Un procès pour l’Histoire Il y a 75 ans s’ouvrait le procès de Nuremberg

On décide à la conférence de Moscou, fin octobre 1943 que les criminels de guerre ayant agi à une échelle locale ou nationale seront jugés sur le lieu de leurs crimes. Quant aux « grands criminels de guerre », ayant œuvré à l’échelle du Reich tout entier, leur sort était renvoyé à une décision des 3 puis 4 Grands, prise tardivement, car les Alliés étaient divisés sur la question : exécutions ou procès ? Finalement, on s’accorde sur un procès, et les Etats-Unis jouent un rôle moteur dans la création du Tribunal Militaire International (TMI). Le débat porte ensuite sur les chefs d’inculpation. Les Etats-Unis voulaient une inculpation pour complot et crimes contre la paix, l’Urss et la France une inculpation pour crimes de guerre : ce n’est pas la guerre qui est au cœur du procès, mais la manière dont elle a été conduite.

Finalement, le représentant nommé par Truman, Jackson, impose une nette hiérarchie des crimes reprochés aux dirigeants nazis : la Charte du Tribunal fait du crime contre la paix le crime suprême dont découlent tous les autres. Les crimes de guerre sont ceux qui sont commis par les nazis sur les territoires et les personnes sous leur contrôle. Et au bout de la chaîne, les crimes contre l’humanité sont des crimes qui ne seront jugés que s’ils découlent de la guerre. Cela ne concerne donc que ce qui s’est passé pendant la guerre, pas avant, et cela ne concerne pas non plus ce qui s’est passé en Allemagne, contre les juifs ou les opposants.

Mais la notion de crime contre l’humanité fait une entrée dans le droit international, tout comme la responsabilité des individus dans les crimes contre la paix ou crimes de guerre. Jusque là, seuls les Etats étaient jugés. Les dirigeants peuvent donc désormais être condamnés.

Ce TMI a de gros moyens : 1500 experts, interprètes, juges. Il est filmé, et des journalistes le suivent pendant un an: il s’agit aussi de donner une leçon aux générations suivantes, y compris de dirigeants, pour éviter que cela recommence. Les films et témoignages vont en fait faire évoluer le procès vers la condamnation des crimes et de ce qu’on n’appelle pas encore génocide.marie-claude_vaillant_couturier.jpg

Le témoignage de Marie-Claude Vaillant Couturier, résistante et communiste, le 26 janvier 1946 (photo ci-contre) y contribue fortement : elle est une survivante du convoi de janvier 1943, le seul convoi de femmes résistantes et non –juives déportées au camp d’extermination d’Auschwitz–Birkenau. Elle est donc un témoin oculaire privilégié, et peut donner, au long du plus long témoignage du procès, des informations précises sur l’extermination des Juifs.

Le TMI, avec toutes ses limites, est la base de ce qui deviendra ensuite le droit international pour juger les crimes contre l’humanité et les génocides.

Dominique COMELLI
Historienne

Elsa TRIOLET à Nuremberg sur www.resistance-44.fr

Repères sur le procès de Nuremberg.

La décision de juger les criminels

| Déclaration de Moscou | – Le 30 octobre 1943, les ministres des Affaires étrangères de l’Union soviétique, du Royaume-Uni et des Etats-Unis actent que les grands criminels de guerre seraient punis par la décision commune des Alliés et qu’il conviendrait de les juger et non de les exécuter sans jugement.

| Accords de Londres | – Le 8 août 1945 la déclaration de Moscou est traduite en acte : un tribunal militaire international quadripartite est créé. L’ensemble des règles du tribunal suivent une procédure de type anglo-saxonne. La France est présente. 17 pays se joignent à la Charte.

Les 24 accusés Vingt-et-un hauts dignitaires du régime nazi comparaissent physiquement devant le Tribunal militaire international de Nuremberg. Un prévenu – Martin Bormann, homme de confiance et conseiller de Hitler – figure sur la liste des accusés. Il est absent du box. Porté disparu depuis la bataille de Berlin, le 2 mai 1945, un avocat le représente.

