L’autre 8 mai 1945: les massacres coloniaux de Sétif, Guelma, Kherrata

Pour comprendre, il faut se reporter cinq années en arrière. En 1940, dans ce département français nommé Algérie, le monde colonial, qui s’était senti menacé par le Front populaire, accueille avec enthousiasme Vichy et le pétainisme. Le Parti du peuple algérien (PPA) et le Parti communiste algérien (PCA) sont dissous. Avec le débarquement américain de 1942, le climat évolue. Alger devient la capitale de la France libre, le siège du gouvernement provisoire de la République française (GPRF) et celui de l’Assemblée consultative provisoire (ACP). La revendication nationaliste reprend. « Les nationalistes prennent au mot l’idéologie anticolonialiste de la Charte de l’Atlantique (12 août 1942), écrit Mohammed Harbi.(1) Ferhat Abbas(2), transmet aux Américains le 10 février 1943, avec le soutien du PPA de Messali Hadj(3) un « Manifeste du peuple algérien ». A l’exception de Messali Hadj, placé en résidence surveillée, les prisonniers politiques sont libérés en avril 1943. Les tirailleurs algériens, dont plusieurs milliers sont tués, s’illustrent à la bataille de Montecassino, participent à la libération de la Corse, de la Provence. Ils sont les premiers à franchir le Rhin le 31 mars 1945. Ce qui fait dire à Ferhat Abbas: »L’opinion musulmane veut être associée au sort commun autrement que par de nouveaux sacrifices. »

messali_hadj.jpgA l’occasion du 1er mai 1945, les manifestations organisées par les mouvements nationalistes pour rappeler les promesses qui leur ont été faites, sont brutalement réprimées. Il y a des morts à Alger et à Oran. Le PPA décide alors d’organiser le 8 mai des manifestations pacifiques en mettant en avant le mot d’ordre d’indépendance.

Sétif

Ce mardi 8 mai 1945, à Sétif comme à Paris, c’est aussi la liesse. On fête la Libération, à laquelle les tirailleurs algériens, comme d’autres soldats coloniaux, ont pris une part décisive: 138 000 jeunes Algériens ont participé à la libération de la France. Les bâtiments officiels sont pavoisés, la foule converge vers l’avenue Georges Clemenceau et se dirige vers le monument aux morts. Les manifestants brandissent des drapeaux alliés, dont celui de la France et l’emblème algérien, précédés par des scouts qui portent la gerbe destinée à être déposée devant le monument aux morts. A l’appel des Amis du Mouvement de la Liberté (AML)(4), aux slogans de liberté se mêlent des mots d’ordre nationalistes: « A bas le colonialisme! », « Vive l’Algérie libre et indépendante! ». Des militants du PPA réclament la libération de leur chef, Messali Hadj, arrêté deux semaines plus tôt et déporté à Brazzaville. On entonne Min Djibalina, l’hymne des indépendantistes. Un jeune scout, Saal Bouzid, porte une bannière en vert et blanc, frappée d’un croissant et d’une étoile rouges. C’est le drapeau algérien ! Pour les autorités coloniales, c’en est trop, c’est une provocation. Le préfet de Constantine, Lestrade-Carbonnel, qui avait prévenu à l’issue du 1er mai : « il y aura des troubles et un grand parti sera dissous », ordonne : « Faites tirer sur tous ceux qui arborent le drapeau algérien ».la_manifestation_de_setif.jpg

Les policiers reçoivent l’ordre de se saisir du drapeau. Ils tirent. Saal Bouzid s’effondre. Des Européens tirent également depuis les fenêtres des immeubles. D’autres manifestants tombent à côté. Le défilé pacifique se transforme en émeute.

Les miliciens ou policiers pillent, volent, violent, tuent. Présent dans la manifestation, Kateb Yacine, alors lycéen, décrira dans son roman Nedjma, la confusion qui règne: « Les automitrailleuses, les automitrailleuses, les automitrailleuses, y en a qui tombent et d’autres qui courent parmi les arbres, y a pas de montagne, y a pas de stratégie, on aurait pu couper les fils téléphoniques, mais ils ont la radio et des armes américaines toutes neuves. Les gendarmes ont sorti leur side-car, je ne vois plus rien autour de moi ». Alors que se répand la nouvelle de l’assassinat du porte-drapeau, la révolte gagne toute la ville, puis se diffuse dans les campagnes alentour. La population européenne est prise pour cible dans une explosion de colère et de vengeance longtemps contenues. Ces émeutes coûtent la vie à une centaine d’Européens. En réponse au soulèvement qui se propage dans le Nord-Constantinois, le général Duval (5) mobilise l’aviation et la marine, et se met alors en place une répression d’une sauvagerie inouïe jusqu’au bombardement de populations civiles. L’armée ratisse les villages et les bombarde.
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Guelma, Kherrata

Le soir, à Guelma, sans attendre, le sous-préfet (socialiste) André Achiary(6) fait tirer sur la foule. Il a organisé trois semaines plus tôt, des milices composées d’Européens, toutes tendances politiques confondues. Il met sur pied des tribunaux d’exception, dits de salut public, en dehors de toute légalité. De pacifiques, en réaction les manifestations deviennent violentes. L’armée, aidée par les milices européennes, réprime sauvagement la révolte: manifestants tués, femmes violées…L’aviation mitraille et bombarde les villages. Depuis la baie de Bougie, le croiseur Duguay-Trouin bombarde les douars de Kabylie. A Périgotville, près de Guelma, on fusille tous ceux qui savent lire et écrire. Des prisonniers fusillés sont jetés dans les gorges de Kherrata, on fait disparaître les corps, jetés et brûlés dans les fours à chaux de Marcel Lavie, entrepreneur et conseiller général.

