Comité Départemental du Souvenir des Fusillés de Châteaubriant de Nantes et de la Résistance en Loire-Inférieure

Résistants ou assassins ?

Résistants ou assassins ?
Le premier article rappelle les circonstances, dans les années 1930, de l’édification d’une section du tunnel Saint Felix par une main d’œuvre allemande dirigée par l’ingénieur Hotz. Il conclut sur « l’assassinat », le 20 octobre 1941 à Nantes, par de jeunes résistants communistes, du même Hotz devenu lieutenant-colonel, responsable des troupes allemandes d’occupation de la ville et sur « la mort » de 48 otages le 22 octobre à Châteaubriant, Nantes et Paris. Pour le dire vite, le troisième reprend la même construction mémorielle. « En représailles de l’assassinat du lieutenant-colonel Hotz, responsable des troupes d’occupation en Loire-inférieure , l’exécution de cinquante prisonniers est ordonnés par les nazis le 22 octobre 1941 ».
Les mots ont un poids : quels choix étonnants, pour nommer l’exécution de Hotz, que l’emploi du substantif « assassinat » que n’utilise plus aucun historien ! Quelle curieuse inversion des mots pour désigner qui assassine et qui résiste, qui fusille et qui exécute ou abat ! La plaque présentant la figuration des otages au mémorial du Bèle (OF du 22/10) elle ne s’y trompe pas. On y lit « Le 20 octobre 1941, le lieutenant-colonel Hotz … était exécuté par la Résistance ». Quant aux fusillés, ce ne sont pas des « prisonniers » mais des otages. Post mortem, les deux résistants, auteurs de cette exécution, Gilbert Brustlein, qui rejoindra l’armée de « La France libre », et Spartaco Guisco, fusillé à l’issue du procès de La Maison de la Chimie à Paris,  apprécieront d’apprendre qu’ils étaient des « assassins », que l’armée d’occupation n’était pas coupable des assassinats d’otages et de résistants qu’elle fusillait pour terroriser.
Doit-on comprendre qu’il s’agit « d’assassins, de terroristes et de bandits » comme le répandent alors l’Occupant et le régime de Vichy,  et non d’un acte de guerre de la Résistance armée, mené à un moment charnière de la Guerre ? Renée Losq, grande figure de la Résistance nantaise, dans un entretien filmé présenté au Musée d’Histoire de Nantes, déclare : « On était des terroristes à ce moment-là ! Enfin, c’est eux (l’Occupant) qui nous appelaient comme cela. Je ne sais pas si j’ai une tête de terroriste ?». L’écrivain allemand Thomas Mann, dans une intervention à la BBC anglaise, qualifie les auteurs de l’exécution de Hotz « de jeunes et ardents patriotes » qui font, à Nantes, entrer la Résistance intérieure dans la guerre. Le général de Gaulle, sur les mêmes ondes, les qualifie de « courageux garçons » et ajoute, utilisant le terme « abattus » : « Il est absolument normal et absolument justifié que les Allemands soient tués par les Français. Si les Allemands ne voulaient pas recevoir la mort de nos mains, ils n’avaient qu’à rester chez eux et ne pas nous faire la guerre. Tôt ou tard, d’ailleurs, ils sont tous destinés à être abattus, soit par nous, soit par nos alliés…»
Doit-on aussi comprendre que « le système des otages », qui conduit aux fusillades, n’était pas déjà en place avant l’assassinat de 48 otages le 22 octobre 1941? Il l’a été entre les étés 40 et 41. L’ordonnance allemande sur les otages du 22 Août 41 officialise, pour répondre aux actes de résistance, les exécutions, lesquelles se multiplient depuis le printemps.  « Le code des otages » est publié le 28 septembre 41 par Otto von Stulpnagel, chef des forces d’occupation allemandes en France.
L’officier allemand Hotz arrive à Nantes le 23 juin 1940. Le cheminot résistant nantais Marin Poirier, arrêté le 20 janvier 41, gardé en prison comme otage, est fusillé à Nantes le 30 Août « pour avoir favorisé la fuite des prisonniers de guerre français en zone non occupée ». Le Nantais Léon Jost et son réseau, qui ont organisé la fuite de ces prisonniers, sont arrêtés le 15 janvier 41. Le préfet de Loire Inférieure Dupart fait savoir à De Brinon, ambassadeur de Vichy auprès des Allemands, que toute mesure de clémence les concernant bute sur Hotz. On sait, que condamné à des années de forteresse en Allemagne le 15 juillet 41, Léon Jost reste interné à la prison Lafayette de Nantes. Dans ses lettres à sa femme, il explique qu’il n’a pas été transféré parce qu’il est gardé à Nantes comme otage en représailles aux actes futurs de résistance et qu’il s’attend à être fusillé. Il le sera parmi les 48 otages du 22 octobre 1941.
De même, au camp de Choisel à Châteaubriant, le tri des otages potentiels est fait par Chassagne, envoyé par Pucheu, ministre de l’intérieur de Pétain.  Il est présent dans le camp les 12  et 13 octobre 41, c’est-à-dire avant l’exécution de Hotz. 27 d’entre eux seront fusillés le 22 octobre.
Il convient, me semble t-il, d’utiliser, pour ne pas réviser l’Histoire, le terme d’exécution et non d’assassinat concernant Hotz et celui de fusillades ou d’assassinats pour les otages. Faute de quoi le travail des historiens sur la mémoire nantaise de la Guerre s’en trouve ignoré pour nous ramener trente ans en arrière.
Marc Grangiens. Historien, Documentariste.

