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Des Femmes dans La Résistance Nantaise

Héroïnes des Cités en bois
(Texte extrait de l’exposition « Saint Jo, la Révolution, les guerres »,
organisée par la Commune Libre de Saint Joseph de Porterie en 1997)
Voir l’ouvrage de Louis LE BAIL  » St Jo et les Batignolles : histoire d’un quartier nantais »

Pour l’exposition « Saint Jo, la Révolution, les guerres », nous en avons rencontré trois, seulement trois : il aurait fallu commencer l’enquête plus tôt. Elles ont bien voulu parler de cette période terrible, mais, chacune, à une condition : « qu’on parle aussi des autres camarades ».
Ce sont aujourd’hui (1997) des grands-mères, des arrière-grands-mères, très dignes, très discrètes, très seules aussi, souvent. Plusieurs ont dépassé 80 ans. Elles avaient de 18 à 35 ans, pendant l’occupation. Les injustices de la société les indignent toujours autant qu’autrefois ; l’indignation, c’est un signe de jeunesse, a dit un philosophe.
Elles ont toutes trois un autre point commun : elles ont habité la Halvêque, les « cités en bois » des Batignolles, car leurs maris étaient ouvriers à la grande usine.

Souvenirs de Madame Marcelle BARON
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Dès 1940, des réseaux de résistance s’organisent à Nantes, les femmes y participent activement. Madame BARON est l’une d’elles. Elle travaille alors chez Brissonneau. Le 4 novembre 1941, lorsque le jeune Christian de MONDRAGON hisse le drapeau français sur une des tours de la cathédrale, à la barbe de l’occupant, elle participe à la manifestation, place Saint Pierre. Son domicile, rue de Pressensé, sert de cache à de nombreux résistants :
Fernand GRENIER, avant son départ pour Londres, qui faisait la liaison entre le P.C.F. et le général de Gaulle ;
Gaston TURPIN, F.T.P.F., qui sera fusillé au Bèle ;
Georges GOASNAT, responsable de la résistance communiste pour la Bretagne ….

MMmes René JACQUET (l’épouse du secrétaire départemental de la C.G.T.), Zabeth LE GUYADER et Marcelle BARON deviennent responsables du mouvement des femmes communistes en Loire-Inférieure. Elles organisent la collecte de secours pour les familles de prisonniers, de déportés, de résistants. Mme BARON devient l’adjointe de Venise GOSNAT, lorsqu’elle est arrêtée.

Elle passe dans les caves de la Gestapo, place Louis XVI, où elle est tabassée, torturée. Comme la Gestapo ne peut rien obtenir d’elle (son opiniâtreté arrive même à provoquer une certaine admiration chez ses bourreaux), elle est déportée. A Ravensbrück, elle fait la connaissance de Geneviève de Gaulle, la nièce du général. Elle est envoyée dans un camp près de Karlovy Vary (Karlsbad), dans les Sudètes (Tchécoslovaquie), où les prisonniers doivent participer à la construction de fusées : le sabotage des pièces va bon train !

Au bout d’un an, c’est la libération, elle est ramenée en France, à bout de force. Elle retrouve sa famille, son mari Alfred BARON qui travaille aux Batignolles où il est responsable syndical. Ils viennent s’installer dans la cité en bois de la Halvêque, où ils resteront jusqu’en 1960.

« Surtout, dit Madame BARON (Ginette, dans la Résistance), n’oubliez pas de parler des autres camarades : Mme VAILLANT, Mme CHAUVIN, Mme LOSQ, Margot RIVET ! » (dont le fils a été déporté avec elle).

Souvenirs de Madame Renée LOSQ
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Madame Renée LOSQ : une alerte dame de 84 ans. Qu’a-t-elle fait, pendant la guerre ? Elle habitait la Halvêque. « On a constitué très tôt des réseaux autour des Batignolles. Et pour cause : le P.C.F. était déjà hors-la-loi avant le début de la guerre. Je cachais des copains F.T.P. dans l’illégalité, des gens de passage, le plus souvent inconnus. Je distribuais des tracts, je procurais des tickets de ravitaillement (volés) aux familles des copains en difficulté. »

« Nous formions des petits groupes très cloisonnés, question de sécurité. J’ai pourtant eu des contacts avec Raymond HERVE, avec TOUSSAINT …. » (Ce dernier, condamné à la prison dès avant la guerre pour avoir distribué des tracts anti-allemands).

Août – septembre 1942 – La résistance à l’occupant se développe, la répression aussi. Raymond HERVE est arrêté et comparaît devant le juge LE BRAS. Un commando pénètre dans le palais de justice pour le délivrer. Mme LOSQ est dans le jardin du palais pour protéger la fuite de ses camarades. Que s’est-il passé dans le bureau ?

« Ils m’ont raconté que le juge avait ouvert un tiroir, peut-être pour sortir une arme ? Un résistant a tiré, abattant le juge. Lequel ? Je ne l’ai pas su, sûrement pas HERVE, il n’était pas armé. »

Madame LOSQ accompagne P. HERVE à Concarneau où elle se fait arrêter, tandis que HERVE est repris à Lanester. Elle est envoyée en prison en Allemagne (Aix-la-Chapelle, Breslau, Cologne), condamnée à 12 ans de travaux forcés. Elle connaît les camps : Ravensbrück en Allemagne de l’Est, Mauthausen en Autriche….

