Comité Départemental du Souvenir des Fusillés de Châteaubriant de Nantes et de la Résistance en Loire-Inférieure

Hommage à Jean de Neyman

Dernière lettre de Jean de Neyman

jean_de_neyman.jpgPrès de La Baule le 02 septembre 1944
Mes chéris,
Nous voici donc en septembre, au début de la sixième année de ce cauchemar, qui semble heureusement ne plus devoir être bien long à se dissiper. Déjà, pour vous vont disparaître les angoisses de cette sorte de siège par la famine dont Paris souffre depuis si longtemps. Mais je sais que ce n’est rien devant l’immense soulagement moral de penser à la fin de l’infernale époque que nous vivons encore. Et les perspectives d’avenir, encore qu’incertaines, n’en sont pas moins lumineuses.
Moi-même, je suis heureux doublement, et pour mon compte personnel, et pour la joie de tant d’êtres qui en sont heureux. Pourtant, à cette atmosphère radieuse, il faut que j’apporte un nuage : il m’est arrivé ces derniers temps une rencontre fâcheuse qui va retarder peut-être longtemps le plaisir de nous voir.
Voici l’histoire en gros (vous aurez des détails ensuite).
Vers le 10 août, un jeune marin allemand, qui avait déserté, cherchait asile dans les parages de la ferme où j’avais élu domicile principal, depuis un mois à peu près. C’est moi qui le rencontrai d’abord, et, après une longue conversation, considérais que c’était un bon type qu’il serait inhumain de laisser reprendre et fusiller par les autorités militaires allemandes. Aussi je le vêtis en civil et demandais au fermier, Joseph Jergaud, de bien vouloir le nourrir à mes frais, pendant le temps (que nous supposions court) où les Américains ne seraient pas encore venus. Le gars se sentant en danger malgré tout, je lui donnais même un vieux revolver que j’avais trouvé dans la cave de ma maison en voulant enterrer mon poste radio. Tout se passa bien quelques jours, et j’eus même le plaisir de faire de bonnes parties d’échecs avec mon Fritz, ou plutôt Gerhardt, comme il se prénommait.
Par malheur, les américains ne venant pas, Gerhardt s’ennuyait et se montrait imprudent circulant autour de la ferme. Si bien qu’il fut pris par une patrouille avec son revolver en poche, et que je fus arrêté, ainsi que peu après tous les adultes de la ferme (Mme et M Jergaud, et un aide Jean Mercy que j’avais d’ailleurs comme à La Baule, alors que, mécanicien il prenait des leçons de sciences pour passer un concours naval). Nous fumes donc Gerhardt et moi d’abord en voiture à cheval, puis les autres en camion, conduit dans un camp entre Saint-Nazaire et Montoir, pour y être interrogés. Mme Jergaud fut relâchée, mais au bout de 8 jours, le 25 août.
Gerhardt, Jergaud et moi, nous passions devant un conseil de guerre, siégeant au camp de la marine Endras (entre Saint-Nazaire et La Baule). Comme je n’avais jamais voulu éviter mes responsabilités, et encore moins les rejeter sur le pauvre fermier, c’est évidemment moi qui fus condamné au maximum, et, tandis que Jergaud s’en tirait avec 2 ans de prison, je fut condamné comme Gerhardt. Il me restait encore une chance : le jugement devait être confirmé par le commandant de Saint-Nazaire, de sorte qu’au lieu d’être fusillé tout de suite, je fus conduit, à coté du tribunal, dans un pavillon ou j’ai attendu jusqu’à ce matin des nouvelles d’une sorte de pourvoi que j’avais formulé.
Voilà donc en résumé les événements, assez bêtes à certains points de vue, qui vont, je ne le crains que trop, vous faire tant de peine. Comme disait Heine :
Das ist das Los, das Menschenlos
Was schön sind gross, das nimmt’ein schlechtes Ende !
Maintenant, mes chéris, ne croyez pas que j’en suis bien affligé. Ah, pour ça, par exemple, il en faut davantage pour me faire perdre ma bonne humeur, et ces dernières semaines ont été bien agréables pour moi.
D’abord, il y a la joie d’avoir fait mon devoir ou, ce qui est la même chose, ce que je considérais comme mon devoir, envers et contre tous. Comme je l’ai expliqué aux juges, si le hasard met à côté de moi quelqu’un qui se noie, je ne me demande pas, en me jetant à l’eau, depuis combien de temps j’ai déjeuné.
Ensuite, il y a l’immense plaisir d’avoir pu, jusqu’au bout, faire du bien autour de moi. Passons sur Gerhardt. Ma connaissance de l’allemand m’a maintes fois permis d’être utile au 1er camp. J’ai également pu, et, c’est le principal, obtenir à peu près justice en ce qui concerne ceux qui n’avaient rien à voir dans l’affaire, Mercy et Jergaud. Sans parler du bien que j’ai pu faire en montrant une fois de plus aux Allemands que les Français ont le sens de l’honneur. Et mille détails qui me font penser aux vers de Kipling, traduits par moi-même pour compléter Maurois à la fin de son célèbre poème « Si… » :
Si tu peux, lorsque vient l’instant désespéré
De tout ce qu’il contient, tirer pourtant la somme,
Alors à toi, mon fils, est la Terre entière, et,
Bien plus, tu es un Homme !
Et puis, il faut que je l’avoue aussi, je suis heureux et fier du succès d’estime que j’ai remporté pendant mon jugement. Quand le président m’a demandé pourquoi j’avais recueilli Gerhard, et si je ne savais pas que c’était interdit, et que j’ai répondu : « pour un Français c’est une question d’honneur d’aider celui qui demande de l’aide, et l’honneur est d’autant plus grand que l’on risque d’avantage » – quand, après le réquisitoire qui demandait la mort pour Jergaud et moi, et après la plaidoirie qui nous confondait aussi, on m’a demandé si j’avais quelque chose à ajouter et j’ai dit : « Je précise bien que, désirant dès le début conserver l’entière responsabilité de mon acte, je n’ai jamais dit à la ferme (où l’on ignore l’allemand) ce qu’était au juste Gerhart, de sorte que je suis seul responsable. » , – à ces moments il y a eu des murmures dans la salle et ce n’était pas de la moquerie. Et là où, je dois le dire, j’ai éprouvé l’une des plus puissantes impressions de bonheur de ma vie, ce fut, tout de suite après le jugement, quand j’ai entendu discuter sur moi les hommes de garde devant le couloir de ma cellule, Si vous aviez pu les entendre, mes chéris mon cœur eut éclaté de fierté joyeuse.
En plus de cela, il y a eu une foule de petits à cotés agréables, une foule étonnamment nombreuse de réjouissances secondaires, qui me donnent l’occasion de vous donner une vue de quelques détails.
Le seul ennui que j’ai eu, c’est que, le jour où l’on m’a arrêté, on m’a pris mes si utiles lunettes et, que depuis, personnes n’a jamais pu savoir ce qu’elles sont devenues. Personnellement je n’ai jamais pu comprendre pourquoi ; quelqu’un de vous comprendra peut-être, à la longue, quoique, maintenant que nous ne nous verrons plus, cela n’ait vraiment plus beaucoup d’importance… !