Hermann Göring, le plus haut dignitaire nazi vivant à cette date Rudolf Hess, successeur désigné d’Hitler Joachim von Ribbentrop, ministre des Affaires étrangères Robert Ley, dirigeant du Front allemand du travail WilhemKeitel, chef du commandement suprême de la Wehrmacht Julius Streicher, virulent antisémite, acteur de l’extermination des juifs Ernst Kaltenbrunner, chef de la Sécurité du Reich Alfred Rosenberg, théoricien du nazisme, ministre des Territoires occupés de l’Est Hans Franck, Gouverneur général de Pologne, avocat d’Hitler Wilhem Frick, auteur des lois antisémites de Nuremberg, gouverneur de Bohême-Moravie
Hjalmar Schacht, ancien ministre de l’Economie et président de la Banque du Reich Arthur Seyss-Inquart, acteur de l’Anschluss, commissaire du Reich pour les Pays-Bas Karl Dönitz, commandant de la Kriegsmarine Walter Funck, successeur de Schacht à la tête de la Reichsbank et au ministère de l’Economie
Albert Speer, architecte du Reich, ministre de l’Armement Baldur von Schirach, chef des Jeunesses hitlériennes, Gauleiter de Vienne Fritz Sauckel, organisateur du Service du travail obligatoire (STO) Alfred Jodl, chef d’état-major au Haut Commandement de la Wehrmacht Franz von Papen, ancien chancelier, ambassadeur à Vienne puis en Turquie Konstantin von Neurath, ex-ministre des Affaires étrangères, gouverneur de Bohême-Moravie
Erich Raeder, commandant en chef de la Marine, responsable de la guerre sous-marine
Martin Bormann, chancelier du parti nazi (NSDAP), présumé en fuite Hans Fritzsche, responsable de la propagande nazie au ministère de la presse et de la radio
Gustav Krupp von Bohlen und Halbach, industriel, fournisseur s’acier et de canons du Reich

Trois absents importantsAdolf Hitler, le «Führer». Il s’est suicidé le 30 avril 1945 dans son bunker à Berlin
Heinrich Himmler, Chef de la SS (Schutzstaffeln, escadrons de protection, initialement chargée de la garde personnelle du Führer) et l’un des principaux organisateurs de la «Solution finale». Il est mort le 23 mai 1945 de façon suspecte (la version officielle présente un suicide par cyanure, contestée par la thèse d’un assassinat)
Joseph Goebbels, ministre de la Propagande et de l’Information. Il s’est suicidé à Berlin le 1er mai 1945.

Les quatre chefs d’accusation Les prévenus sont accusés de crimes contre la Paix, de crimes de guerre, de crimes contre l’Humanité et d’un plan concerté ou complot en vue de commettre ces crimes. Les actes sont définis dans l’article 6 de l’Accord de Londres.

L’acte d’accusation mentionne les rafles, le meurtre d’otages à Châteaubriant et à Nantes, les sanctions collectives, le pillage d’œuvres d’art au Musée de Nantes

Huit organisations sont également traduites en justice *le gouvernement du Reich (Die Teichsregierung) * le Parti national-socialiste des travailleurs allemands (NSDAP) * la SS (Schutzstaffel «escadron de protection») * la Gestapo (Geheime Staatspolizei – la police secrète d’État) * le SD (Sicherheitsdienst «service de sécurité», milice) * la SA (Sturmabteilung «section d’assaut», formation paramilitaire) * l’état-major général * le haut commandement des forces armées allemandes

Le choix de la ville de Nuremberg
Nuremberg est choisie par les Alliés pour des raisons de commodités. Située en zone d’occupation américaine, le palais de justice de Nuremberg est resté intact. De plus, il est relié par un tunnel sous-terrain à la prison voisine, qui comprend de nombreuses cellules et un bon système de sécurité. Les Soviétiques auraient préféré Berlin, siège du pouvoir du Reich. Le lieu est cependant hautement symbolique. C’est en effet dans le stade de cette ville que paradaient les organisations paramilitaires du Parti nazi. Et c’est également à Nuremberg que les lois antisémites ont été promulguées en 1935.

