Ancenis libérée le 5 août 1944, Nantes le 12 août 1944, Saint-Nazaire et Pornic le 11 mai 1945…
Le mot Libération s’est imposé dans les grands repères mémoriaux français. L’hésitation sur la date confirme son statut de lieu de mémoire. De la Libération, on retient des images : jeunes filles souriant aux Américains, juchées sur un tank, objet éminemment symbolique, jeunes hommes ayant peint sur leurs tractions Citroën leur appartenance aux héros du jour, les FFI. Mais l’image peut se ternir avec les femmes tondues, réputées « collaboratrices horizontales ».
Relent d’un temps où les Français ne s’aimaient pas, la Libération est un révélateur des clivages nés de la guerre, et aussi des espoirs mûris dans la clandestinité. La revendication du droit aux jours heureux est le produit de l’expérience de ces Français qui ont été prisonniers, évacués, réfugiés, déportés, sinistrés, « empochés ». Ces longues années d’épreuves, de sang, de larmes, parfois d’inhumanité, fondent les aspirations à changer la vie.
La Libération est un épisode de l’histoire de la France et de ses Alliés, elle est aussi et surtout ce moment particulier où le « faire nation » à la française s’interroge sur sa régénération.
L’horizon d’attente des Français se construit autour de l’idée de débarquement mise en œuvre par les Anglo-américains le 8 novembre 1942 en Afrique du Nord. Deux fois par jour, Radio Londres émet Les Français parlent aux Français et permet de suivre l’évolution des fronts. Mais cette guerre des ondes – attestée par la rengaine Radio Paris ment, Radio Paris est allemand– se retourne partiellement contre l’émetteur et l’auditoire qui par la force de la répétition sont convaincus de l’imminence d’un débarquement en Europe. Observant l’état de l’opinion publique, le commissaire des Renseignements généraux de Nantes estime le 29 juin 1943 que « beaucoup dans cette région craignent une attaque des côtes atlantiques » ; trois mois plus tard, il réitère son jugement : « Quant au débarquement sur les côtes françaises, qui il y a deux mois paraissait être sorti des préoccupations de l’opinion publique, il est de nouveau envisagé avec de plus en plus d’acuité ». Cette versatilité apparente de l’opinion traduit son anxiété et la lecture difficile de situations contradictoires : redouter ou espérer le débarquement ? Le doute et l’incertitude incitent à l’attentisme.
L’idée de « régénération », dans ses références à la première année révolutionnaire de 1789, peut être utilisée pour approfondir le sens de l’engagement, l’émergence de propositions pour l’avenir. Ainsi, le 15 mars 1944, le programme du CNR est publié. Ce texte fondateur revendique un rôle matriciel pour le futur régime politique français. Cinq années de violences, de prises de risques seraient-elles les fondements de l’État-providence ?
La régénération du Parti communiste à partir de 1941 lui permet de sortir de l’isolement. L’attaque allemande de juin 1941 sur l’URSS change le programme du Parti : il abandonne l’idée de guerre impérialiste, prend un tournant plus patriotique, ce qui contribue au rapprochement des communistes avec le chef de la France Libre. Quelques jours après l’exécution des 50 Otages, De Gaulle s’adresse, sans les nommer, aux militants communistes, « ces Français, écartés de la Nation par l’injustice qui les révoltait et l’erreur qui les dévoyait » ; il leur propose d’utiliser cette occasion pour « rentrer dans l’unité nationale ». L’historien Pierre Nora évoque « ce moment de gaullo-communisme ».
Les FTP pratiquent, malgré les réticences du Parti et de l’Internationale, l’attentat individuel. L’année 1942 est de ce point de vue la plus intense en Loire-Inférieure : 83 attentats commis contre des lieux ou des personnes, trois exécutions de militaires allemands, trois exécutions de collaborateurs. L’année 1943 est plus calme, tout comme 1944. L’explication tient à l’ampleur des pertes subies par les jeunes résistants communistes nantais face à la milice de Darnand et à la police allemande.