Un premier incident que nous avons eu en route mérite d’être signalé, il constitue vraiment un petit fait comique. Comme nous voyagions sur notre carriole, où nous étions attachés fort discrètement, tirés par mon excellent cheval vers une destination hélas triste, un passant rentrait du travail à pied nous demanda naïvement : « Il n’y a pas une place pour moi ? »
Je n’avais pas ri avant mais, à partir de ce moment, je perdis toute mauvaise humeur ou dépit de mon arrestation. Et depuis, j’ai toujours eu des occasions agréables ou divertissantes. C’est ainsi que j’ai pu couper dans ma planche, obligeamment prêtée, d’une part un échiquier percé de trous où s’infiltraient les tiges des pièces, découpées d’autres part. De cette façon j’ai pu jouer en paix sans que les voisins puissent brouiller le jeu, quelle que fut leur turbulence juvénile. Fallait voir ce jeu fait de fil de fer et de bois, signé Jean, reconnaissable à 100 mètres !
Il fallait aussi voir les Allemands s’empresser à jouer avec moi (qui ne pouvais causer aux autres prisonniers) comme s’ils désiraient tous me consoler, et prouver par leur amabilité qu’ils déploraient ma situation et qu’ils auraient bien voulu faire quelque chose – mais quoi ? – pour ne pas me voir fusiller (on s’y attendait dès le début).
Aussi n’est-ce pas sans laisser presque des amis que j’ai quitté le camp : à peu près tous ceux avec qui j’avais parlé un peu s’en faut. Naturellement j’ai du y laisser aussi, aussi avec quelque regret, le plus beau de mon équipement ; c’est-à-dire mon jeu d’échecs-, quand je serais ministre, je changerai le texte du règlement rigoureux dont je fut victime… !
Or, depuis le jugement, les doubles rations (pour le moins) de tout ce qui est comestible ou favorable, dont je suis favorisé ; auraient enthousiasmé ceux qui s’imaginent que « Jean bon » ne peut vivre sous autre orthographe (si j’ose ce déplorable calembour). Au début je crus à un cuisinier fantaisiste qui aurait voulu terminer peut être une époque de son service par un festin capable de faire sensation, et je m’attendais à retourner à mon ordinaire modeste, en homme de bon sens que je suis. Mais comme mon ahurissante abondance continuait à régner de plus en plus belle, ce qui de l’extérieur ou de l’intérieur toutes sortes de friandises ne cessaient d’affluer, la seule explication valable, à laquelle je dû me rendre, était une bienveillance collective touchante chacun, se demandant si cela finira bien mal pour moi, concluait que le mieux devait être de participer par tous les moyens à me rendre « succulentes » les heures dont j’étais encore maître, en attendant qu’on sut si mon pourvoi, soutenu par mon avocat, arriverait à être rejeté ou non. Et, de la part des officiers aussi, une amabilité trop franche et personnelle pour N’être que de la propagande, venait satisfaire tous mes désirs. Ainsi, en l’absence de mes lunettes on a réussi à me faire voir clair en mobilisant les lunettes d’essais de l’oculiste militaire ! Et une chambre étant plus lumineuse, on a même été jusqu’à m’autoriser à sortir dans le plus éclairé de tous les couloirs d’ici, avec tout mon matériel. Car le plus beau, c’est qu’on m’a pourvu d’un matériel comme je n’en eu pas souvent : table, sous-main, papier à volonté, crayon chimique, gomme, règle, couteau. (Et tout pour Jean ! comme disait ma petite sœur autrefois)- et par-dessus le marché, l’autorisation de travailler à tout ce que je voulais laisser après moi qui me paraît pouvoir être utile aux générations futures, pour parler modestement !
C’est ainsi qu’en plus de cette lettre vous récupérerez de moi presque un volume de remarques et réflexions plus ou moins scientifiques et pédagogiques. J’espère qu’elles intéresseront Papa et peut-être un professeur curieux de points de vue non classiques.
Je m’en vais donc disparaître dans les meilleures conditions possibles, après avoir passé mes dernières semaines de condamné plus confortablement que bien d’autres semaines, sans avoir subi aucun mauvais traitement – après avoir eu la chance de voir le sinistre tableau du monde de 1939 remplacé par les claires perspectives de 1944, et la nouvelle chance que ma condamnation me donne le droit de penser que je n’y suis pas complètement étranger – après avoir dégusté l’amusante et flatteuse ironie du sort qui me fait l’un des derniers fusillés français de cette guerre – avec l’agréable sensation d’avoir laissé par écrit le meilleur de moi-même, en plus de ce que j’ai pu laisser comme influence durable dans la vie de ceux que j’ai connus.
Et comme dans les conditions où elle se produit, ma disparition peut avoir autant d’effet que le bien que j’aurais pu faire en un peu de vie supplémentaire, mon seul regret est le chagrin qu’elle ne peut hélas manquer de vous causer.
Ainsi, si vous voulez me faire rétrospectivement plaisir, ne soyez pas trop malheureux. Je vous ai assez aimés pendant ces dernières 20 années pour que vous ne m’en vouliez pas de vous laisser seuls ensuite. Ne soyez pas égoïstes. Vivez pour continuer à faire progresser le monde, comme vous-mêmes me l’avez appris à le faire.
J’ai conscience encore plus aujourd’hui, combien tout ce que j’ai fait est au fond votre œuvre et je vous prie de faire quelqu’un de bien de chacun de vos petits-enfants actuels et futurs – car je compte sur vous pour que les enfants de Nénette soient aussi dépourvus de toute illusion religieuse que moi, et que ce soit en pleine conscience qu’ils sachent faire leur devoir d’homme.
A propos d’enfants, si vous le pouvez, intéressez vous au second fils de Jergaud, un bébé de 5 ans, mais qui a du bon ; vous me ferez plaisir en le faisant ; c’est une dette de reconnaissance. Vous pourriez avoir chez lui divers objets m’appartenant. Voici son adresse : Ker Michel en Saint- Molf par Guérande (Loire Inférieure).
Pour finir par une plaisanterie, Papa y trouvera la solution du problème des 2 ampèremètres dont l’un marque 6 ampères pendant que le premier n’en marque que 3…
En vous embrassant, mes chéris, je vous écris la conclusion de ma vie, entre les 2 morales célèbres : – il n’est pas besoin d’espérer pour entreprendre, ni de réussir pour persévérer – et : toute la sagesse humaine tient dans 2 mots : attendre et espérer, il y a de la place pour ma synthèse : – tout le bonheur de l’homme tient dans ce devoir « Agir et espérer ».
Jean.
P.S. Naturellement saluez tous ceux qui me sont chers.
20200905_160900-1.jpgCérémonie commémorative en hommage à Jean de NEYMAN
Heinlex, Saint-Nazaire 5 septembre 2020
Allocution de Guy TEXIER