Le procès Le procès préparé par le procureur Robert Jackson sur les instructions du président H. Truman, se voulait rapide. Le marathon judiciaire durera 218 jours, il y aura 403 audiences publiques. Ceci s’explique par la volonté du ministère public d’être précis et du souci de respecter les droits de la défense. La séance inaugurale a lieu le 18 octobre 1945 à Berlin, le procès commence le 30 novembre par la lecture, pendant 5 heures, de l’acte d’accusation. La présentation des chefs d’accusation -preuves à l’appui- par les quatre délégations alliées dure quatre mois. Le 8 avril 1946, la parole est à la défense. Les réquisitoires débutent le 25 juillet 1946 et le 31 août les débats sont enfin clos.

Au cours des débats, les accusés, Göring en tête, sont souvent arrogants, pleins d’assurance.

Le verdict Il est prononcé les 30 septembre et 1er octobre. Le jugement comporte 170 pages.
* 12 condamnations à mort par pendaison (dont 1 par contumace : M. Bormann) : H. Franck, H. Göring (il se suicide avant l’exécution de la sentence), A. Jodl, E. Kaltenbrunner, W. Keitel, J. Ribbentrop, A. Rosenberg ; F. Sauckel, A. Sess-Inquart, J. Streicher.
* 7 condamnations à des peines de prison : 3 à perpétuité (W. Funck, R. Hess, E. Raeder), 2 à 20 ans d’emprisonnement (B. Schirach, A. Speer), 1 à 15 ans (K. Neurath) et 1 à 10 ans K. Dönitz) * 3 acquittements ( H. Fritzsche, F. von Papen et H. Schacht) * 4 organisations sont déclarées criminelles (le NSDAP, la Gestapo, le SS et le SD)


Nuremberg en chiffres

3 000 tonnes de documents

400 journalistes du monde entier sont présents à l’ouverture du procès

94 témoins sont entendus au cours du procès (61 à décharge et 33 à charge). Le 28 janvier 1946, Marie-Claude Vaillant-Couturier, rescapée des camps d’Auschwitz et Ravensbrück est invitée à témoigner.

42 volumes contiennent l’intégralité des actes du procès

24 accusés sont initialement sélectionnés. Trois ne comparaîtront pas: l’industriel allemand Gustav Krupp très âgé est écarté en raison de son état de santé; Martin Bormann, disparu (en fuite ?) et Robert Ley, responsable du Front allemand du travail, qui s’est suicidé en prison le 25 octobre 1945.

8 juges composent le Tribunal qui est présidé par le britannique Geoffrey Lawrence. Chaque pays a désigné deux juges. Pour la France, Henri Donnedieu de Vabres (contesté pour sa proximité avec Vichy et certains accusés) suppléé par Robert Falco.

Les procureurs français sont François de Menthon puis Auguste Champetier de Ribes assistés d’une équipe de 10 juristes dont notamment Edgar Faure, Joë Nordmann, Charles Dubost.

4 langues officielles pour les débats (anglais, français, russe et allemand)

1 film de 4 heures, intitulé «Le plan nazi», est projeté au cours du procès. C’est la première fois que des films sont présentés au cours d’un procès, lequel est lui-même filmé.

Procès de Nuremberg

Quand elle entre dans la salle d’audience du procès des dignitaires nazis le 28 janvier 1946, à 10 heures, Marie-Claude Vaillant-Couturier attire tous les regards. Au lieu de s’avancer vers la barre où le président du Tribunal militaire international vient de l’appeler, elle se dirige droit vers les bancs des accusés. Elle plante ses yeux dans ceux des criminels nazis, un à un. « Avant de prendre la parole devant la Cour, je suis passée devant les accusés, très lentement. Je voulais les regarder de près (…) Pendant que je les dévisageais, je me disais : « Regardez-moi car, à travers mes yeux, ce sont des centaines de milliers d’yeux qui vous regardent, par ma voix, ce sont des centaines de milliers de voix qui vous accusent. » La déposition de Marie-Claude Vaillant-Couturier, jeune femme rescapée d’Auschwitz et Ravensbrück, fut un réquisitoire implacable contre la barbarie nazie.