Cérémonie au champ de tir du Bêle

Commémoration du 77ème anniversaire des fusillades du 22 octobre 1941
Lundi 22 octobre 2018 – Monument du Bêle

Allocution de Madame Johanna Rolland, Maire de Nantes.
Monsieur le Directeur de Cabinet (de la Préfète)
Mesdames et messieurs les parlementaires ,
Madame la représentante du Conseil Départemental,
Monsieur le représentant de la Délégation Militaire départementale
Monsieur le représentant la Région de Gendarmerie,
Monsieur le représentant de la DDSP,
Monsieur le représentant du SDIS,
Monsieur le Président du Comité du Souvenir des Fusillés de Nantes et Châteaubriant de la Résistance en Loire- Inférieure,
Mesdames et messieurs les membres et représentants des associations d’anciens combattants,

Madame la Conseillère aux cérémonies patriotiques et aux affaires militaires, chère Christine,
Mesdames, messieurs,
Je vous remercie toutes et tous de votre présence aujourd’hui, pour la commémoration du 77ème anniversaire de cette exécution, si profondément ancrée dans nos mémoires. Ce que nous célébrons aujourd’hui constitue en effet une page d’histoire, un de ces moments qui constituent l’aventure collective d’un peuple. Et commémorer cette exécution, c’est aussi tirer du passé les exemples et les leçons indispensables à notre présent et à notre avenir.
Rappelons nous tout d’abord ces circonstances tragiques, qui conduisirent à la mort ceux dont nous honorons aujourd’hui la mémoire. Un officier allemand, le lieutenant- colonel Karl Hotz, commandant les troupes d’occupation dans le département de Loire-Inférieure, selon le nom de l’époque, est abattu le 20 octobre 1941 par un commando de résistants.
La réaction ne se fait pas attendre. En représailles, les Nazis exigent du sang. Ils veulent que des otages soient fusillés.
La barbarie est venue s’ajouter l’ignominie, celle du gouvernement de Vichy qui a accepté de désigner lui-même les victimes. Et ce régime n’a pas eu grand mal à les choisir, lui qui ne savait que diviser, hiérarchiser. Lui que l’infamie du statut des juifs poursuivra à jamais. Lui qui a créé un « fossé de sang entre les Français », pour reprendre l’expression de Robert Paxton.
Il a choisi ses victimes parmi celles et ceux qu’il détestait parce qu’ils refusaient d’abjurer leur confiance en l’homme, leur lutte pour la dignité humaine. Il les a choisis parmi celles et ceux qui refusaient que s’efface la magnifique devise de notre République, « liberté, égalité, fraternité ».
Il y a eu 48 exécutions. Seize sont tombés ici même, au champ de tir du Bêle, vingt-sept dans la carrière de la Sablière, à Châteaubriant, et cinq au Mont-Valérien, à Paris. Tous, dans la mort, se sont montrés admirables. René-Guy
Cadou nous les a si bien décrits, comme seul sait le faire un poète, en nous les montrant  » exacts au rendez-vous (convaincus) que la mort surtout est une chose simple, puisque toute liberté se survit ». Tous ont donné leur vie avec courage, pour leurs convictions, pour la France. A chacun d’entre eux, nous devons respect et reconnaissance.
A ces otages, je veux associer la mémoire de l’ensemble des résistants, de l’ensemble des combattants de l’ombre qui, dans ces années terribles, ont refusé l’inadmissible, ont entretenu l’espoir et sauvé l’honneur. Je veux saluer celles et ceux qui sont devenus des héros parce qu’ils ont été fidèles à eux-mêmes, à leurs convictions, à leurs valeurs. Celles et ceux qui auraient pu reprendre à leur compte la très belle formule de Jean Moulin, pudique et admirable, selon qui « c’est si simple de faire son devoir quand on est en danger ». A tous ceux-là, nous devons une reconnaissance éternelle, une reconnaissance simple et vraie, à la hauteur de leur engagement qui ne visait pas la gloire, bien au contraire, qui se faisait au profit d’une cause qui les dépassait et qui leur a donné tant de forces.
Bien sûr, ici, à Nantes, ces combats et ces sacrifices nous parlent tout particulièrement. Car ils sont nombreux, celles et ceux qui ont donné leur vie pour la cause de la liberté, pour l’honneur, pour la France, ici, à Nantes, lors de la seconde guerre mondiale.