Mesdames les représentantes de Monsieur le Maire,
Mesdames et Messieurs les élus,
Chers amis et camarades,

En cette année 2020, nous commémorons le 76ème anniversaire de l’exécution de notre camarade Jean de NEYMAN, par l’armée d’occupation nazie.
Mais c’est aussi le 75ème anniversaire de la libération des camps de concentration et d’extermination en Europe et en Asie.
C’est aussi la victoire des peuples contre la barbarie de l’idéologie criminelle qu’ont été le fascisme et le nazisme.
C’est aussi le 80ème anniversaire de l’invasion de notre pays par l’armée nazie et l’instauration de la collaboration voulue et décidée par PETAIN, ce maréchal félon et son gouvernement de Vichy.
Ce n’est évidemment pas par une brève allocution que l’on peut rappeler l’ensemble des évènements de cette époque qui ont conduit à cette guerre qui fit près de 50 millions de morts.
20200905_162304-1.jpgMais il faut se rappeler que de capitulation en capitulation devant les exigences hégémoniques qu’HITLER avaient annoncées dans ‘’ Mein Kampf’’ , les accords de Munich lui livrant la Tchécoslovaquie, jusqu’à la drôle de guerre qui permit à son armée de franchir en un temps record la distance entre le Rhin à La Loire et de hisser sa sinistre croix gammée sur la plupart des édifices de notre capitale, le pouvoir politique français avait sombré dans le déshonneur et l’indignité pour finir dans la plus dégradante collaboration avec l’ennemi.
Il faut se souvenir que les députés communistes étaient embastillés en Algérie et seuls 80 courageux députés avaient suivi le chemin de l’honneur en s’opposant aux pleins pouvoirs de PETAIN.
Parmi ces 80 députés, pas un seul de la Loire-Inférieure.
Après l’interdiction du parti communiste en septembre 1939, sous prétexte du pacte germano- soviétique, les partis politiques et syndicats sont interdits un an plus tard en octobre 1940 et qui conduit à l’arrestation et la clandestinité pour échapper à l’internement de milliers de militants ouvriers.
Ce sont ces hommes comme Jean, et ces femmes qui, dans une France trahie laissant un peuple abandonné, désemparé, en proie à la pire des confusions, levèrent le drapeau de l’honneur, de la dignité nationale, de la liberté, dénoncèrent la trahison, constituèrent les ‘’comités populaires’’, premiers embryons de la Résistance intérieure, s’engagèrent dans la lutte armée, d’abord par petits groupes, puis constituèrent les maquis.
C’est une armée du peuple composée de communistes, de socialistes, de démocrates, de syndicalistes, croyants ou non croyants, fidèles aux idéaux de la République qui formèrent les premiers groupes de Résistance par des actes individuels de sabotage, de diffusion de tracts appelant à refuser la collaboration, avec l’aide de travailleurs étrangers dont particulièrement de Républicains Espagnols.
Pour beaucoup d’entre eux, la Résistance avait commencé bien avant avec la guerre d’Espagne, mais aussi contre la montée de l’extrême droite et du fascisme en France et en Europe.
Dès 1940, des hommes et des femmes, dans toute la France ne supportant pas que notre pays soit placé avec l’armistice de PETAIN, avec la collaboration, sous la tutelle nazie, soit pillé de ses richesses, ont organisé la lutte contre l’occupant et ses collabos de Vichy, de LAVAL, PUCHEU, DARNAND et autres individus de la droite et extrême droite.
C’est dans ces conditions que les premiers actes de Résistance se sont produits en France contre l’occupant, qui avec la collaboration de la droite réactionnaire et revancharde de 1936, de l’extrême droite issue de l’idéologie boulangiste et maurassienne, fondèrent en Loire Inférieure le groupe ‘’collaboration’’, dont Alphonse de CHÂTEAUBRIANT fut le créateur avec d’autres officiels très complaisants.
Il est peu fait état de la Résistance dans la région nazairienne et de la Presqu’ile, pourtant elle a été active dès 1940.
L’évasion du Jean BART le 17 juin 1940, a été sans doute le premier acte de Résistance collectif, quand 350 ouvriers et encadrants des chantiers navals ont volontairement participé, avec autant de militaires, à son évasion vers Casablanca pour qu’il ne tombe pas aux mains de l’armée allemande.