Témoignage de Marie-Claude Vaillant-Couturier (1)
https://www.google.com/url?sa=t&rct=j&q=&esrc=s&source=web&cd=&cad=rja&uact=8&ved=2ahUKEwjnoaLq7dftAhUi4YUKHUqwCwwQwqsBMAR6BAgCEBA&url=https%3A%2F%2Fwww.humanite.fr%2Fvideos%2Fmarie-claude-vaillant-couturier-au-proces-de-nuremberg-1-563547&usg=AOvVaw1Bw-vp-fEssLF5iN_-D7ZO

Témoignage de Marie-Claude Vaillant-Couturier (2)
https://www.google.com/url?sa=t&rct=j&q=&esrc=s&source=web&cd=&cad=rja&uact=8&ved=2ahUKEwjnoaLq7dftAhUi4YUKHUqwCwwQwqsBMAN6BAgCEAs&url=https%3A%2F%2Fwww.humanite.fr%2Fvideos%2Fmarie-claude-vaillant-couturier-au-proces-de-nuremberg-2-563548&usg=AOvVaw3PtrULkmXkyTYMva0LYLoD

Elle témoigne en 1975 dans Le Patriote résistant, journal de la FNDIRP (Fédération nationale des déportés, internés, résistants et prisonniers) dont elle a été la présidente, de son expérience et livre son analyse du procès.

« Je suis revenue de Nuremberg choquée et inquiète. J’ai retrouvé mes notes de l’époque. Déjà durant le voyage j’avais constaté, en traversant la Ruhr, que les hauts fourneaux fonctionnaient alors que les nôtres étaient éteints (…)

Quant au procès lui-même, je ne le trouvais satisfaisant ni sur le fond, ni dans la forme. J’étais indignée de l’absence des dirigeants des grands Konzern allemands, les Krupp, Thiessen, Flick, Siemens, IG Farben etc. qui, premièrement avaient apporté leur soutien actif à la montée d’Hitler au pouvoir et ensuite avaient réalisé des profits monstrueux sur le sang versé et la vie de millions d’hommes, de femmes et d’enfants parmi lesquels les déportés raflés à travers l’Europe.

En ce qui concerne la forme, j’étais exaspérée de la procédure tatillonne. On cherchait la responsabilité de chaque accusé sur des questions de détails alors qu’il était indifférent de savoir si von Papen, Schacht ou Speer avaient personnellement donné des ordres pour les massacres et les tortures. Ceux-ci se faisaient sur une telle échelle, qu’il était impossible qu’ils aient pu les ignorer. Le racisme et la volonté d’exterminer les races dites inférieures faisaient partie de doctrine nationale-socialiste énoncée dans de nombreux écrits officiels, à commencer par Mein Kampf. En tant que dirigeants, ils étaient responsables ensemble de l’application de la politique nazie. A travers ces crimes, il aurait fallu faire le procès du fascisme en montrant qu’ils étaient les conséquences d’une idéologie consistant à transformer les hommes en bêtes féroces, bourreaux et victimes.

J’écrivais à l’époque « on ne peut pas s’empêcher de penser que si les choses traînent en longueur, c’est parce qu’il y a certaines têtes que l’on voulait sauver et qu’il sera plus facile de le faire en endormant l’opinion publique. Il y a quelque chose de choquant dans la forme de ce procès, dans la longueur des débats. On ne semble pas attaquer le fond du problème. Le procès de Nuremberg ne sert pas à éclairer le peuple allemand (…) Dans l’ensemble, les Allemands n’ont pas du tout conscience de leurs fautes. Ils considèrent qu’ils ont eu la malchance de perdre la guerre et que s’ils avaient l’occasion de recommencer, ils le feraient tout de suite. »

Elle n’était pas la seule à partager ce pessimisme parmi les acteurs du procès ou les envoyés spéciaux de la presse française. Plus tard, grâce à son expérience au sein des organisations mémorielles de la résistance et de la déportation, elle reviendra sur ce premier jugement et considérera alors : « Le fait que le Tribunal de Nuremberg ait retenu les notions de génocide, de crime contre l’humanité est un progrès de la conscience humaine. »

Elle–même ouvrira le chemin à l’imprescribilité des crimes contre l’Humanité, ce qui permettra de juger Klaus Barbie et Paul Touvier ainsi que l’adoption dans le droit pénal français des articles 211-2 et 212-2 définissant le « crime de génocide » et » les autres crimes contre l’humanité »

Allo, Londres – Ici, Nantes

La première liaison radiotélégraphique clandestine, en morse, de la France occupée vers Londres est établie par depuis Nantes, plus précisément Chantenay, le 25 décembre 1940. Récit.

