Hommages aux résistants nantais fusillés à l’issue des « procès » des 42 et des 16 (1943)

Il y a 77 ans, en janvier 1943, un tribunal militaire allemand juge 45 résistants Francs-Tireurs et Partisans (dont 2 femmes) au Palais de justice de Nantes.

Le « procès » des 42 est le plus important procès en zone occupée. Il dure deux semaines du 15 au 28 janvier. Les drapeaux nazis flottent à l’intérieur de la salle d’audience. Celle-ci se déroule à huis clos, en allemand. Seule la presse collaborationniste est admise. Les accusés n’ont pas pu choisir leurs avocats et n’ont pas eu le temps de les rencontrer. Le commissaire Fourcade du SPAC de Nantes, le Service (vichyste) de police anti-communiste est le principal accusateur.

Après cette parodie de justice le verdict tombe: 37 sont condamnés à mort, 3 à la prison à vie, 3 sont « acquittés » (mais immédiatement arrêtés puis déportés). Parmi les accusés figurent 5 Républicains espagnols, « étrangers et nos frères pourtant », inhumés à La Chapelle-Basse-Mer.

Avant l’expiration du délai de recours, 9 condamnés sont fusillés dès le lendemain, le 29 janvier au champ de tir du Bêle à Nantes, 25 autres seront exécutés le 13 février, puis 3 le 7mai. Le « procès » (en fait, un simulacre) des 42 a eu un retentissement important. Mais au lieu de faire peur à la population, c’est l’inverse qui s’est produit. Au point qu’un autre « procès » dit « des 16 « , à l’été 43 s’est déroulé dans la plus grande discrétion. Il s’est traduit par l’exécution au Bêle de 13 FTP, le 20 août 1943.

Pour en savoir plus :

Guy HAUDEBOURG NANTES 43. Fusillés pour l’exemple. préface de Johanna Rolland. Geste éditions.

Carlos FERNANDEZ De la Guerre d’Espagne à la Résistance. Comité du Souvenir

Marc GRANGIENS Le procès des 42. Documentaire réalisé avec les étudiants (BTS audiovisuel) du Lycée Léonard de Vinci de Montaigu – 85

Jean CHAUVIN Auguste Chauvin. Lettres d’un héros ordinaire. L’Oribus

Allocution de Christian Retailleau; Président du Comité départemental du Souvenir des fusillés de Châteaubriant et Nantes et de la Résistance en Loire Inférieure.
Cimetière de La Chapelle Basse Mer Carré des Républicains Espagnols. Dimanche 16 février 2020.