Comment ne pas évoquer les inscriptions anti-allemandes, les tracts appelant à résister, les sabotages, le refus de la servitude, l’aide aux militaires anglais après le drame du Lancastria et du commando du 28 mars 1942, dont plus de 200 amis et camarades en ont été les artisans de 1940 à 1945.
Le sabotage de l’hydravion ‘’Arado’’ à la SNCASO, dont les auteurs ont été dénoncés, internés, déportés avec Adrien BERSELLI, René ANDRE, Jean BOURMAUD, Jules BUSSON.
Le dynamitage de la permanence de la LVF avec Albert ROCHETEAU, Jean DREAN, Georges GIRARD ( le futur commandant CONAN), avec l’aide des ‘’dynamiteros’’ Républicains Espagnols, internés au ‘’camp Franco’’ de Montoir-de-Bretagne, et qui ont multiplié les sabotages dans la construction de la base des sous marins, sous la responsabilité de notre camarade Juan ESCUER GOMIS, et qui furent déportés pour beaucoup d’entre eux ou fusillés à Nantes en 1943.
Comment ne pas évoquer les noms de Marthe GALLET, de Suzanne MAHE pour le transport des armes et explosifs, des tracts, qui furent arrêtées, torturées, internées ou déportées ?
Comment ne pas évoquer Maurice et Louisette PICONNIER, BERTHO, PERRICO, BECARD et tant d’autres comme André LE MOAL fusillé à 17 ans ou encore Hubert CALDECOTT, Jean DREAN, Guy LELAN ou LABROUSSE, eux aussi fusillés au Mont Valérien ou à Nantes, mais aussi BIREMBAUT, SCULO COQUET et tant d’autres internés, déportés ou fusillés ?
Comment ne pas évoquer aussi l’action du groupe Henri MAHE et Georges TANCHOUX de La Baule, du réseau Jade en lien avec le renseignement, dont plusieurs d’entre eux ne revinrent pas des camps de concentration, ou encore le groupe gaulliste LITOUX de Saint-Lyphard ?
C’est aussi le réseau ‘’Georges France 31’’ animé par Albert VINCON, Henri FOGEL, Germaine LARDON, avec Henri ALLANET, Jean GUITTON, composé de nombreux Francs Maçons, plus spécialisés dans le renseignement et l’évasion d’aviateurs.
Le groupe animé par notre camarade Jean de NEYMAN, très actif dans la propagande anti nazie et le sabotage, la solidarité avec les soldats allemands déserteurs, se doit d’être souligné comme combat contre une idéologie criminelle et un combat contre l’occupant.
Il est choquant de constater qu’il est célébré, y compris à Saint-Nazaire, les victimes militaires des guerres coloniales, comme les sales guerres d’Indochine et d’Algérie, mais que sont ignorés les victimes et les acteurs de cette Résistance populaire composée d’hommes et de femmes qui n’ont pas chercher la gloire, ni les médailles.
Comme il est choquant que des noms de rues, notamment à Nantes, portent le nom de collabos notoires ou de résistants de la 25ème heure.

Parce que la Résistance des uns ne saurait dissimuler la veulerie des autres, et parce que les actes héroïques de ceux et celles qui avaient choisi de combattre l’oppresseur, ne doivent pas faire oublier les crimes de ceux qui dénonçaient, vendaient, assassinaient, humiliaient, dont les héritiers d’aujourd’hui sont la droite extrême et l’extrême droite, qui par leur présence à des commémorations d’hommages aux déportés ou qui souillent de leurs inscriptions négationnistes les lieux de résistances ou de martyrs, comme récemment à Oradour-sur-Glane, relèvent la tête, encouragés par les déclarations haineuses, racistes et xénophobes répandues et impunies.
Malgré tout ce que l’on dira, on ne saura jamais l’ampleur du travail de toute la Résistance, de tous ceux et toutes celles, qui dès 1940, se sont levés pour s’opposer que la France, ce pays des Lumières, devienne un pays qui aurait perdu son honneur dans la servitude à l’idéologie nazie et celle de la collaboration.
Toutes et tous ont été des héros, ils étaient communistes, socialistes, gaullistes, républicains, syndicalistes, croyants ou non croyants, français ou étrangers, ils ont été l’honneur de notre pays et de son peuple.
Jean, est bien la figure de cet héroïsme sublime dans la solitude la plus cruelle, qui n’a eu que le soutien de sa propre conscience, celui de son devoir envers soi même et la protection de ses camarades.
C’est la grandeur de cet homme à qui en rendant hommage aujourd’hui, c’est à toutes celles et à tous ceux de la Résistance que nous rendons hommage, pour que nous ne les oublions pas.
Mais honorer la Résistance et de tels martyrs, ce n’est pas seulement saluer des tombes et des stèles, c’est garder l’enseignement des morts, car les morts sont vivants, quand ils demeurent dans notre souvenir, lorsque nous n’oublions pas les grands exemples qu’ils nous ont donnés.
Aujourd’hui rien ne serait pire que de célébrer le passé, la mémoire pour oublier le message, de s’autoproclamer héritiers dans la ferveur émotionnelle d’une commémoration en laissant le monde aller là ou il va.
Pour demeurer humain, nous devons encore et toujours savoir dire non, quel qu’en soit le risque.
Pour terminer je veux citer cette phrase du Résistant et historien Jean CASSOU : ‘’c’est au nom de ceux des nôtres, qui ont risqué la mort pour la liberté que nous vous demandons à vous, à ceux des jeunes générations, d’être vigilants. Nous vous passons le flambeau, à votre tour de vous battre quand il le faudra, comme il le faudra, pour la justice, la dignité humaine, la liberté’’
Je vous remercie de votre attention.

Portrait d’une résistante nazairienne: Suzanne Mahé

Suzanne Justamont était fille d’un père petit industriel d’une famille protestante et d’une mère catholique. Des dépôts de bilans successifs entraînèrent une relative prolétarisation de la famille. Son père était indiqué « barman » sur le registre de naissance et en 1940, lors du mariage de sa fille « commerçant ». Sur les conseils d’un enseignant, elle passa le concours d’entrée à l’École normale d’institutrices où elle découvrit les textes de Marx. 

