Comité Départemental du Souvenir des Fusillés de Châteaubriant de Nantes et de la Résistance en Loire-Inférieure

Les poètes de la Résistance et le groupe Manouchian

« La poésie a pris le maquis » disait Paul Eluard, traduisant ainsi l’engagement de très nombreux poètes avec leurs propres armes dans la Résistance. Après la Libération, ils ont participé à la construction de la mémoire des « étrangers et nos frères pourtant » qui ont donné leur vie et nous ont donné la liberté en héritage.

« Alors que les Nazis donnaient à leur entreprise une allure de croisade – en vérité, ils voulaient dominer et exterminerafin de s’approprier tout, être les maîtres – le destin de l’homme, son avenir se trouvaient mis en jeu par l’occupation étrangère. C’est de ce destin que les poètes prirent conscience. Sauver l’homme de l’humiliation, de l’avilissement et de l’écrasement devint action, réaction spontanée, écriture. Au-delà des difficultés et des interdits, les poètes français ne furent pas sans voix. » écrit Pierre Seghers en avant-propos à La résistance et ses poètes. Seghers 1974. Réédition 2022 -2 volumes.

Le poème d’Aragon, publié pour la première fois dans L’Humanité en 1955.          « Poème écrit pour l’inauguration d’une rue Groupe Manouchian à Paris » précise Aragon. Il l’a écrit sur une proposition du résistant toulousain Claude Lévy.  Après un échec le 15 mars 1951, Albert Ouzoulias (ancien FTP, colonel André) et Madeleine Marzin, résistante, désormais conseillers municipaux, par délibération unanime du Conseil municipal de Paris, le 28 octobre 1954, les impasses Fleury et du Progrès sont réunies en une unique voie : rue du Groupe Manouchian dont l’inauguration est fixée au 6 mars 1955. Dans un courrier en date du 25 décembre 1954, Mélinée Manouchian adresse au poète le texte de la dernière lettre de Missak. De fait, Aragon s’est inspiré de  la prose testamentaire de Missak en une réécriture en 12 alexandrins, imprimés en italique.

Le poème, mis en musique en 1961 par Léo Ferré qui lui donna le titre L’Affiche rouge, fut ensuite publié dans le recueil Le Roman inachevé (Gallimard) en 1956 sous le titre Strophes pour se souvenir.

La première interprète du poème devenu chanson fut Monique Morelli en 1961, suivie de Léo Ferré. De nombreux interprètes l’ont inscrite à leur répertoire : Lény Escudéro, Bernard Lavilliers, Mar Ogeret, Jacques Bertin, Natacha Bezriche, Grégoire, HK sur une musique aux accents orientaux, et Feu ! Chatterton (choisi pour la cérémonie d’entrée au Panthéon)

« Strophes pour se souvenir »                                                                            

Vous n’avez réclamé la gloire ni les larmes
Ni l’orgue ni la prière aux agonisants
Onze ans déjà que cela passe vite onze ans
Vous vous étiez servis simplement de vos armes
La mort n’éblouit pas les yeux des Partisans

Vous aviez vos portraits sur les murs de nos villes
Noirs de barbe et de nuit hirsutes menaçants
L’affiche qui semblait une tache de sang
Parce qu’à prononcer vos noms sont difficiles
Y cherchait un effet de peur sur les passants

Nul ne semblait vous voir français de préférence
Les gens allaient sans yeux pour vous le jour durant
Mais à l’heure du couvre-feu des doigts errants
Avaient écrit sous vos photos MORTS POUR LA FRANCE
Et les mornes matins en étaient différents

Tout avait la couleur uniforme du givre
À la fin février pour vos derniers moments
Et c’est alors que l’un de vous dit calmement
Bonheur à tous Bonheur à ceux qui vont survivre
Je meurs sans haine en moi pour le peuple allemand

Adieu la peine et le plaisir Adieu les roses
Adieu la vie adieu la lumière et le vent
Marie-toi sois heureuse et pense à moi souvent
Toi qui vas demeurer dans la beauté des choses
Quand tout sera fini plus tard en Erivan

Un grand soleil d’hiver éclaire la colline
Que la nature est belle et que le cœur me fend
La justice viendra sur nos pas triomphants
Ma Mélinée ô mon amour mon orpheline
Et je te dis de vivre et d’avoir un enfant

Ils étaient vingt et trois quand les fusils fleurirent
Vingt et trois qui donnaient leur cœur avant le temps
Vingt et trois étrangers et nos frères pourtant
Vingt et trois amoureux de vivre à en mourir
Vingt et trois qui criaient la France en s’abattant.