Mesdames et messieurs les conseillères et conseillers municipaux de Divatte-sur-Loire
Mesdames et Messieurs les élu-e-s, les représentants des associations patriotiques, des associations locales, des organisations syndicales et politiques,
Messieurs les porte-drapeaux,
Mesdames, Messieurs,
Cher-e-s ami-e-s,
C’est toujours une très grande émotion de se retrouver, accueillis par la municipalité de Divatte-sur-Loire, au Carré des Républicains espagnols en ce cimetière de La Chapelle-Basse-Mer où sont inhumés depuis 77 ans Benedicto Blanco Dobarro, Basilio Blasco Martin, Alfredo Gomez Ollero, Ernesto Prieto Hidalgo, Miguel Sanchez Tolosa, Républicains espagnols à qui nous rendons hommage ce matin.
Qui étaient ces hommes, qui s’engagèrent dans la Résistance à l’occupation nazie ? D’où venaient-ils pour se battre pour notre pays ?
Benedicto Blanco Dobarro est né en 1917 en Galice. Quand éclate le putsch fasciste le 13 juillet 1936, il s’engage dans un bataillon des milices galiciennes créé pour la défense armée de la République, rattaché en 1937 à la 11ème compagnie dirigée par Lister.
Il y rencontre un autre galicien, Alfredo Gomez Ollero avec qui il participera à de nombreuses batailles dont celle de la défense de Madrid. Après la défaite des armées républicaines, et « La Retirada » en France, il est interné au camp de concentration d’Argelès puis dans celui de Barcarès. Là, il est enrôlé dans une Compagnie de Travailleurs Etrangers, se retrouve à Nantes où il renoue contact avec Gomez Ollero, qui l’intègre dans l’organisation clandestine du Parti communiste espagnol. Dans la région de Blain, avec quelques compatriotes, il distribue des tracts en langue maternelle. Puis, il forme un « Grupo Especial » formé de guérilleros armés. Il est arrêté le 17 septembre 1942 à Saint-Nazaire, transféré à Nantes où il est torturé par les hommes du SPAC. Lors du « procès des 42 », la peine demandée est : la mort, pour avoir formé un groupe à Blain, répandu des tracts, été dans l’Armée rouge et placé des bombes.
Basilio Blasco Martin est né le 15 avril 1920 dans un petit village situé au nord de Teruel, province d’Aragon. C’est au moment où se déroule la bataille décisive de Teruel, une des plus importantes de la guerre d’Espagne, que Basilio s’engage à l’âge de 16 ans dans le corps d’élite des carabiniers, resté fidèle à la République. Lors de la Retirada, il est interné dans les camps de concentration d’Argelès, puis de Barcarès. Il est enrôlé lui-aussi dans une Compagnie de Travailleurs Etrangers, puis prend la direction de Nantes et de Blain, où il intègre un « Grupo Especial » sous la responsabilité de Benedicto Blanco Dobarro.
Arrêté en même temps que celui-ci, lors du « procès des 42 » le verdict du tribunal de guerre allemand est implacable : la mort comme membre du groupe de francs-tireurs, pour avoir reçu des tracts et placé des bombes.
Alfredo Gomez Ollero est né le 9 septembre 1905 dans la provine d’Orense, au sud de la Galice. Cordier de profession, il rejoint les milices populaires peu de temps après le putsch, est rapidement promu capitaine d’infanterie, puis est incorporé dans la 11èm compagnie. Alfredo est gravement blessé d’une balle en pleine poitrine lors de la bataille de Madrid. Suite à l’avancée des troupes franquistes, il fait partie de ces commandos d’élite chargés de s’approcher des troupes ennemies pour détruire les installations stratégiques. La défaite et l’exil se traduisent par l’internement sur les plages d’Argelès et de Barcarès. Le 16 novembre 1939, il écrit à sa femme « je me trouve prisonnier au milieu de ces sables maudits ». Il est enrôlé en 1940 dans la 178ème Compagnie des Travailleurs Etrangers, basée au Vieux Doulon à Nantes où il travaille à la construction de la gare de triage du Grand Blottereau. Il loge dans un meublé, chemin du Brûlis. Les CTE deviennent de véritables pépinières pour le Parti communiste espagnol clandestin. Alfredo s’emploie à recruter et entre en contact avec Albert Brégeon qui le présente à Claude Millot de la direction régionale du PCF.
Formateur pour des résistants français novices dans la lutte armée, il devient un des principaux artisans de l’appareil clandestin du PCE dans le département.
Il se déplace à Trignac pour coordonner l’organisation embryonnaire du « camp Franco » situé à Gron sur la commune de Montoir. Puis il diligente à Blain Benedicto Blanco Dobarro, qu’il a connu sur le front de Madrid, pour élargir le recrutement. C’est aussi Alfredo qui est chargé de constituer des groupes de guérilleros armés dits « Grupo Especial » ou « G. E » fin 1941 – début 1942. A son apogée, l’organisation clandestine atteindra le nombre de 80 membres dont 16 « G.E ». Les arrestations débutent à Nantes le 27 juin 1942. Début juillet, il entre dans l’illégalité et se réfugie à Trentemoult chez Marcel Boissard. Puis muni d’une fausse carte d’identité au nom de Bastiani que lui remet Claude Millot, il se met à l’abri à Nozay où l’instituteur Marcel Viaud lui trouve un emploi dans une ferme. C’est là qu’il est arrêté le 16 septembre par le SPAC, qui lui fera subir les pires tortures.
