Paul Didier (Carcassonne, 1889 – Paris, 1961) fut un grand cycliste, véritable pistard, champion des vélodromes parisiens (photo ci-dessous en 1911). Il est tombé dans l’oubli. Dommage.
Il fut aussi un champion de l’indépendance de la justice. Paul Didier est le seul magistrat français à avoir refusé de prêter serment de fidélité à la personne du maréchal Pétain. Et mérite, à ce titre, de sortir de l’oubli.
Issu d’une famille républicaine, Paul Didier s’inscrit au barreau de Paris en 1911, après ses études de droit. Mobilisé en 1914 dans l’infanterie, il est fait prisonnier. Après la guerre, il passe le concours de la magistrature en 1919 et est affecté à Béziers. En 1922 il passe à la chancellerie et devient en 1937 sous-directeur du Sceau, chargé des naturalisations. Il réorganise ses services afin de faire face à l’afflux des demandes, de l’ordre de 70 000 à partir de 1935. Il en est écarté le 22 septembre 1940, soit deux mois après la loi du 22 juillet 1940 ordonnant la révision de toutes les naturalisations intervenues depuis 1927. Ses conceptions sont en effet diamétralement opposées aux mesures xénophobes que le gouvernement de Vichy adopte. Le 4 octobre, à titre de sanction, il est muté comme simple juge au tribunal de la Seine.
Un an plus tard, il est révulsé par la création des Sections spéciales, en réponse aux exigences du Commandant militaire en France, le Militärbefehlshaber in Frankreich Otto von Stülpnagel qui exige de Vichy des juridictions d’exception afin de condamner à la demande des communistes et des anarchistes. La création de ces Sections spéciales, publiée au journal officiel le 23 août, est antidatée au 14 août. Ce même 14 août l’acte constitutionnel n° 9 fait obligation aux magistrats de prêter serment de fidélité à la personne du chef de l’Etat, Philippe Pétain. Le 2 septembre 1941, au cours de l’audience solennelle de rentrée du tribunal de la Seine, à l’appel de son nom, il refuse courageusement de prêter serment. Le 4 septembre il est suspendu par le Garde des sceaux Joseph Barthélémy et arrêté deux jours plus tard sur l’ordre du ministre de l’intérieur Pierre Pucheu puis interné dans le camp de Choisel à Châteaubriant.
A peine libéré de Châteaubriant en 1942, il est assigné à résidence à Moux (Aude), puis mis à la retraite d’office le 11 août 1942. Il s’engage dans l’action au sein de la Résistance dans la région de Lézignan. A la Libération, le Comité départemental de Libération de l’Aude, le 20 août 1944, le nomme vice-président du Comité local de Libération de Moux. A Paris il est nommé le 30 septembre directeur du personnel à la Chancellerie – ce qui correspond à l’actuelle fonction de Directeur des services judiciaires – par Marcel Willard, secrétaire général du ministère de la Justice (faisant fonction de ministre)1. Mais il n’occupe pas son poste car selon le témoignage Joë Nordmann, chargé de composer le cabinet, « il est introuvable »2. Le 21 octobre, après avoir décliné une proposition de nomination en qualité de Premier président de la Cour d’appel de Paris, il est nommé président de chambre à la cour d’appel et préside une section de la Cour de justice de la Seine chargée de juger les faits de collaboration. Refusant un poste à la Cour de cassation en 1951, il préfère présider la chambre d’accusation de la Cour de Paris de 1950 à sa retraite en 1958. C’est à ce titre qu’il est confronté à plusieurs grandes affaires dont la fameuse « affaire des pigeons ».
En pleine guerre froide, le dirigeant communiste et député Jacques Duclos est arrêté à Paris alors qu’il circule en voiture aux abords d’une manifestation anti-OTAN interdite. Deux pigeons sont découverts dans sa voiture, il est accusé d’espionnage, les volatiles étant suspectés d’être des pigeons-voyageurs et d’avoir été utilisés pour diriger la manifestation ! L’affaire fait grand bruit dans toute l’Europe. Sous la présidence de Paul Didier, la chambre d’accusation élargit Duclos le 1er juillet 1952, la flagrance, seule circonstance de nature à écarter l’immunité parlementaire n’étant pas constituée. Deux semaines plus tard – coïncidence ? – le 16 juillet un attentat à la bombe est dirigé contre son domicile. Par chance aucun membre de sa famille n’est présent. Averti à l’audience, il déclare : « Messieurs, une bombe vient d’éclater à mon domicile. Excusez-moi de vous avoir interrompus. L’audience est reprise. »
Après son décès le 16 septembre 1961, lors de l’audience solennelle de la Cour d’appel de Paris, l’avocat général Lambert lui a rendu hommage : « Et maintenant, messieurs, nous devons nous recueillir avec une ferveur particulière, car nous allons évoquer la mémoire d’un magistrat qui fut ‘’un monument de la conscience humaine’’. [Le 2 septembre 1941] venait de s’accomplir un des hauts faits de l’histoire de la magistrature française : le président Paul Didier, à cette époque juge au Tribunal de la seine, avait refusé le serment imposé par l’Ordre nouveau. Le lendemain il était arrêté et devait être bientôt dirigé dans le camp d’internement de Châteaubriant qui a laissé de si dramatiques souvenirs. »
La promotion 1987 de l’Ecole nationale de la magistrature porte son nom. Celui-ci a été donné à une rue de Carcassonne et à un jardin dans Paris, accessible depuis la rue du Colonel-Manhès, métro M13, station Guy Môquet (du nom de son jeune co-interné à Châteaubriant) dans le 17e arrondissement, quartier des Epinettes.
1- En juillet 1944, dans l’attente de l’arrivée en métropole du Gouvernement provisoire constitué à Alger, la Résistance devait assurer la relève en instaurant un gouvernement de transition. Les « secrétaires généraux » libéraient (parfois les armes à la main), organisaient et occupaient les ministères avant de les transmettre aux ministres venus d’Alger.
2- NORDMANN Joë, Aux vents de l’histoire, Actes Sud, 1996