Au bout de trois ans, c’est la Libération, elle rentre en France. Pendant ce temps, M. LOSQ, ouvrier aux Batignolles, a été arrêté, condamné à mort, fusillé au Bèle. Leur beau-frère Jacques GUILLOU, ouvrier aux Batignolles lui aussi, a été aussi fusillé au Bèle : on avait trouvé chez lui des tickets de pain volés….

Souvenirs de Madame Paule VAILLANT

Madame Paule VAILLANT est la fille de Marguerite RIVET, dite « Margot », pontonnière aux Batignolles (elle conduisait ces énormes ponts roulants que l’on aperçoit de la route de Paris), et la sœur de René RIVET dont on parlera plus loin.

En 1941, elle a 18 ans, elle est mariée, elle a un enfant. Elle participe au groupe de femmes résistantes de la Halvêque avec Marie CHAUVIN, Renée LOSQ …. Les réunions du groupe se tiennent en plein air, chemin du Perray, près d’une tenue maraîchère (magasin Décathlon actuel). C’est Madame BARON qui anime ces réunions.

On distribuait des tracts dans les files d’attente, en particulier chez L.U., rue Boileau, à l’angle de la rue du Chapeau Rouge. Au retour, on se regroupait dans les jardins du Palais de Justice. On distribuait aussi des tracts et on collait des affiches dans les trois cités en bois (Halvêque, Baratte, Ranzay).

« Un de nos exploits, c’est d’avoir réussi à coller une affiche sur le portail de l’usine Brandt, malgré les rondes de la garde allemande ». L’usine Brandt, aujourd’hui Saulnier-Duval, fabriquait des armes. « Une autre nuit, nous faisions une distribution de tracts dans la cité Baratte. Les chiens n’arrêtaient pas d’aboyer, à la Halvêque. C’est cette nuit-là que la Gestapo est venue arrêter Renée LOSQ, son mari et Jacques GUILLOU. »

Le groupe de Madame VAILLANT militait avec le Front National, organisation de la Résistance n’ayant pas la moindre ressemblance avec le parti qui porte ce nom aujourd’hui. Le responsable était le jeune Libertaire RUTIGLIANO, fils d’un émigré italien, qui mourut en déportation.

« Mon frère René RIVET était lui aussi membre du Front National. Ayant été dénoncé, il a été arrêté en avril 1944 à Trans sur Erdre, emprisonné à Lafayette, torturé place Louis XVI. Il a eu 20 ans en prison. Déporté à Buchenwald, il a été délivré par les Américains. Rapatrié sanitaire, il est décédé à l’Hôpital Bichat en juin 1945. Il avait 21 ans. »

« Nous organisions la solidarité : tous les mois, nous versions une certaine somme, suivant nos disponibilités, pour aider les familles des camarades en prison ou en fuite. »

Une anecdote parmi tant d’autres : « Marie CHAUVIN, qui était enceinte, a obtenu de se marier, à la prison Lafayette, avec Auguste CHAUVIN qui a été fusillé peu après. Courage ou inconscience du danger ? Margot RIVET, ma mère, et moi-même avons été témoins du mariage. Nous sommes allées à la prison avec ma petite fille Denise qui avait alors 2 ans, début septembre 1942. Jean CHAUVIN est né à la fin de septembre. »Ceci n’est qu’un trop rapide aperçu de la Résistance dans le quartier. Seulement trois femmes ont témoigné pour l’exposition ; il y en a eu tant d’autres !

Il y a eu les hommes : quelques-uns ont leur nom sur la plaque des fusillés, à l’ancien stand de tir du Bèle. Mesdames BARON, LOSQ et VAILLANT nous en ont cité quelques-uns : MM. BOURSIER, MAISONNEUVE, LE PRIM, RAYNAUD, Ange VAILLANT, Marius HONNET, Rémy GACHE, Henri LEFIEVRE …, M. ASTIC qui tenait la droguerie près de la Poste des Batignolles….

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Gisèle Giraudeau: la fille à la chaussette

J’étais : la fille à la chaussette

Gisèle Giraudeau est née à St Vincent des Landes en 1923, il n’y est restée que 4 ans, rejoignant son père à la gare de Treillières où il travaillait. Elle se souvient très bien de la déclaration de guerre, des Allemands contournant la ligne Maginot, des réfugiés du Nord qu’il fallait loger à la gare. Elle se souvient des impatiences de son frère, Joseph Fraud, son aïné de trois ans, qui voulait partir en Angleterre, par l’Espagne. Avec lui, elle a quitté la maison, à vélo, mais les deux jeunes gens ont été stoppés à la ligne de démarcation à Eymoutiers à une cinquantaine de kilomètres au sud-est de Limoges. « Après l’armistice du 22 juin 1940, nous sommes donc revenus à Treillières, très déçus ».

Février 1943, Joseph Fraud, refusant le STO (service du Travail Obligatoire), est caché en gare par des cheminots avant de pouvoir participer de façon plus active. C’est alors qu’il fait la connaissance de Libertaire Rutigliano et entre au Front National de la Résistance et de la Libération de la France.

« Moi je travaillais au service régional des assurances sociales à Nantes. Et, le week-end, à la demande de mon frère, je frappais les stencils servant à imprimer des journaux clandestins : Le Front des Ouvriers, le Front des Paysans, le Front des Universitaires, etc. Les journaux étaient cachés dans un cabanon au fond du jardin de Rutigliano et des camarades venaient les chercher pour les distribuer. Je m’occupais aussi de trouver des chambres pour les maquisards »

Le frère de Gisèle lui avait dit : « tu ne parles de rien à personne ». « J’ai respecté la consigne mais, au boulot, on en parlait beaucoup de ces journaux. Un jour, en mars 1944, un paquet de journaux a été trouvé aux Chantiers de Bretagne. La police est remontée jusqu’à l’ouvrier qui l’avait apporté, et plus haut dans la filière, c’est ainsi qu’ils ont arrêté mes amies, Jeannette Alain et Marcelle Baron à l’usine métallurgique Brissonneau ».