Notre ville a en effet joué un rôle particulier durant la seconde guerre mondiale. Nantes, durant les années tragiques de l’occupation, durant ces années noires, a vu nombre de ses habitants refuser l’oppression, la barbarie, la fatalité de la défaite et de l’humiliation. Très rapidement, la Résistance a pris corps à Nantes. Peu de villes ont connu une activité si intense contre l’occupant. Nantes, selon la formule du général de Gaulle, « a donné à la France (…) l’exemple de ce que peut faire et de ce que sait faire une bonne grande ville française quand elle est courageuse et résolue ».
La Nation nous a exprimé sa reconnaissance en faisant de Nantes la première des cinq communes Compagnon de la Libération, par décret du 11 novembre 1941. C’est un motif de fierté pour nous. Cela nous honore. Cela nous oblige
également. Cette distinction confère à Nantes un devoir particulier de mémoire, pour transmettre le souvenir de celles et ceux qui se sont battus pour notre liberté, pour honorer leur mémoire, faire vivre les valeurs qui les animaient. Nous nous y employons au sein du Conseil National des Communes Compagnon de la Libération. Je veux remercier ici Gérard Frappier, notre délégué au Conseil National des communes Compagnon de la Libération. Qu’il me soit permis ici de saluer également le travail formidable effectué avant lui par le regretté Henri Duclos. Cette année, j’ai le grand honneur de co-présider ce Conseil. Cette co-présidence, c’est une responsabilité, encore plus grande à l’heure où les derniers témoins nous quittent. Le décès de Yves de Daruvar, le 27 mai dernier, à l’âge de 97 ans, a réduit à cinq le nombre de Compagnons de la Libération encore en vie. Louis Fouquet, le dernier des 128 habitants de l’île de Sein partis rejoindre le général de Gaulle, s’est éteint récemment. A nous de faire en sorte que ces héros, illustres et inconnus, restent dans les mémoires et que le souvenir de leurs actions ne s’estompe jamais. Nous nous y employons, avec force, avec conviction.
C’est ce que nous faisons par exemple en installant, comme l’an passé, les portraits des Otages Cours des 50 Otages. C’est dans cet esprit également que nous avons dévoilé à l’instant cette nouvelle plaque, portant la liste exacte de tous ceux qui furent fusillés, ici, durant l’ensemble de la guerre. C’est un remarquable travail qui a été effectué à l’initiative du Comité du souvenir pour qu’enfin, tous ces héros, sans exception, aient leur nom sur ce monument. Je veux vraiment saluer tous ceux, membre du Comité, historiens, passionnés et membres des services des archives, qui s’y sont investis.
Et je crois que la meilleure manière d’honorer la mémoire de celles et ceux qui ont combattu, en ces années terribles, qui se sont sacrifiés pour notre liberté et celle du monde, c’est d’être fidèle à l’esprit qui les animait, c’est de s’inspirer de leur exemple.
Les honorer, c’est d’abord proclamer l’universelle égalité des femmes et des hommes, quelles que soient leur nationalité, leur origine, leur religion ou leur absence de religion. C’est dire, une fois pour toutes, que dans notre pays, dans notre
société, l’intolérance, le racisme, les préjugés ne peuvent avoir la moindre place. Parce qu’ils sont abjects. Parce qu’ils mènent toujours au pire.
Les honorer, c’est construire une société solidaire et fraternelle, une société qui mette pleinement en oeuvre notre pacte républicain.
Les honorer enfin, c’est promouvoir l’idéal européen, cette belle et grande idée. Nous lui devons, ne l’oublions jamais, une très longue période de paix et de prospérité. Certes, la construction européenne, telle qu’elle s’effectue et fonctionne actuellement, doit être renouvelée, refondée même. Certes, elle doit être plus proche des citoyens, plus attentive aux initiatives venues du territoire. Certes, elle doit s’engager résolumment sur les grandes questions qui déterminent notre avenir, la mondialisation économique, la transition écologique, les migrations de population. Mais l’acuité de ces questions prouve bien le besoin d’Europe, une Europe forte, ambitieuse, dynamique et protectrice, attentive aux forces vives, qui donne la parole aux peuples, aux citoyens et qui dialogue avec les territoires.
Oui, nous pensons aux otages fusillés dont nous célébrons aujourd’hui la mémoire. Oui, nous pensons à celles et ceux qui durant la seconde guerre mondiale, ont donné leur vue pour l’honneur, la liberté, la dignité humaine. Oui, nous voulons être digne d’eux, de leur mémoire, de leur combat, précieux éclairage pour notre action.
Et c’est, je crois, le sens de notre rassemblement aujourd’hui, et je vous remercie, toutes et tous, de votre présence.

