Comité Départemental du Souvenir des Fusillés de Châteaubriant de Nantes et de la Résistance en Loire-Inférieure

L’opération Chariot, le plus grand de tous les raids

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Le contexte de la guerre au début de 1942

Depuis le début de la guerre en 1939, la bataille de l’Atlantique mobilise de nombreuses unités navales dans l’Atlantique Nord. Les U-Boote coulent les navires de commerce plus vite qu’ils ne peuvent être remplacés. A cette menace s’ajoute celle des navires de surface. En 1941, le cuirassé Bismarck avait semé la terreur. Les Alliés étaient parvenus à le couler avant qu’il ne rejoigne Brest. Mais il avait un jumeau, le cuirassé Tirpitz, un monstre de 50 000 tonnes, embusqué en Norvège depuis le 12 janvier 1941, sur l’ordre de Hitler. Les Alliés redoutent qu’il soit envoyé dans l’Atlantique, fasse la chasse à leurs convois maritimes et dans la guerre logistique menace le ravitaillement de la Grande-Bretagne. Selon Winston Churchill: « Toute la stratégie de la guerre tourne à cette époque autour de ce bateau. »
Mais le Tirpitz a un point faible: son gigantisme. Dans ce contexte, le port de Saint-Nazaire revêt une importance stratégique. La forme Joubert (1), construite pour accueillir le Normandie, est sur la façade Atlantique, la seule cale-sèche qui puisse accueillir le Tirpitz pour réparation, en cas d’avarie. W. Churchill pense qu’en neutralisant la forme Joubert, la Kriegsmarine ne prendra pas le risque d’envoyer le Tirpitz dans l’Atlantique.
En août 1941, une première étude avait jugé inexécutable une opération contre St Nazaire, mais en février 1942, W. Churchill confie une mission à Lord Mountbatten avec pour objectif la neutralisation de la forme Joubert.

Mission impossible ?

L’opération est baptisée du nom de code « Opération Chariot ». Le port de Saint-Nazaire est, avec Brest, la base navale la mieux gardée et la mieux défendue de la côte Atlantique. L’opération est délicate. Les Anglais sont parfaitement renseignés: ils savent que 6 000 soldats du Reich sont basés à Saint-Nazaire et que l’estuaire de la Loire est protégé par des défenses formidables, par une très forte artillerie, 100 canons, une quantité de projecteurs de recherche etc. Le plan consiste en une attaque surprise. La date est choisie pour combiner une pleine lune et une marée montante.
Une flottille de vedettes doit franchir de nuit et à vive allure l’estuaire de la Loire pendant que les défenses allemandes seront distraites par un raid aérien mené par la Royal Air Force.
Un bateau bourré d’explosifs à retardement sera précipité à vitesse maximale sur la porte de la forme écluse Joubert et des équipes de commandos débarqueront de ce navire ainsi que des vedettes pour attaquer et détruire dans le port 24 cibles différentes.
Les forces seront ensuite évacuées par la mer à partir du Vieux Môle, à l’extrémité du port et quelques heures plus tard, le destroyer HMS Campbeltown, dirigé droit contre l’écluse, explosera.
La flotte comprend le destroyer Campbeltown, 12 ML (Motor Launches, chaloupes à moteur), 4 MTB (Motor Torpedo Boat, vedettes rapides lance-torpilles),1 MGB 314 canonnière en bois, équipée d’un radar et d’une sonde sonore et une vedette lance-torpilles (MTB 74). Elle est escortée par 2 destroyers le HMS Tynedale et le HMS Altherstone, jusqu’au large de St Nazaire, mais ceux-ci ne participent pas à l’attaque. Les vedettes sont des bateaux en bois non blindés de 34 mètres.
Le navire-suicide est un ancien destroyer américain de la guerre 14-18, le Buchanan, cédé aux Anglais à l’automne 1940, rebaptisé HMS Campbeltown auquel des modifications ont été apportées à Devonport (un lifting de 9 jours) afin qu’il ressemble à un destroyer allemand. Un blindage supplémentaire est installé afin de protéger la passerelle. Il est cependant allégé au maximum pour éviter l’échouage sur les bancs de sable. Il doit servir de bélier pour enfoncer la porte de la forme Joubert.
L’explosif est placé à l’avant du navire et se compose de 24 grenades sous-marines – soit 4 tonnes d’explosifs ! – placées dans des réservoirs d’acier et de béton.
Le Campbeltown est commandé par le Lieutenant-commander S.H. Beattie et son équipage est réduit à 75 hommes. Au total, 345 marins et 266 commandos sont engagés dans l’Opération. Le lieutenant-colonel Newman commande l’opération terrestre avec 256 hommes et officiers tandis que le capitaine de frégate Ryder est responsable des forces navales.
Pendant plusieurs semaines, les commandos suivent un entraînement intensif de jour et de nuit. Ils disposent de photographies aériennes prises par la RAF et de maquettes très précises du port et des docks, fruits d’une liaison avec les réseaux de la Résistance. Les équipes chargées des démolitions bénéficient d’un entraînement spécifique dans les ports de Cardiff et Southampton. A la mi-mars, tous s’entraînent à Falmouth à la navigation par mer houleuse, au débarquement nocturne etc. Ils s’ingénient également à mettre d’éventuels espions allemands sur de fausses pistes, parlent d’expédition au-delà de Suez, exposent en évidence sur les quais des caisses de lunettes de soleil, shorts, crème solaire etc.

