Les camps d’internement de Châteaubriant, Choisel et Moisdon-la-Rivière
Mardi 2 avril 2024 de 18h00 à 19h30 à Nantes
Archives de Loire-Atlantique 6, rue de Bouillé 44000 Nantes
Samedi 6 avril à 15h à Châteaubriant
Médiathèque 6 place de Saint-Nicolas
Conférence par Louis Poulhès, agrégé et docteur en histoire, ancien directeur régional des Affaires culturelles de Bourgogne.
Les otages exécutés par les Allemands en 1941 à Châteaubriant sont bien connus. Tel n’est pas le cas de l’histoire du camp de Choisel où ils étaient internés, encore moins celle du camp de Moisdon-la-Rivière affecté aux nomades. C’est l’objet du livre, récemment publié, que son auteur présente aujourd’hui.
Entrée libre
Nous reproduisons ci-dessous un entretien avec l’auteur, publié dans UN AUTOMNE 41, bulletin du Comité départemental du souvenir des fusillés de Châteaubriant et Nantes et de la Résistance en Loire-Inférieure.
A l’occasion de la parution de l’ouvrage de Louis Poulhès, Les camps d’internement de Châteaubriant. Choisel et Moisdon-la-Rivière, Atlande
nous avons posé quelques questions à Louis Poulhès, déjà auteur des livres : Un camp d’internement en plein Paris. Les Tourelles 1940-1945 et L’Etat contre les communistes 1938-1944 parus en 2019 et 2021 chez le même éditeur.
- Pourquoi un tel ouvrage ?
Le camp est connu pour les internés qui y ont été fusillés comme otages, notamment Guy Môquet, Jean-Pierre Timbaud, Charles Michels. Paradoxalement, l’histoire du camp a été assez peu étudiée. La mémoire des fusillés a contribué à la reléguer un peu dans l’ombre. Le livre ne porte pas seulement sur Choisel, mais aussi sur Moisdon-la-Rivière, un camp ouvert en novembre 1940 pour des nomades, transférés ensuite à Choisel fin février début-mars 1941, puis renvoyés à Moisdon début septembre 1941. Les deux camps ont fait l’objet d’une gestion commune jusqu’au transfert de tous les internés dans d’autres camps de la zone occupée dans la première quinzaine de mai 1942. Sous l’Occupation, le camp de Moisdon-la-Rivière a donc fonctionné de novembre 1940 à février 1941, puis de septembre 1941 à mai 1942, celui de Choisel de mars 1941 à mai 1942. Leur histoire ne doit pas être dissociée.
- Comment avez-vous travaillé ?
Comme pour tout travail historique de fond, le recours aux archives est indispensable. La plupart des documents sont conservés aux archives départementales de Loire-Atlantique, mais aussi aux archives de la préfecture de police à Paris, aux archives départementales d’Eure-et-Loir et du Maine-et-Loire et d’autres encore. J’ai croisé ces documents avec les informations issues des internés eux-mêmes : journaux des internés, correspondances avec leurs familles, témoignages et mémoires.
- Votre éditeur précise que vous avez conçu votre ouvrage « en dehors de tout esprit polémique et d’idéalisation ». Pourquoi ce commentaire ?
Il s’agit simplement d’indiquer que ce travail se veut distancié par rapport à son objet, même si je reste très ému du sort de ces hommes, de ces femmes et de ces enfants privés de leur liberté pour nombre d’entre eux durant des années, au-delà des seuls fusillés. En particulier, j’ai pris soin de prendre en compte les internés autres que politiques, la mémoire commune réduisant souvent le camp aux seuls politiques. La mémoire de ces camps, qui fait partie de leur histoire, a fait aussi l’objet d’un chapitre du livre.
- Qu’est-ce qu’un camp d’internement ?
C’est un camp est destiné à enfermer des individus selon une procédure tout à fait particulière : l’internement administratif. En ce qui concerne les politiques (principalement des communistes et des syndicalistes), les internés n’ont commis aucune infraction, mais ils sont seulement suspectés de pouvoir en commettre. Ils peuvent aussi ne pas avoir libérés après avoir purgé une peine ou après avoir été absous par un juge. La décision d’internement est prise par le ministre de l’intérieur ou les préfets (autorité administrative) et non par un juge (autorité judiciaire). La durée de privation de liberté n’est pas limitée dans la très grande majorité des cas, arrestations et libérations étant totalement aux mains de l’administration. Les internés administratifs ne sont donc pas des « prisonniers » comme les autres, prévenus ou condamnés, détenus en vertu d’une procédure judiciaire. La procédure de l’internement n’a été inventée par le gouvernement de Vichy, qui a seulement élargi les publics visés à tous ceux qu’il a considéré comme « indésirables », mais par le gouvernement Daladier sous la IIIe République.
- Combien y-a-il eu de camps d’internement sous l’Occupation allemande ?
Leur nombre a varié fortement dans le temps. Certains ont été très éphémères (quelques semaines) et leur taille extrêmement variée. On peut les estimer à moins d’une trentaine pour l’ensemble de la période de l’Occupation. Dans la zone non occupée, on distingue principalement des camps pour les étrangers (les plus grands avec jusqu’à plusieurs milliers d’internés) et des camps pour les Français (nettement plus petits avec de quelques dizaines d’internés à plusieurs centaines). Dans la zone occupée, le gouvernement de Vichy est soumis à l’autorisation des Allemands. Le premier camp est celui d’Aincourt en Seine-et-Oise créé début octobre 1940 pour les politiques, les Allemands ayant également enjoint Vichy d’interner les nomades dès octobre-novembre 1940. L’internement des Juifs commence principalement en mai 1941. Tous ces camps sont gérés et gardés par des Français sous l’autorité du gouvernement de Vichy. Rares sont les camps allemands (Compiègne, Romainville ou Drancy après juillet 1943).
- Combien de personnes ont été internées à Châteaubriant ?
Dans les deux camps de Moisdon et Choisel, 1601 personnes au total ont été enregistrées. Les politiques sont au nombre de 682, soit un peu plus des deux cinquièmes (42,3% du total). Ils sont entrés à Choisel à partir d’avril 1941, puis surtout en mai et à l’été 1941. Les nomades sont 544, soit un peu plus du tiers (34,2 %) et les « indésirables », qui regroupent les autres catégories d’internés 375, soit un peu moins du quart avec 23,5 %. Le maximum des internés présents à Choisel est d’environ 860 personnes à la fin août 1941. Une des originalités de l’ouvrage est de produire la liste complète de tous les internés, par dates d’entrée, avec leurs noms, prénoms, dates de naissance, catégorie d’internement.
- Qu’est-ce qui a conduit à la fermeture du camp en mai 1942 ?
Les différentes catégories d’internés ont été transférés dans des camps spécialisés dans la première quinzaine de mai 1942 : Voves pour les politiques, Mulsanne pour les nomades, Aincourt pour les femmes (politiques et « indésirables »), Rouillé pour les repris de justice, Gaillon pour les « marché noir », Pithiviers pour les juifs. Le camp de Choisel a sans doute été considéré par les Allemands comme trop connu. Les exécutions d’otages ont en effet profondément bouleversé les Français. Vichy et les Allemands souhaitent également spécialiser les camps. A la différence de Moisdon, définitivement fermé, Choisel a été réouvert en septembre 1944 jusqu’en décembre 1945 pour les collaborateurs, puis transformé en annexe de la prison de Fontevrault jusqu’en décembre 1946. Le camp a ensuite été détruit.