Gisèle s’interroge alors : partir ? « Mais si je partais, mes parents trinqueraient. Je suis restée. Cette fois-là, ce n’est pas moi qu’on cherchait. On cherchait DUHART, c’était le nom de guerre de mon frère ».

Le 3 avril 1944, Gisèle est arrêtée à son tour. « La Gestapo m’a emmenée dans ses locaux, rue du Maréchal Joffre. J’y ai retrouvé une amie qui m’a seulement dit en m’embrassant : je n’ai pas pu tenir. Le soldat de la Gestapo m’a flanqué une violente claque, je suis tombée et j’ai été emmenée dans les caves. J’ai été questionnée, torturée pour que je dise où était Duhart mais je n’ai rien dit. Dans les cellules voisines j’entendais les plaintes d’autres personnes. J’avais peur. Dans des situations comme cela, on implore le ciel, on essaie de répondre n’importe quoi, j’ai tenu »

Le 8 avril 1944, la Gestapo emmène Gisèle sur le quai de la gare de Nantes : elle doit servir d’appât pour arrêter d’autres résistants. La gestapo veille à proximité. « Ma sœur, 16 ans, est sortie du train avec un ami. Quand elle est passée à côté de moi, elle m’a dit discrètement « il est à l’abri ». En effet, Joseph, prévenu, était descendu du train à Nantes, par les voies et, équipé d’un vélo, avait filé vers Treillières.

Gisèle est alors emmenée par les Allemands jusqu’à Treillières. « Par la fenêtre, j’aperçois mon frère à l’étage. Les Allemands n’avaient rien vu. Moi je me disais : le sort est contre nous ». En entrant dans la maison de ses parents, Gisèle prend quelques secondes pour cajoler son chat venu lui faire fête : ce court laps de temps permet au jeune homme de descendre se cacher dans la cave. La porte de celle-ci, bien dissimulée, n’est pas repérée par les Allemands. « Le temps qu’ils interrogent mes parents, j’ai pu me faufiler jusqu’à l’étage et cacher la valise de mon frère sous le lit. Dans ses papiers, il y avait des caricatures d’Hitler ». C’était la veille de Pâques, ce 8 avril 1944. Les Allemands n’ont pas fouillé beaucoup. Joseph n’a pas été trouvé mais Gisèle a été emmenée en prison à Nantes jusqu’au 21 avril. « Votre fille, elle va partir pour l’Allemagne, pour éplucher des pommes de terre » disent les Allemands.

21 avril 1944 : un convoi quitte Nantes, avec 57 hommes dirigés vers Compiègne, un Juif dirigé vers Drancy et deux femmes, Marcelle Baron et Gisèle Fraud, dirigées vers le fort de Romainville, un ancien bastion de type Vauban, construit au XIXe siècle, surveillé par des miradors, ceinturé de grillages déroulés tout au long du chemin de ronde qui serpente sur les hauts murs. Romainville : antichambre des camps nazis.

13 mai 1944, il fait beau, très chaud même. Un colis de la Croix Rouge est remis aux 705 détenues que les Allemands font entrer dans le train à Pontoise. Des wagons à bestiaux avec une étroite ouverture grillagée. « Nous y sommes restées toute la journée, sous le soleil brûlant, nous avions soif. Les cheminots, dans la gare, avaient des bouteilles d’eau mais un cordon d’Allemands empếchait tout contact. Nous ne sommes parties que le soir, celles qui l’ont pu ont écrit de brefs messages jetés sur la voie, acheminés ensuite par ceux qui les trouvaient : c’est ainsi que j’ai pu faire dire à mes parents que je partais pour l’Est ».

Dans le train, les femmes sont anxieuses : pour l’Est ? Pour l’Allemagne ? « Nous sommes entassées dans ce wagon, le colis de la Croix Rouge est terminé. La « tinette » déborde, nauséabonde. Nous avons soif, le matin je passe ma main à travers le vasistas pour recueillir quelques gouttes de rosée sur le toit ».

A la frontière allemande, la Croix Rouge peut offrir un quart de soupe bienvenu. A Berlin, sous les bombardements, le train est bloqué une journée, puis le voyage reprend, il durera en tout cinq jours et quatre nuits. A l’arrivée les femmes sont en mauvais état, épuisées.

Gare de Fürstenberg à 80 km au nord de Berlin. « Nous avions encore nos montres. Il est deux heures du matin. Des projecteurs nous aveuglent. Chiens. Des ordres sont hurlés en allemand : se ranger en colonnes par 5. Celles qui, parmi nous, connaissent cette langue, nous transmettent les ordres. Chercher nos valises. Schnell ! Aider les plus faibles à descendre. Schnell ! Relever celles qui sont tombées. Schnell ! Schnell ! Nous ne sommes pas sur le quai de la gare mais sur les voies et c’est encore plus difficile de descendre ».

Les 705 femmes, en colonne, marchent sur 2-3 km, en direction de Ravensbrück. Elles traversent un bois, cela sentait bon la verdure. Puis elles parcourent une allée bordée de belles maisons, avec des fleurs aux balcons. Timidement l’espoir renaît. Les femmes apprendront vite que ce sont les maisons des gardiens du camp.