Louis Aragon,                                                                                                                                                  « Strophes pour se souvenir », in Louis Aragon, Le Roman inachevé, Paris, 1956.
© Éditions Gallimard, 1956

Aragon n’est pas le seul à avoir dédié un poème à la mémoire  du groupe Manouchian, c’est également le cas de Paul Eluard qui a publié Légion.

Légion

Si j’ai le droit de dire en français aujourd’hui

Ma peine et mon espoir, ma colère et ma joie

Si rien ne s’est voilé définitivement

De notre rêve immense et de notre sagesse

C’est que des étrangers comme on les nomme encore

Croyaient à la justice ici bas et concrète

Ils avaient dans leur sang le sang de leurs semblables

Ces étrangers savaient quelle était leur patrie

La liberté d’un peuple oriente tous les peuples

Un innocent aux fers enchaîne tous les hommes

Et qui se refuse à son cœur sait sa loi

Il faut vaincre le gouffre et vaincre la vermine

Ces étrangers d’ici qui choisirent le feu

Leurs portraits sur les murs sont vivants pour toujours

Un soleil de mémoire éclaire leur beauté

Ils ont tué pour vivre ils ont crié vengeance

Leur vie tuait la mort au cœur d’un miroir fixe

Le seul vœu de justice a pour écho la vie

Et lorsqu’on n’entendra que cette voix sur terre

Lorsqu’on ne tuera plus ils seront bien vengés.

Et ce sera justice.

Paul  ELUARD                                                                                                                recueil Hommages, 1950 –  Réédition Œuvres complètes, Pléiade, 1968

Missak Manouchian fut également poète. Nous publions ci-dessous l’un de ses poèmes, traduit par Gérard Hékimian, extrait de l’anthologie La poésie arménienne. Rouben MELIK, Editeurs Français réunis, 1973 Une édition bilingue de 56 poèmes Ivre d’un grand rêve de liberté vient de paraître aux éditions Points Poésie.

LE MIROIR ET MOI

Dans tes yeux de la fatigue et sur ton front tant de rides,
Parmi tes cheveux les blancs, vois, tant de blancs camarade…
Ainsi me parle souvent l’investigateur miroir
Toutes les fois que, muet, je me découvre seul en lui.

Tous les jours de mon enfance et les jours de ma jeunesse
Je – cœur parfois tout disjoint – les brimais pour l’holocauste
Sur l’autel des vanités tyranniques de ce temps,
Naïf – tenant pour abri l’espoir tant de fois promis.

Comme un forçat supplicié, comme un esclave qu’on brime
J’ai grandi nu sous le fouet de la gêne et de l’insulte,
Me battant contre la mort, vivre étant le seul problème…
Quel guetteur têtu je fus des lueurs et des mirages !

Mais l’amertume que j’ai bue aux coupes du besoin
S’est faite – fer devenue – que révolte, qu’énergie :
Se propageant avec fureur mon attente depuis
Enfouie jusqu’au profond du chant m’est cri élémentaire.

Et qu’importe, peu m’importe :
Que le temps aille semant sa neige sur mes cheveux !
Cours fertile qui s’élargit et qui s’approfondit
Au cœur de toute humanité très maternellement.

Et nous discutons dans un face-à-face, à « contre-temps »,
Moi naïvement songeur, lui ironique et lucide;
Le temps ? Qu’importe ce blanc qu’il pose sur les cheveux :
Mon âme comme un fleuve est riche de nouveaux courants.