Allocution de Monsieur Christian RETAILLEAU
Président du Comité Départemental du Souvenir des Fusillés de Châteaubriant et Nantes et de la Résistance en Loire-Inférieure
Madame le Maire,
Mesdames et Messieurs les représentants des autorités civiles et militaires,
Mesdames et Messieurs les élus,
Mesdames et Messieurs les familles des Fusillés,
Mesdames et Messieurs les représentants des associations d’anciens combattants, d’organisations syndicales et politiques,
Mesdames et Messieurs les porte-drapeaux,
Mesdames et Messieurs,
Chers amis,

Il y a 77 ans, en ce lieu du terrain du Bêle, à la Sablière à Châteaubriant, au Mont-Valérien, 48 résistants désignés comme otages étaient fusillés par les nazis. Ce crime odieux, perpétré sur ordre personnel de Hitler avec la complicité active des dirigeants collaborateurs de Vichy, visait à terroriser la population française et à annihiler une résistance qui s’organisait. La réprobation fut générale dans le monde entier, de Londres à Moscou et à Washington.
Par leur sacrifice, les 48 ont su insuffler le refus de la défaite et de la servitude et cette volonté de résister à tout prix, par tous les moyens y compris la lutte armée. Ils ont porté l’espoir de jours meilleurs aux pires heures de l’Occupation.
Plus le temps passe et plus notre responsabilité augmente.
Responsabilité vis-à-vis de l’Histoire.
Les soixante-dix-sept années qui nous séparent de cet évènement tragique et emblématique de la Résistance ne sauraient constituer des obstacles à la connaissance de l’Histoire et à la nécessité absolue de la transmission de la mémoire. Tout au contraire, il est essentiel de se souvenir et de transmettre aux nouvelles générations cette mémoire.
C’est le sens de l’Hommage rendu aux Fusillés du 22 octobre 1941, tout au long des cérémonies qui ont lieu depuis vendredi, à Nantes, Indre et Châteaubriant et aujourd’hui au Monument aux 50 otages et à la Résistance, au Monument du terrain du Bêle et au Cimetière de la Chauvinière.
Transmettre aux jeunes d’aujourd’hui – qu’ils soient élèves, étudiants, ouvriers et employés, jeunes demandeurs d’emploi, précaires – les leçons de ce passé devient une obligation républicaine dans une Europe où l’on perçoit combien « le ventre est encore fécond d’où a surgi la bête immonde », comme le clamait Bertolt BRECHT.
Ce passé n’est pas si lointain, qui vit l’Europe être confrontée au nazisme et aux fascismes et à un deuxième conflit généralisé, dont les conséquences humaines, matérielles et morales furent désastreuses.
En cette année de centenaire 1918 – 2018, marquant la fin de cette hécatombe humaine, de cette boucherie que fut le premier conflit mondial, comment ne pas relier cette commémoration nationale aux commémorations d’octobre.
Les survivants des tranchées, et parmi eux certains des Fusillés que nous célébrons, avaient espéré que le sacrifice d’une génération serait le dernier, avaient rêvé d’un monde sans guerre ! Il n’en fut rien mais, disons-le, ce deuxième conflit n’avait pourtant rien d’inéluctable.
Les combats menés par les militants antifascistes et démocrates dans les années 1930 contre l’extrême droite factieuse, le soutien et l’engagement de ces militants dans les Brigades Internationales aux côtés des républicains espagnols contre le général putschiste Franco soutenu militairement par Hitler et Mussolini, leur refus des accords de Munich – les accords de la honte – sont autant d’exemples montrant qu’il était non seulement nécessaire mais possible de s’opposer à « la montée des périls », selon le mot de Pierre Brossolette.
Les élites de l’époque firent un autre choix : « Hitler plutôt que le Front Populaire », et laissèrent prospérer jusqu’à l’embrasement de l’Europe, l’idéologie de haine et de mort du régime nazi, idéologie basée sur l’antisémitisme, le racisme et l’anticommunisme.
Cinq longues et terribles années de guerre seront nécessaires pour assister à la libération du territoire et à la capitulation sans condition de l’Allemagne nazie face aux armées alliées, le 8 mai 1945. Le bilan humain de ce conflit est presque inconcevable pour nos générations, avec ses dizaines de millions de morts, des massacres par centaines, la répression et la déportation de masse, la persécution des juifs, des tsiganes, des slaves, des homosexuels.