L’expédition vogue vers Saint-Nazaire

L’expédition appareille dans l’après-midi du 26 mars, faisant route pour tromper l’ennemi, vers le golfe de Gascogne et La Rochelle, avant de bifurquer pour se présenter au sud de l’estuaire au soir du 27 mars. Sur le pont les commandos portent des tricots ou duffle-coats comme des touristes. En route, au large d’Ouessant, les veilleurs du Tynedale aperçoivent un sous-marin en surface. Ils ouvrent le feu et pensent l’avoir coulé. A tort puisque l’U-593 signale la présence de navires britanniques. La flottille croise également deux chalutiers français. Après embarcation de leurs équipages, ils sont coulés. A 17h, Ryder est informé de la présence de quatre torpilleurs allemands sortant de la Loire (suite au message de l’U-593). Mais ils sont plus au sud et évitent ces torpilleurs allemands. Le stratagème a ainsi réussi à tromper l’ennemi jusqu’a l’approche de l’estuaire. A 20h, ils se mettent en position et prennent la direction de Saint-Nazaire. A 22h, le sous-marin britannique Sturgeon placé en jalon au point Z devant l’entrée de la Loire, est en vue. Le Tynedale et l’Altherstone se séparent de la formation et vont patrouiller vers Belle-Ile, tandis que le reste de l’expédition, battant pavillon allemand et arborant la croix gammée poursuit sa route vers Saint-Nazaire. A présent tout repose sur le lieutenant A.R. Green qui ouvre la marche. Après la guerre les pilotes de la Loire ont dit que la conduite du Campbeltown à travers les hauts fonds était « sans précédent dans l’histoire du port. » A 23h, les charges explosives sont amorcées. A 23h30, la Royal Air Force commence à effectuer un bombardement au-dessus du port, pour faire diversion, mais la visibilité est mauvaise, seules deux bombes sont larguées et les avions rentrent vers leur base, de crainte de tuer des civils français. Incroyable: l’aviation n’a pas été informée de l’opération Chariot ! Au passage, tous feux éteints, des navires anglais, des projecteurs s’allument. En morse, un soldat allemand demande le mot de passe. Le chef timonier répond « Attendez », grappille ainsi quelques secondes puis, tentant le bluff, passe l’indicatif connu d’un destroyer allemand et poursuit par un long message « Urgent – deux bâtiments avariées au cours d’un engagement ennemi, demande à entrer immédiatement dans le port » et il ajoute « J’ai encore autre chose à vous transmettre ». Mais quelqu’un ouvre le feu. Calmement, Pike envoie un nouveau message: « Je suis ami. Il y a méprise ». Le bluff fonctionne : le feu cesse. Puis reprend, alors sur le Campbeltown on descend la croix gammée, il est 1h27, le pavillon britannique est hissé, ce qui déclenche le tir des batteries ennemies. Le déluge de feu commence.
A 1h34, le Campbeltown s’encastre à une vitesse de 19 nœuds dans la porte de la forme Joubert – avec 4 minutes de retard sur l’horaire prévu. A bord, beaucoup d’hommes sont blessés. L’équipage débarque par les échelles télescopiques et rejoint les groupes terrestres qui viennent de débarquer des vedettes, la station de pompage est détruite ainsi que les treuils servant à l’ouverture de la porte. Les commandos investissent le port et détruisent les infrastructures portuaires désignées comme cibles. Ils ont pour mission de démolir 4 ponts, 6 centrales électriques, 8 portes d’écluses et 13 canons.
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Le rembarquement, prévu à partir du Vieux Môle n’est pas possible car plus de la moitié des vedettes en bois ont été détruites sous le déluge de feu allemand et le Vieux Môle est resté aux mains des Allemands. Le MTB 74 rembarque les survivants du Campbeltown et cherche à gagner la haute mer, mais touché par l’artillerie allemande, il doit être abandonné. Conscient que tout rembarquement est impossible, Newman rassemble les survivants et ils prennent la décision de se séparer en petits groupes et rejoindre l’arrière-pays, dans l’espoir de pouvoir ultérieurement regagner l’Angleterre. Les commandos dispersés dans la ville sont faits prisonniers ou sont abattus. Seuls cinq échapperont à la captivité. En mer, quatre vedettes pleines, avec 222 rescapés réussissent à rejoindre le point de rendez-vous avec les destroyers Altherstone et Tynedale et quatre autres vedettes regagnent l’Angleterre par leurs propres moyens. Sur le chemin du retour, le ML 306 est intercepté par le torpilleur allemand Jaguar. L’équipage refuse de se rendre et résiste héroïquement, mais après une heure de rude combat et de lourdes pertes, l’équipage est contraint de se rendre.
Le 28 mars à 10h, les combats prennent fin. 215 marins et commandos ont été capturés, 169 sont morts. Du côté allemand, les pertes s’élèvent à 42 tués et 127 blessés.
Et le Campbeltown dans tout cela ? A 10h30, les explosifs à bord du destroyer explosent, la porte de la forme est anéantie. L’eau s’engouffre dans le bassin faisant chavirer deux pétroliers en réparation qui s’y trouvaient. L’explosion pulvérise une quarantaine d’officiers supérieurs allemands venus en inspection ainsi que de nombreux soldats allemands – 400 – venus en curieux, appareils photos en main. C’est une énorme déflagration qui secoue la ville. Les vitres volent en éclat. On retrouve des débris humains dans un rayon de deux kilomètres et les dockers consacreront plusieurs jours au déblaiement.
Le lendemain, 29 mars, les deux torpilles à retardement lancées par le MTB 74 explosent, endommageant sérieusement l’écluse de l’ancienne entrée et semant la panique parmi les troupes allemandes qui font feu sur des ouvriers français et des ouvriers de l’organisation Todt dont les uniformes sont de la même couleur kaki que les commandos britanniques : 16 seront tués, une trentaine seront blessés. A la tombée de la nuit, la panique s’accentue. Les Allemands croyant voir des commandos partout, tirent les uns sur les autres. Bilan: 300 à 400 tués.

