« La Résistance, ce mot qu’on voudrait voir sombrer dans l’oubli, évoque pour moi un passé déjà lointain mais qui n’a pas commencé seulement aux heures sombres de 1940 et 1941. La participation de ma famille et notamment de mon père 1 à la lutte contre le fascisme dès 1934, me portait tout naturellement à prendre parti. Les plus fidèles souvenirs, ceux que ma mémoire a fixés comme déterminants: les paroles de Gabriel Péri lors d’un meeting à Nantes où il appelait au soutien total à l’Espagne républicaine. Ce soir là, je savais que si la République espagnole était vaincue, nous aurions la guerre ! Nous étions en 1938.
De la désobéissance…
En août 1940, les troupes allemandes faisaient leur entrée à Nantes, j’avais 14 ans. Je fréquentais à cette époque le collège Aristide Briand, place de la République à Nantes. S’il n’y avait pas eu les conversations de mes parents, certaines allées et venues dans la maison, une première perquisition de la police française, puis l’arrestation de mon père, la vie aurait peut-être continué pour moi comme pour beaucoup de mes camarades de classe.
Mais, lorsque le professeur de français nous pria, dans le cadre du cours, de rédiger une lettre que tous les collégiens français devaient adresser au Maréchal Pétain, d’un bond publiquement dans la classe, je refusai de faire ce « devoir ». C’était un acte de contestation rare à l’époque, dans une classe. A la demande d’explication du professeur, je répondis tout simplement que mon père venait d’être interné administratif2 par la police du Maréchal.
Le professeur me pria d’aller la voir après les cours, elle fut des plus compréhensives, regrettant toutefois que mon refus se soit manifesté publiquement. En mon for intérieur, je regrettais cette mise en cause de son autorité, mais je n’en laissais rien paraître. Une seule chose comptait, mon refus qui avait entraîné celui de toute la classe, et, à ma connaissance, aucun devoir ne fut remis, ni à ce moment-là, ni plus tard et les répercussions allèrent bien au-delà du simple refus de composer un devoir vénérant le fantoche de l’époque.
…aux débuts de la Résistance
Peu de temps après, je fus contactée par un étudiant parisien, dont je n’ai jamais connu l’exacte identité. J’acceptai de participer aux activités du Front National Universitaire. A partir de ce moment, régulièrement des tracts dénonçant le fascisme, étaient distribués au collège et au lycée Clemenceau.
La Résistance s’organisait, la lutte devenait plus dure, mon père interné à Châteaubriant nous parlait des camarades affectés à la baraque des otages. C’est là que furent choisis une grande partie des 27 de Châteaubriant. c’est parmi les meilleurs militants, les plus éprouvés que fut fait le choix de Pétain et de Pucheu, mon père fut épargné.
Quelques temps après, on me confia une mission : aller chercher, à Châteaubriant, le paquet de planches sur lesquelles les fusillés avaient écrit, en plus de leurs lettre, leurs dernières volontés. Les camarades les avaient détachées de la baraque et camouflées dans le camp. Elles en furent sorties par le camarade Roger Puybouffat2, dentiste à Châteaubriant, qui était admis au camp pour dispenser des soins dentaires aux intéressés. Inutile de préciser les risques pris par ce camarade.
Je pris le train de Nantes pour Châteaubriant et je me rendis directement chez le dentiste. Je ne pouvais y rester, les enfants étaient jeunes et bavards. Munie de mon lourd et précieux colis, je pris mon premier repas au restaurant de la gare, seule, en attendant le retour vers Nantes.
J’avais des consignes strictes en cas de fouille le train, mais fort heureusement tout se passa bien et les planches, cachées en lieu sûr, sont aujour-d’hui au Musée de l’Histoire vivante à Montreuil3. Pour moi, il reste le souvenir d’une certaine appréhension bien sûr, mais aussi d’une grande fierté. Ces hommes étaient morts, ils avaient tout donné, il fallait que le monde et la jeunesse sachent qui ils étaient et pourquoi ils étaient morts.
Planche gravée par Guy Môquet, aujourd’hui exposée au Musée d’Histoire vivante de Montreuil
Peu de temps après, mon père s’évadait du camp de Choisel4. Ce fut une période difficile, remplie d’inquiétude pour ma famille. Il était recherché et nous dûmes, maman et moi, nous cacher avant de quitter la région. J’avais quitté le collège avec chagrin, certaines de mes compagnes de classe me croyaient à Londres. D’autres savaient bien que je n’étais pas si loin. La Résistance avait fait son chemin.
Dans le maquis de Nort-sur-Erdre
A Paris, j’aidais maman dans son travail d’agent de liaison, je transportais des tracts, j’étudiais. Ces activités furent interrompues à l’arrestation de maman et pendant 12 à 15 mois, j’essayai d’apporter à mes parents un peu de réconfort et les colis dont ils avaient besoin en prison, pour survivre. Jusqu’au jour où, revenue illégalement à Nort-sur-Erdre, je repris contact avec les partisans (FTPF) du secteur.
Ce fut une courte, mais enthousiaste période. Nous assistions à l’effondrement des oppresseurs, qui battus, n’en demeuraient pas moins dangereux. Le drame du maquis de Saffré5 en est un terrible témoignage. Seuls nos camarades FTP avaient été clairvoyants; hélas, le courage des jeunes FFI n’a pas empêché le massacre.
