent par des écarts de plus en plus gigantesques entre une minorité d’affairistes et la société.
Ainsi aujourd’hui, l’ensemble des médias, à l’exception de deux à trois quotidiens en danger, appartiennent à sept milliardaires. On voudrait nous faire croire que ce qu’il a été possible de bâtir dans un pays ruiné, qui devait tout reconstruire, serait impossible économiquement aujourd’hui.
Le général De Gaulle faisait remarquer aux représentants du patronat à la Libération « Messieurs on ne vous a pas beaucoup rencontrés ces dernières années ». Par contre ceux de la résistance étaient pour l’essentiel d’extraction populaire, nombre d’entre eux étaient des militants syndicalistes et beaucoup des communistes. Ils devaient payer le plus lourd tribut dans la lutte pour la libération. Ce sont ceux-là qui luttant dans les pires conditions, pensaient à l’avenir, à bâtir une société nouvelle qu’ils définirent en s’unissant autour de Jean Moulin dans le CNR et intitulèrent leur programme pour la Libération « Les jours heureux »
Le régime de l’État français dirigé par Pétain connaissait ses ennemis et livra nombre de ces hommes à l’occupant. Son ministre, Pucheu, homme du Comité des Forges remit aux Allemands par l’intermédiaire de son conseiller Chassagne, une liste d’otages à fusiller, notamment détenus à Châteaubriant. Parmi eux, des dirigeants de Fédérations syndicales de la CGT : Charles Michels, Jean Poulmac’h, Jean-Pierre Timbaud, Désiré Granet, Jules Vercruysse. Au regard de cette réalité, combien la résolution adoptée récemment par le Parlement européen sur « l’importance de la mémoire européenne pour l’avenir de l’Europe » apparait pour ce qu’elle est, une entreprise ignoble de falsification historique et une escroquerie intellectuelle. Cette résolution assimile fascisme et communisme y mettant un trait d’égalité et expliquant que l’origine de la Seconde Guerre mondiale serait due principalement au pacte germano-soviétique. À propos de mémoire, celle-ci est particulièrement bafouée.
Ce texte fait l’impasse sur le traité de Versailles, sur la montée des régimes fascistes des années 1930 en Europe, sur la crise de 1928/29. Nulle part il n’est question des autres pactes avec les démocraties occidentales, silence sur les accords de Munich, sur la non-intervention en Espagne et donc sur l’atermoiement meurtrier des chancelleries occidentales avec le nazisme et la complicité active des puissances d’argent avec les régimes fascistes et nazis. La droitisation extrême de la représentation au Parlement européen se fait déjà sentir.
Ce texte fait la part belle au révisionnisme de l’extrême droite, il permet d’absoudre cyniquement aussi bien le national-socialisme, son idéologie de mort et les régimes fascistes des années 30. Certes, il ne fait aucun doute que le régime stalinien fut bel et bien un régime sanglant et criminel dont furent victimes en premier lieu beaucoup de communistes, mais il est moralement et historiquement inconcevable de faire de l’Union soviétique, de son armée et de tous les communistes qui s’engagèrent dans tous les pays dans le combat libérateur des équivalents des nazis et de leurs supplétifs collaborateurs sans sombrer dans l’obsession comparative comme le dénonce l’historien Marc Ferro. C’est nier la contribution de l’armée et du peuple soviétique, avec ses 20 millions de morts, à la victoire sur le nazisme.
Cette résolution relativise, banalise même incidemment la Shoah, sa singularité intrinsèque et les logiques d’extermination méticuleuse et industrielle du régime nazi en la noyant dans les assassinats collectifs du 20èm siècle. On pourrait citer Churchill, qui avait compris le pacte germano-soviétique comme une conséquence de la lâcheté des démocraties occidentales vis-à-vis des fascistes. Ou encore Thomas Mann, qui écrivait «Ceux qui insiste sur cet équivalent peuvent bien se targuer d’être démocrates, en vérité, et au fond de leur cœur, ils sont déjà fascistes; et à coup sûr ils ne combattront pas le fascisme sinon en apparence, mais réserveront toute leur haine au communisme »
Nous avons encore beaucoup à faire sur les questions mémorielles, encore beaucoup à apprendre et à transmettre, et ce malgré les difficultés avec la disparition des témoins directs, le recul de l’enseignement de l’Histoire particulièrement celle du siècle dernier, un recul de l’importance mémorielle dans l’Éducation nationale et dans la société, les manques de moyens financiers et humains croissants… Le travail auprès des jeunes générations, auprès des scolaires, est primordial. La mémoire se doit d’être intergénérationnelle, mais elle se doit aussi d’être plurielle, d’associer le plus grand nombre de personnes, quels que soient leur âge, leur origine, leur parcours, leurs croyances ou non… Le travail de mémoire n’est jamais achevé. Non. Absolument non. Le travail mémoriel n’a rien de dépassé, il ne se fait pas dans le passé, mais bien dans le présent, et pour construire un futur sain. Les témoins directs nous ont appris que la mémoire est un des outils nécessaires à la construction des sociétés émancipatrices de demain.
La mémoire, c’est « connaître le passé, comprendre le présent et construire le futur». Grâce à leur implication, à leurs résistances sans faille, d’hier à aujourd’hui, nos aînés nous ont permis toutes et tous, en étant présents dans les différentes cérémonies et commémorations, en organisant des conférences, expositions, projections, ou encore en écrivant des livres, en éditant des films, une BD …de devenir des témoins indirects. Nous sommes, nous aussi, des passeurs de mémoire. Ce que nous réalisons aujourd’hui aura des conséquences demain, et ce ne pourra être que positif. Cependant, il nous reste encore beaucoup à construire. Le comité du souvenir a besoin de vos compétences, de vos savoirs, de votre engagement. Rejoignez-nous pour transmettre la mémoire de la Résistance. Lucie Aubrac nous le rappelait, elle se conjugue au présent.
Nantes, ville Compagnon de la Libération, si elle a été hélas une ville où la collaboration fut importante fut aussi une ville de Résistances actives face à l’occupation et aux exactions du régime de Vichy, c’est pour cette raison qu’elle fût la première à porter ce titre honorifique. Soyons-en dignes, comme l’appelait Guy Môquet dans son dernier message.