Comité Départemental du Souvenir des Fusillés de Châteaubriant de Nantes et de la Résistance en Loire-Inférieure

Le 22 octobre 1941 à Châteaubriant,             minute par minute

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Adrien AGNES (1899-1941) est un ingénieur agronome, chef de service à la mairie de Stains (93) où une rue porte son nom. II était domicilié à Aubervilliers. Le quai le long du canal Saint-Denis porte son nom. « La liste tragique n’est pas close » écrit-il : il a été fusillé à La Blisière, en Forêt de Juigné-les-Moutiers le 15 décembre 1941.

consigné dans une lettre d’Adrien AGNES

Dans une lettre adressée sa femme, Adrien Agnès, relate, minute par minute les événements des 20 au 22 octobre 1941 dans le camp de Choisel. Sa lettre a été publiée ensuite sous forme d’un tract de 4 pages, intégralement reproduit dans le livre En vie, en joue, enjeux de Didier Guyvarc’h et Loïc Le Gac, préface de Thomas Fontaine, édité aux éditions du CHT.

Châteaubriant, Choisel.

Ma chère femme,

Maintenant que le désastre est accompli je veux que tu puisses réaliser le drame dans toute son horreur. Aussi je vais te le relater depuis son origine, minute par minute.

Lundi 20 octobre, nous apprenons au camp vers dix heures qu’un officier allemand vient d’être assassiné à Nantes. Je me trouvais au bureau du lieutenant, attendant d’être reçu par lui, car je venais réclamer contre la retenue faite sur mon mandat d’une façon arbitraire. On ne m’a pas reçu mais au contraire on nous a renvoyés à nos baraques respectives, en nous indiquant que nous ne serions reçus ni ce jour, ni les suivants.

A 11 heures, l’officier de la Kommandantur vient conférer avec la direction du camp. Il faut désigner des otages. Les dossiers sont remis au nombre de 200 environ au chef de cabinet du sous-préfet. Celui-ci se rend à Paris au ministère de l’Intérieur et là on choisit les otages.

Ce même jour, les troupes allemandes gardent le camp. Il nous est signifié à nous et surtout à la baraque 19 de ne sortir sous aucun prétexte après la nuit jusqu’au matin neuf heures.

Vers vingt et une heures, trois coups de fusil sont tirés, simultanément, d’un mirador. Les sentinelles ont aperçu des ombres dans le camp. Une balle traverse le toit de la baraque 10 et ricoche pour venir traverser une vitre à hauteur du lit d’un camarade qui était couché.

Mardi 21 octobre. La garde du camp par les Allemands est relevée à neuf heures du matin. Toute la journée se passe dans une atmosphère lourde de menaces. On pense qu’il doit être désigné des otages parmi les internés. Le soir à vingt et une heures, les Allemands reprennent la garde.

Avant cela, nous avons confirmation que Monsieur Poli, le chef de Cabinet du Sous-Préfet, est parti pour Paris au ministère de l’Intérieur avec la liste des détenus et que parmi ceux-là trente des nôtres doivent être désignés. Nous savons que c’est notre baraque qui doit fournir le contingent exigé. Nous en déduisons qu’étant vingt et un dans ce local, neuf des autres baraques devront compléter cette liste.

Nous discutons cette nuit-là assez tard, et nul ne se fait d’illusions sur le sort qui nous attend : c’est une veillée funèbre, néanmoins aucun de nous ne manifeste d’angoisse ni de crainte. Sans crânerie chacun attend la suite du drame et la seule appréhension que l’on puisse avoir et dont on discute c’est : serons-nous guillotinés ou fusillés ?

Dans la nuit, un nouveau coup de feu est tiré sur une ombre imaginaire. Cela nous rappelle la façon dont nous sommes gardés et l’interdiction de sortir qui nous a été faite.

Chacun de nous va se coucher et cherche à dormir, ce qui nous est bien difficile. Nous avons discuté le soir sur le sort qui nous attend, Granet, Timbaud, Michels, Grandel, Auffret, Bartoli, Barthélémy sont assis sur mon lit et chacun dit son mot ou son appréciation sur la situation.

Mercredi 22 octobre. Le réveil est plus sombre qu’à l’ordinaire ; chacun sent la menace sur le camp. A 9 heures, nous allons chercher le café.

Vers dix heures, le sous-préfet, le lieutenant Moreau et le lieutenant Touya passent devant la baraque et vont examiner la porte du camp qui donne sur la route de Fercé. Examinent-ils la possibilité de faire passer la voiture par cette porte ? C’est possible comme nous le comprendrons plus tard.

Quelques instants après, le lieutenant Touya réunit ses gendarmes pour passer les consignes nouvelles. Tous sont consignés au camp et la brigade qui avait été relevée a été ramenée, d’après un ordre reçu en cours de route. La plupart de nous font des déplacements au camp P 1 et beaucoup, c’est pour revoir une dernière fois les camarades.

