Un procès pour l’Histoire Il y a 75 ans s’ouvrait le procès de Nuremberg
On décide à la conférence de Moscou, fin octobre 1943 que les criminels de guerre ayant agi à une échelle locale ou nationale seront jugés sur le lieu de leurs crimes. Quant aux « grands criminels de guerre », ayant œuvré à l’échelle du Reich tout entier, leur sort était renvoyé à une décision des 3 puis 4 Grands, prise tardivement, car les Alliés étaient divisés sur la question : exécutions ou procès ? Finalement, on s’accorde sur un procès, et les Etats-Unis jouent un rôle moteur dans la création du Tribunal Militaire International (TMI). Le débat porte ensuite sur les chefs d’inculpation. Les Etats-Unis voulaient une inculpation pour complot et crimes contre la paix, l’Urss et la France une inculpation pour crimes de guerre : ce n’est pas la guerre qui est au cœur du procès, mais la manière dont elle a été conduite.
Finalement, le représentant nommé par Truman, Jackson, impose une nette hiérarchie des crimes reprochés aux dirigeants nazis : la Charte du Tribunal fait du crime contre la paix le crime suprême dont découlent tous les autres. Les crimes de guerre sont ceux qui sont commis par les nazis sur les territoires et les personnes sous leur contrôle. Et au bout de la chaîne, les crimes contre l’humanité sont des crimes qui ne seront jugés que s’ils découlent de la guerre. Cela ne concerne donc que ce qui s’est passé pendant la guerre, pas avant, et cela ne concerne pas non plus ce qui s’est passé en Allemagne, contre les juifs ou les opposants.
Mais la notion de crime contre l’humanité fait une entrée dans le droit international, tout comme la responsabilité des individus dans les crimes contre la paix ou crimes de guerre. Jusque là, seuls les Etats étaient jugés. Les dirigeants peuvent donc désormais être condamnés.
Ce TMI a de gros moyens : 1500 experts, interprètes, juges. Il est filmé, et des journalistes le suivent pendant un an: il s’agit aussi de donner une leçon aux générations suivantes, y compris de dirigeants, pour éviter que cela recommence. Les films et témoignages vont en fait faire évoluer le procès vers la condamnation des crimes et de ce qu’on n’appelle pas encore génocide.
Le témoignage de Marie-Claude Vaillant Couturier, résistante et communiste, le 26 janvier 1946 (photo ci-contre) y contribue fortement : elle est une survivante du convoi de janvier 1943, le seul convoi de femmes résistantes et non –juives déportées au camp d’extermination d’Auschwitz–Birkenau. Elle est donc un témoin oculaire privilégié, et peut donner, au long du plus long témoignage du procès, des informations précises sur l’extermination des Juifs.
Le TMI, avec toutes ses limites, est la base de ce qui deviendra ensuite le droit international pour juger les crimes contre l’humanité et les génocides.
Dominique COMELLI
Historienne
Elsa TRIOLET à Nuremberg sur www.resistance-44.fr
Repères sur le procès de Nuremberg.
La décision de juger les criminels
| Déclaration de Moscou | – Le 30 octobre 1943, les ministres des Affaires étrangères de l’Union soviétique, du Royaume-Uni et des Etats-Unis actent que les grands criminels de guerre seraient punis par la décision commune des Alliés et qu’il conviendrait de les juger et non de les exécuter sans jugement.
| Accords de Londres | – Le 8 août 1945 la déclaration de Moscou est traduite en acte : un tribunal militaire international quadripartite est créé. L’ensemble des règles du tribunal suivent une procédure de type anglo-saxonne. La France est présente. 17 pays se joignent à la Charte.
Les 24 accusés Vingt-et-un hauts dignitaires du régime nazi comparaissent physiquement devant le Tribunal militaire international de Nuremberg. Un prévenu – Martin Bormann, homme de confiance et conseiller de Hitler – figure sur la liste des accusés. Il est absent du box. Porté disparu depuis la bataille de Berlin, le 2 mai 1945, un avocat le représente.
Hermann Göring, le plus haut dignitaire nazi vivant à cette date Rudolf Hess, successeur désigné d’Hitler Joachim von Ribbentrop, ministre des Affaires étrangères Robert Ley, dirigeant du Front allemand du travail WilhemKeitel, chef du commandement suprême de la Wehrmacht Julius Streicher, virulent antisémite, acteur de l’extermination des juifs Ernst Kaltenbrunner, chef de la Sécurité du Reich Alfred Rosenberg, théoricien du nazisme, ministre des Territoires occupés de l’Est Hans Franck, Gouverneur général de Pologne, avocat d’Hitler Wilhem Frick, auteur des lois antisémites de Nuremberg, gouverneur de Bohême-Moravie
Hjalmar Schacht, ancien ministre de l’Economie et président de la Banque du Reich Arthur Seyss-Inquart, acteur de l’Anschluss, commissaire du Reich pour les Pays-Bas Karl Dönitz, commandant de la Kriegsmarine Walter Funck, successeur de Schacht à la tête de la Reichsbank et au ministère de l’Economie
Albert Speer, architecte du Reich, ministre de l’Armement Baldur von Schirach, chef des Jeunesses hitlériennes, Gauleiter de Vienne Fritz Sauckel, organisateur du Service du travail obligatoire (STO) Alfred Jodl, chef d’état-major au Haut Commandement de la Wehrmacht Franz von Papen, ancien chancelier, ambassadeur à Vienne puis en Turquie Konstantin von Neurath, ex-ministre des Affaires étrangères, gouverneur de Bohême-Moravie
Erich Raeder, commandant en chef de la Marine, responsable de la guerre sous-marine
Martin Bormann, chancelier du parti nazi (NSDAP), présumé en fuite Hans Fritzsche, responsable de la propagande nazie au ministère de la presse et de la radio
Gustav Krupp von Bohlen und Halbach, industriel, fournisseur s’acier et de canons du Reich
Trois absents importants ■Adolf Hitler, le «Führer». Il s’est suicidé le 30 avril 1945 dans son bunker à Berlin
■Heinrich Himmler, Chef de la SS (Schutzstaffeln, escadrons de protection, initialement chargée de la garde personnelle du Führer) et l’un des principaux organisateurs de la «Solution finale». Il est mort le 23 mai 1945 de façon suspecte (la version officielle présente un suicide par cyanure, contestée par la thèse d’un assassinat)
■Joseph Goebbels, ministre de la Propagande et de l’Information. Il s’est suicidé à Berlin le 1er mai 1945.