Missak MANOUCHIAN

Le groupe Manouchian FTP -MOI et la Loire-Inférieure

Récit d’Arsène TCHAKARIAN

Dans son livre Les Francs-Tireurs de l’Affiche rouge, Arsène Tchakarian, le dernier survivant du groupe Manouchian, fait le récit des actions réalisées par ce groupe entre le 17 mars et le 12 novembre 1943, période pendant laquelle Missak Manouchian en était le commandant militaire. Plusieurs  de ces actions concernent Nantes et la Loire-Inférieure. En voici le récit.

Le 22 octobre 1943, 2ème anniversaire des fusillades de Châteaubriant et Nantes

C’est vers le milieu d’octobre 1943 que Manouchian1 reçut un message du commandement militaire national des FTP, lui recommandant de prendre des dispositions en vue d’exécuter des actions spectaculaires contre l’armée d’occupation pour commémorer, le 22 octobre, l’anniversaire des exécutions par les nazis des 27 otages dans la carrière de Châteaubriant, des 21 de Nantes et du massacre des 50 otages de Bordeaux2.

Deux attaques furent prévues pour ce jour anniversaire: l’une contre un foyer de la Gestapo, le café de La Terrasse, l’autre dans un salon-bar à l’angle de la rue de Hanovre et de la rue de Choiseul.

Ces deux attaques anniversaires furent accompagnées d’un message à l’adresse du commandement allemand l’avertissant qu’à chaque otage exécuté par les nazis, les francs-tireurs répondraient par l’exécution d’un nombre égal d’officiers et de soldats allemands.

Une attaque contre la Gestapo

« Geheime Staatspolizei (GESTAPO): nom de la police secrète d’Etat qui fut l’un des éléments de la puissance du national – socialisme, chargée dans les pays occupés par l’Allemagne de 1939 à 1945 de la lutte contre les patriotes et les résistants. Elle se signala par ses procédés odieux (recours à la délation, otages) et barbares (tortures et exécutions) »

Cette définition de la Gestapo que donne l’encyclopédie Quillet ne reflète que trop rapidement ce qu’elle fut en réalité. Ceux qui ont subi ses sévices et dont le témoignage a été sollicité lors des procès des criminels de guerre – le procès de Nuremberg entre autres – n’en ont parlé que contraints, avec réserve, plus même, avec gêne, comme de l’inavouable. Tant les tortures qu’ils ont vécues dépassent en horreur ce que l’humain peut entendre. Mais il faut redire, sans que ce soit  s’y attarder avec complaisance, oui il faut redire de quelles méthodes a usé la Gestapo, quel traitement attendait ceux qui étaient tombés ente leurs griffes: arrachage des ongles, brûlures de cigarettes sur le visage et sur les mains, corps plongé et maintenu de force dans une baignoire d’eau glacée jusqu’à la limite de la noyade. Ecrasement des doigts sous une presse à papier. Pendaison par les pieds pour augmenter la pression du sang dans la tête, tandis que plusieurs brutes spécialisées frappaient à la cravache ou au gourdin, envoyaient des coups de pied dans le ventre, sur les côtes, cassaient les dents, la mâchoire. Menaces de fusiller le père, la mère, le frère dans les heures à venir si le prévenu ne parlait pas. Il arrivait que des « innocents » soient arrêtés par erreur. Après avoir subi ces atroces tortures, les malheureux étaient relâchés mais on exigeait d’eux auparavant de signer une déclaration promettant de ne pas dévoiler ce qu’ils avaient enduré, sous peine d’être fusillés.

Ces policiers de la Gestapo, ces tortionnaires professionnels venaient le soir, sans doute pour se délasser de leurs « rudes journées », dans les cafés ou restaurants qui leur étaient plus ou moins réservés. Un des plus célèbres de ces cafés était La Terrasse, avenue de la Grande-Armée, près de la porte Maillot, exclusivement réservé à la Gestapo. Comme rue de Hanovre, ici se pratiquaient l’échange, la vente, l’achat des objets de valeur dérobés par les policiers dans les appartements au cours d’arrestations ou de perquisitions. Je l’ai visité après la Libération : j’y ai découvert un sous-sol, à l’arrière-salle, où se tenait ce trafic.