Midi. Nous nous mettons à table et nos camarades aidés de Michels font cuire du poisson que nous avons reçu.

A 13 heures, le repas terminé, beaucoup se mettent à écrire à leurs familles. Que raconter à celles-ci, sinon des faits sans importance et qui sont loin de notre pensée.

Maurice, Victor et Jacq se promènent ensemble, Timbaud et Granet se promènent avec Poulmarc’h. De ma fenêtre on a vue sur tout le camp P 2. Barthélémy, qui partage la même table que moi, et qui est en train d’écrire à sa femme détenue à la prison de Niort, pousse une exclamation d’étonnement.

Il est 13h30. Les gendarmes viennent en ordre et au pas de marche se ranger vers la porte qui ouvre sur notre camp. L’adjudant de gendarmerie poste les hommes à l’intérieur du P 2 tout le long des barbelés à raison d’un homme tous les 10 mètres.

A ce moment les Allemands apparaissent, suivis du lieutenant Touya. Un seul mot dans la baraque : « Ça y est, c’est pour nous, ils viennent nous chercher. » Les lettres sont interrompues ainsi que les promenades. Tous se précipitent aux fenêtres pour voir ce qui se prépare.

Les Allemands installent un fusil mitrailleur au milieu de la cour du camp P2 face à la baraque centrale n°6. Tous les prisonniers sont enfermés dans leurs baraques respectives avec un gendarme en faction à chaque porte.

Le lieutenant Touya suivi de l’officier allemand et de nombreux gendarmes, ouvre la porte qui commande l’entrée de notre camp et cette troupe se dirige vers notre baraque. Les cœurs sont serrés, mais aucune peur, aucun malaise parmi les vingt présents à la baraque.

Le lieutenant ouvre la porte, salue cérémonieusement. Il entre, suivi de l’officier allemand. Il prononce ces mots : « Salut messieurs, préparez-vous à sortir à l’appel de votre nom. » Nous sommes tous prêts, massés devant mon lit qui est le premier à gauche en entrant.

Le lieutenant appelle alors : Michels, Poulmarc’h, Granet… et au fur et à mesure de l’appel  les désignés sortent et chacun attend  l‘appel de son nom. Après en avoir appelé seize de notre baraque, on appelle alors Delavacquerie. Le docteur Jacq répond que c’est au camp P 1. Aussitôt le lieutenant se retire en fermant la porte, et les camarades sont entraînés au camp P 2 dans la baraque 6.

Les six qui restons non appelés nous nous regardons avec stupeur, nous n’avons eu peur ni les uns ni les autres et la seule impression qui nous domine en ce moment tragique, c’est l’étonnement d’être encore ici et de n’avoir pas été désignés, mais la liste tragique n’est pas close pour cela.

Dans le même apparat, les autorités se dirigent vers le camp P 1 et à la baraque 1, elles appellent Kérivel, à la 3 David, Bastard et Le Panse, à la 4 Delavacquerie et Lefebvre, à la 8 Tellier et Lalet, à la 9 Pourchasse et Vercruysse, enfin à la 10, Môquet.

Tous ces camarades sont emmenés à leur tour au camp P2 et au passage on prend Gardette à l’infirmerie. Les 27 camarades sont enfermés dans la baraque 6. On permet à Kérivel de faire ses adieux à sa femme, qui est dans le camp, internée comme lui. A chaque otage on remet alors une feuille de papier et une enveloppe pour que chacun écrive ses dernières volontés.

Il était 13h50 quand les gendarmes se sont dirigés vers notre baraque. A 14 heures, tous les condamnés sont enfermés dans la baraque 6 entourés de gendarmes et des autorités. Chaque fenêtre et chaque porte ont été condamnées avec les lits dressés contre la paroi.

Nous suivons la course des minutes sur la montre et tu dois comprendre dans quel état d’esprit et dans quelle angoisse nos voyons arriver le curé qui a été mandé par les autorités.

Aucun condamné n’accepte son ministère, mais plusieurs d’entre eux lui ont confié de leurs objets ou correspondance. Il serait intéressant de savoir qu’elles ont été les paroles confiées à cet homme et son impression sur l’attitude et la valeur de nos malheureux camarades. Il ne sortira de la baraque que quelques minutes avant l’expiration du délai qui leur été accordé, c’est-à-dire 14 h25.

A 14h30, nous voyons arriver sur la route des camions allemands qui doivent emmener nos malheureux camarades. A ce moment nous entendons chanter La Marseillaise par les condamnés. Les camarades du camp P 1 reprennent le chant à leur tour.

A 15 heures précises, les camions sont venus se ranger devant la baraque 6. Le lieutenant ouvre la porte et commence le dernier appel. A l’annonce de son nom chacun se présente. Les gendarmes fouillent et vident toutes les poches, ils attachent les mains de nos amis et les font monter dans le camion.

