Le 75ème anniversaire des « procès » des 42 et des 16

: https://youtu.be/dwnivNxQWLo

Le 75e anniversaire des fusillades et déportations suite aux parodies de procès orchestrés par les nazis, qui voulaient criminaliser la Résistance des groupes FTP nantais a été marqué, du 8 au 25 février, par plusieurs cérémonies à Nantes et dans sa région.

La première des manifestations fut l’hommage rendu devant les plaques mémorielles de la maison des syndicats comportant 118 noms de syndicalistes victimes de la répression de l’occupant et du régime de Vichy.

Au terrain du Bêle à Nantes en présence des autorités civiles et militaires et de représentants de nombreuses associations de la résistance, un émouvant hommage marqué par l’appel aux morts égrenées magistralement par nos amies Claudine Merceron et Martine Ritz qui par de courts textes, chants, poèmes rappelèrent aussi que ces hommes étaient pour l’essentiel de jeunes ouvriers. La chorale Jean-Baptiste Daviais interpréta le chant des partisans et le chant des marais.

Puis l’assistance se porta à quelques centaines de mètres afin de dévoiler la plaque de l’Allée des frères Hervé tous deux fusillés, l’un à Nantes, l’autre à Rennes*. À cette occasion Madame, Meyer représentant le maire de Nantes Johanna Rolland s’adressa à l’assistance après Jean Chauvin, fils de fusillé pour le comité du souvenir.

Les cérémonies se poursuivent l’après-midi à Sainte-Luce-sur-Loire où devant la statue érigée en mémoire de René Losq, place Jean Losq , Christian Retailleau, nouveau président du comité du souvenir, puis Monsieur Alix, maire de la commune s’adressèrent

à l’assistance. Le lendemain, c’est à Divatte sur Loire que ce clôturaient avec l’allocution de Loïc Le Gac,* membre du bureau du comité, ce 75e anniversaire en hommage aux résistants des procès des 42 et des 16.

Enfin, le dernier week-end de février une ultime cérémonie se déroula au cimetière Saint-Paul de Rezé où sont inhumés 16 de ces résistants. Gilbert Boissard, fils de fusillé puis Monsieur Gérard Allard*, maire de la commune prononcèrent les allocutions.

Depuis le 60e anniversaire, les cérémonies initiées et organisées depuis par le comité départemental du souvenir des fusillés de Châteaubriant et Nantes et de la résistance en Loire inférieure se déroulent chaque année. Depuis 2003, le travail du comité a permis de retrouver et de réunir les familles y compris celles des républicains espagnols après des années parfois de recherches.

Un colloque, des conférences, des publications, un livre, un film… ont été réalisés. Des voies principalement à Nantes, ont reçu le nom de Résistants. Un monument, œuvre d’un artiste allemand décédé depuis, a été élevé en 2006, grâce à une souscription, sur le carré des républicains espagnols dans le cimetière de la Chapelle basse-mer, où ils reposent depuis 1943. Cette commune dénommée depuis l’an dernier, Divatte sur Loire.
À l’occasion du 60e anniversaire, le comité avait créé, afin d’élargir la mobilisation, un collectif rassemblant des historiens, des militants de la mémoire, l’ADIRP, l’ANACR, l’ARAC, le PCF, la CGT… Le comité départemental a depuis 15 ans beaucoup œuvré afin de pérenniser cette mémoire, pourtant aujourd’hui certains s’auto-proclament dans la presse, comme les auteurs du renouvellement de cette mémoire prétendant que celle-ci avait été oubliée pendant 50 ans !

La réalité est toute autre, jusque dans les années 70, le site du Bêle était un terrain militaire et les organisations qui rendaient hommage aux fusillés la veille des cérémonies de Châteaubriant, devaient obtenir l’autorisation des autorités militaires pour pénétrer sur les lieux, ce qui ne fut pas toujours accordé sous prétexte de discours en hommage aux fusillés n’agréant pas l’accord desdites autorités. Il semble que ceux qui prétendent réécrire l’histoire n’est pas participé à l’époque aux hommages rendus aux fusillés nantais.

Avec le 60e anniversaire en 2003, le comité reçut le soutien de la ville de Nantes et de son maire afin de pérenniser au fil des années les cérémonies en mémoire des FTP des procès des 42 et des 16. Depuis 1945 et jusqu’à la fin des années 1970, les autorités de la République ne participaient pas à cet hommage. La municipalité de droite élue de 1983 à 1989 décida même de détruire le champ de tir, une fois les terrains rétrocédés à la collectivité territoriale. C’est l’action des élus communistes et des associations qui permit de conserver ce qui constitue aujourd’hui le monument du terrain du Bêle.

Cette année, à nouveau, une nouvelle voie, l’Allée des frères Hervé, a été inaugurée dans ce quartier en plein développement. Elle succède aux rues portant le nom de couples de Résistants dont le mari fut fusillé au terrain du Bêle. Elles portent les noms de Claude et Simone Millot, Louis et Louise le Paih, Maurice et Marie Michel et Jean René Losq, à Sainte Luce.