Le service de renseignements a signalé à Manouchian cet important repaire de la Gestapo. Ce qu’il ira vérifier sur place, en compagnie de Marcel Rayman3.

Tous deux observent les allées et venues des usagers de La Terrasse. Leur dégoût à la vue des bourreaux venus s’amuser n’a d’égal que leur volonté de les supprimer. Ils explorent minutieusement le quartier. A l’intérieur et à l’extérieur du café veillent deux ou trois inspecteurs. Alentour, un impressionnant déploiement de policiers et de militaires. Les dangers sont innombrables; il faudra beaucoup de courage et d’audace.

En dépit des difficultés, Rayman et ses camarades de l’équipe spéciale ont à cœur de réaliser l’attentat contre La Terrasse au jour demandé: le 22 octobre. C’est un vendredi. En fait, chaque vendredi soir, La Terrasse est archicomble.

Le plan, soigneusement réfléchi, mesuré, minuté, va se dérouler comme prévu, à la seconde près, au mètre près. Chaque homme de l’équipe est à son poste, prêt à accomplir très exactement sa tâche, mais prêt aussi à improviser si les nécessités l’exigent. 19h30:

Léo Kneler4, l’allure désinvolte, l’élégance discrète, le pas tranquille, se présente à la porte de l’établissement. Dans un allemand impeccable, il salue l’agent en faction. Il ouvre et lance vigoureusement une grenade dégoupillée au milieu de la salle. Ultra-rapide, il fait demi-tour et court vers Rayman, posté vingt mètres plus loin. Un inspecteur en civil a vu le geste de Kneler. Il le poursuit en sifflant, son arme braquée sur lui.

Les balles d’Alfonso5, invisible, surgissant comme par enchantement, l’arrêtent net. Il s’écroule. Le deuxième inspecteur s’élance alors derrière Alfonso. Il trouve face à lui Rayman qui, avec son sang-froid habituel, lui administre le même remède qu’à son collègue.

Pendant ce temps, la grenade explosait dans la salle, blessant sans doute des policiers. Ceux qui cherchaient à sortir se butaient aux tables, aux chaises, piétinant les corps étendus sur le sol, blessés ou morts. Les verres se renversaient. La panique était à son comble.

Dehors, l’agent de police a disparu. L’équipe spéciale, elle, s’est volatilisée par les rues entourant la Place de l’Etoile.

La deuxième opération est confiée au 3ème détachement. Elle vise le café-bar-salon situé à l’angle des rues de Hanovre et de Choiseul, tout près de l’Opéra et de la Kommandantur du Grand Paris.

A 20 heures, la salle est pleine d’officiers des différents corps d’armes, de membres de la Gestapo en uniforme ou en civil, de collaborateurs et trafiquants de tout poil, tous attablés, buvant le champagne en compagnie de dames galantes. La nuit commence à tomber, propice aux quatre francs-tireurs qui font le guet: les matricules 10 613, 10 293, 10 288 que je suppose être le responsable du groupe, et 10 611, le seul dont je connaisse le nom, le Breton Georges Cloarec6. Ils doivent tout à la fois passer inaperçus et être attentifs à tout ce qui survient de prévu ou d’inattendu.

Ils comptent encore une vingtaine d’Allemands qui pénètrent dans le bar d’où monte le bruit des rires. 20h25 : prêts à sortir leur pistolet automatique, deux francs-tireurs, dans l’ombre, surveillent non loin de la porte pour protéger deux grenadiers postés à l’angle de la rue, attendant l’ordre de l’attaque. A 20h30, le chef d’équipe donne le signal : immédiatement, nos deux grenadiers s’élancent vers la porte d’entrée, font irruption dans la salle au milieu de laquelle ils lancent leurs deux grenades, pour rebondir aussitôt à reculons vers l’extérieur.

Comme ce lieu de rendez-vous n’est pas réquisitionné par les troupes d’occupation, aucune protection particulière n’est prévue par la police ; il n’y a donc pas de policiers en tenue ou en civil. Le quartier n’en fourmille pas moins de militaires. La rapidité de l’attaque et de la retraite a été telle que les Allemands n’ont rien vus. Les francs-tireurs placés en défense n’ont pas eu à intervenir.

