Les Français votent depuis deux siècles, mais les Françaises n’ont conquis ce droit que beaucoup plus récemment. C’était le 21 avril 1944. Les femmes devenaient électrices et éligibles. Comme les hommes ! Un an plus tard, elles votaient pour la première fois. Récit.
Au sein de la Résistance, se déroule entre 1942 et 1944 un débat entre ses différentes composantes – mouvements, syndicats, partis -. En 1942, après avoir reçu à Londres pour la première fois un représentant de la Résistance intérieure, le général De Gaulle propose une première ébauche de projet politique. Dans ce texte du 23 juin 1942, connu sous le nom de « Déclaration aux journaux clandestins », il évoque le droit de vote des femmes, mais de façon encore floue : « Dès l’ennemi chassé du territoire, les hommes et les femmes de chez nous éliront l’Assemblée nationale qui décidera souverainement des destinées de la Nation ». Au sein du Conseil National de la Résistance (CNR), l’opposition du représentant des radicaux, Paul Bastid, empêche une prise de décision. Le CNR fonctionne en effet, selon la règle de l’unanimité de ses membres.
A l’Assemblée consultative provisoire (ACP) à Alger, le 22 mars 1944, le syndicaliste chrétien Robert Prigent, de l’OCM (Organisation civile et militaire – proche des démocrates chrétiens) a fait admettre le principe du vote des Françaises. Deux jours plus tard, le 24 mars la Commission de réforme de l’Etat présidée par le sénateur radical Giaccobi, chargée de préparer le rétablissement des pouvoirs publics à la Libération, au terme d’une discussion « courtoise mais passionnée » selon F. Grenier, adopte par 51 voix contre 16, un amendement du député communiste Fernand Grenier (un évadé de Châteaubriant), instituant le droit de vote des femmes : « Les femmes sont électrices et éligibles aux mêmes conditions que les hommes ». L’adoption de cet amendement « clair et net » a mis fin « à toutes les subtilités » de ceux qui ne voulaient pas du droit de vote, de ceux qui ne l’accordaient que pour les législatives, ou uniquement pour les élections locales ou encore tel le sénateur Giaccobi, qui ne laissaient subsister que l’éligibilité, soit le droit pour la femme d’être élue sans être elle-même électrice.
Le 21 avril 1944, lors de la session de l’ACP, l’article 17 de l’ordonnance portant organisation des pouvoirs publics en France après la Libération reprend les termes exacts de l’amendement Grenier.
Le Comité Français de la Libération Nationale (CFLN) valide l’ordonnance. Puis le Gouvernement provisoire de la République Française (GPRF), qui remplace le CFLN à partir du 3 juin 1944, présidé par le général De Gaulle, le reprend dans son ordonnance du 5 octobre.
A l’ACP d’Alger, deux arguments ont emporté l’adhésion de la majorité : il faut rendre hommage à la résistance féminine et mettre la France au diapason des Etats démocratiques.
En effet les femmes n’ont pas seulement lutté pour leurs droits spécifiques, elles ont été nombreuses à s’engager dans les luttes pour le progrès social et les combats de la Résistance face à l’occupant allemand et au gouvernement de Vichy. Le colonel Rol-Tanguy leur a rendu hommage, déclarant en 1944 : « Sans les femmes, la moitié de notre travail aurait été impossible. Leur tâche a été dure, surtout dans les dernières années de la clandestinité. Le poste de commandement régional de Paris fonctionnait dès le 12 août en bonne partie grâce aux femmes ».
Et Gilberte Brossolette de préciser : « On a dit que c’est le général de Gaulle qui a donné le droit de vote aux femmes, c’est inexact. C’est la Résistance. Vous savez que les femmes se sont magnifiquement conduites pendant la Résistance. Elle se sont acharnées, elles ont travaillé dans l’ombre des hommes… »
Le premier vote légal des femmes aura lieu à l’occasion de l’élection municipale des 29 avril et 13 mai 1945. On estime à 3% le nombre de conseillères municipales, généralement élues sur des listes issues de la Résistance et du PCF. Dans notre région Odette Roux, à 28 ans, pour la liste Union pour la Résistance antifasciste est élue maire des Sables-d’Olonne et devient la première femme à administrer une ville de sous-préfecture. Puis la même année, le 21 octobre 1945, les femmes participent aux premiers scrutins nationaux : le référendum et les législatives. Trente-cinq femmes sont élues députées : dix-sept communistes, neuf MRP, huit socialistes et une PRL. La première femme élue vice-présidente de l’Assemblée Nationale est Madeleine Braun, en 1946.
Déjà des femmes se sont présentées à des élections antérieures. Ainsi en 1925 aux élections municipales, souvent sur des listes communistes. Et plusieurs ont été élues (une dizaine, selon Marcel Cachin (L’Humanité du 11.5.1925). Le 3 mai 1925, Douarnenez, au pays des sardinières, est le théâtre d’un événement inédit. Pour la première fois en France, une femme – Joséphine Pencalet – est élue conseillère municipale. Joséphine Pencalet était une penn sardin, l’une des ouvrières des conserveries qui venaient de mener plusieurs grandes grèves. Elle siège pendant plusieurs mois, jusqu’à ce que le Conseil d’Etat rejette son recours : elle contestait l’arrêté préfectoral d’annulation de son élection.
Précisons, que des femmes ont siégé dans certains conseils municipaux dès 1944. Il s’agissait des « délégations spéciales ». Leurs membres n’étaient pas élus, mais nommés à titre provisoire par les préfets sur avis des Comités départementaux de Libération (CDL). Ainsi la délégation spéciale nommée le 28 août 1944 à Nantes, présidée par Clovis Constant, comprenait quatre femmes : Emilienne Bagrin, adjointe spéciale de Chantenay, Ursule Chevalier, Alexandrine Moysan et Anne-Marie Turbaux.
Sources:
BUGNON Fanny – De l’usine au Conseil d’Etat, Vingtième siècle -revue de Sciences Po, 2015
Joséphine Pencalet, Dictionnaire Le Maitron
GRENIER Fernand – C’était ainsi, Editions sociales, 1959
GUERAICHE William – Le 24 mars 1944, Clio 1, 1995
KIRSCHEN Marie – Est-ce De Gaulle qui a donné le droit de vote aux femmes ? Libération 29 avril 2015