Pour elles, voici un immense portail avec des murs de 5 mètres de haut. Et des barbelés. Et toujours les projecteurs et les chiens. « On nous a fait nous ranger dans un coin de la cour et nous mettre par ordre alphabétique : chacune demandait le nom de ses voisines : Une belle pagaille ! Mais enfin ça y est, nous sommes rangées »gisele_giraugeau200.jpg

Quatre heures du matin, le jour se lève, « Nous apercevons quelques prisonnières qui nous font de grands signes. Nous finissons par comprendre qu’il faut manger tout ce qui reste dans nos bagages. Nous ne les croyons pas. Nous essayons de leur envoyer quelque chose et nous récoltons des coups de nos gardiens. L’inquiétude nous étreint. Vers 5 heures, le camp s’éveille, des femmes vont chercher des bidons de café. D’autres convergent vers la place d’appel ».

« Nous, on nous fait entrer dans les bureaux : nom, adresse, bijoux, argent. Nos objets précieux sont mis dans une enveloppe qu’on a promis de nous rendre. [Mais nous n’avons rien récupéré !] »

Puis c’est le rituel habituel : déshabillage total, désinfection au grésil (ça pique !). « On nous entasse alors dans une salle, les portes sont fermées. C’est la salle de douche, une douche qui nous fait grand bien après notre voyage. Mais l’alternance du chaud et du froid nous met mal à l’aise. Nous avons la peur au ventre ».

Au sortir de la douche, chacune reçoit un paquetage : robe légère, culotte, chaussures à semelles de bois. « Nous recevons aussi une bande à coudre sur notre robe, avec notre numéro matricule. Et un triangle rouge, car je suis Résistante. Coudre ? Avec quoi ? Nous n’avons rien, mais il faut se débrouiller et surtout retenir ce satané numéro, en allemand. Pour moi : 38 854 »

« Je ne suis plus qu’un numéro : 38854 : achtunddreißigtausendachthundertvierundfünfzig »

Quarantaine

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Les 705 femmes sont alors entassées dans une baraque prévue pour 350. Elles se partagent les châlits superposés. Promiscuité. Pas le droit de parler avec des personnes de l’extérieur. C’est la période de quarantaine, 40 jours sans sortir, même pour l’appel. « Ce système d’appel que nous pouvons observer, avec le comptage et le recomptage, les longues séances debout, les chiens, cela ne nous dit rien de bon. Nous avons quand même appris le débarquement du 6 juin 44 car des femmes sont passées en criant le long de notre baraque : le débarquement est fait ». Dans la baraque, les femmes fredonnent La Marseillaise.

« Au dehors, nous apercevons les enfants, en haillons. Ils n’ont rien à manger, ils n’ont même pas de gamelles, rien que des boites de conserve. Ils sont avides de cette nourriture infecte que, au début, nous refusons. Je comprends que c’est l’enfer ». A Ravensbrûck, les femmes qui arrivaient enceintes accouchaient et retournaient très vite au travail. Aucun supplément de nourriture. Les femmes qui pouvaient voler (on disait « organiser ») des gants en caoutchouc en faisaient des biberons de fortune. Seuls trois enfants revinrent de Ravensbrück. « Nous avions des piqûres tous les 2-3 jours, je n’ai jamais su pourquoi. Celle qui demandait recevait une paire de claques. J’ai toujours pensé que ces piqûres provoquaient une modification hormonale car, nous les femmes, nous n’avions plus nos règles »
Zwodau

Gisèle n’est pas restée au camp de Ravensbrück, elle a été dirigée vers le Kommando de Zwodau, dans les Sudètes, qui, au début, dépendait de Ravensbrück. « Trois jours de voyage. L’horizon verdoyant nous a apporté un peu de réconfort. Pas longtemps ».

« A Zwodau, on a demandé des volontaires pour travailler à l’usine Siemens qui fabriquait des pièces pour l’aviation. Personne n’a répondu. Nous avons alors appris qu’il nous faudrait ramasser du charbon dans la mine voisine, à ciel ouvert, pour chauffer les maisons de gardiens et les blocks du camp. Ou travailler à la réfection des routes ou faire du bûcheronnage en forêt. Finalement nous avons accepté l’usine. Là au moins il faisait chaud ».

Lever à 4 h du matin, lit à faire au carré, appel qui dure longtemps, cinq par cinq, même les malades qui pouvaient tenir debout. Attendre qu’on nous compte : la blockova, l’aufseherin, le commandant … et il faut trouver le même nombre ou recommencer à compter. Un liquide noir en guise de café. Se laver. Schnell, schnell. Et partir au travail.

Pour aller travailler, d’abord se ranger, puis marcher au pas en chantant. « Alli Allo, chantaient les premiers rangs. Nous, les Françaises, nous étions en bout de colonne car nous n’avons jamais su marcher au pas, nous ne voulions pas marcher au pas. Et nous chantions : as-tu vu la casquette la casquette, as-tu vu la casquette du père Bugeaud, Elle est faite la casquette, la casquette, Elle est faite avec du poil de chameau ». [vieux chant historique que Radio-Alger avait adopté comme indicatif]

« J’ai appris à manier la perceuse, le tour, la scie circulaire. C’est un Allemand qui m’a appris, il s’est adouci quand il a compris que j’étais là pour faits de Résistance, et pas « droit commun ». J’ai pris tout mon temps pour apprendre le maniement des machines car je ne voulais pas travailler pour l’Allemagne »

Marcelle Baron, dans cette usine, s’efforçait de percer de biais : le trou devenait inutilisable, la mèche cassait. Elle a été tabassée souvent. D’autres filles limaient certaines dents de la scie circulaire : les pièces fabriquées avaient des défauts.