Avant même l’explosion des grenades, les quatre combattants, déjà loin, se fondent dans le noir des rues étroites ; ils les connaissent comme leur poche pour les avoir arpentées nombre de fois dans les jours précédents pendant l’élaboration du plan. Ils savaient de quelle promptitude il fallait faire preuve ici, à quelques centaines de mètres seulement de la Kommandantur !

D’après les renseignements recueillis à l’époque, l’explosion a produit un carnage sans précédent. Ce beau monde connut l’enfer. Au milieu d’une fumée dense jaillissaient les cris des femmes mêlés aux hurlements des militaires et des trafiquants. Tables bousculées, chaises renversées, blessés piétinés (principalement des femmes), panique générale vers la sortie. Les ambulances n’avaient pas commencé l’évacuation des blessés et des morts de l’avenue de la Grande-Armée que les francs-tireurs frappaient encore plus durement leur seconde cible près de l’Opéra. En tout, une trentaine de blessés et de morts furent transportés au cours de la nuit.

1 – Missak MANOUCHIAN, pseudonyme Georges,  matricule 10 300 est un Arménien, né le  1er septembre 1906 à Adyaman (Trurquie), célibataire sans enfant, Arménien,  tourneur sans travail demeurant 11 rue de Plaisance Paris 14ème,  commissaire militaire de la M.O.I., fusillé le 21 février 1944. Son portrait figue au centre de L’Affiche rouge.

2 –  27  à Châteaubriant, 16 au Bêle à Nantes et 5 au Mont-Valérien;    50 à Souge près de Bordeaux

3 – Marcel RAYMAN, pseudonyme Michel, matricule 10 305, est un juif de Pologne, né le 1er mai 1925 à Varsovie, tricoteur sans travail, demeurant officiellement 1 rue des Immeubles industriels mais résidant dans l’illégalité 58 boulevard Soult Paris 12ème sous le nom de Rougemont. Il militait depuis 1940 aux Jeunesses communistes juives dans le 11ème et a fait partie du 1er détachement de la M.O.I. avant d’entrer dans l’équipe spéciale. Fusillé le 21 février 1944. Son portrait figure à droite de Manouchian sur L’Affiche rouge.

4 – Léo KNELER  (parfois orthographié Kneller), pseudonyme Marcel, matricule 10318, est un antifasciste allemand.

5 – Celestino ALFONSO, pseudonyme Pierrot, matricule 10 161 et 10 608 est un Espagnol, né en 1916 à Ttuéro Azaba (Espagne), célibataire sans enfant, menuisier sans travail, demeurant 16 rue de Tolbiac Paris 13ème. Ancien combattant des Brigades internationales, dans l’illégalité depuis 1941, fusillé le 21 février 1944, son portrait figure à gauche de Manouchian sur L’Affiche rouge.

6 – Georges CLOAREC,  pseudonyme Marc, matricule  10 611 est un Français, né le  22 décembre 1923 à Saint-Lubin (Eure et Loir), célibataire sans enfant, ouvrier de culture sans travail, domicilié à Droisy mais résidant en fait 15 boulevard Lamouraux à Vitry/Seine sous le nom de LAURENT Philippe, fusillé le 21 février 1944.

Pour répondre à l’exécution de 11 résistants fusillés au Bêle en août 1943,

à l’issue du « procès » dit des 16

Mercredi 8 septembre 1943 – Une décision du CMN (Comité militaire national) fut transmise au commandement des francs-tireurs parisiens en vue d’exécuter plusieurs actions contre les troupes d’occupation dans la région parisienne pour répondre à l’exécution de onze otages à Nantes le 25 août.1

Contrairement à l’habitude, un délai de vingt-quatre heures seulement était laissé aux francs-tireurs pour préparer les actions.