Le monument du Bêle est aujourd’hui de plus en plus entouré de logements dans ce nouveau quartier de nouvelles voies porteront les noms de Gomez Olliero, d’Auguste et Marie Chauvin, des voies privées portent depuis cette année le nom de René Losq et Marcelle Baron.

Le comité s’attache à rendre plus solennelle et populaire chaque année ces cérémonies avec les contributions d’amis intermittents du spectacle, de chorales d’amateurs, de scolaires. Nous envisageons déjà pour les années suivantes d’inviter la population de ce quartier à y participer.

Avec la mise en valeur de ce lieu, la ville de Nantes en coordination étroite avec le comité démontre son attachement à la mémoire de la Résistance. À l’occasion des cérémonies en hommage aux fusillés de Châteaubriant et Nantes et du Mont-Valérien du 22 octobre 1941, une nouvelle plaque comportant les noms de tous les fusillés tombés en ce lieu pendant l’occupation allemande sera apposée. Résultat d’un nécessaire travail de recherche, il est mené avec le concours des services du protocole, du patrimoine et des archives municipales de la ville de Nantes. Avec nos amis du Maitron, de militants, d’historiens, dont Thomas Fontaine directeur scientifique du Musée de la Résistance Nationale.

* voir le site resistance-44.fr pour plus d’informations

Inauguration de l’Allée des Frères Hervé

Allocution de Jean Chauvin ,Le Bèle, le 10 février 2018 pour le comité

Mesdames les Députées, Madame le Maire, Messieurs les Élus,
Mesdames, messieurs,

Merci à la municipalité de poursuivre par la dénomination de rues son hommage à la Résistance populaire. En effet la quasi totalité des 80 fusillés du Bèle étaient des ouvriers ou des employés.
Oubliés pendant 50 ans, le mérite revient à J.M. Ayrault d’avoir instauré cette commémoration à laquelle nous venons d’assister,
Les frères Hervé sont une illustration de cette Résistance populaire.
Fils d’un manœuvre et d’une ouvrière à la manufacture des tabacs, actifs dans l’aide aux réfugiés espagnols fuyant le franquisme, Édouard et Raymond faisaient partie de l’Organisation Spéciale, ancêtre des FTPF dont un des plus beaux faits d’armes fut de recueillir en 1944 la capitulation de la Wehrmacht à Paris.
Édouard était l’aîné, né le 23 mars 1908 à Nantes, il était chaudronnier à la Compagnie du gaz où il créa , avec son frère Raymond, le syndicat GGT. Adhérent du PCF depuis 1934, il participa aux activités de l’O.S. dès 1941.
Vers mars 1942, recherché par le sinistre SPAC ( Service de Police Anti- Communiste) il partit à Rennes où il eut d’importantes responsabilités. Son acte d’accusation au procès des résistants rennais en décembre 1942 est éloquent :
– « Chef terroriste pour Rennes et les environs, il possédait au moins 5 pistolets et a fourni des explosifs à ses coaccusés. Il a organisé et a pris part aux attentats suivants :
– attentat contre le bureau d’embauche pour le S.T.O.
– attentat contre un lieu de rassemblement de la Wehrmacht
– vol d’explosifs dans le magasin d’une carrière,
– attentat contre les pompes des chemins de fer
– attentat contre une ligne de haute tension,
– attentat contre le bureau de « la Légion des Volontaires Français »
Arrêté le 3 août par le Sipo-SD ( service de sécurité de la SS), il fut incarcéré à Rennes et jugé par le même tribunal militaire allemand que les résistants du procès des 42 à Nantes un mois plus tard.
Ce procès de 30 accusés se solde le 22 décembre par 25 condamnations à mort. Ils sont fusillés par la Wehrmacht le 30 décembre à Saint-Jacques la Lande.
Édouard était marié et père d’un enfant, Bernard, aujourd’hui décédé.
Il a été homologué au grade de capitaine FTPF et la légion d’honneur, la croix de guerre et la médaille de la Résistance lui ont été attribuées à titre posthume.