Responsabilité vis à vis de la Résistance
Au moment où les rangs des Résistants s’éclaircissent, que disparaissent les derniers témoins, les récupérations politiques les plus diverses se font jour visant à réécrire l’Histoire de la Résistance avec un objectif principal : gommer le rôle essentiel joué par la classe ouvrière au sens large du terme dans la Libération et dans la phase de reconstruction de notre pays.
Alors, notre responsabilité collective consiste à rappeler et à transmettre sans relâche cette spécificité d’une Résistance populaire, si diverse à l’image des 48 hommes que nous honorons, qui représentaient la France dans sa diversité d’opinions, de croyances, dans sa diversité sociale et politique.
Il est utile que chacun se réapproprie cette histoire, qui aboutit le 27 mai 1943 à la création du Conseil National de la Résistance. Sous l’impulsion de Jean Moulin, délégué du Général de Gaulle, la résistance intérieure se dotait d’un organe fédérateur qui allait adopter, quelques mois plus tard, un programme novateur jetant, pour l’après-guerre, les bases politiques, économiques et sociales d’une République porteuse de progrès démocratiques et sociaux.
Les mesures du programme du CNR ont façonné le modèle social français, basé sur des notions de solidarité et de justice sociale. C’est notre bien commun et nous avons l’obligation de le transmettre aux générations futures.
Que penser alors des gouvernements dont celui d’aujourd’hui qui, tout en se réclamant de l’héritage de la Résistance, nie à travers leurs choix politiques les valeurs défendues par elle ? La liste serait longue à énumérer : remise en cause de la sécurité sociale, du statut des fonctionnaires, des droits sociaux et syndicaux, privatisations des services publics et du secteur nationalisé, perte d’indépendance de la presse et des médias… Au cadre collectif et social inspiré par le CNR, le gouvernement et ses soutiens veulent substituer la vieille loi du « chacun pour soi », cette vieille pensée libérale qui d’un côté culpabilisent les salariés, les retraités, les chômeurs et les précaires pour le peu qu’ils ont et, de l’autre, aident les privilégiés à obtenir encore plus, renforcent le pouvoir des tutelles de l’argent dans leur mainmise sur les moyens financiers, de production et d’information du pays.

Responsabilité enfin vis-à-vis du présent
Transmettre à la jeunesse encore. L’oubli de l’histoire, les déformations dont elle fait l’objet, les insuffisances dans son enseignement expliquent en partie la perte de repères historiques préjudiciables à la compréhension des enjeux politiques et sociaux d’aujourd’hui.
Ainsi, ces résistants auxquels nous rendons hommage, constituent pour tous des repères. Et parmi ceux-ci, ces étrangers nos frères pourtant, comme ceux du groupe Manouchian, comme un Gomez Ollero et ces républicains espagnols, FTP nantais, ou encore un Marcus Garbarz, un Georges Tompousky, internés au camp de Choisel à Châteaubriant et fusillés au terrain du Bêle.
Le rejet et la stigmatisation par les forces d’extrême droite du migrant, de l’étranger venu du sud, de l’autre parce qu’il est différent, le transformant en un nouveau bouc émissaire ne peut que conduire au pire.
Le refus des gouvernements, Italie en tête, d’accueillir dans les ports européens des bateaux humanitaires, qui recueillent à leur bord des centaines de migrants menacés de noyade et en demande d’hospitalité, entretient, à cet égard, une confusion malsaine entre bons et mauvais immigrants.
Dans ce combat toujours renouvelé pour la liberté, pour les droits démocratiques et sociaux, pour un monde plus juste et en paix, sachons comprendre et transmettre les valeurs de la Résistance à travers le souvenir des 48 Fusillés du 22 octobre 1941, le souvenir de tous les résistants dont ceux dont les noms sont rappelés sur la plaque qui vient d’être dévoilée.
Ecoutons l’avertissement de Paul Eluard : »si l’écho de leur voix faiblit, nous périrons. »
Merci de votre attention.