Le réquisitoire lors du « procès des 42 » indique : « … il était dans l’état-major du parti illégal. Comme tel, il a été convoqué à la conférence de Nantes pour délivrer Hervé. Peine demandée : la mort ».
Ernesto Prieto Hidalgo est né le 14 novembre 1918, dans la province de Cordoue en Andalousie, dans une famille de mineurs. Après le décès du père, la famille s’installe en Catalogne intérieure, sur un autre site minier. Son parcours pendant la guerre d’Espagne n’est pas connu. Lors de « La Retirada », il est lui aussi interné dans les camps d’Argelès et de Barcarès. Fin 1939, il est intégré dans la 114ème CTE cantonnée à proximité d’Evreux, qui participe à la construction d’une usine d’avions. Lors de la débâcle, la compagnie est évacuée en Haute-Vienne pour des travaux forestiers. Par la suite, Ernesto se retrouve à Nantes qu’il quitte pour Blain le 1er avril 1942 où il occupe un emploi de ferrailleur dans une entreprise de boulonnerie. Contacté par Benedicto Blanco Dobarro, il entre au PCE clandestin où il est chargé de distribuer des tracts. En mai, il entre dans le « Grupo Especial ». Arrêté le 17 septembre, en même temps que 3 autres membres de sa « cellule clandestine » le jugement lors du « procès des 42 » est implacable : « Sanchez et Prieto : du même groupe des francs-tireurs, cela suffit à justifier. Peine demandée : la mort ».
Miguel Sanchez Tolosa est né le 27 décembre 1920 à Albacete, capitale de la province du même nom. Cette ville est réputée pour sa fidélité à la République. Pendant la guerre y siège le Quartier Général des Brigades internationales et de la Force aérienne républicaine. En juillet 1938, au moment où s’engage la bataille décisive de l’Ebre, il est fait appel à la « Quinta del biberon » (la Classe Biberon). Ainsi sont appelées les jeunes recrues qui ont moins de 18 ans, ce qui est le cas de Miguel Sanchez. Inexpérimentés, beaucoup laisseront leur vie dans cette dernière grande offensive du camp républicain qui durera plus de 3 mois. Les Républicains sont défaits et devant l’inexorable avancée des troupes franquistes, la famille Sanchez Tolosa se réfugie à Valence par peur des représailles. De la bataille de Teruel à son arrivée à Nantes, nous perdons toute trace de Miguel. Son itinéraire fut probablement le même que celui de ses compatriotes réfugiés à Blain, où il arrive début 1942 pour être employé comme terrassier. Il entre dans la structure clandestine du PCE, commençant par la distribution de tracts puis ce sera la collecte d’argent pour l’organisation. Il rejoint ensuite le « Grupo Especial ». Arrêté le 18 septembre 1942, transféré à Nantes où il subit de nombreux sévices par les hommes du SPAC, il est écroué à la prison Lafayette, dans la même cellule qu’Auguste Chauvin, un des activistes de l’OS à Nantes qui sera exécuté en même temps qu’eux, qui dans un courrier clandestin à son épouse Marie écrit fin décembre 1942 : »il y a un espagnol de Saragosse 22 ans, d’Andalousie 23, d’Albacete 22 et ‘autre sur la frontière du Portugal 25 … ils ont un moral admirable … ». Dans un autre courrier en date du 25 janvier 1943 : « les quatre camarades espagnols vont signer leur nom. Ils vous souhaitent d’être heureux dans le futur régime. Blanco Benedicto, Prieto Hidalgo, Basilio Blasco Martin, Miguel Sanchez … ». Lors du « procès des 42 », le verdit du tribunal de guerre allemand est implacable : « Sanchez et Prieto : du même groupe des francs-tireurs, cela suffit à justifier. Peine demandée : la mort ».
Ces hommes, aux destins similaires, méritent que l’on rappelle qui ils étaient, d’où ils venaient et pourquoi ils se battaient.
Ces hommes, originaires de toutes les régions d’Espagne sont ainsi unis par leurs idéaux de bonheur et de justice sociale, par leurs combats pour défendre la République espagnole, par leur volonté de lutter contre les nazis et enfin par la mort aux côtés de leurs camarades de résistance.
Ils furent d’abord engagés entre 1936 et 1939 dans les combats militaires contre les troupes rebelles fascistes soutenues par Hitler et Mussolini, la République espagnole étant abandonnée à son sort par la France et la Grande-Bretagne sous le prétexte de non intervention.