Chaque camion prend neuf camarades. Ceux-ci n’arrêtent pas de chanter La Marseillaise et nous font des dignes d’adieu car ils nous voient de la fenêtre.

Ténine interpelle l’officier allemand et dit d’abord : « C’est un honneur pour un Français de tomber sous les balles allemandes. » Puis, désignant Môquet qui n’a que dix-sept ans, il dit que c’est un crime de tuer un gosse. Môquet répond : « Laisse Ténine, je suis autant communiste que toi. »

Timbaud s’adresse au lieutenant Touya, mais on ne distingue pas ce qu’il dit. Michels, parlementaire déchu pour avoir désapprouvé la guerre à l’Allemagne, est fusillé par les Allemands.

A 15h15, tous les camions sont prêts. Les gendarmes se figent au garde-à-vous, et tous pleurent devant l’attitude héroïque de nos amis. Les camions s’ébranlent et quelques minutes après ils passent sur la route qui longe le camp et les voix de nos frères qui chantent toujours s’entendent encore.

Nous sommes avisés qu’ils vont être fusillés à seize heures quinze. Nous ne saurons que plus tard que le lieu d’exécution est une carrière de sable à deux kilomètres de Châteaubriant.

Tout le monde sort des baraques et nous nous rendons aussitôt vers la baraque 6. Sur les parois nos camarades ont inscrit leurs derniers espoirs et c’est d’une main ferme qu’ils ont tracé là leurs suprêmes espérances et leur confiance inébranlable dans l’avenir.

A 16 h 15 exactement, chaque camp se réunit et appelle chaque victime. Un autre répond : Fusillé. Un silence absolu règne dans le camp. Nos amis ne sont plus. Ils sont tombés 9 à la fois et les 3 salves se sont succédées et ont été entendues à 15h50, 16 heures et 16h10.

Le soir arrive. Nous avons les premiers échos de l’acte dernier de la tragédie. Les camarades ont traversé Châteaubriant sans cesser de chanter La Marseillaise. Les gens sur leur passage se découvraient respectueusement. L’émotion dans la ville est à son comble. A côté de la carrière, les gens de la ferme avaient été enfermés chez eux et consignés.

L’angoisse est toujours dans le camp car il faut encore 52 otages dont la moitié doit être prélevée au camp.

Jeudi 23 octobre. – Le matin est toujours aussi chargé de menaces. Pourtant vers midi, l’officier de la Kommandantur vient informer le lieutenant Touya que l’on ne prendra plus d’otages dans le camp, la conduite de nos amis a été si héroïque que l’officier allemand dit : « Les communistes français sont des braves et ne ressemblent pas aux communistes allemands. »

Notre appréhension s’efface peu à peu mais la douleur d’avoir perdu de tels camarades se fait ressentir maintenant plus fortement que la veille. Malgré les affirmations qui viennent de nous être faites nous nous estimons toujours sous le coup d’une menace.

Nous apprenons dans quelles conditions nos camarades ont été exécutés. La carrière de sable qui a été utilisée porte encore les traces des poteaux contre lesquels furent collées les victimes. Pour chaque homme il y avait un peloton de 10 soldats.

Les corps furent mis dans les camions et transportés au château. La terre est pleine de sang. On nous dit que beaucoup de gens du pays se sont rendus à la carrière et ont contemplé les traces de cette tragédie.

Vendredi 24 octobre – Les corps de nos camarades auraient été mis dans des bières de chêne. Les cercueils ont été dirigés par dans neuf communes différentes et nos amis reposent maintenant en cette terre bretonne qu’aucun de nous n’avait considérée comme devant recevoir son sang et d’une façon aussi barbare.

Cette page d’histoire restera la flétrissure indélébile de ceux qui l’ont ordonnée.

D’autres détails ne sont pas moins terribles. Ténine venait de perdre son gosse qu’il adorait. Huynk-Khuong avait sa compagne à la prison de Rennes, condamnée à vingt ans de travaux forcés. Barthélémy dont la femme est en prison à Niort, était passé au juge d’instruction le vendredi précédent et il devait partir le 22 au matin en jugement à Bressuire. Lalet, jeune étudiant de vingt ans, marié depuis un an, dont la libération est arrivée à Châteaubriant le jour de sa mort. Bourhis, de Trégunc, dont la libération est arrivée en même temps. Môquet qui n’a dû son exécution qu’à son nom. Son père, député communistes, est à la prison d’Alger.

Voilà, ma chérie, les heures tragiques que nous avons vécues. Les six survivants de la baraque ne pourront jamais oublier ces instants qui nous privent d’un capital si pur et si grand, car on a pris à notre affection l’élite du camp.

Si la France était pourvue de traitres, elle a prouvé qu’il y a encore des héros d’une bravoure exemplaire, dont le souvenir restera un symbole de foi, de loyauté, de patriotisme.

Leur exemple ne sera pas vain.

Je termine en te disant confiance, toujours confiance.

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