Lors de sa première année d’enseignement en 1933-1934, à une quarantaine de kilomètres de Niort, elle adhéra au Syndicat des instituteurs et se lia avec deux enseignantes avec qui elle effectua, pendant l’été, un voyage de six semaines à bicyclette, en Allemagne, y découvrant l’implantation du nazisme. Revenue en France, nommée à Saint-Martin-de-Mâcon près de Thouars, elle adhéra au Secours Rouge International. Responsable de l’Union des jeunes filles de France à Thouars (Deux-Sèvres), elle adhéra au Parti communiste en 1934 et milita aussi au comité mondial des femmes contre la guerre. En avril 1936, lors d’un meeting du comité thouarsais du Front populaire des jeunes, elle représenta la section de Thouars du comité mondial des jeunes filles. Après juin 1936, elle vérifia régulièrement si les employées des magasins disposaient bien d’un siège qu’elles venaient d’obtenir. Elle consacrait aussi ses moments de liberté à collecter pour l’Espagne républicaine.
Elle participa à la création, dans le SNI des Deux-Sèvres, d’un groupe des jeunes de l’enseignement, dont elle fut secrétaire à partir de 1935, qui, chaque été, voyageait dans différentes régions de France, s’efforçant de nouer le contact avec les populations ouvrières et paysannes. Par ailleurs, aux vacances de Pâques, elle participait à Paris aux écoles du Parti communiste. Enfin, à Noël, les groupes des jeunes de l’enseignement organisaient des rencontres internationales ; en 1939, elle y rencontra Pierre Mahé, son futur mari. Comme lui, elle avait fait grève le 30 novembre 1938, malgré la réquisition des fonctionnaires, par discipline d’organisation et pour montrer l’exemple. Pierre Mahé étant mobilisé, ils décidèrent de se marier pour qu’il bénéficie d’une permission, le 23 mars 1940 à Saint-Nazaire. Il fut fait prisonnier et envoyé en captivité près de Stettin à Rawa Ruska (Allemagne) ; après cinq tentatives infructueuses, il s’évada et gagna la Suède, mais ne réussit à revenir en France qu’en juin 1945.
En février 1940, lors d’une perquisition à son domicile, la police trouva des livres communistes. Elle fut arrêtée peu après son mariage et incarcérée en avril à la prison de Tours (Indre-et-Loire) dont elle fut libérée le 18 juillet 1940. Elle reprit son poste d’institutrice à la Madeleine de Guérande, près de Saint-Nazaire, où existait une cellule communiste clandestine. Elle était chargée d’aller dans les familles pour repérer qui, éventuellement, pourrait aider, cacher un militant. Figurant sur la liste des enseignants(e)s communistes, elle fut révoquée en décembre 1940 et en avril-mai 1941, recherchée par la police française, elle gagna le Morbihan, puis Paris où elle trouva le contact avec le Parti communiste. Elle habita Argenteuil puis Colombes, et dans cette ville, fut responsable du comité des femmes du réseau du Parti communiste clandestin. Elle prit le nom d’Annick pour son travail de liaison. Elle fut arrêtée le 19 novembre 1941 et interrogée par le commissaire David, de la Brigade spéciale 2, quatre jours plus tard. Condamnée à deux ans de prison, elle fut enfermée à la Petite Roquette, où les détenues les plus politisées organisèrent des cours, un journal et réussirent à faire sortir des renseignements par leur avocate. Le jour anniversaire de la victoire de Valmy, suivant le mot d’ordre du PC de manifester, elle participa à une prise de parole dans la cour de la prison. A la suite d’un procès en janvier 1943, condamnée à une peine de prison, envoyée au fort de Romainville, elle fut déportée le 13 mai 1944 et arriva au camp de Ravensbrück (Allemagne) le 16 mai 1944 par le dernier convoi de 750 femmes. Elle fut, de là, envoyée à Hanovre (Allemagne) dans une usine de produits chimiques où, là aussi, les déportées politiques essayèrent de constituer un collectif capable d’actes de résistance dans leur vie quotidienne. Elles furent délivrées par l’armée américaine en mars-avril 1945.
Rapatriée en France, très amaigrie, elle retrouva son mari en juin 1945. Ils furent d’abord réintégrés dans l’enseignement à Pornichet (Loire-Atlantique), où elle commença une intense vie militante de quartier, autour des questions du ravitaillement, et dans le cadre du PCF. De retour en septembre 1947 à Saint-Nazaire où la vie reprenait lentement, ils s’installèrent dans le quartier de Kerlédé, habitant l’un des 210 bungalows provisoires. Elle participa aux nombreuses activités de l’Amicale de quartier, très vite sous influence communiste : lutte pour l’amélioration des conditions de vie quotidienne, accueil d’enfants du Secours populaire, d’enfants des mineurs en grève en 1948, sou du soldat, lutte contre la guerre du Vietnam, puis d’Algérie. En 1954, Suzanne et Pierre Mahé s’installèrent dans le quartier de Plaisance ; elle continua le même type d’activités militantes et prit plusieurs fois la parole contre la guerre d’Algérie, à Saint-Nazaire, et à Rennes, lors de la fête de l’Union des femmes françaises. 



En 1950, elle remplaça, après sa destitution du conseil municipal, Madeleine Gallen*, en tant que conseillère municipale communiste, administratrice du Bureau de bienfaisance ; elle assura ce mandat jusqu’en avril 1953. Elle intervint à plusieurs reprises pour défendre les positions de la minorité communiste (distribution de lait aux enfants des chômeurs, carte sociale municipale pour les économiquement faibles, questions scolaires). 

De 1962 à 1968, la famille Mahé, avec ses deux enfants, vécut à Nantes afin que Suzanne, victime d’une dépression, puisse y être soignée. Ils revinrent à Saint-Nazaire en 1968. Elle mourut dix années après la disparition de son mari.

POUR CITER CET ARTICLE :
https://maitron.fr/spip.php?article119469, notice MAHÉ Suzanne, Lucienne, Alphonsine [née JUSTAMONT Suzanne] par Julian Mischi, version mise en ligne le 30 novembre 2010, dernière modification le 13 novembre 2019.

SOURCES : Arch. Dép. Deux-Sèvres, 4M 13/4E. — Arch. mun. Saint-Nazaire (Cristel Gravelle). — Entretiens avec S. Mahé et témoignage écrit. — Émission de « Turbulences », radio libre locale, 17 février 1984. — Raconte camarade, par Maxime (pseudonyme de Pierre Mahé), Saint-Nazaire, 1974, 354 p. —MAHE (Pierre), Raconte Pierre, Saint-Nazaire, AREMORS, 1994, 135 p. — Presse locale (quartier de Kerlédé). — Dominique Loizeau, Femmes et militantismes, Paris, L’Harmattan, Logiques sociales, 1996. — Camélia Zegache, Les femmes dans la Résistance en banlieue Nord, 2000, Mémoire de maîtrise, 178 p. (Université de Paris 13). — Julian Mischi, Traditions politiques locales et communismes ouvriers. L’implantation du PCF dans la région de Saint-Nazaire, Saint-Nazaire, AREMORS, 1998, 201 p. — Notes de Jacques Girault, d’Alain Prigent et de Guy Texier. — RGASPI, pas de dossier au Komintern.