Objectif atteint

La porte de la forme Joubert est définitivement détruite. Inutilisable, elle ne sera pas réparée avant la fin de la guerre, la cale est hors d’usage, le Tirpitz ne pourra pas venir à Saint-Nazaire, confiné à jamais dans sa tanière norvégienne. Les docks sont très fortement démolis ou endommagés. La bataille de l’Atlantique s’en trouve transformée.
Sur 611 soldats anglais, 169 sont tués, la moitié d’entre eux lors de la destruction de leurs vedettes dans l’estuaire au moment de l’évacuation des commandos, beaucoup sont blessés, 251 sont faits prisonniers, surtout après le ratissage de la ville par les Allemands, 5 ont pu rentrer via Gibraltar. Au total 227 hommes ont réussi à revenir au Royaume Uni. A l’évidence, le bilan sur le plan humain est bien différent de celui de l’attaque des îles Lofoten en avril 1941 où les Britanniques n’ont enregistré qu’un seul blessé. Lors de l’enterrement au cimetière de La Baule, le lundi 30, les Allemands formèrent une haie d’honneur.
Ces hommes ne sont pour la plupart pas des militaires de carrière, ce sont des volontaires, ils se sont engagés en sachant qu’ils avaient peu de chance de revenir, par patriotisme et pour combattre le nazisme. Lord Mountbatten leur avait fait dire qu’il n’avait pas beaucoup d’espoir de les faire revenir.