Raymond, dit « Petite Tête » était né le 11 mars 1916 et travaillait aussi à la Compagnie du Gaz jusqu’à ce qu’il en soit renvoyé pour avoir distribué du coke à des nécessiteux. Il entra alors aux Batignolles qui était un repaire de futurs « terroristes de l’Organisation Spéciale »,
Membre du cercle Doulon, il y fit du théâtre et des courses cyclistes. C’était un gai luron pas toujours contrôlable. C’est ainsi qu’un PV lui fut dressé en 1931 pour avoir, avec un camarade, lancé des pétards dans un office religieux.
Le 19 juin 1941 , 5 prisonniers de Choisel s’évadaient. C’est Raymond qui convoya à vélo de Châteaubriant à Nantes Fernand Grenier, futur commissaire de l’air de De Gaulle à Alger.
Parmi les 5 évadés se trouvait aussi Léon Mauvais, qui ne savait pas faire de vélo et pris le train jusqu’à la gare de St.Joseph où ma mère l’attendait.
Son parcours est en effet lié à celui de mon père, Auguste Chauvin, un de ses nombreux copains.
Tous deux faisaient de la propagande et distribuaient des tracts aux Batignolles. Ils durent quitter l’usine lorsque la police vint pour les y arrêter. Ils entrèrent alors dans l’illégalité et participèrent à de nombreux attentats.
Arrêtés ensemble le 13 août 1942 par le SPAC dans une cabane de jardin, à Beauséjour, route de Vannes, où ils se cachaient avec tout un arsenal (revolvers, mitrailleuses, explosifs).Ils furent « interrogés » c’est à dire torturés au Commissariat de police de la rue Garde Dieu puis incarcérés à la prison « La Fayette ».
Raymond réussit à s’évader du bureau du juge d’instruction au Palais de Justice avec l’aide de trois camarades. Au cours de cette évasion, le juge fut tué. Suite aux coups de nerf de bœuf qu’il avait reçu, Raymond ne pouvait pas s’asseoir sur la selle de son vélo. Renée Losq l’accueillit cité Halvêque tandis que ma mère accueillait Eugène Lebris blessé au cours de l’évasion. Réfugié à Trégunc, dans le Finistère, il fut repris le 26 septembre 1942.
Son acte d’accusation au procès des 42 n’est pas moins éloquent que celui de son frère. Il comporte cinq pages :
– Destruction de la machinerie du pont roulant de 150 tonnes aux Batignolles.
– Exécution d’un indicateur de la police qui dénonçait les Résistants.
– Attentat contre l’Hôtel de la Duchesse Anne, fréquenté par des officiers allemands.
– Attentat contre le local du PPF, parti collaborationniste.
– Cambriolage de la mairie de St.Sébastien pour récupérer des cartes d’alimentation.
– Cambriolage du bureau de poste de Lanester pour récupérer de l’argent.
– Attentat contre le mess des officiers allemands.
– Assassinat du juge lors de son évasion. Il a toujours dit que c’était une « bavure ».

Condamné à mort le 28 janvier 1943 lors du « Procès des 42 » dans le groupe des neuf « assassins », Il fut fusillé ici, au terrain du Bèle avec huit de ses camarades dès le 29 janvier au matin, sans attendre le délais de grâce qui courait jusqu’au 2 février. Ils furent inhumés anonymement au cimetière de Sautron. Le 25 juillet 1945, lors d’obsèques solennelles il fut inhumé avec 30 autres résistants au cimetière de « La Chauvinière » dans le carré des « Fusillés » où il repose, à coté de son frère.

Il a écrit une dernière lettre, qui n’a pas été remise à sa famille, mais retrouvée sur un soldat allemand. Ce n’est qu’en 1950 qu’elle fut renvoyée à la Mairie de Nantes et remise à ses parents.
Je souhaite vous en donner lecture :

Dernière lettre de Raymond Hervé :
Lettre écrite le 29 janvier avant son exécution. Elle n’a pas été transmise à la famille.
Retrouvée en Allemagne, elle a été renvoyée à la mairie de Nantes qui l’a transmise à ses parents vers 1950.

Chers parents,

Lorsque vous recevrez cette lettre, je ne ferai plus partie des humains car mon exécution a lieu dans quelques heures ainsi que 6 de mes camarades, aussi je vous écris ces quelques mots pour vous dire à vous deux ainsi qu’à Yvette, Adélaïde et mon cher petit neveu et à Édouard, si vous avez le bonheur de le revoir, ainsi qu’à tous les amis et camarades à qui vous direz que je meurs en Français pour mon pays et pour mon Parti et j’espère que mon Parti saura faire réhabiliter notre nom que le presse a dû salir.
Ma dernière pensée jusqu’à ma mort sera pour vous tous que j’aime et que j’ai toujours aimés.
Toi chère maman que j’aurai tant voulu revoir avant de mourir malgré que je t’aie fait quelques fois de la peine, je t’aimais de tout mon cœur, ainsi que toi cher vieux petit papa que j’ai fait rouspéter bien des fois, je pense que vous deux arriverez à oublier et que vous aurez quand même une heureuse vieillesse.
Toi ma chère Yvette, j’espère que tu te marieras et que tu seras heureuse en ménage et que tu conserveras un bon petit souvenir de ton frère Raymond qui t’a aimé jusqu’à sa mort et si tu as des enfants, tu leur parleras de moi de temps en temps.
Toi chère Adélaïde que je tutoie dans mes derniers moments, je pense que tu seras heureuse mère et si tu as le bonheur de revoir mon frère Édouard, tu l’embrasseras bien de ma part ainsi que ton petit gars, qui, je l’espère, sera élevé pour venger son oncle.
Je vous quitte en vous serrant encore une fois sur mon cœur.
Votre fils qui vous aime et pensera à vous jusqu’au dernier moment.
Mille baisers à tous
Raymond

Vive la France et Vive le Parti communiste.

Il n’a jamais su que son frère Édouard avait été fusillé à Rennes un mois plus tôt.