Après la défaite de l’Ebre et la prise de Barcelone, c’est La retirada, terme qui ne décrit pas ce qu’ont enduré les Républicains espagnols durant leur « retraite ». Début février 1939, près d’un demi-million de personnes traînant une simple valise ou un pauvre baluchon se jetèrent sur les routes et les chemins, traversant les Pyrénées, parfois à dos de mulet, dans la neige et le froid pour se retrouver dans des camps de concentration dont le premier à Argelès-sur-Mer où 77 000 réfugiés sont internés dans des conditions épouvantables, dont un grand nombre de volontaires des Brigades internationales.
Puis, après avoir subi le travail forcé, c’est la résistance comme on a vu en Loire-Inférieure, au contact des groupes de l’OS puis des FTP.
Leur sort sera scellé lors d’un procès inique qui se déroula à partir du 15 janvier 1943 au tribunal de Nantes, où 45 résistants communistes, dont 2 femmes, étaient condamné par l’occupant avec la complicité active de la police de Vichy.
Rappelant l’attitude des 50 otages à Châteaubriant, à Nantes et au Mont Valérien, le courage et la dignité des résistants furent magnifiques.
Renée Losq, revenue de l’enfer des camps de concentration, se souvenait de ce moment : « lorsque les sentences sont tombées tous les gars se sont levés et ils ont chanté la Marseillaise, ils étaient enchaînés ».
A la suite du jugement le 28 janvier, sans attendre les recours, 9 des 37 condamnés à mort sont exécutés au champ de tir du Bêle dès le 29 janvier, 25 autres le seront le 13 février dont les 5 Républicains espagnols et 3 le 7 mai. 4 dont les 2 femmes seront déportés.
Contrairement à ce qu’ils espéraient, les tortionnaires et les tueurs nazis et vichystes ne sortirent pas vainqueurs de cette parodie de justice.
Ce bilan humain terrible, largement médiatisé par l’occupant, renforça en effet le sentiment anti allemand qui avait germé le 22 octobre 1941.
Les premiers mois de 1943 qui virent les victoires de l’Armée Rouge à Stalingrad en février et des forces anglo-américaines et françaises en Afrique du Nord en mai mirent fin au mythe de l’invincibilité des armées allemandes.
Le « procès » dit des 16 en août 1943, tenu dans un relatif anonymat, allongea la liste tragique : 11 FTP furent fusillés au champ de tir du Bêle le 25 août et 2 autres furent décapités le 20 novembre en Allemagne à Tübingen.
Tous ces hommes et ces femmes doivent être associés dans l’hommage que nous rendons aujourd’hui à La Chapelle-Basse-Mer, après ceux ayant eu lieu hier au Monument au Bêle et à Sainte-Luce-sur-Loire, avant celui de Rezé dimanche prochain.
Entretenir le souvenir des résistants, des internés, des déportés et transmettre la mémoire de la Résistance sont indissociables, quand les témoins directs disparaissent et que les tentatives de réécriture de l’Histoire se multiplient.
N’est-ce pas le cas lorsque certains de nos gouvernants se croient autorisés à se réclamer du Conseil National de la Résistance alors que l’entreprise de dynamitage de la Sécurité sociale est en cours ?
Les résistants, qu’ils soient français ou étrangers comme ceux que nous honorons aujourd’hui ou ceux de l’Affiche rouge, si divers dans leurs opinions et leurs croyances nous ont légué un bien précieux, fruit du combat de toute la Résistance : la Liberté et un modèle social unique issu du programme du CNR, au nom porteur d’espoir « les jours heureux ».
Vouloir sauvegarder et améliorer cet héritage solidaire et le transmettre aux générations futures s’inscrit, il faut le rappeler avec force, dans le combat de la Résistance pour la dignité humaine et le bien-être de tous.
Notre société, fragilisée par toujours plus de violence sociale, par des inégalités sociales en hausse, par des droits sociaux et démocratiques en recul, par la pauvreté qui progresse pendant qu’une minorité s’enrichit est à la merci de pouvoirs ou de pratiques autoritaires aux relents racistes et xénophobes, intolérants et répressifs.
La bête immonde n’est-elle pas déjà à l’œuvre, tapie sous nos pieds ?
Nous devons être collectivement vigilants : la démocratie, notre capacité à vivre ensemble, à savoir accueillir l’autre sont fragiles et peuvent être remises en cause à tout moment.
Il nous incombe, plus que jamais, d’être des passeurs de mémoire, pour transmettre et défendre les valeurs républicaines de la Résistance.
Il nous importe de toujours mieux associer la jeunesse de notre pays à cette connaissance de la Résistance en mettant à sa disposition des outils historiques, pédagogiques et ludiques de qualité.
C’est à ce prix que nous resterons dignes de nos camarades Républicains espagnols comme de toutes celles et tous ceux qui ont combattu pour notre liberté et notre bonheur.
Je vous remercie de votre attention.