Le renard n’aime pas le raisin

Le 27 mars, de nombreux Nazairiens avaient écouté, fenêtres fermées, l’émission de la BBC « Les Français parlent aux Français ». Chaque soir des messages personnels sont diffusés et ce 27 mars l’un d’eux semble bien anodin: « Le renard n’aime pas le raisin ». Ils sont bien loin de se douter qu’ils viennent d’entendre le message codé d’un fait d’armes au retentissement international, véritable épopée qui va susciter un immense espoir en cette nouvelle année noire. Les Nazairiens, habitués aux alertes, ont vite compris que « ce n’était pas comme d’habitude ». Mais habituellement il y a une sirène de fin d’alerte. Pas là. Le vacarme continue toute la nuit avec des tirs de canons et de mitrailleuses. La confusion est totale. Des habitants sont expulsés et conduits au camp de prisonniers de Savenay. Mais quand ils apprennent ce qui s’est passé, les Nazairiens, qui ont beaucoup souffert, accueillent avec joie cet audacieux coup de main, ils comprennent que la puissance nazie n’est pas invincible, ils sont contents et reprennent espoir.
Le plan a bénéficié de la coopération de résistants français, notamment grâce aux renseignements collectés par le réseau Notre-Dame du colonel Rémy et transmis à Londres par ondes radio. Mais le message de la BBC, à qui était-il destiné ? Toujours est-il que le jeune Jules Busson (2), fut arrêté après le débarquement du commando anglais et emprisonné quelques jours, avec les habitants de son quartier, au camp de Savenay. Certains Nazairiens ont-ils participé aux combats ? Selon le plan initial, le groupe du capitaine Birney qui devait débarquer le premier au Vieux Môle « aurait affaire à des Français dans cette zone et bénéficierait de l’aide de membres des Forces Françaises libres, connus sous le nom de « French faces », et formerait alors une tête de pont autour du Vieux Môle, par laquelle les autres forces se retireraient pour le rembarquement. » (3)
Les commandos ont réalisé ce qui reste comme l’un des plus grands raids de l’Histoire, l’une des plus audacieuses opérations de la seconde guerre mondiale.
Selon Churchill, l’opération Chariot, qui a ébranlé le moral de l’armée allemande et remonté celui des Français dès 1942, aurait permis de gagner six mois de guerre. »Je ne connais pas, dans toutes les annales militaires et navales, d’autres cas où des dommages aussi importants furent infligés à l’adversaire aussi rapidement et en engageant des moyens aussi faibles. » écrira Lord Mountbatten en 1945. A la suite du raid, Hitler dépêche le Generalfeldmarschal von Rundstedt, commandant des forces allemandes en Europe occidentale. Trois jours plus tard, c’est le général Jodl, directeur des Opérations auprès du commandement suprême de toutes les formes armées qui descend à St Nazaire. Un blâme sera infligé aux défenseurs du port. Hitler décide de prélever des troupes sur le front russe pour renforcer son front Ouest.
Le souvenir de cette opération que les Anglais nomment « the greatest raid of all » (le plus grand de tous les raids) a inspiré des documentaires, des livres, des bandes dessinées, des jeux vidéo. Et contrairement à l’affaire du Lancastria, celle-ci n’a pas été classée Secret défense. Chaque année, le 28 mars, une cérémonie en rappelle l’Histoire au Vieux Môle où se trouve désormais la stèle du souvenir. En raison de la pandémie de Covid-19 elle n’a pas pu avoir lieu cette année.

Bibliographie
AREMORS, Saint-Nazaire et le mouvement ouvrier 1939-45, Edition Aremors, 1986
OURY Louis, Commandos sur l’estuaire, roman, Messidor, 1987
STASI Jean-Charles, 28 mars 1942 Chariot, le plus grand raid commando de la seconde Guerre mondiale, éditions Heimdal
CHEMEREAU Hubert, Opération Chariot, tournant de la Bataille de l’Atlantique, revue Ar Men, mars 2012
BARR SMITH Robert The Greatest Raid of All , 2003
* Michel Mahé, l’un des auteurs d’Aremors a publié un article sur la rencontre entre l’un des raiders Bill Watson et des élèves du Lycée Aristide Briand, en 2007- disponible sur www.marineenboisdubrivet.fr
Notes
1-La forme Joubert est un énorme bassin de 349 mètres sur 50. L’accès repose sur des portes si massives, épaisses de 11 mètres qu’on les appelle des « caissons », elles font (52 mètres de long et 16 m de haut et se déplacent sur d’énormes roulettes.
2- Voir le témoignage de Jules Busson « De Saint-Nazaire à Buchenwald » Témoignage de Jules BUSSON
3- selon D. Masson dans son livre Le raid sur Saint-Nazaire.

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