L’allocution de Loïc Le Gac lors de la veillée du souvenir vendredi 19 octobre 2018

Allocution de Loïc LE GAC
Madame Meyer, conseillère municipale, représentant Madame le Maire, Madame et Monsieur les député-e-s Valérie Oppelt et Mounir Belhamiti, Mesdames et Messieurs les élus,
Chères familles des Otages,
Mesdames et Messieurs les représentants d’associations et organisations patriotiques, politiques et syndicales,
Madame et Messieurs les porte-drapeaux,
Mesdames, Messieurs, chers amis,
77 années nous séparent des événements tragiques d’octobre 1941. L’attentat, le 20 octobre, contre le Feldkommandant Hotz par un groupe de trois jeunes résistants communistes des Bataillons de la jeunesse : Marcel Bourdarias, Gilbert Brustlein et Spartaco Guisco – « trois courageux garçons » a dit le général De Gaulle – est l’un des premiers faits d’armes de la Résistance contre l’occupant nazi. C’est le plus haut gradé allemand tué en France depuis l’armistice. Des représailles s’ensuivirent : le 22 octobre, 48 otages tombaient sous les balles de la Wehrmacht, 27 à Châteaubriant, 16 au Bêle et 5 au Mont Valérien.
Et n’oublions pas ceux – ils étaient 9 – qui ont été fusillés le 15 décembre suivant à la Blisière, au fond de la forêt de Juigné, 2 encore le 7 mars au Bêle, puis de nouveau 2 autres le 29 avril, 61 au total.
En leur rendant hommage, c’est à toutes celles et ceux qui, d’une manière ou d’une autre, formèrent la Résistance que nous rendons hommage, quelles que soient leurs convictions philosophiques, politiques ou religieuses, leurs modes d’actions, leur nationalité et qui trop souvent donnèrent leur vie pour que nous vivions dans un monde meilleur.
Qui étaient-ils ces 48 hommes ?
Les plus nombreux étaient des communistes, et notamment des dirigeants, car en choisissant des responsables connus, l’Occupant et Vichy voulaient dissuader d’autres militants de s’engager dans l’action directe et la lutte armée naissante.
Plusieurs étaient des élus du peuple comme le député Charles Michels, le maire de Gennevilliers Jean Grandel, d’autres étaient conseillers généraux ou élus municipaux. Tous déchus de leur mandat. On comptait parmi eux des dirigeants de Fédérations syndicales de la CGT comme Jean-Pierre Timbaud. Les deux-tiers étaient des ouvriers, mais il y avait aussi parmi eux des enseignants, des médecins et des jeunes dont le plus connu est Guy Môquet.