1940, la résistance est embryonnaire. Des individus ou des groupes tentent d’établir des liaisons avec Londres. Par bateau ? Les liaisons avec l’Angleterre étaient rares et périlleuses. Il fallait pourtant transmettre quantités d’informations et dans des délais très courts. Il n’existait pas de smartphone, la solution fut le poste émetteur-récepteur.

Jan Doornick (1905 – 1941), est un commerçant hollandais bloqué en France par l’avance allemande. Il gagne Londres et est chargé par le Service de renseignement (SR) de la France Libre d’une mission de reconnaissance des installations de la Kriegsmarine sur la côte française. Il débarque à Plogoff à la fin de septembre 1940 et rejoint Nantes le 10 octobre. Fin octobre, il accueille le lieutenant Maurice Barlier, envoyé d’Angleterre pour le seconder. Barlier, prisonnier de guerre avait réussi à s’évader et à rejoindre l’Angleterre. Il est représentant de commerce pour les conserveries Amieux et a, de ce fait, des contacts nantais, Léon Setout et André Clément, directeur technique et directeur export chez Amieux. Nantes est pour lui une destination naturelle.

Le lieutenant de vaisseau Louis-Henri HONORE, comte d’ESTIENNE d’ORVES, surpris par l’armistice alors qu’il est au mouillage à Alexandrie, à bord du croiseur Duquesne, avait décidé en août 1940, refusant l’armistice, de désobéir et de rejoindre l’Angleterre ; il y était arrivé à la fin du mois de septembre. Affecté au 2ème Bureau des Forces navales françaises libres (FNFL), sa première mission est de constituer un réseau de renseignement en France occupée. Ce sera le réseau Nemrod.

1, rue du Bois Haligan

Le 21 décembre 1940, il est envoyé en France, accompagné du quartier-maître radiotélégraphiste Georges Marty, à bord du chalutier La Marie-Louise, alias Le Louis-Jules qui est rattaché au 2ème Bureau et barré par le Senan François Follic, qui a gagné l’Angleterre depuis le 16 juin 1940. Ils débarquent le 22 à Plogoff où une planque les attend puis rejoignent Nantes le 24 décembre. Ils s’installent à Chantenay chez André et Paule Clément au 1, rue du Bois-Haligan, près de la place Jean Macé, dans leur maison Ty Brao.

Le 25 décembre, après le repas de Noël pris en famille et en présence d’un voisin, Jean Le Gigan, directeur des achats aux chantiers Dubigeon qui doit diriger le groupe pour toute la Bretagne, D’Estienne d’Orves, Barlier et Marty montent l’appareil radio qu’ils ont apporté d’Angleterre. A 13 h 30, ils établissent la première liaison radio entre la France occupée et Londres. D’autres trans-missions suivront au rythme de quatre à cinq par semaine. Les renseignements transmis à Londres comprennent le QG allemands dans les châteaux des environs de Nantes, les emplacements précis des dépôts de carburants, le terrain d’aviation de Château-Bougon, celui de Meucon, les positions des batteries côtières, les plans du réseau de distribution d’énergie électrique de la région Ouest, la liste des sous-marins relevée à l’arsenal de Lorient, la construction de la base sous-marine de Saint-Nazaire. Pour ne pas attirer l’attention, Léon Setout a trouvé pour Marty un emploi de dessinateur auprès de l’architecte de la ville, André Chauvet.plaque_au_1_rue_du_bois-haligan.jpg
un_poste_emetteur-recepteur_d_epoque.jpg

D’Estienne d’Orves repart à Paris pour s’assurer des contacts pris à Paris et à Vichy par Jan Doornick qu’il rencontre pour la première fois dans un café de Montparnasse, le 4 janvier 1941. D’Estienne d’Orves le félicite de l’action accomplie et lui propose de repartir pour Londres avec lui à la fin du mois. Mais de cette expédition qui doit comprendre près de trente hommes, peu nombreux sont ceux qui échapperont aux arrestations. A Paris d’Estienne d’Orves installe un nouveau secteur avec un poste émetteur à Saint-Cloud. Il noue des contacts avec le réseau du musée de l’Homme.

