La Blisière 2019

Monsieur le Maire,
Mesdames et messieurs les élus,
Chères familles des fusillés,
Mesdames et Messieurs les représentants des organisations d’anciens combattants et associations patriotiques,
Mesdames et Messieurs les représentants des organisations syndicales et politiques,
Mesdames et Messieurs les représentants de l’Amicale Châteaubriant – Voves – Rouillé – Aincourt et de ses comités locaux,
Madame et Messieurs les porte-drapeaux,
Chers amis,
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Je vous remercie de votre participation à cette cérémonie. La première commémoration a eu lieu le 16 décembre 1941, le lendemain même de l’exécution des otages, quand Monsieur Maillard, le propriétaire des lieux a envoyé son fils à Pouancé, acheter trois pots de peinture, du bleu, du blanc et du rouge chez l’artisan peintre. Et c’est le fils de celui-ci Yves Calurel, alors jeune apprenti qui a peint les couleurs de la République sur les troncs d’arbres ayant servi de poteau d’exécution.
78 années nous séparent des événements tragiques de l’automne 41.
Au lendemain des fusillades du 22 octobre 1941, décidées au plus haut niveau du pouvoir nazi par Hitler lui-même, la liste des otages étant composée en étroite collaboration avec Pucheu, ministre de l’intérieur de Vichy, que certains tentent de réhabiliter aujourd’hui…
…au lendemain des fusillades donc, la vie reprend son cours au camp de Choisel. Les autorités manient la promesse et la menace. Le sous-lieutenant Touya et le sous-préfet Lecornu menacent ceux qui songeraient à l’évasion. En même temps, l’information est donnée que les autorités allemandes, eu égard au courage montré par les 27 fusillés, auraient décidé de ne plus prendre d’otages à Châteaubriant. Et pourtant la baraque 19 reste toujours la baraque des otages.
En exécutant 48 otages le 22 octobre, les Allemands et les vichystes espéraient intimider les Français hostiles à l’Occupation et à la Collaboration, tuer dans l’œuf la résistance naissante. C’est l’inverse qui s’est produit.
A Nantes, dès le mois de novembre, Raymond Hervé, l’intrépide résistant qui avait convoyé Fernand Grenier jusqu’à Nantes après son évasion de Choisel, fait sauter un pylône. Dans la région parisienne de nombreux actes de sabotage sont commis par les FTP. A Choisel, au matin du 25 novembre trois internés manquent à l’appel: Auguste Delaune, Pierre Gaudin et Henri Gautier se sont fait la belle. Touya et Lecornu sont dans une rage folle. La pression s’accentue sur les internés. Certains sont menottés, des interrogatoires sont conduits, tous les internés sont fouillés, les baraquements sont mis à sac.
Ce lundi 15 décembre, 540ème jour de la lutte du peuple français pour sa libération, à 12 heures 15, deux camions allemands bâchés, remplis de soldats, arrivent au camp. Les internés ont ordre de rentrer dans les baraques, ils y sont consignés. Touya, accompagné d’un officier de la Wehrmacht appelle neuf noms: cinq d’entre eux se trouvaient à la baraque des otages. Ils sont enchaînés et contraints de monter dans les camions qui partent pour une destination inconnue tandis que de toutes les baraques jaillit La Marseillaise.
Qui étaient ces hommes ?
Adrien AGNES, 42 ans, était ingénieur agronome, chef de service à la mairie de Stains, aujourd’hui en Seine-Saint-Denis. Il avait écrit à sa femme le 23 octobre, de façon prémonitoire : » La liste tragique n’est pas close pour cela »;
Louis BABIN, 52 ans, dont la famille était nantaise, était radiologue à Arpajon, élu municipal. Il était connu comme le médecin des pauvres. Il était titulaire de la Légion d’honneur et de la Croix de guerre avec six citations. Une douzaine de villes ont donné son nom à des rues.
Paul BAROUX, 31 ans, était instituteur à Longueau, dans la Somme ;
Raoul GOSSET, 44 ans, électricien d’Aubervilliers, dont on peut penser que Laval, – qui le connaissait, en tant que maire de cette ville – n’était pas étranger à sa désignation comme otage ;
Le docteur Fernand JACQ a 32 ans, c’est un breton du Huelgoat qui avait été conseiller général du Finistère. Lorsque le maire de sa commune lui supprime les bons d’essence, il ne peut se résoudre à abandonner ses malades, il les visite à vélo.
Babin et Jacq travaillaient avec les deux autres médecins internés Pesqué et Ténine à l’élaboration d’une étude sur la médecine sociale ;
René PERROUAULT, 45 ans, de Dannemarie, était le responsable national de la Fédération CGT des Produits chimiques ;
Maurice PILLET était un charpentier de 39 ans, syndicaliste, secrétaire du Syndicat parisien du Bâtiment ;
Georges THORETTON, jeune ouvrier de 27 ans qui a vu partir son maire, Jean GRANDEL, maire de Gennevilliers, fusillé le 22 octobre;
Georges VIGOR, 37 ans, était ajusteur-tourneur chez Hispano-Suiza à Paris, demeurant à Cachan où une rue porte son nom.
Tous étaient communistes et syndicalistes. Ils seront inhumés à Casson, Fay-de-Bretagne et Notre-Dame-des-Landes.
L’exécution des 9 de La Blisière n’est pas un acte isolé. Ce 15 décembre 1941, c’est le point d’orgue de la politique des otages menée sous la direction du maréchal nazi Keitel pour tenter d’étouffer la Résistance. Peu de temps auparavant, le 14 août, le Militärbefelshaber Otto von Stülpnagel avait décrété que toute activité communiste serait désormais passible de la peine de mort. Le 28 septembre, le Code des otages était promulgué.