Les Nantais, informés par la TSF et les journaux collabos, surveillés par la police des RG, vivent une tension contradictoire. Ils espèrent un débarquement sur les côtes normandes ou bretonnes, mais redoutent « l’anéantissement pur et simple de tout ce qui se trouve devant eux ».
Le 13 janvier 1943, Hitler proclame la « guerre totale ». La Loire-Inférieure subit déjà la prédation allemande comme les autres territoires occupés. Le pillage n’est pas estimé suffisant et le Service du Travail Obligatoire est créé. En Loire-Inférieure les réfractaires se regroupent dès janvier 1943 à Bouvron, Blain, Campbon. Le chef du groupe du maquis de Bouvron est l’abbé Henri Ploquin, vicaire. Les jeunes qui cherchent soit à « se planquer », soit à se battre, sont formés par les aînés. En mai 1944, ils mènent des expéditions contre les collaborateurs, des sabotages. Dans ses Souvenirs, l’abbé Ploquin note : « Et voici le débarquement allié dans le Calvados le 6 juin 1944. Nous attendions des ordres de mission que nous ne recevons pas. » La Libération de la France est entamée, les Alliés ont débarqué en Normandie, selon De Gaulle « la bataille suprême est engagée ». Ceux du maquis de Bouvron gagnent Saffré. Le 28 juin 1944, ils sont attaqués par les Allemands ; le rapport de force est très inégal : « 300 maquisards, mal armés, désorganisés, ne connaissant pas le responsable du maquis, s’affrontent à 2500 Allemands ». 35 sont arrêtés, transférés à la prison La Fayette à Nantes, jugés, 30 sont condamnés à mort, 27 fusillés à La Bouvardière. La condamnation à mort de l’abbé Ploquin est commuée en travaux forcés à perpétuité. Déporté, il est libéré en avril 1945.
Après Le jour le plus long, la plupart des soldats américains font route au plus vite vers le Rhin et le Reich. Cependant, après la percée d’Avranches, l’armée du général Patton se dirige vers l’ouest et libère les villes bretonnes, sauf Lorient et Saint-Nazaire : de part et d’autre de l’estuaire, jusqu’à La Roche-Bernard, jusqu’à Pornic se constitue une zone de résistance allemande pour empêcher les Alliés
d’utiliser le port : près de 130 000 civils sont « empochés ».
Nantes est libérée dans le calme par les Américains le 12 août avec l’aide des FFI : les Allemands avaient quitté la ville. L’accueil réservé aux GI aurait été moins chaleureux que celui reçu par les Sammies en 1917. On peut penser que les Forteresses volantes américaines qui ont lâché près d’un millier de bombes les 16 et 23 septembre 1943, détruisant le centre-ville de Nantes et tuant 1500 Nantais, ont marqué durablement l’opinion.
La reddition de la poche de Saint-Nazaire a lieu le 8 mai 1945, jour de la capitulation de l’Allemagne nazie. La signature se déroule à l’hippodrome de Bouvron le 11.
Il y a plusieurs façons de sortir de guerre.
Uniformes, gants blancs, serrements de mains… : le 11 mai 1945, la capitulation prend l’allure d’un rituel très ancien.
Auguste Pageot, maire de Nantes de 1935 à 1940, a exprimé, lui, dès le 13 août 1944, son agacement et sa frustration devant « cette amazone lyonnaise qui apporte les ukases d’Alger » : Lucie Aubrac participait à l’installation à Nantes du CDL.
L’évêque Villepelet rappelle à son clergé le 23 septembre 1944 : « Il n’y a plus à tenir compte de l’obligation imposée depuis 1942 aux paroisses de ne plus délivrer des actes de baptêmes antérieurs à 1900 ».
*Didier Guyvarc’h est Maitre de conférences honoraire d’histoire contemporaine à l’Université de Rennes 2 Il est l’auteur de plusieurs ouvrages sur l’histoire de Nantes, de la Bretagne et notamment de plusieurs notices du Dictionnaire de Nantes, PUR également publiées sur le site Nantes Patrimonia. Il est le co-auteur de En vie, En joue, Enjeux – Les 50 Otages, éditions du CHT