Punies

« Nous travaillions en équipe. Douze heures de jour. Ou douze heures de nuit. Je ne faisais pas partie de la même semaine que mon amie Marcelle Baron et j’en étais très triste. Mais nous, les Françaises, nous nous soutenions beaucoup. Les plus jeunes, comme moi, essayaient de faire rire les autres. Nous n’avions sur le dos qu’une robe légère. La neige a commencé à tomber dès octobre-novembre. En mai 1945 la neige n’avait pas encore fondu. Il faisait -25°. Il fallait tenir cependant ».

Le soir, les appels étaient plus redoutables que le matin, car on pouvait être « appelées » : achtunddreißigtausendachthundertvierundfünfzig, pour avoir parlé, pour avoir passé trop de temps dans les « toilettes », pour avoir déplu tout simplement. C’était alors une liste de punitions, à effectuer le dimanche matin. « C’est ainsi que j’ai déchargé des rutabagas, et des pommes de terre. J’ai transporté des ferrailles aussi et déchargé un wagon de briques. Avec le froid qu’il faisait, cette corvée vous arrachait la peau des mains ».

Une seule fois Gisèle a pu écrire à sa famille, en allemand bien sûr, texte imposé « Je mange bien, je dors bien. Envoyez moi un colis ». « Ma lettre n’est arrivée qu’en décembre 1944, je n’ai jamais eu de colis. Celles d’entre nous qui en ont reçu ont tout partagé. Trois ou quatre morceaux de sucre par personne, un ou deux gâteaux. Le grand plaisir ».

Plus le temps passait, plus la soupe était claire, il fallait la manger dehors, debout, dans la gamelle. Les déportées qui le pouvaient « organisaient » (volaient) des betteraves blanches ou un os à la cuisine, pour le ronger comme elles pouvaient. « J’avais fabriqué un couteau à l’usine, en ponçant un morceau de fer sur une meule. Je le cachais dans ma chaussette. J’étais la fille à la chaussette car mes chaussettes, grises au départ, étaient raccommodées avec des fils de toutes les couleurs donnés par les filles qui travaillaient à la couture ».

Ce calvaire a duré onze mois. « Et puis, début mai 1945, les Allemands nous ont mis sur les routes en direction de Flossenbürg. Nous avons erré pendant 5 jours, partout nous nous heurtions aux Alliés. Les Allemands nous trimballaient d’une grange à l’autre, il faisait un froid de canard. Et nous sommes revenues au camp ». Le 7 mai 1945, « ils sont là ». Les tanks américains ont ouvert les grilles du camp de Zwodau.

Gisèle et ses compagnes ont pu partir vers Duisburg, dans des camions pas couverts. Trois jours de voyage, « comme des wagons à bestiaux, mais avec de la paille. Nos pauvres os à fleur de peau ressentaient toutes les secousses du camion. Lors des arrêts, nous allions en campagne chercher des œufs et des poulets, les prisonniers français nous aidaient ».

Franchir le Rhin (le pont n’avait plus de rambarde). Charleville Mézières. Angers. Là Gisèle a pu faire téléphoner à ses parents et au mari de Marcelle Baron. « A Nantes, sur le quai de la gare, j’ai pu voir mon père, ma sœur, mon frère de qui je n’avais plus eu de nouvelles ». A cette évocation la voix de Gisèle se brise. « Pour Marcelle, il a fallu aller chercher une civière. Moi je ne faisais plus que 38 kg mais tout le temps de ma déportation, je savais que je reviendrais, j’étais de celles qui redonnaient confiance aux compagnes qui n’avaient plus le moral »

Gisèle, depuis, témoigne de ce qu’elle a vécu, sans haine : les souffrances, la solidarité, pour que « cela » ne se reproduise pas. Pour la remercier, les enfants ont chanté « Nuit et brouillard ».

Ecoutez Gisèle raconter :