J’entrai ensuite tout naturellement au 2ème bataillon et participai à la lutte. La Libération était proche, il subsistait encore quelques îlots de soldats allemands retranchés dans des « poches » dont celle où nous combattions, la « poche de Saint-Nazaire ».
Puis ce fut le premier contact avec Nantes après trois ans d’absence. Une distribution de vivres effectuée à Chantenay-les-Nantes libéré, boulevard de la fraternité, quelle joie débordante ! La population, privée de pain et de produits de première nécessité, nous accueillait à bras ouverts.
Des moments difficiles nous attendaient encore. A la joie de la Libération succédait l’anxiété pour tous ceux qui, déportés en Allemagne, ne donnaient aucune nouvelle. La guerre continuait, Hitler n’était pas encore vaincu. Mon bataillon cantonné à Guémené-Penfao participait à la bataille et a contribué à la défaite des forces allemandes demeurées dans le secteur. C’est là que, blessée dans un accident de moto, je quittai mes camarades pour un séjour de deux mois à l’hôpital.
Je fus juste rétablie pour participer avec le bataillon à la première commémoration des Fusillés de Châteaubriant. Rassemblement inoubliable par son ampleur et par la présence des représentants de toute la Résistance, mais aussi des armées alliées: Américains, Soviétiques, Anglais. Marcel Cachin sorti récemment de la clandestinité, malgré sa fatigue, était là pour saluer tous ceux qui à Châteaubriant et ailleurs avaient donné leur vie pour la France. Mais à côté de tous les grands noms de la Résistance, tout le peuple de Châteaubriant et des environs était venu.
Souvenons-nous de « Tante Madeleine »
J’ai essayé de rapporter fidèlement ce que fut ma contribution à la Résistance de notre peuple à l’occupation allemande. Je ne peux terminer sans évoquer le souvenir de celle qu’on a appelée Tante Madeleine et qui a été, pendant les années noires, celle qui a aidé de toutes les manières les combattants dans le secteur de Nort-sur-Erdre. C’est chez elle que, très naturellement, j’ai trouvé refuge. C’est chez elle que tous ceux qui se battaient faisaient halte pour y puiser le réconfort moral et matériel. Elle donnait tout ce qu’elle possédait et son commerce était le lieu de rencontre où se croisaient de nombreux résistants.
Elle a lutté jusqu’au bout. seule la certitude que son mari6, déporté en Allemagne, ne reviendrait pas, a eu raison de ses nerfs. Elle est morte sans qu’on ait pu lui témoigner comme il eût fallu notre reconnaissance et notre affection. On ne peut ignorer cette femme exemplaire: Madeleine Legoff.
Source
Amicale de Châteaubriant – Voves – Rouillé
1- Pierre Gaudin – métallo, syndicaliste CGTU-CGT, militant communiste, résistant, déporté. Interné politique au Croisic, il est transféré dans le camp de Choisel à Châteaubriant d’où il s’évade le 24 novembre 1941. Il est arrêté le 3 septembre 194é2 et condamné par la section spéciale de la Cour d’appel de Paris, il est emprisonné à la Santé puis dans la centrale d’Eysses où il prend part à l’insurrection de février 1944. Il est alors déporté à Dachau, puis Mauthausen d’où il rentre à Nantes en juillet 1945 et reprend le combat.
2- Roger Puybouffat a joué un grand rôle dans l’aide aux internés de Choisel, pas seulement comme dentiste. Il a payé cher son engagement. Le 13 décembre 1941, il est arrêté par Touya, il comparaît devant le tribunal correctionnel de Châteaubriant et est acquitté faute de preuves. Néanmoins il n’est pas libéré mais interné dans le camp de Voves. Il est ensuite déporté vers Sarrebrück, Neuengamme, Mauthausen et enfin Loib-Pass. Rentré à Paris le 20 juin 1945, il est dans un état médicalement catastrophique. Il survivra pendant « 38 années volées aux nazis ». Il décède en décembre 1983.
3- BD Immortels ! Cette action est dessinée dans la Bande dessinée éditée par le Comité du souvenir, planches 25 et 26 puis 36 et 37.
4- Camp de Choisel – Situé à Châteaubriant, le camp interne d’abord des Roms et des droits communs. A la suite de la grande rafle d’octobre 194à , réalisée par la police française parmi les responsables communistes, élus, syndicalistes, les militants sont transférés à Choisel à partir de mai 1941, après un périple à travers plusieurs prisons (Clairvaux, Fontevrault etc)
5 – Maquis de Saffré – A l’été 1943, un maquis se forme au lieu-dit « La Maison Rouge » sur la commune des Touches, près de Nort-sur-Erdre (44). Des jeunes réfractaires au STO s’entraînent dans la forêt de Teillay. Décision est prise de regrouper les forces et de transférer le maquis en forêt de Saffré. Le 28 juin 1944, peu avant le lever du jour, 2 500 soldats allemands et miliciens « français » attaquent les maquisards. 13 maquisards meurent au combat, 27 sont faits prisonniers et sont fusillés le lendemain au château de la Bouvardière, à Saint-Herblain.
6 – Ernest Legoff, militant communiste et CGTU très actif à Saint-Nazaire, il s’installe à Nort-sur-Erdre comme gérant d’un magasin des Docks de l’Ouest. Arrêté par le SPAC le 12 août 1942, il est jugé avec 44 autres accusés en 1943 (Procès des 42), condamné, il est déporté et meurt le 15 mars 1944 à Dora.