Pour la plupart ils ont été arrêtés lors des grandes rafles d’octobre 1940, organisées par la police de Vichy et ont été internés administrativement, souvent sans jugement dans le camp de Choisel après avoir fait le circuit des prisons : Fresnes, Clairvaux, Fontevrault et d’autres.
Le groupe des Nantais fusillés au Bêle et au Mont Valérien comprend comme Alexandre Fourny, par ailleurs élu municipal SFIO, des animateurs du Comité d’entente des anciens combattants qui combinaient l’action légale d’entraide, soutenue par les autorités, envers les prisonniers de guerre et l’organisation d’une filière d’évasions vers la zone Sud et l’Angleterre. Ils appartenaient aux groupes Bouvron, Georges-France 31 ou Hévin. S’étaient joints à eux des jeunes catholiques investis dans des activités de renseignement dont Michel Dabat, qui avait hissé le drapeau tricolore sur la cathédrale dans la nuit du 10 au 11 novembre 1940.
Une singularité qui ne peut pas nous échapper en cette année du centenaire de 1918, c’est que plusieurs des otages fusillés étaient des combattants de la Première Guerre Mondiale, sortis meurtris de cette boucherie, dont ils espéraient qu’elle serait la « der des ders ». Certains y ont été distingués de la Croix de guerre, plusieurs comme Jules Vercruysse et Léon Jost étaient de grands blessés.
Qui les a choisis ? L’ordre est venu de Hitler lui-même, qui avait exigé la promulgation d’un « Code des otages ». Et il est établi que la constitution de la liste est le fruit d’une étroite collaboration entre le commandant militaire en France Otto von Stülpnagel et le ministre de l’intérieur de Vichy Pucheu, qui avait missionné à Châteaubriant Georges Chassagne, un jaune, ancien adhérent de la CGT, retourné par Vichy, pour préparer préventivement une liste de communistes et les isoler dès le 13 octobre dans une baraque spéciale.
Granet, Poulmarc’h, Chassagne les connaissait bien, et Pucheu aussi. Il faut revenir cinq années en arrière, le Front populaire avec ses élus comme Charles Michels, ses syndicalistes comme Timbaud, les usines occupées, les 40 heures, les congés payés, les hausses de salaires. En face Pucheu, Croix de feu puis doriotiste, banque Worms, Comité des Forges.  » Plutôt Hitler que le Front populaire ». C’est la revanche du Comité des Forges. Les fusils de la Wehrmacht ont rayé du monde des vivants ces leaders cégétistes qui ont fait reculer le patronat en 1936. C’est un crime de classe.
Pucheu souhaitait que seuls des communistes soient fusillés. Stülpnagel voulait y mêler d’autres tendances et des jeunes pour accroître l’effet de terreur, intimider d’autres mouvements et les dissuader de rejoindre les communistes.
Mais l’assassinat des otages n’a pas eu l’effet dissuasif recherché. Certes, dans l’immédiat, les attentats n’ont pas été populaires. Mais l’horreur de ce massacre de masse a provoqué un effet de sidération. Le mythe de « l’allemand correct » et celui de Pétain, vainqueur de Verdun en ont pris un coup. Les fusillades du 22 octobre ont eu un impact considérable, non seulement dans notre région, mais dans tout le pays et dans le monde. Les jours suivants, des milliers de personnes se sont recueillies dans la carrière de la Sablière. Le 31 octobre, un
garde-à-vous national auquel a appelé le général De Gaulle, a été accompagné de débrayages dans les usines, par exemple à l’arsenal de Brest ou chez Peugeot à Sochaux et ailleurs. Des tracts reproduisant les prises de position de Roosevelt et Churchill ont été largués sur la France par les avions de la R.A.F., le grand écrivain Thomas Mann dans une célèbre intervention à la BBC a qualifié les auteurs de l’exécution de Hotz de « jeunes et ardents patriotes qui font entrer la Résistance intérieure dans la guerre ». A partir de documents qui lui ont été transmis dans la clandestinité, Aragon a écrit un texte sobre mais percutant: Les Martyrs et dont le retentissement a été très important : recopié, édité en tracts, il a fait « boule de neige ». Lu à Radio-Londres, Radio-Moscou, Radio-Brazzaville, à Boston et à New York, le texte touche au coeur un vaste public. Les fusillades d’octobre 1941 contribuent au tournant politique de la fin de 1941.
Ainsi, l’année 1942 a connu un développement de l’action, pas seulement dans notre département et marque le passage de la période de refus, de la résistance avec un petit r à la Résistance, R majuscule, mieux organisée, plus structurée.
Les otages fusillés, ceux qui croyaient au ciel , ceux qui n’y croyaient pas – La rose et le réséda – leurs lettres en témoignent, étaient tous animés d’une foi, que ce soit dans la récompense d’un paradis ou dans l’avènement sur terre d’une société heureuse. Comme l’a dit le philosophe Georges Politzer, « Les barbares voulaient les tuer. Ils les ont rendu immortels ». Parce que leur mort a été un moment dans un combat universel.
Et contrairement au voeu de Stülpnagel, qui voulait les diviser, ils ont préfiguré l’unité de la Résistance, laquelle s’est consolidée plus tard avec les Accords du Perreux de réunification syndicale, puis la constitution du Conseil National de la Résistance autour de Jean Moulin et les combats de la Libération.
Les résistants ne cherchaient ni la gloire, ni les larmes. Ils nous ont donné la liberté en héritage. Et cela nous oblige.
Pour maintenir en vie le souvenir des combats des résistants contre les assauts du temps, il faut sans cesse transmettre leurs valeurs, en particulier aux jeunes générations. Notre Comité du Souvenir s’y emploie, car nous ne voulons pas que nos enfants soient des « enfants du vide ». Le devoir de mémoire, tel que nous le concevons, repose nécessairement sur un travail d’histoire sans tabous, sans masquer les zones d’ombre, un travail d’histoire sereine.
Mais il ne s’agit pas seulement de se souvenir.
« Le verbe résister doit toujours se conjuguer au présent » disait Lucie Aubrac dans l’appel de plusieurs personnalités marquantes de la Résistance en 2004. Appel adressé aux jeunes générations afin qu’elles réagissent face à la destruction du « socle de conquêtes sociales de la Libération « , et dans lequel ces grands résistants dénonçaient « dans une société pourtant si riche, le repli sur soi, la peur et le mépris de l’autre, le déni de l’intérêt général au bénéfice de quelques particuliers, bref le recul de la démocratie »
Cet appel, lancé à l’occasion du 60ème anniversaire du programme du Conseil national de la Résistance, résonne aujourd’hui avec une acuité qui n’a pas faiblit.
Destruction du modèle social issu du CNR, prise de pouvoir de la finance, atteintes au pluralisme de la presse quand 9 milliardaires possèdent la quasi-totalité des médias, explosion des inégalités, montée des populismes : cela, ce n’est pas la société qu’ont voulue les résistants.
Cette situation offre un terreau fertile aux forces d’extrême-droite. Elles ont le vent en poupe, partout en Europe, aux Etats-Unis et les bruits de bottes se font de nouveau entendre au Brésil. Si elles continuaient de renforcer leurs positions de pouvoir, mesurons le désastre possible pour l’humanité. Nous devons nous prémunir d’un retour du fascisme.
Le désordre du monde est tel que la déstabilisation touche de nombreuses régions du globe, le Yemen connait les bombes, la famine et le choléra, notre pays étant impliqué dans les ventes d’armes, la Méditerranée se transforme en cimetière, et la menace que représente l’arme nucléaire est plus inquiétante que jamais.
Oui, il y matière à s’indigner, mais s’indigner ne suffit pas. Face aux grands défis économiques et sociaux, démocratiques, climatiques, il faut agir, s’engager!
« On ne fera pas un monde différent avec des gens indifférents » a dit l’écrivaine indienne Arundhati ROY.
Aujourd’hui comme hier, il faut une insurrection des consciences pour conjurer les périls. Je vous remercie de votre attention.
Je vous invite à visiter le site www.resistance-44.fr