L’arrivée au camp

La vie dans le block 10

Cet article a été conçu par le journal en ligne La Mée

http://www.journal-la-mee.fr/3202-gisele-giraudeau-la-fille-a-la

Marthe GALLET de Saint-Nazaire à la Libération de Paris

Le 3 novembre 2014, une foule emplit la grande salle de la résidence du Traict, sur le front de mer de Saint-Nazaire. Tous ces gens, famille, amis, camarades, résidents, personnel de l’EPHAD sont venus souhaiter un bon anniversaire à Marthe Gallet, et pas n’importe lequel: le 100ème.
Marthe Gallet, « ce petit bout de femme à la vie extraordinaire »1 est une figure nazairienne dont la vie est jalonnée d’engagements multiples.
Née en 1914, Marthe Robert entre à l’Ecole normale d’institutrices de Nantes et commence à militer au syndicat des instituteurs, au Groupe des jeunes. Elle militait déjà au Parti communiste depuis 1934. C’est l’époque des luttes antifascistes, du soutien à l’Espagne républicaine et du Front populaire qui l’enthousiasme. C’est dans un défilé à La Baule qu’elle rencontre Frédéric. Instituteur, lui est passé par l’Ecole normale de Savenay. Tous deux sont militants, Frédéric devient responsable du Comité du Front populaire, tandis que Marthe s’occupe de l’Union des Jeunes Filles de France, un mouvement créé par Danièle Casanova et d’autres pour permettre aux jeunes filles, en un temps où la mixité n’était pas ce qu’elle est aujourd’hui, de s’engager elles aussi. Elle épouse Frédéric en 1937 et ils obtiendront un poste double à Trignac en 1939.
1939, c’est la guerre. Frédéric est mobilisé, il laisse sur le quai de la gare sa femme et sa fillette, Françoise née l’année précédente. Grâce à deux militants, Raymonde et Ernest Pichon2, elle reprend contact avec le parti communiste, hors la loi depuis le 26 septembre 1939 et participe à la diffusion de tracts et journaux clandestins et apporte son aide aux militants traqués par la police, car la répression est féroce.
« Septembre 1942. Soudain vers onze heures du soir, des coups violents ébranlent la porte. Ma sœur était avec moi. Son mari venait de quitter la maison avec Albert Rocheteau3. Tout de suite, nous avons eu peur pour eux. Mais la police arrêtait cette nuit-là toute une liste de suspects dont je faisais partie. Comment expliquer que malgré la douleur de quitter ma petite Françoise endormie dans son berceau, je ressentis une sorte de soulagement. Ma sœur partit dans la nuit par des chemins détournés, roulant ma petite fille dans sa poussette. Elle la conduisit à Saint-Nazaire chez ses grands-parents.(…)
Je fus conduite à pied à la prison de Saint-Nazaire où je retrouvai « Tante Fine » arrêtée la nuit même au Croisic. Les policiers voulaient savoir où se trouvaient Georges et Léone, les interrogatoires se succédèrent. A l’un d’eux, ils amenèrent une petite fille de l’âge de Françoise me promettant la liberté si je donnais une adresse.
Je fis connaissance avec la saleté de la prison et pourtant j’étais privilégiée. Nous n’étions que trois dans une grande pièce, mais les tas de chiffons qui s’amoncelaient étaient un lieu d’élection pour les souris; nous trouvions sous nos paillasses des nichées de petites souris toutes roses. J’étais avec deux condamnées de droit commun dont je garde un excellent souvenir, l’une emprisonnée pour avortement, l’autre rejetée par la société, Marie, à qui j’apprenais l’orthographe. »
Après Saint-Nazaire, c’est le circuit des prisons : château de Gaillon (Eure), camp de la Lande près de Tours, où elle fait une tentative d’évasion, infructueuse mais qui lui fait inventer La Chanson des évadés, de nouveau Tours puis le transfert à la prison des Tourelles à Paris qu’évoque Patrick Modiano dans son roman Dora Bruder, d’où elle s’évade en février 1944 après avoir pris quelques cours d’espagnol auprès de Républicaines internées. Elle reprend sa place dans la résistance, et s’engage dans les FTP, elle devient l’agente de liaison Michèle, attachée à l’Etat-major du Colonel André, de son vrai nom Albert OUZOULIAS4 et parcourt Paris à vélo pour transmette les courriers et les instructions. Arrive l’insurrection d’août 1944, elle est en première ligne et participe à ce titre à la libération de Paris.
marthe_gallet.jpgPrison des Tourelles- Hiver 1943 Marthe est au centre
Après la Libération, elle rentre à Saint-Nazaire et reprend son métier d’institutrice à l’école Jean Jaurès. Elle anime et préside l’Union des Femmes françaises, mouvement né pendant l’Occupation à partir des comités populaires féminins (aujourd’hui Femmes solidaires). Les combats ne manquent pas. Si la guerre est finie, les conflits ne manqueront pas – Indochine, Algérie, Vietnam . Conflits sociaux également dans lesquels elle est investie: 1955, 1967, 1968. Luttes pour l’école et la laïcité.
Marthe Gallet nous a quittés en 2015 dans sa 101ème année.
1- Ouest-France 7/11/2014
2- Ernest Pichon, membre du triangle de direction de la résistance communiste nazairienne avec Emile Bertho et Pierre Mahé, il sera arrêté le 5 août 1942, torturé, emprisonné, il comparaît devant la Cour spéciale de Rennes avec 25 autres communistes, en février 1943. Il sera déporté à Buchenwald.
3- Albert Rocheteau, membre de l’Organisation spéciale, puis des FTP
4 – Albert Ouzoulias, adjoint du colonel Rol-Tanguy, auteur de Les Bataillons de la jeunesse Editions sociales

Le camp des Tourelles
Avant le Bureau des légendes et l’existence de la télévision, la caserne des Tourelles, dans le 20ème arrondissement de Paris, qui abrite aujourd’hui les services de renseignements, a été un camp d’internement. 7 658 personnes y ont été internées entre novembre 1940 et le 19 août 1944: des « indésirables » étrangers, des communistes, des femmes juives, des réfractaires au STO.
Le 14 mai 2018, la Ville de Paris a dévoilé une plaque commémorative, au 163, boulevard Mortier Paris 20ème, à la mémoire des populations internées dans cette caserne entre 1940 et 1944. Le Musée de l’Histoire vivante de Montreuil possède et a exposé fin 2019/début 2020 trente et un portraits d’interné-e-s des Tourelles
Pour en savoir plus
* reportage dans L’Humanité-Dimanche n° 689 2 au 8 janvier 2020
* Louis Poulhès , Un camp d’internement en plein Paris : Les Tourelles, Atlande éditeur

Esther GAUDIN, la « fille aux planches » témoigne

« La Résistance, ce mot qu’on voudrait voir sombrer dans l’oubli, évoque pour moi un passé déjà lointain mais qui n’a pas commencé seulement aux heures sombres de 1940 et 1941. La participation de ma famille et notamment de mon père 1 à la lutte contre le fascisme dès 1934, me portait tout naturellement à prendre parti. Les plus fidèles souvenirs, ceux que ma mémoire a fixés comme déterminants: les paroles de Gabriel Péri lors d’un meeting à Nantes où il appelait au soutien total à l’Espagne républicaine. Ce soir là, je savais que si la République espagnole était vaincue, nous aurions la guerre ! Nous étions en 1938.