Hommage à Thomas Ginsburger–Vogel

Spécialiste de biologie marine, Thomas Ginsburger-Vogel avait exercé à l’Ecole normale supérieure de Saint-Cloud avant de rejoindre Nantes en qualité de Professeur des Universités. Il y avait élu par ses pairs Doyen de la Faculté des Sciences.
Notre coopération s’est développée dans le champ de notre détermination commune à faire connaître les combats et les valeurs de la Résistance et notamment celles du CNR au sein duquel son père, Roger Ginsburger – Pierre Villon, dans la Résistance – a joué un rôle déterminant.
Thomas s’est fortement engagé dans la transmission de la mémoire de la Déportation avec les Amis de la Fondation pour la Mémoire de la Déportation, dont la fondatrice et première présidente nationale fut sa mère, Marie-Claude Vaillant-Couturier (née Vogel). Il était également membre de la FNDIRP.
Si cet héritage l’obligeait, Thomas était un héritier modeste et discret.
Sans ménager son temps, il a organisé de nombreuses rencontres avec des témoins dans les établissements scolaires et diverses initiatives : expositions, voyages. Il a également, par sa participation à la commission Histoire des Amis du Musée de Châteaubriant, non seulement contribué à faire vivre la mémoire des 27, (voir ci-dessous) mais aussi sensibilisé les collégiens et lycéens participant au Concours de la Résistance et de la Déportation. Enfin il s’est engagé dans l’élaboration du Mémorial virtuel de la Déportation de Loire-Inférieure.
Nous lui avions donné carte blanche pour rédiger l’éditorial de notre bulletin Un automne 41, consacré la mémoire de la déportation, à l’occasion du 75ème anniversaire de la libération des camps. (voir ci-dessous)
Le Comité du souvenir des fusillés de Châteaubriant, Nantes et de la Résistance en Loire-Inférieure présente ses condoléances à son épouse Yvette, à ses enfants, petits-enfants et à tous ses proches. Notre Comité répondra présent à l’hommage qui lui sera rendu à l’initiative de la Délégation 44 de l’AFMD.

VIDEOS – La carrière des Fusillés à Châteaubriant : un lieu chargé d’émotion
Vendredi 15 novembre 2019 à 15:24 – Par Mikaël Roparz, France Bleu Loire Océan

->https://www.francebleu.fr/infos/societe/videos-la-carriere-des-fusilles-a-chateaubriant-un-lieu-charge-d-emotion-1573825218]

Il y a 75 ans la libération des camps de la mort
mars 2020
Auschwitz, Maïdanek, Buchenwald, Neuengamme, Dora et tant d’autres…
Nous célébrons cette année la libération des camps de la mort, 27 janvier 1945, libération d’Auschwitz, journée de la mémoire des victimes de la Shoah et de la prévention des crimes contre l’humanité, 27 avril, journée du souvenir des victimes de la déportation.
Les survivants des camps ont témoigné de ce qu’ils avaient vécu. Ils s’étaient chargés de porter la voix de ceux qui n’étaient pas revenus.
La découverte du génocide des juifs et des tziganes, la découverte des massacres et des charniers, la découverte de la violence et de la terreur absolues subies par les déportés de toutes les nations européennes, a conduit à la naissance d’une conscience universelle et à la proclamation que les crimes contre l’humanité et les génocides étaient imprescriptibles et au jugement de leurs auteurs.
A leur libération, ils s’étaient jurés de construire un monde de paix et de liberté, un monde fondé sur les principes de la démocratie, des droits humains et de la dignité des individus. C’est le sens des serments de Buchenwald et de Mauthausen.
Nous avons vécu dans l’illusion que ces crimes n’étaient plus possibles, que le monde en aurait tiré les leçons, que naîtrait une conscience universelle.
Or nous sommes obligés de constater que les tentations autoritaires sont de retour, y compris dans les états qui se proclament démocratiques. Le racisme et l’antisémitisme fleurissent à nouveau, des états se permettent d’annexer des territoires au mépris des lois internationales.
Nous sommes à une période charnière de la mémoire des camps, bientôt, il n’y aura plus aucun témoin direct des horreurs nazies et du combat des résistants pour la liberté.
Après l’ère des témoins, comment perpétuer leur mémoire ?
C’est la question à laquelle nous devrons répondre dans le futur, car force est de constater que l’antisémitisme et toutes les formes d’intolérance et de racisme se donnent à nouveau libre cours et que l’on peut dans notre pays tuer des gens simplement parce qu’ils existent.
S’il est nécessaire que des historiens continuent à écrire l’histoire des camps, car on est loin de tout connaître, c’est à nous de porter leur mémoire et de trouver de nouvelles formes d’expression. Nous devons inlassablement expliquer que les injustices sociales, politiques ou économiques conduisent la plupart du temps, peut-être sous des formes différentes de celles du passé, à l’installation de régimes autocratiques ou dictatoriaux, qui peuvent aboutir aux pires violences et à l’inhumanité.
Afin que dans 75 ans nos descendants regardent en arrière et puissent dire :
« Ils ont continué la marche ».
Rappelons-nous la phrase de Raphaël Lemkin, le juriste qui a « inventé » le mot génocide :
« Si nous croyons que nous ne sommes pas capables de faire cela, c’est nous qui sommes dangereux. »
Par Thomas Ginsburger-Vogel
Président de l’AFMD 44*
* Amis de l a Fondation de la Mémoire de la Déportation

Saint-Nazaire, terre de Résistance (suite)

2- La lutte clandestine

Dès le début de l’Occupation, des personnes ont manifesté leur opposition ou exprimé leur refus par des attitudes ou des actes de désobéissance. C’était la résistance, elle n’est devenue la Résistance que plus tard, lorsque des mouvements se sont développés, structurés, lorsque des couches sociales diverses se sont reconnues dans ce mouvement et y ont contribué et lorsqu’elle s’est unifiée. Bref, lorsqu’elle est devenue un mouvement social, un phénomène historique. « La Résistance en tant qu’expression d’une force politique n’émerge qu’au début de 1942 » selon l’historien Jean-Marie Guillon et « l’expression est définitivement consacrée lorsque, en 1943, le Conseil national de la Résistance est créé. »(1) Il faut imaginer le contexte et le climat de l’époque. 1940, la défaite, la débâcle, le chaos, des millions de réfugiés sur les routes et d’énormes illusions et malentendus, beaucoup de confusion. Pas de smartphone ni de réseaux sociaux à l’époque pour s’informer, échanger, se rencontrer. La presse est muselée ou interdite si elle n’est pas aux ordres.