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Ce 15 décembre, le bilan fut particulièrement lourd puisque 95 Otages tombèrent sous les balles des pelotons : 69 au Mont Valérien dont Gabriel Péri, député, journaliste, qui n’avait cessé d’alerter sur les dangers de la montée du nazisme à la Chambre et dans les colonnes de L’Humanité, 13 à Caen dont Lucien Sampaix, secrétaire général de L’Humanité, 4 à Fontevraud et 9 ici à La Blisière. J’ajoute qu’au fil de l’année 1942 huit autres internés de Choisel ont été successivement exécutés au champ de tir du Bêle.

Le comportement patriotique des internés du camp de Choisel, le courage exemplaire montré par les martyrs avaient allumé la flamme de la Résistance dans le castelbriantais. D’ailleurs, c’est parce que les hitlériens connaissaient les sentiments des Castelbriantais qu’ils ont choisi d’assassiner au fond de ce bois, à l’écart de toute agglomération. La forêt de Juigné et d’autres dans le secteur abriteront plus tard des jeunes, réfractaires au STO.
Plus d’une centaine de personnes seront déportées et leur liste montre que la Résistance s’était élargie à de nombreuses catégories de la population. Nous les associons à l’hommage que nous rendons à ceux qui sont tombés ici et à toutes celles et ceux qui, d’une manière ou d’une autre, quelles que soient leurs croyances religieuses ou leurs convictions, formèrent la Résistance et dont beaucoup donnèrent leur vie pour que nous vivions en paix dans un monde meilleur.
Je veux également associer à notre hommage les six patriotes fusillés le 21 juillet 1944, ceux de Bout-de-Forêt, dénoncés aux Allemands aux abois, depuis le débarquement de Normandie, par des collabos.
Pour maintenir en vie le souvenir des combats de ces résistants, il faut sans cesse faire connaître et faire comprendre ce qu’étaient leurs valeurs – ce à quoi s’emploie notre Amicale de Châteaubriant – Voves- Rouillé – Aincourt et ses comités dont le nôtre,
A l’heure où le Parlement européen adopte – le 19 septembre dernier – une résolution mettant sur le même plan nazisme et communisme, à l’heure où l’enseignement de l’histoire régresse, il est primordial de ne pas abandonner le devoir de mémoire et de le faire reposer sur un travail d’histoire.
Avec cette résolution, le Parlement européen ne pose pas seulement un acte politique, mais il triture aussi l’Histoire. Et je pense que les historiens sont concernés et doivent s’exprimer sur cette falsification.
Il est essentiel également de rappeler que Maurice Pillet par exemple avait vu juste, lorsqu’il écrivait dans sa dernière lettre, écrite dans la buvette, au bord de l’étang : « Je sais que ce n’est pas en vain que je meurs. »
Quelques exemples : le 24 mars 1944, Fernand Grenier, évadé de Choisel, fera adopter par l’Assemblée consultative provisoire d’Alger le droit de vote des femmes, le 4 août le castelbriantais sera libéré, Nantes le 12, Paris le 25. Le programme du Conseil National de la Résistance, adopté le 15 mars 1944 sera bientôt mis en œuvre par le gouvernement présidé par le général De Gaulle, avec – entre autres – une mesure phare : la création par Ambroise Croizat de la Sécurité sociale, qu’un autre évadé de Choisel, Henri Raynaud sera chargé de mettre concrètement en place.
Non, le sacrifice des martyrs n’a pas été vain ! Mais rien n’est jamais définitivement acquis. D’aucuns opèrent des rapprochements entre la période que nous vivons et les années 30. Notre pays, et d’autres en Europe et dans le monde voient se développer cinquante nuances de brun, ce qui n’annonce rien de bon. Maurras disparu, c’est Zemmour qui le remplace et développe son discours de haine en bénéficiant d’une grande complaisance des médias dominants. Une entreprise de déconstruction systématique des conquêtes de la Libération est à l’œuvre. 175 ans après le discours de Victor Hugo, le 9 juillet 1849, devant la Chambre des députés : Détruire la misère, les inégalités s’aggravent.
Les conflits se multiplient comme aujourd’hui au Kurdistan syrien, où les Kurdes sont sous le feu d’une agression militaire des forces turques, c’est -à-dire d’un pays membre de l’OTAN, en violation du droit international. Cette agression crée une situation explosive pour toute cette région, qui est une véritable poudrière, aux portes de l’Europe. Elle contraint déjà des centaines de milliers de Kurdes à l’exil. Vous avez été témoin de ce phénomène il y a 80 ans lorsque vous avez accueilli des centaines de républicains espagnols dans les ardoisières du village de Ruigné, tandis que d’autres trouvaient refuge à Moisdon-la-Rivière. Nous leur avons rendu hommage au printemps dernier.
Le sujet semble tabou, mais j’ajoute que la menace de guerre nucléaire n’a jamais été aussi préoccupante eu égard à la démesure des arsenaux.
Répondre aux défis de civilisation auxquels l’humanité doit faire face en ce 21ème siècle : défis sociaux, climatiques, démocratiques nécessite l’intervention des citoyennes et des citoyens. Il faut agir, construire des réponses, s’engager pour conjurer les périls. C’est ce à quoi nous invitait Lucie Aubrac, lorsqu’elle disait que « le verbe résister se conjugue toujours au présent »
Je vous remercie de votre attention.
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