De la désobéissance…

En août 1940, les troupes allemandes faisaient leur entrée à Nantes, j’avais 14 ans. Je fréquentais à cette époque le collège Aristide Briand, place de la République à Nantes. S’il n’y avait pas eu les conversations de mes parents, certaines allées et venues dans la maison, une première perquisition de la police française, puis l’arrestation de mon père, la vie aurait peut-être continué pour moi comme pour beaucoup de mes camarades de classe.
Mais, lorsque le professeur de français nous pria, dans le cadre du cours, de rédiger une lettre que tous les collégiens français devaient adresser au Maréchal Pétain, d’un bond publiquement dans la classe, je refusai de faire ce « devoir ». C’était un acte de contestation rare à l’époque, dans une classe. A la demande d’explication du professeur, je répondis tout simplement que mon père venait d’être interné administratif2 par la police du Maréchal.
Le professeur me pria d’aller la voir après les cours, elle fut des plus compréhensives, regrettant toutefois que mon refus se soit manifesté publiquement. En mon for intérieur, je regrettais cette mise en cause de son autorité, mais je n’en laissais rien paraître. Une seule chose comptait, mon refus qui avait entraîné celui de toute la classe, et, à ma connaissance, aucun devoir ne fut remis, ni à ce moment-là, ni plus tard et les répercussions allèrent bien au-delà du simple refus de composer un devoir vénérant le fantoche de l’époque.

…aux débuts de la Résistance

Peu de temps après, je fus contactée par un étudiant parisien, dont je n’ai jamais connu l’exacte identité. J’acceptai de participer aux activités du Front National Universitaire. A partir de ce moment, régulièrement des tracts dénonçant le fascisme, étaient distribués au collège et au lycée Clemenceau.
La Résistance s’organisait, la lutte devenait plus dure, mon père interné à Châteaubriant nous parlait des camarades affectés à la baraque des otages. C’est là que furent choisis une grande partie des 27 de Châteaubriant. c’est parmi les meilleurs militants, les plus éprouvés que fut fait le choix de Pétain et de Pucheu, mon père fut épargné.
Quelques temps après, on me confia une mission : aller chercher, à Châteaubriant, le paquet de planches sur lesquelles les fusillés avaient écrit, en plus de leurs lettre, leurs dernières volontés. Les camarades les avaient détachées de la baraque et camouflées dans le camp. Elles en furent sorties par le camarade Roger Puybouffat2, dentiste à Châteaubriant, qui était admis au camp pour dispenser des soins dentaires aux intéressés. Inutile de préciser les risques pris par ce camarade.
Je pris le train de Nantes pour Châteaubriant et je me rendis directement chez le dentiste. Je ne pouvais y rester, les enfants étaient jeunes et bavards. Munie de mon lourd et précieux colis, je pris mon premier repas au restaurant de la gare, seule, en attendant le retour vers Nantes.
J’avais des consignes strictes en cas de fouille le train, mais fort heureusement tout se passa bien et les planches, cachées en lieu sûr, sont aujour-d’hui au Musée de l’Histoire vivante à Montreuil3. Pour moi, il reste le souvenir d’une certaine appréhension bien sûr, mais aussi d’une grande fierté. Ces hommes étaient morts, ils avaient tout donné, il fallait que le monde et la jeunesse sachent qui ils étaient et pourquoi ils étaient morts.
planche_guy_moquet.jpgPlanche gravée par Guy Môquet, aujourd’hui exposée au Musée d’Histoire vivante de Montreuil
Peu de temps après, mon père s’évadait du camp de Choisel4. Ce fut une période difficile, remplie d’inquiétude pour ma famille. Il était recherché et nous dûmes, maman et moi, nous cacher avant de quitter la région. J’avais quitté le collège avec chagrin, certaines de mes compagnes de classe me croyaient à Londres. D’autres savaient bien que je n’étais pas si loin. La Résistance avait fait son chemin.

