Les Justes, une leçon pour aujourd’hui

par Alain CROIX

80 ans déjà, mais une leçon de solidarité bien utile aujourd’hui. Une sale époque : des Français, ou des réfugiés, écartés de toute fonction en lien avec le public, mal vus par beaucoup de compatriotes sensibles à la politique de Pétain et à des décennies d’antisémitisme. Des juifs donc, fichés, dénoncés et, en juillet puis octobre 1942, victimes de rafles au cours desquelles la police et la gendarmerie françaises collaborent avec la police allemande. Un climat de terreur entretenu, en Loire-Atlantique en particulier, par une répression féroce, semée de crimes de guerre, à l’exemple de l’exécution des Cinquante otages l’année précédente. Aucun véritable espoir alors d’une défaite allemande : la débâcle allemande de Stalingrad, tournant de la guerre, c’est seulement en février 1943.

            Et pourtant, en cette terrible année 1942, en Loire-Atlantique, trois couples osent. Même pas s’engager dans la Résistance, ce que font déjà bien plus de femmes et d’hommes. Non, plus simplement, en risquant beaucoup et peut-être leur vie, faire preuve de solidarité à l’égard de ces juifs rejetés. Adolphe Le Gualès de Mézaubran, le maire de Joué-sur-Erdre, et son épouse. Charles Fuller, ingénieur à Nantes, et son épouse Charlotte. Marie-Esther Mousson et son époux Auguste, un « roulant » des chemins de fer à Châteaubriant. Un couple de bons conservateurs, un autre mu par sa foi protestante, un autre par ses engagements communistes, Auguste ayant créé la cellule communiste de sa ville en 1935.             Les Fuller et les Mousson n’ont pas les mêmes idéaux, mais partagent des valeurs essentielles, ne pas accepter l’injustifiable, et agir. Ils font la même chose : sauver des enfants juifs dont les parents ont été arrêtés et disparaîtront à Auschwitz. Bien plus complexe que ces quelques mots : fausses identités, le risque permanent d’une dénonciation, assumer la charge en période de rationnement, et le faire dans la durée. Les Fuller iront même jusqu’à adopter un de leurs protégés. Marie Mousson, venue à Nantes négocier pied à pied la libération des enfants de ses voisins et amis les Rimmer, a peut-être plus de mérite encore : la Croix-Rouge, à qui les enfants ont été confiés, refuse de les leur remettre en raison de leur passé politique et

il faudra qu’elle et son mari convainquent en toute discrétion la nourrice castelbriantaise qui en a hérité…

            Trois couples, choisis ainsi parmi la vingtaine de « Justes » du département : c’est peu, bien trop peu, mais ces héros modestes, presque anonymes, suffisent à inscrire leurs valeurs dans l’histoire. Tous seront reconnus « Juste parmi les nations » et leurs noms inscrits dans le mémorial de Yad Vashem en Israël comme dans le mémorial de la Shoah à Paris, bien après leur décès il est vrai. La reconnaissance des enfants sauvés se manifestera en fonction des possibilités : Auguste Mousson, veuf, sera invité au mariage de Robert Rimmer en 1968, mais Bella, la sœur de Robert, a été emmenée par un grand-père aux États-Unis. Et la reconnaissance locale est, disons, inégale : les Gualès bénéficient d’une reconnaissance largement liée aux fonctions exercées par Adolphe, les Fuller ont leur très modeste rue à Nantes depuis peu, les Mousson ne survivent, et trop discrètement, que dans la mémoire militante…

Marie et Auguste Mousson © DR

            Alain CROIX,

Historien

*A Châteaubriant aucune trace n’évoque le geste de Marie et Auguste Mousson. Le temps n’est-il pas venu d’apposer une plaque là où ils vivaient, de donner leur nom à une rue, voire d’accoler leur nom à celui du collège de la Ville aux Roses ?