LE TEMOIGNAGE DE FERNAND GRENIER

Sous trois Républiques, la tradition et les préjugés avaient refusé le droit de vote aux femmes.
Une première brèche fut apportée cinq années après le Congrès de Tours et la naissance du Parti communiste français. Aux élections municipales de 1925, il présenta des femmes sur ses listes électorales. Jeune militant, j’ai vécu cette époque dans le Nord, à Halluin. Pour la première fois, la liste du PCF comprenait trois femmes : une ouvrière du textile, une ouvrière de l’industrie chaisière, une ménagère. Grande fut notre joie de constater que sur 1.476 bulletins communistes, sur une dizaine seulement avaient été rayées les noms des candidates.
Un nouveau pas en avant a eu lieu en juillet 1936 quand la Chambre du Front populaire approuva le vote des femmes, mais le Sénat s’y opposa. Trois années plus tard, c’était la Seconde Guerre mondiale et l’occupation.
A Châteaubriant, une soixantaine de femmes ou de jeunes filles furent internées pour leur participation à la Résistance. Parmi elles, Marie Bréchet et Léoncie Kerivel.
Le 7 janvier 1943, sur décision du Parti communiste clandestin dirigé par Jacques Duclos et Benoît Frachon, je partais pour Londres avec le Colonel Rémy, organisateur des groupes gaullistes dans la France occupée. C’est ainsi que je fus amené à poser la question du vote des femmes pour la première fois quand le général De Gaulle me proposa de faire partie d’une commission de réforme de l’Etat que dirigeait le juriste René Cassin. C’était le 23 avril 1943.
Je pensais qu’il serait injuste de continuer alors à considérer les femmes comme incapables de se servir du bulletin de vote et c’est ainsi que la commission décida d’inclure le vote des femmes parmi les nombreuses questions relatives à la France de demain.
Six mois plus tard se constituait, à Alger, l’Assemblée consultative provisoire. Le 21 janvier 1944, elle aborda le premier débat sur «l’organisation des pouvoirs publics après la libération». Elle ne prévoyait pas le vote des femmes.
Le groupe communiste à l’Assemblée fut amené à présenter un contre-projet qui déclarait «la femme de France doit avoir le droit et le devoir de s’occuper de la chose publique. Il serait même de notre désir que l’Assemblée consultative affirmât que la femme française est électrice et éligible, afin que nous lui manifestions notre solidarité et notre volonté de ne pas la traiter en mineure, en inférieure».
Le débat reprit le 22 mars 1944. Un nouveau projet fut présenté par le gouvernement provisoire. Il admettait le vote des femmes pour l’Assemblée nationale provisoire, qui serait élue après la libération, mais ne le prévoyait pas pour les autres élections. L’article 16 qui concernait l’élection des municipalités et des conseils généraux, mentionnait que des femmes pouvaient y figurer mais ceux-ci continueraient, comme par le passé, à être élus uniquement par les hommes.
C’est contre ces subtilités que je proposais, au nom du groupe communiste, un texte net et sans ambiguïté : «Les femmes seront électrices et éligibles dans les mêmes conditions que les hommes». Le débat fut passionné, puis on vota. Sur 67 votants, 51 se prononcèrent pour l’amendement.
C’est donc ce projet qui servit de base au décret pris à la libération instituant le vote des femmes. Bien qu’il ait porté par la suite la signature du président du gouvernement provisoire, il n’est pas conforme à la vérité historique de présenter le général De Gaulle comme ayant octroyé le vote des femmes, par sa seule initiative et sa seule volonté.
Fernand Grenier
Source
L’origine du droit de vote aux femmes (extrait) L’Humanité 18 avril 1991