Dans le maquis de Nort-sur-Erdreesther_gaudin200.jpg

A Paris, j’aidais maman dans son travail d’agent de liaison, je transportais des tracts, j’étudiais. Ces activités furent interrompues à l’arrestation de maman et pendant 12 à 15 mois, j’essayai d’apporter à mes parents un peu de réconfort et les colis dont ils avaient besoin en prison, pour survivre. Jusqu’au jour où, revenue illégalement à Nort-sur-Erdre, je repris contact avec les partisans (FTPF) du secteur.
Ce fut une courte, mais enthousiaste période. Nous assistions à l’effondrement des oppresseurs, qui battus, n’en demeuraient pas moins dangereux. Le drame du maquis de Saffré5 en est un terrible témoignage. Seuls nos camarades FTP avaient été clairvoyants; hélas, le courage des jeunes FFI n’a pas empêché le massacre.
J’entrai ensuite tout naturellement au 2ème bataillon et participai à la lutte. La Libération était proche, il subsistait encore quelques îlots de soldats allemands retranchés dans des « poches » dont celle où nous combattions, la « poche de Saint-Nazaire ».
Puis ce fut le premier contact avec Nantes après trois ans d’absence. Une distribution de vivres effectuée à Chantenay-les-Nantes libéré, boulevard de la fraternité, quelle joie débordante ! La population, privée de pain et de produits de première nécessité, nous accueillait à bras ouverts.
Des moments difficiles nous attendaient encore. A la joie de la Libération succédait l’anxiété pour tous ceux qui, déportés en Allemagne, ne donnaient aucune nouvelle. La guerre continuait, Hitler n’était pas encore vaincu. Mon bataillon cantonné à Guémené-Penfao participait à la bataille et a contribué à la défaite des forces allemandes demeurées dans le secteur. C’est là que, blessée dans un accident de moto, je quittai mes camarades pour un séjour de deux mois à l’hôpital.
Je fus juste rétablie pour participer avec le bataillon à la première commémoration des Fusillés de Châteaubriant. Rassemblement inoubliable par son ampleur et par la présence des représentants de toute la Résistance, mais aussi des armées alliées: Américains, Soviétiques, Anglais. Marcel Cachin sorti récemment de la clandestinité, malgré sa fatigue, était là pour saluer tous ceux qui à Châteaubriant et ailleurs avaient donné leur vie pour la France. Mais à côté de tous les grands noms de la Résistance, tout le peuple de Châteaubriant et des environs était venu.

Souvenons-nous de « Tante Madeleine »

J’ai essayé de rapporter fidèlement ce que fut ma contribution à la Résistance de notre peuple à l’occupation allemande. Je ne peux terminer sans évoquer le souvenir de celle qu’on a appelée Tante Madeleine et qui a été, pendant les années noires, celle qui a aidé de toutes les manières les combattants dans le secteur de Nort-sur-Erdre. C’est chez elle que, très naturellement, j’ai trouvé refuge. C’est chez elle que tous ceux qui se battaient faisaient halte pour y puiser le réconfort moral et matériel. Elle donnait tout ce qu’elle possédait et son commerce était le lieu de rencontre où se croisaient de nombreux résistants.
Elle a lutté jusqu’au bout. seule la certitude que son mari6, déporté en Allemagne, ne reviendrait pas, a eu raison de ses nerfs. Elle est morte sans qu’on ait pu lui témoigner comme il eût fallu notre reconnaissance et notre affection. On ne peut ignorer cette femme exemplaire: Madeleine Legoff.
Source
Amicale de Châteaubriant – Voves – Rouillé

1- Pierre Gaudin – métallo, syndicaliste CGTU-CGT, militant communiste, résistant, déporté. Interné politique au Croisic, il est transféré dans le camp de Choisel à Châteaubriant d’où il s’évade le 24 novembre 1941. Il est arrêté le 3 septembre 194é2 et condamné par la section spéciale de la Cour d’appel de Paris, il est emprisonné à la Santé puis dans la centrale d’Eysses où il prend part à l’insurrection de février 1944. Il est alors déporté à Dachau, puis Mauthausen d’où il rentre à Nantes en juillet 1945 et reprend le combat.
2- Roger Puybouffat a joué un grand rôle dans l’aide aux internés de Choisel, pas seulement comme dentiste. Il a payé cher son engagement. Le 13 décembre 1941, il est arrêté par Touya, il comparaît devant le tribunal correctionnel de Châteaubriant et est acquitté faute de preuves. Néanmoins il n’est pas libéré mais interné dans le camp de Voves. Il est ensuite déporté vers Sarrebrück, Neuengamme, Mauthausen et enfin Loib-Pass. Rentré à Paris le 20 juin 1945, il est dans un état médicalement catastrophique. Il survivra pendant « 38 années volées aux nazis ». Il décède en décembre 1983.
3- BD Immortels ! Cette action est dessinée dans la Bande dessinée éditée par le Comité du souvenir, planches 25 et 26 puis 36 et 37.
4- Camp de Choisel – Situé à Châteaubriant, le camp interne d’abord des Roms et des droits communs. A la suite de la grande rafle d’octobre 194à , réalisée par la police française parmi les responsables communistes, élus, syndicalistes, les militants sont transférés à Choisel à partir de mai 1941, après un périple à travers plusieurs prisons (Clairvaux, Fontevrault etc)
5 – Maquis de Saffré – A l’été 1943, un maquis se forme au lieu-dit « La Maison Rouge » sur la commune des Touches, près de Nort-sur-Erdre (44). Des jeunes réfractaires au STO s’entraînent dans la forêt de Teillay. Décision est prise de regrouper les forces et de transférer le maquis en forêt de Saffré. Le 28 juin 1944, peu avant le lever du jour, 2 500 soldats allemands et miliciens « français » attaquent les maquisards. 13 maquisards meurent au combat, 27 sont faits prisonniers et sont fusillés le lendemain au château de la Bouvardière, à Saint-Herblain.
6 – Ernest Legoff, militant communiste et CGTU très actif à Saint-Nazaire, il s’installe à Nort-sur-Erdre comme gérant d’un magasin des Docks de l’Ouest. Arrêté par le SPAC le 12 août 1942, il est jugé avec 44 autres accusés en 1943 (Procès des 42), condamné, il est déporté et meurt le 15 mars 1944 à Dora.