Avec Pascal Convert

Questions à Pascal Convert

Vous avez déclaré que l’artiste propose des oeuvres qui sont des interventions symboliques et politiques ?
L’artiste, dans la société libérale néoconservatrice et consumériste, est le plus souvent un nouveau modèle du « self made man ». Mais, il incarne aussi
la possibilité de la liberté par delà les technologies dites interactives. Protégé par son « aura », il peut paradoxalement exercer sa capacité critique.
Quand sur Joseph Epstein, Résistant FTP fusillé au Mont Valérien, je propose une sculpture (Le temps scellé), un film et une biographie, je travaille dans trois directions :
la sculpture en rentrant dans les collections du Centre Pompidou donne une dimension symbolique à la résurrection d’une figure injustement oubliée, à l’entrée
d’Esptein dans les collections nationales, le film s’adresse à nos perceptions, vers un savoir émotionnel qui interroge la mémoire et l’oubli, le livre permet d’endosser
les habits de l’historien.
L’artiste doit prendre position. ce n’est pas prendre parti. C’est regarder notre histoire singulière et collective : ici la période troublée de l’Occupation, et tenter d’ouvrir des
portes fermées depuis longtemps

Dans les vitraux de l’abbatiale de Saint Gildas des Bois, près de Nantes, que vous avez réalisés, ces fantômes d’enfants que vous paraissez 
avoir cristallisés dans le verre appartiennent à quelle histoire ?
A la nôtre. Je ne suis pas croyant, mais la question de ce lieu, de cet espace, c’est la révélation.
Et aussi pour moi de l’enfermement de chacun.
La manière dont, par exemple, le Front National tente aujourd’hui d’effacer sa filiation avec l’extrême droite d’avant et d’après guerre, montre que sans une transmission à la jeune génération de la réalité de notre histoire, il sera impossible d’arrêter le mouvement qui condamne nos sociétés à revivre le passé. D’une certaine manière, en réalisant les vitraux de l’abbatiale de Saint Gildas des Bois, j’ai voulu exprimer cela: nos enfants que nous enfermons dans une société de fiction, dans une « mondialisation de l’indifférence » pour reprendre l’expression du Pape François nous jugerons. Et il est à craindre qu’ils aient honte de nous.

Vous allez continuer à articuler des travaux aux confins de l’art, de l’archéologie, des créations plastiques, du film documentaire, du récit historique et
depuis peu du roman?
C’est une nécessité; l’équilibre très instable dans le quelle je suis fait. Je n’appartiens plus à aucune société.

Ni à la celle des artistes ou des cinéastes, ni à celle des historiens ? Et un peu à toutes?
Oui

Ce n’est pas un problème ?
Non. Pas pour une démarche artistique.

Le plasticien Pascal Convert présente les 12 et 13 octobre au Cinématographe son travail de cinéaste

Dans le cadre de l’exposition En Geurre(s) et de sa programmation actuelle sur les deux guerres mondiales, le Cinématographe associé au Musée d’histoire de Nantes invite Pascal Convert à présenter l’ensemble de ses films sur la Résistance, la transmission mémorielle et l’engagement politique.

Ancien pensionnaire de la Villa Médicis à Rome, artiste lui-même engagé, Pascal Convert a d’abord gagné une reconnaissance hexagonale et internationale pour son travail sculptural et de plasticien utilisant des matériaux aussi divers que le verre, le cristal ou la cire. Au travers de commandes publiques, comme celle du Monument des résistants fusillés au mont Valérien, à Paris entre 1941 et 1944 ou, en 2008, celle de vitraux pour l’Abbatiale de Saint-Gildas-des-Bois en Loire-Atlantique. Mais aussi pour des œuvres sur support, commandes du Fond National d’Art Contemporain, du Musée d’Art Moderne du Luxembourg, inspirées d’icônes de presse, comme la Piéta du Kosovo, la mort de Mohammed Al Dura à Gaza, de photographies d’enfants ou de corps souffrants. Elles se présentent sérigraphiées sur verre et tain ou sous forme d’empreintes gelées dans le cristal et ont été exposées au Grand Palais dans le cadre de la Force de l’art, à la Galerie Dupont à Paris, à l’étranger, en particulier à l’ONU et à Montréal. Actuellement P. Convert finalise l’installation pérenne, en très grand format, pour la gare de Bègles, d’une phrase de Roland Barthes « Commence alors la grande lumière du Sud-Ouest ». Et il vient d’être choisi lauréat du 1% artistique du nouveau bâtiment des Archives Nationales.

Rien d’étonnant à ce choix ! Depuis une dizaine d’années, son travail est aussi orienté vers l’historiographie, l’archive et le cinéma documentaire. Il réalise, en 2002, en même temps qu’une imposante cloche sur laquelle sont gravés les noms des fusillés, un film : « Mont-Valérien, au nom des fusillés » qui sort de l’anonymat ces résistants et rend publique leur histoire. 80% était communistes, juifs ou étrangers, parfois les trois à la fois. Une manière « d’ouvrir le silence » de son mystérieux grand-père, Léon, fondateur dès 1940 du maquis des Landes.
Ce faisant, il découvre parmi les fusillés, Joseph Epstein, juif polonais, communiste, responsable Francs-Tireurs et Partisans d’Île de France, de la MOI, héros escamoté par l’histoire officielle, tombé avec Missak Manouchian. La vie douloureuse de son fils confronté à la mémoire de son père, inspire à Pascal Convert deux statues, l’une de cire, l’autre, acquise par le Musée national d’art moderne, faite d’un bloc de verre enfermant leurs images, un film, en 2007, « Joseph Epstein, Bon pour la légende », dont le titre est emprunté à une séquence des Histoire(s) du cinéma de Jean-Luc Godard et un livre. 
Pendant trois années, Pascal Convert va alors recueillir les souvenirs de Raymond Aubrac. D’une centaine d’heures d’entretiens sont nés deux films dans lesquels le grand résistant revient sur ses engagements pendant et après la seconde guerre mondiale, « autoportraits d’un voyageur immobile dans les remous d’un passé tourmenté ». Le premier, Les années de Guerre, sur son action, le procès de Klaus Barbie, l’utopie dont il rêvait avec sa compagne Lucie et avec ses amis Emmanuel D’Astier, Serge Ravanel, Jean-Pierre Vernant, son travail d’unification de la résistance autour de Jean Moulin et du Général de Gaulle, la tragédie de Caluire. Le second a pour titre Reconstuire, car la résistance de Raymond Aubrac ne s’arrête pas en 1945. Elle prend la forme de la reconstruction, du développement des rapports est/ouest, de la décolonisation du monde. Il va servir de passeur en devenant un homme clé des négociations sur le Vietnam entre Hô-Chi-Minh, l’oncle Hô son ami, et les présidents américains Johnson et Nixon.

Comment oublie-t-on et quand on se souvient, comment se souvient-on ? Ces questions de l’oubli, des territoires mémoriels et archéologiques, sont au cœur du travail plastique, cinématographique, historique mais aussi maintenant littéraire de P. Convert. Après avoir publié deux récits historiques : Joseph Epstein, Bon pour la légende (Séguier, 2007) et Raymond Aubrac : Résister, reconstruire, transmettre (Seuil, 2011), il franchit ces jours-ci le pas de l’écriture romanesque avec La Constellation du Lion (chez Grasset).De quelle histoire est-on le dépositaire, de quels choix l’héritier ? Une mère, écrasée par l’ombre de son père, grand résistant, le Lion des Landes qui ressemble beaucoup au grand-père de Pascal Convert.