Notre ami Marc Grangens écrit à Ouest France

>
> Bonjour,
>
> Je vous propose pour la rubrique Nantes-Forum le texte joint. Il concerne votre couverture des commémorations des fusillades des 50 otages à Châteaubriant, Nantes et Paris le 22 octobre 1941.
> J’ai déjà envoyé plusieurs contributions à votre Forum sur ce sujet. La dernière été refusée car écrite trop tardivement. Le texte que je vous envoie ici colle exactement à l’actualité locale.
> Depuis ce matin, je reçois de nombreux appels téléphoniques de membres de l’ Association du Musée de la Résistance de Châteaubriant et du Comité départemental du Souvenir des Fusillés de Châteaubriant de Nantes et de la Résistance en Loire-Inférieure. Ils sont choqués
> de la rédaction de plusieurs de vos articles depuis le 18 août.
>
> J’attire votre attention sur le fait que, depuis ce mois d’Août, l’utilisation, par trois fois par Ouest-France, du verbe assassiner ou du substantif assassinat pour qualifier l’exécution du lieutenant-colonel Hotz, le 20 octobre 41, par de jeunes résistants, apparait aujourd’hui totalement inadapté, pour ne pas en dire davantage, aux yeux des historiens professionnels, enseignants aux universités. Quelque soit leur position sur l’exécution de Hotz, tous considèrent qu’il s’agit d’un acte de guerre contre l’occupant allemand et d’une exécution. Ce matin même, Madame Le Maire de Nantes a déclaré au mémorial du Bêle que Karl Hotz avait été abattu par la Résistance. Elle s’est bien gardée de parler d’assassinat.
>
> Il ne d’agit pas d’une question de sémantique ou d’une maladresse de rédaction mais bien d’un problème d’écriture de l’Histoire et d’analyse des constructions mémorielles portant sur la Résistance nantaise, qui fut une des plus importantes résistance urbaine de France avec Paris et Lyon : Nantes étant par ailleurs et en même temps une ville phare de la collaboration. 800 personnes sont à jour de leur cotisation au groupe « Collaboration » en janvier 42 (à Rennes moins de 50).
> L’analyse de la construction mémorielle de la Résistance y est donc un sujet majeur et citoyen que la presse ne peut ignorer.
> Je ne veux pas dans votre journal faire un cours d’histoire, mais donner à vos lecteurs, les éléments d’analyse que le choix d’un verbe et d’un substantif , qu’on pourrait seulement qualifier à tort de maladroit, masque ou oblitère.
>
> J’espère qu’en ces jours d’anniversaire de l’affaire des 50 otages, vous comprendrez ma demande de participation à Nantes-Forum.
> Bien à vous.
> Marc Grangiens