La trahison de Marty
A son retour à Nantes, il est informé du comportement peu discret de Marty qui entretient des relations suspectes, bavarde imprudemment avec des soldats allemands et mène la grande vie dans les bars du port. Menacé de sanction et de renvoi à Londres, transféré dans d’autres hébergements rue de l’Abbaye et rue de la Brianderie, le capitaine lui laisse une deuxième chance. Marty continue à envoyer des messages. Mais en réalité, Marty est un traître. Son vrai nom est Alfred Gaessler. Le 1er janvier 1941, il était allé se présenter 24, boulevard Guisth’au auprès des services de contre – espionnage allemands de l’Abwehr. Là, dans le bureau du capitaine Pussbach, il a rendu compte de tous les renseignements utiles au démantèlement du réseau Nemrod. Il est envoyé à Angers au siège régional de l’Abwehr et répète au colonel Dernbach ce qu’il a dit à Nantes : noms, adresses, planques, codes de la radio. Ce jeune alsacien de 20 ans, qui a grandi auprès d’un père pro-nazi, est en réalité un agent de l’Abwehr. Il sera exfiltré vers l’Autriche par les Allemands.

Dans la nuit du 21 au 22 janvier, après avoir escaladé le mur du jardin, les policiers allemands surprennent dans leur sommeil André Clément, sa femme Paule et sa mère ainsi qu’Honoré d’Estienne d’Orves. Ils sont rapidement menottés ou ligotés. La scène est si violente que Mme Clément mère succombe à une crise cardiaque. Le voisin, Jean Le Gigan, alerté par les cris de Clément, est déjà entre les mains de l’Abwehr ; Léon Setout et André Chauvet sont également arrêtés à leur domicile. Tous sont conduits boulevard Guisth’au pour y subir un interrogatoire.

Le réseau Nemrod est démantelé entre le 20 et le 24 janvier, à la veille de l’embarquement prévu pour l’Angleterre. Le 3 février, Jan Doornick revient à Nantes. Informé du désastre, il retourne immédiatement à Plogoff dans une ferme où il est à son tour surpris par un détachement de cent hommes qui cernent la ferme et le capturent.

Monsieur le Président,
devrais-je exécuter ma peine avant ou après ma mort ?

D’abord emprisonnés à Angers, au Pré-Pigeon, d’Estienne d’Orves et ses compagnons sont transférés à Berlin, prison du Praesidium et reviennent à Paris le 26 février d’abord à la prison du Cherche-Midi dans l’attente de leur procès, puis à Fresnes après leur condamnation et au Fort de Romainville avant leur exécution. Tous comparaissent devant la Cour martiale du Gross Paris du 13 au 25 mai 1941. D’Estienne d’Orves couvre ses hommes et prend sur lui l’entière responsabilité de l’activité du réseau.

Le verdict tombe le 26 mai. Honoré d’Estienne d’Orves, Maurice Barlier, Jan Doornick, Jean Le Gigan, André et Paule Clément, Jean-Jacques Le Prince, un nouveau radio, François Follic, le capitaine du bateau et son second, Pierre Cornel (à partir des renseignements de Gaessler deux patrouilleurs allemands les avaient arraisonnés et arrêtés au large de Brest le 15 février) sont condamnés à mort.
En plus de sa condamnation à mort, Doornick est condamné à trois ans de détention en forteresse, ce qui lui fera poser la question : « Monsieur le Président, devrais-je exécuter ma peine avant ou après ma mort ? » Léon Setout est condamné à quatre ans de travaux forcés, les époux Normant (qui fournissaient la planque à Plogoff), à six mois. Seuls D’Estienne d’Orves, Barlier et Doornick sont exécutés. Les autres peines ont été commuées. Ainsi celle d’André Clément, commuée en 15 ans de réclusion et qui a en fait été déporté.
honore_d_estienne_d_orves_.jpg maurice_barlier.jpgjan_doornick.jpg

