Choisel et Moisdon-la-Rivière. 1940-1945
Un entretien avec Louis Poulhès
A l’occasion de la parution de cet ouvrage de 407 pages, abondamment illustré, nous avons posé quelques
questions à Louis Poulhès, déjà auteur des livres : Un camp d’internement en plein Paris.
Les Tourelles 1940-1945 et L’Etat contre les communistes 1938-1944 parus en 2019 et 2021 chez le
même éditeur.
*Pourquoi un tel ouvrage ? Le camp est connu pour les internés qui y ont été fusillés comme
otages,notamment GuyMôquet, Jean-PierreTimbaud, Charles Michels. Paradoxalement, l’histoire
du camp a été assez peu étudiée. La mémoire des fusillés a contribué à la reléguer un peu dans
l’ombre. Le livre ne porte pas seulement sur Choisel,mais aussi surMoisdon-la-Rivière, un camp
ouvert en novembre 1940 pour des nomades, transférés ensuite à Choisel fin février début mars 1941,
puis renvoyés à Moisdon début septembre 1941.
Les deux camps ont fait l’objet d’une gestion commune jusqu’au transfert de tous les internés dans
d’autres camps de la zone occupée dans la première quinzaine de mai 1942. Sous l’Occupation, le
camp de Moisdon-la-Rivière a donc fonctionné de novembre 1940 à février 1941, puis de septembre
1941 à mai 1942, celui de Choisel de mars 1941 à mai 1942. Leur histoire ne doit pas être dissociée.
*Comment avez-vous travaillé ? Comme pour tout travail historique de fond, le recours aux archives est indispensable. La plupart des documents sont conservés aux archives départementales de LoireAtlantique, mais aussi aux
archives de la préfecture de police à Paris, aux archives d’Eure-et-Loir et du Maine-et Loire et d’autres
encore. J’ai croisé ces documents avec les informations issues des internés eux-mêmes : journaux
des internés, correspondances avec leurs familles, témoignages et mémoires.
*Votre éditeur précise que vous avez conçu votre ouvrage « en dehors de tout esprit polémique
et d’idéalisation ». Pourquoi ce commentaire ?
Il s’agit simplement d’indiquer que ce travail se veut distancié par rapport à son objet, même si
je reste très ému du sort de ces hommes, de ces femmes et de ces enfants privés de leur liberté
pour nombre d’entre eux durant des années, au-delà des seuls fusillés. En particulier, j’ai pris
soin de prendre en compte les internés autres que politiques, la mémoire commune réduisant
souvent le camp aux seuls politiques. La mémoire de ces camps, qui fait partie de leur histoire, a fait
aussi l’objet d’un chapitre du livre.
*Qu’est-ce qu’un camp d’internement ? C’est un camp qui est destiné à enfermer des individus
selon une procédure tout à fait particulière : l’internement administratif. En ce qui concerne les
politiques (principalement des communistes et des syndicalistes), les internés n’ont commis aucune
infraction, mais ils sont seulement suspectés de pouvoir en commettre. Ils peuvent aussi ne pas avoir
été libérés après avoir purgé une peine ou après avoir été absous par un juge. La décision d’internement est prise par le ministre de l’Intérieur ou les préfets (autorité administrative) et non par un juge (autorité
judiciaire). La durée de privation de liberté n’est pas limitée dans la très grande majorité des cas,
arrestations et libérations étant totalement aux mains de l’administration.
Les internés administratifs ne sont donc pas des « prisonniers » comme les autres, prévenus ou
condamnés, détenus en vertu d’une procédure judiciaire. La procédure de l’internement n’a pas
été inventée par le gouvernement de Vichy, qui a seulement élargi les publics visés à tous ceux qu’il
a considéré comme « indésirables », mais par le gouvernement Daladier sous la IIIe République.
*Combien y-a-t-il eu de camps d’internement sous l’Occupation allemande ? Leur nombre a
varié fortement dans le temps. Certains ont été très éphémères (quelques semaines) et leur taille
extrêmement variée. On peut les estimer à moins d’une trentaine pour l’ensemble de la période de
l’Occupation. Dans la zone non occupée, on distingue principalement des camps pour les étrangers
(les plus grands avec jusqu’à plusieurs milliers d’internés) et des camps pour les Français
(nettement plus petits avec de quelques dizaines d’internés à plusieurs centaines). Dans la zone
occupée, le gouvernement de Vichy est soumis à l’autorisation des Allemands. Le premier camp est
celui d’Aincourt en Seine-et-Oise créé début octobre 1940 pour les politiques, les Allemands ayant
également enjoint Vichy d’interner les nomades dès octobre-novembre 1940. L’internement des
Juifs commence principalement en mai 1941. Tous ces camps sont gérés et gardés par des Français
sous l’autorité du gouvernement de Vichy. Rares sont les camps allemands (Compiègne, Romain-
ville ou Drancy après juillet 1943).
*Combien de personnes ont été internées à Châteaubriant ? Dans les deux camps de Moisdon
et Choisel, 1601 personnes au total ont été enregistrées. Les politiques sont au nombre de 682,
soit un peu plus des deux cinquièmes (42,3% du total). Ils sont entrés à Choisel à partir d’avril 1941,
puis surtout en mai et à l’été 1941. Les nomades sont 544, soit un peu plus du tiers (34,2 %) et les
« indésirables », qui regroupent les autres catégories d’internés 375, soit un peu moins du quart
avec 23,5 %. Le maximum des internés présents à Choisel est d’environ 860 personnes à la fin août
1941. Une des originalités de l’ouvrage est de produire la liste complète de tous les internés, par
dates d’entrée, avec leurs noms, prénoms, dates de naissance, catégorie d’internement.
*Qu’est-ce qui a conduit à la fermeture du camp en mai 1942 ? Les différentes catégories d’internés
ont été transférés dans des camps spécialisés dans la première quinzaine de mai 1942 : Voves pour les
politiques, Mulsanne pour les nomades, Aincourt pour les femmes (politiques et « indésirables »),
Rouillé pour les repris de justice, Gaillon pour les « marché noir », Pithiviers pour les juifs. Le camp
de Choisel a sans doute été considéré par les Allemands comme trop connu. Les exécutions
d’otages ont en effet profondément bouleversé les Français. Vichy et les Allemands souhaitent
également spécialiser les camps. A la différence de Moisdon, définitivement fermé, Choisel a été
ré ouvert en septembre 1944 jusqu’en décembre 1945 pour les collaborateurs, puis transformé en
annexe de la prison de Fontevrault jusqu’en décembre 1946. Le camp a ensuite été détruit.
Propos recueillis par Loïc Legac