Témoignage de Rémy Jégo:« Lorsque, après la débâcle, le chantier a repris son activité normale, j’ai été contacté en octobre 1940, par André Riguidel, membre des Jeunesses communistes. Avec Robert Jousset et Louis Cadro, nous distribuions des tracts appelant à la résistance à Méan et Penhoët et aussi dans les chantiers où nous pénétrions malgré la présence des Allemands. Après une période de flottement, nous avons, au cours du printemps 41, été recontactés par Godeau. A la gare de St-Nazaire, nous avons eu un entretien avec Jean Vignau-Balous, responsable fédéral des JC, mort en déportation. Quelque temps plus tard, le 22 juin 1941, exactement, nous avions rendez-vous avec lui à Nantes, place Louis XVI (…) Personne au rendez-vous. (…) Vers septembre 1941,, c’est René André qui nous fournissait en tracts et journaux clandestins: L’Humanité et France d’abord. J’ai été arrêté le 12 juin 1942 avec Babonneau, Carré, Cerclé, Rannou, Pichard, et Coleou, interné d’abord à Voves puis à Pithiviers. En juin 1944, j’obtins une permission pour assister aux obsèques de mon père. Au retour, conseillé par Quénéhervé, je pris le train, descendis à contre-voie et retrouvai Joseph Montfort sur la route de Bouvron. Je passai dans la clandestinité et devins responsable des réfractaires (3) en Vendée et terminai lieutenant FFI sur le front de Pornic. Mon camarade Robert Jousset, responsable d’un groupe FTP, (4) fut arrêté le 7 août 1944, emprisonné puis déporté à Mauthausen. Il mourut quelques jours après la libération du camp. »

Témoignage d’Ernest Pichon – Démobilisé le 1er septembre 1940, il est embauché comme menuisier par la mairie. Au début de 1941, il est contacté par Emile Bertho. Leur activité consiste à distribuer des tracts à la volée ou la nuit dans les boîtes aux lettres et saboter des lignes électriques ou téléphoniques. Muté à Trignac avec Pierre Durand, René Dubois, Albert Lumeau, ils travaillent sous les ordres d’un soldat allemand qui les laisse bricoler. C’est ainsi qu’il peut fabriquer un linographe, un cadre en bois de la taille d’un stencil et un rouleau de bois recouvert d’un bout de chambre à air pour étaler l’encre. « Déjà la répression se faisait sentir. Des camarades étaient arrêtés, d’autres étaient recherchés et disparaissaient dans la nature. Il fallait combler les vides et c’est ainsi que je me suis retrouvé dans le triangle de direction avec Emile Bertho et Pierre Mahé ». Il effectue la liaison avec Nantes et après diverses actions, il est arrêté le 5 août 1942 à St-Brévin et transféré à Nantes aux mains du SPAC(5). Quand il sort de l’interrogatoire, il est méconnaissable, mais il n’a pas lâché un nom. En février 1943, avec 25 autres communistes, il passe devant la Cour spéciale de Rennes présidée par le conseiller Hervieu. Outre les Nantais, se trouvent là les Nazairiens Emile Bertho, François Bretéché, René Desmars, Pierre Mahé, Gérard Périco, Marcel Pichard, tous ouvriers à la SNCAO, (6) André Pilliaire, ouvrier aux Fonderies, Lucien Cervier, plombier. Trois Nantais sont acquittés. Tous les autres sont condamnés à des peines de 1 à 4 ans de prison et seront envoyés dans des camps de concentration.

Témoignage de Robert Averty – « Dès juillet 1940, avec Jean Dréan, nous rédigions et diffusions des tracts contre l’occupant, tirés chez un camarade au Petit Maroc. Nous recrutions des jeunes pour le travail clandestin: André Riguidel, Robert Jousset, Rémy Jégo, puis un peu plus tard Jules Busson, Louis Gravouil, Dunay etc. qui participaient à la diffusion du matériel »
Une nuit, depuis le balcon du cinéma Athénée, ils peignent – Ollivier, Pasquier, Dunay et lui – sur la belle façade rose du cinéma, en noir, au goudron et en lettres d’un mètre de haut « Vive l’URSS ». Les Allemands font tout repeindre en noir. Les résistants reviennent quelques jours plus tard avec de la peinture blanche pour repeindre la même inscription.
Ils participent à de multiples sabotages. Averty conduisait un fenwick, sur lequel il transportait des pièces de sous-marins. Parfois en sortant de l’atelier, il donnait un coup de frein brutal et les culasses s’abîmaient en tombant sur le sol.
En 1941, leur groupe a reçu des tracts en allemand qu’ils ont distribuées dans les vestiaires des marins et ouvriers allemands. En juillet 1942, Averty voit au Vieux St-Nazaire, la traction noire de la police et reconnaît Jules Busson, encadré par des policiers. Il comprend qu’il vaut mieux se mettre au vert et se planque à Machecoul. En février 1943, il revient à Gavy et rencontre Joseph Montfort qui le charge du recrutement, de la diffusion des tracts et de la réparation des armes.