Curieusement, les condamnés ne sont pas immédiatement exécutés. Stülpnagel a-t-il voulu garder des otages pour une occasion spectaculaire ? A-t-il cherché à temporiser compte tenu de la forte émotion provoquée dans l’opinion publique par la condamnation d’un officier de marine ? La Cour martiale, impressionnée par l’attitude des accusés, signe leur recours en grâce adressé à Hitler.
Le 21 août 1941, le résistant communiste Pierre George – futur colonel Fabien – secondé par Gilbert Brustlein, abat l’aspirant de la Kriegsmarine Alfonso Moser au métro Barbès à Paris. Cet acte donne le signal de la lutte armée contre l’Occupant. Le lendemain, les Allemands promulguent une ordonnance transformant tous les prisonniers français en otages. Hitler a refusé la grâce. Stülpnagel veut faire un exemple. Le 28 août 1941, d’Estienne d’Orves, Barlier et Doornick obtiennent de passer leur dernière nuit dans la même cellule. Ils obtiennent également que leurs yeux ne soient pas bandés au moment du supplice. Ils sont fusillés au Mont Valérien le lendemain, 29 août 1941, à l’aube, la veille de l’exécution de Marin Poirier au champ de tir du Bêle à Nantes.

Le 30 août, un Avis signé par le commandant militaire allemand en France, paraît en Une des journaux collaborationnistes Le Petit Parisien et Le Matin et est placardée sur les murs. Elle y côtoie celle annonçant l’exécution de cinq résistants communistes. Leur mort courageuse frappe les consciences et beaucoup de jeunes vont s’engager dans la Résistance pour se montrer dignes de leur exemple. Le premier groupe FTPF 1, en 1942, prend le nom d’ Honoré d’Estienne d’Orves, L’Humanité clandestine cite fréquemment son nom. Louis ARAGON lui dédie, ainsi qu’à Guy Môquet, Gabriel Péri et Gilbert Dru, son célèbre poème La Rose et le réséda, publié en 1943

avis.jpg

Qui est Henri Louis HONORE, comte d’Estienne d’Orves (1901-1941) ? Il est le descendant d’une vieille lignée aristocratique, cousin d’Antoine de Saint-Exupéry et Louise de Vilmorin. Son père – qui a obtenu que son prénom, Honoré, soit ajouté au patronyme familial devant le titre nobiliaire – est royaliste légitimiste et à la maison le drapeau blanc est de rigueur. Lycéen, Henri est proche de l’Action française. Il intègre Polytechnique en 1921, puis l’Ecole navale. Lieutenant de vaisseau depuis 1930, l’armistice le surprend en rade d’Alexandrie à bord du croiseur Duquesne. Il est promu capitaine de frégate lorsqu’il devient chef du 2ème Bureau des Forces navales françaises libres.

Sources
Musée de l’Ordre de la Libération
Musée de la Résistance nationale – Champigny
Bloyet Dominique et Etienne Gasche, Les 50 Otages, Editions CMD
Marcot François (dir), Dictionnaire historique de la Résistance, Payot
Maitron, Dictionnaire des fusillés, Editions de l’Atelier
Honoré Rose et Philippe, Honoré d’Estienne d’Orves, pionnier de la Résistance, France-Empire
Aragon, La Diane Française, Seghers

Mémoire

Jan DOORNICK (1905–1941) a été fait Compagnon de la Libération, à titre posthume, le 7 mars 1945. Un square de Paris 16ème porte son nom.
Louis Henri HONORE, comte d’ESTIENNE D’ORVES a été fait Compagnon de la Libération, à titre posthume le 30 octobre 1944.
Le grand hall de l’Ecole Polytechnique, la cour d’honneur de l’Hôtel de la Marine, plusieurs lieux de Paris (place, métro Trinité), portent son nom de même que des rues dans 18 villes des Hauts-de- Seine, 11 en Essonne, 9 en Yvelines, 14 en Seine-Saint-Denis et 15 en Val-de-Marne. Nantes a un cours Honoré d’Estienne d’Orves, comme Marseille (le journal La Marseillaise y a son siège), un lycée de Nice et depuis peu, le lycée de Carquefou portent ce patronyme.
Une plaque est apposée au n°1 rue du Bois-Haligan. A noter qu’au n°7 habitait le résistant FTP Auguste Chauvin qui sera fusillé en février 1943 au champ de tir du Bêle, à l’issue de la parodie de « procès » dit des 42. A proximité, une rue porte le nom de Maurice Barlier. Nantes honore également André Clément dont une rue de Chantenay (près du cinéma Concorde) porte le nom.