Plusieurs équipes (sept, je pense) sont alertées d’urgence. Manouchian laissa à chacune, dans le quartier qui lui était imparti, l’initiative du choix de sa cible. Voici ce que les FTP-MOI ont accompli le même jour :

                Première équipe: à 12h45, à l’angle de la rue de la Chapelle et de la rue Dieumegard à Saint-Ouen, près du pont de chemin de fer Paris-Nord, Steva Arias2 lance sa grenade sur un camion de feldgendarmes, protégé par le Portugais 10 606, et les matricules 10315 et 10 016 dont les noms me sont inconnus.

                Deuxième équipe : Arturo3 et le matricule 10262 exécutent deux feldgendarmes, à Argenteuil.

                Troisième équipe : à Paris, dans le 5ème, les matricules 10293, 10 609 et 10 288 exécutent deux sous-officiers venant de la rue Saint-Jacques alors qu’ils s’apprêtaient à pénétrer dans la rue de la Harpe.

                Quatrième équipe : porte d’Orléans, rue de la Voie-verte (aujourd’hui rue du Père-Corentin), à 20 mètres du boulevard Jourdan et de la station de métro, l’objectif est un café exclusivement fréquenté par des soldats allemands. La salle est archipleine. C’est Kostantinian4 qui lance la grenade, moi qui suis sa défense.

Ce café fut ensuite fermé pendant plusieurs mois, le propriétaire ayant cru que l’attentat était dirigé contre lui. Le communiqué indique que cette équipe devait opérer dans le secteur de la place Clichy. A la dernière minute,  elle a préféré changer de terrain.

                Cinquième équipe : rue de la Convention, Slama Grzywacz5 et le matricule 10207 exécutent un soldat, puis deux cents mètres plus loin, quinze minutes après, un autre dans la rue de Vaugirard.

                Sixième équipe : Witchitz6 et Rouxel7 abattent deux soldats boulevard Masséna, près de la porte d’Ivry.

D’autres actions ont été signalées, aucun document ni aucun témoignage ne me permettent, hélas, de les confirmer.

Quoi qu’il en soit, la décision du CMN fut exécutée avec rapidité et succès par les francs-tireurs.

1- Dans une note, l’auteur indique: « C’est bien ce qu’affirme le rapport d’activité rendant compte de ces actions, sans que l’on puisse dire à quel événement exact il se réfère. » Il s’agit de toute évidence des onze résistants fusillés au stand de tir du Bêle, à Nantes le 25 août 1943, à l’issue du « procès » dit des 16.

2 -Steva ARIAS, pseudonyme Pacha, avait le matricule 607. Il était Espagnol

3 – ARTURO est le pseudonyme d’un Italien portant le matricule 10 241

4 – Alexandre KOSTANTINIAN, matricule 10 307, est un Arménien né en 1904

5 – Slama GRZYWACZ  est né en 1909 à Wolomin, en Pologne.  A l’âge de 16 ans,  il s’engage aux Jeunesses communistes. Persécuté par la police, condamné à cinq ans de prison, il s’enfuit en France et arrive à Paris en 1937 où il est hébergé par les Krasucki (également originaires de Wolomin). Il s’engage dans les Brigades internationales et part combattre en Espagne. Après la défaite républicaine, il est interné dans les camps de Gurs et Argelès mais réussit à s’évader. Sous l’occupation, il devient très actif dans le mouvement syndical clandestin de la fourrure et rejoint les FTP-MOI parisiens.

6 – Robert WITCHITZ, né le 5.8.1924 à Abscon (Nord), célibataire sans enfant, Français, manœuvre sans travail, il est domicilié 10 ruelle des Badicots à Ivry/seine, mais réside depuis 2 mois au 84 rue de Montreuil à Paris sous le nom de « Legros ». Il est connu au détachement sous le pseudonyme « René ».

7 – Roger ROUXEL, est né le 3.11.1925 à Paris 6ème, célibataire sans enfant, mécanicien, il est domicilié chez ses parents 135 voie Bacchus à Vitry/Seine, membre du détachement depuis mars 1943 sous le pseudonyme de Léon.

Source: Arsène Tchakarian, Les Francs-Tireurs de l’affiche rouge,  préface de Roger Bourderon,  Messidor-Editions sociales, 1986