Les quatre chefs d’accusation Les prévenus sont accusés de crimes contre la Paix, de crimes de guerre, de crimes contre l’Humanité et d’un plan concerté ou complot en vue de commettre ces crimes. Les actes sont définis dans l’article 6 de l’Accord de Londres.
L’acte d’accusation mentionne les rafles, le meurtre d’otages à Châteaubriant et à Nantes, les sanctions collectives, le pillage d’œuvres d’art au Musée de Nantes
Huit organisations sont également traduites en justice *le gouvernement du Reich (Die Teichsregierung) * le Parti national-socialiste des travailleurs allemands (NSDAP) * la SS (Schutzstaffel «escadron de protection») * la Gestapo (Geheime Staatspolizei – la police secrète d’État) * le SD (Sicherheitsdienst «service de sécurité», milice) * la SA (Sturmabteilung «section d’assaut», formation paramilitaire) * l’état-major général * le haut commandement des forces armées allemandes
Le choix de la ville de Nuremberg
Nuremberg est choisie par les Alliés pour des raisons de commodités. Située en zone d’occupation américaine, le palais de justice de Nuremberg est resté intact. De plus, il est relié par un tunnel sous-terrain à la prison voisine, qui comprend de nombreuses cellules et un bon système de sécurité. Les Soviétiques auraient préféré Berlin, siège du pouvoir du Reich. Le lieu est cependant hautement symbolique. C’est en effet dans le stade de cette ville que paradaient les organisations paramilitaires du Parti nazi. Et c’est également à Nuremberg que les lois antisémites ont été promulguées en 1935.
Le procès Le procès préparé par le procureur Robert Jackson sur les instructions du président H. Truman, se voulait rapide. Le marathon judiciaire durera 218 jours, il y aura 403 audiences publiques. Ceci s’explique par la volonté du ministère public d’être précis et du souci de respecter les droits de la défense. La séance inaugurale a lieu le 18 octobre 1945 à Berlin, le procès commence le 30 novembre par la lecture, pendant 5 heures, de l’acte d’accusation. La présentation des chefs d’accusation -preuves à l’appui- par les quatre délégations alliées dure quatre mois. Le 8 avril 1946, la parole est à la défense. Les réquisitoires débutent le 25 juillet 1946 et le 31 août les débats sont enfin clos.
Au cours des débats, les accusés, Göring en tête, sont souvent arrogants, pleins d’assurance.
Le verdict Il est prononcé les 30 septembre et 1er octobre. Le jugement comporte 170 pages.
* 12 condamnations à mort par pendaison (dont 1 par contumace : M. Bormann) : H. Franck, H. Göring (il se suicide avant l’exécution de la sentence), A. Jodl, E. Kaltenbrunner, W. Keitel, J. Ribbentrop, A. Rosenberg ; F. Sauckel, A. Sess-Inquart, J. Streicher.
* 7 condamnations à des peines de prison : 3 à perpétuité (W. Funck, R. Hess, E. Raeder), 2 à 20 ans d’emprisonnement (B. Schirach, A. Speer), 1 à 15 ans (K. Neurath) et 1 à 10 ans K. Dönitz) * 3 acquittements ( H. Fritzsche, F. von Papen et H. Schacht) * 4 organisations sont déclarées criminelles (le NSDAP, la Gestapo, le SS et le SD)
Nuremberg en chiffres
3 000 tonnes de documents
400 journalistes du monde entier sont présents à l’ouverture du procès
94 témoins sont entendus au cours du procès (61 à décharge et 33 à charge). Le 28 janvier 1946, Marie-Claude Vaillant-Couturier, rescapée des camps d’Auschwitz et Ravensbrück est invitée à témoigner.
42 volumes contiennent l’intégralité des actes du procès
24 accusés sont initialement sélectionnés. Trois ne comparaîtront pas: l’industriel allemand Gustav Krupp très âgé est écarté en raison de son état de santé; Martin Bormann, disparu (en fuite ?) et Robert Ley, responsable du Front allemand du travail, qui s’est suicidé en prison le 25 octobre 1945.
8 juges composent le Tribunal qui est présidé par le britannique Geoffrey Lawrence. Chaque pays a désigné deux juges. Pour la France, Henri Donnedieu de Vabres (contesté pour sa proximité avec Vichy et certains accusés) suppléé par Robert Falco.
Les procureurs français sont François de Menthon puis Auguste Champetier de Ribes assistés d’une équipe de 10 juristes dont notamment Edgar Faure, Joë Nordmann, Charles Dubost.
4 langues officielles pour les débats (anglais, français, russe et allemand)
1 film de 4 heures, intitulé «Le plan nazi», est projeté au cours du procès. C’est la première fois que des films sont présentés au cours d’un procès, lequel est lui-même filmé.