Témoignage de Joseph Montfort -« Arrêté pour distribution de tracts communistes pendant la drôle de guerre, j’ai été interné à Nantes, puis à Rennes. Dans cette dernière prison, dans la cellule voisine de la mienne, se trouvait l’archevêque de Rennes incarcéré pour avoir, au cours d’un sermon dominical, critiqué le bombardement allemand qui avait fait beaucoup de victimes parmi la population (7). Ayant reçu un mandat, j’ai insisté auprès des Allemands pour aller à la poste. On m’y a conduit en voiture. Le chauffeur est resté assis dans l’auto, lisant son journal. Bizarre… Arès avoir touché le mandat, je me suis éclipsé par une porte de derrière. Et je suis tranquillement revenu à St Nazaire.
Révoqué par la Caisse des assurances sociales, j’ai été embauché par la ville. Ganachaud m’a demandé d’immatriculer tous les gars embauchés à la Base, qui n’avaient aucun papier, en particulier les Républicains espagnols que le gouvernement de Pétain avait libérés d’Argelès pour les livrer aux Allemands.
A la Base nous étions une bonne équipe de camarades: Ganachaud, Godeau, Bertho etc. Nous distribuions des tracts, pratiquions des sabotages et collections des renseignements sur l’ennemi.
Le 1er aout 1941, deux inspecteurs de police viennent me chercher et m’emmènent au commissariat où je retrouve: Alexis Bocéno, Armand Bonay, Marceau Chabot, Pierre Durand, René Tournabie, Fernand Beccard, Félix Bénize, André Constantin, Auguste Mahé et Pierre Genevoix.
Nous sommes internés tous les onze au camp de Châteaubriant. Le 7 mai 1942, enchaînés trois par trois, nous sommes transférés au camp de Voves. Fin 1942, je suis à l’hôpital de Chartres pour une opération. Nous tissons, un camarade breton et moi, une grande corde avec de la serpillière et nous tentons l’évasion. Mon copain descend le premier. La corde, frottant sur une corniche aux arêtes pointues, se casse au 1er étage. Je regarde: le copain est tombé brutalement et ne bouge plus. Je frappe violemment à la porte: « Un gars s’est suicidé ». On ouvre. La porte d’entrée n’est pas fermée: je fonce. « Arrête, arrête », je cours, le copain se relève et on se sauve. On se planque dans une buanderie. Le matin, une jeune employée arrive. « N’ayez pas peur, nous ne sommes pas des bandits, nous sommes des prisonniers évadés. » Son patron, un docteur est affolé. « Je viens de sortir d’un camp de prisonniers. Si on vous trouve ici…Je pars à huit heures. Je laisserai la porte ouverte. Je ne veux pas vous voir ici ce soir. » « Ne vous inquiétez pas, nous n’y serons plus. » Il me donne pansements et médicaments pour soigner mon camarade. Nous partons. Après mille péripéties, nous retrouvons le contact avec le parti. Je suis envoyé à Camaret. Il faut des explosifs pour nos FTP : j’embauche à l’Organisation Todt.
En avril 1943, je reviens à St -Nazaire voir ma femme et mes enfants et je demande à Rutigliano, responsable régional, l’autorisation d’être muté du Finistère en Loire-inférieure. Autorisation accordée. J’ai alors travaillé avec les groupes de Lecontel (Savenay), de Quénéhervé (Pontchâteau) et de Bourmaud (La Baule).
A la formation de la Poche, j’ai rejoint le 2ème Bataillon FTP ».

A Saint-Brévin – Maurice Piconnier et ses camarades distribuent des tracts, pratiquent aussi de nombreux sabotages, tendent des fils de fer au travers de la route pour apprendre aux motocyclistes allemands à « faire de la voltige ». Maurice est arrêté le 31 août 1941 et incarcéré au camp de Châteaubriant puis au camp de Voves d’où il s’évadera… Robert Albert et Louis Coquet seront arrêtés le 11 août 1943, torturés par la Gestapo et fusillés le 27 octobre à Angers. Raymond Chalopin, arrêté en même temps qu’eux, sera déporté à Buchenwald.

Henri Fogel, toute sa famille est morte à Auschwitz – Pour voyager, il fallait posséder un ausweiss portant les cachets officiels. Il essaie de fabriquer un cachet en gravant une pomme de terre, mais le résultat n’est guère satisfaisant. Au début de 1941, il va dans un bureau allemand avec un copain et pendant que celui-ci demande des renseignements, Fogel subtilise un cachet. Avec son ausweiss, il effectue plusieurs voyages en camion à St Jean-le-Vieux, dans les Pyrénées. En plus du matériel que Louis Guilbaud, le chauffeur, transporte pour le compte de la SNCAO, ils transportent aussi clandestinement le courrier que les Espagnols du camp Franco destinent à leurs familles. Un jour, Allanet l’avertit: « Tu dois absolument partir. Selon les renseignements qui nous parviennent, ton arrestation est imminente ». Il passe la route de démarcation vers Châteauroux, s’intègre au maquis d’Oradour-sur-Vayres, libère les détenus de la prison de Nanton. Après la Libération, il apprend que son père, sa mère et 24 autres membres de sa famille sont morts à Auschwitz. Les enfants de sa sœur ont été tués à coups de marteau sur les genoux de leur grand-père.

NB – Le témoignage de Marthe Gallet reste disponible sur le site www.resistance-44.fr sous le titre Marthe Gallet, de St-Nazaire à la Libération de Paris.

Sources
AREMORS, Saint-Nazaire et le mouvement ouvrier, t. 3 – 1939-1945, éditions Aremors, 1986
Le collectif AREMORS annonce la publication en 2021, aux éditions du Petit Pavé, d’un nouvel ouvrage intitulé (provisoirement) Saint-Nazaire, mémoire sociale et histoire populaire.
Site d’Aremors : https://sites.google.com/view/aremors
Notes
1 – François Marcot (dir.), Dictionnaire historique de la Résistance,Robert Laffont, 2006
2 – Les témoignages cités ont été recueillis par les auteurs du collectif Aremors
3 -Il s’agit des réfractaires au STO, le Service du Travail obligatoire, en Allemagne
4 – FTPF: Francs-Tireurs et Partisans Français, prolonge l’OS vers la fin de 1941 pour développer la lutte armée.
5 – le SPAC: Service de Police Anti Communiste
6- SNCAO: en application de la loi de nationalisation des industries aéronautiques du 11 août 1936, Loire-Nieuport devient la Société nationale des constructions aéronautiques de l’ Ouest
7 – Bombardement de Rennes le 17 juin 1940. Voir notre article sur l’évasion du Jean-Bart