Les arrestations se multiplient, les condamnations pleuvent, les exécutions sommaires sont nombreuses. Tout cela s’accompagne de véritables razzias; les tueurs, miliciens ou policiers, pillent, volent, violent, massacrent à tout va. Ces milices forment le creuset d’une « culture politique séditieuse » préfigurant l’ OAS (7). L’historien Alain Ruscio explique que « Le fossé entre les communautés était tel que la simple rumeur d’une insurrection générale des Arabes, savamment reprise puis orchestrée par certains administrateurs et élus coloniaux, avait littéralement plongé dans les transes la quasi-totalité de la population européenne ».

La répression, qui dure sept semaines, fait plusieurs dizaines de milliers de morts. Des milliers de personnes sont condamnées par les « tribunaux », totalement illégaux, dits de « salut public » et internées.

Ainsi « pendant que l’on fêtait la victoire en métropole, des « indigènes » étaient arrêtés en masse, exécutés sommairement, fusillés à Sétif et Guelma parce qu’ils avaient osé revendiquer l’application des principes de liberté, d’égalité, de droit des peuples à disposer d’eux-mêmes contre l’ordre colonial. »(8)

monument_aux_morts_de_kherrata.jpgCombien de morts ? Le bilan est impossible à établir. Du côté européen, il est précis: 102 tués, 86 civils et 16 militaires. Du côté algérien, le ministère de l’intérieur a concédé 1 000 à 1500 morts, le PPA en a dénoncé 45 000. Les historiens estiment l’ampleur des tueries entre 15 000 et 30 000. La guerre des chiffres ne peut en tout cas dissimuler la disproportion dans l’exercice de la violence. « Le caractère massif de la répression explique cette imprécision. Il rend très aléatoire, en effet, le décompte des morts. » (9)

 » La guerre d’Algérie a commencé à Sétif », affirme Mohammed Harbi.

A la fin de ces événements sanglants, le général Duval, commandant en chef des forces françaises en Algérie, assure dans un rapport à ses supérieurs: « Je vous ai donné la paix pour dix ans. Mais il ne faut pas se leurrer. Tout doit changer en Algérie. » Mais rien ne sera fait.

En fait, cette répression a créé une situation irréparable. Ce bain de sang est un point de non-retour. Il s’inscrit comme le prologue de la guerre d’indépendance algérienne déclenchée neuf ans plus tard, le 1er novembre 1954. En 1947, le PPA mettra en place une structure paramilitaire, prélude à la fondation du FLN.

L’événement a été noyé dans la joie de la victoire sur l’Allemagne nazie. Ce qui a contribué à confisquer la mémoire de ces événements. C’est seulement le 27 janvier 2005, année du 60ème anniversaire, qu’un officiel français, l’ambassadeur Hubert Colin de Verdière évoque à l’université Ferhat-Abbas de Sétif « cette tragédie inexcusable ». Et il a fallu attendre soixante-dix ans pour qu’un ministre se rende à Sétif, exprimer « la reconnaissance par la France des souffrances endurées et rendre hommage aux victimes algériennes et européennes de Sétif, Guelma et de Kherrata »(10) Reconnaissance timide et tardive. En Algérie, la plaie est vive.

En 2009, pour la première fois, un espace public, la mairie de Paris, se souvient de ces événements ignorés par l’histoire française. A l’initiative de l’historien Olivier Lecour Grandmaison et de l’Adjointe (PCF) au maire de Paris, Catherine Vieu-Charier, un colloque s’est tenu pour dit-elle « faire connaître ces événements, très complexes, très douloureux et injustifiables qui ont été les grands oubliés de l’histoire de la France », expliquant cette amnésie par le fait « qu’il semblait insupportable de reconnaître de telles horreurs, quand on était à dénoncer celles de l’Allemagne nazie. » Si le travail de mémoire est défaillant, le travail d’histoire se développe comme le montre la bibliographie partielle en annexe.

Bibliographie
Henri Alleg (dir), La Guerre d’Algérie, Temps actuels,1981
Jean-Pierre Peyroutou, Aux origines de la guerre d’Algérie, 1940-1945
Alain Ruscio, Les communistes et l’Algérie. 1920-1962, La Découverte, 2019
Annie Rey-Goldzeigner, De Mers-el-Kébir aux massacres du Nord-Constantinois, La Découverte, 2002
Jean-Louis Planche, Sétif 1945-Histoire d’un massacre annoncé, Perrin, 2006
Mohammed Harbi & Benjamin Stora, La Guerre d’Algérie 1954-2004,La fin de l’amnésie, Robert Laffont, 2004
Sylvie Thébaut, Histoire de la guerre d’indépendance algérienne, Flammarion, 2005
Olivier Lecour Grandmaison, Coloniser, exterminer. Sur la guerre et l’Etat colonial, Fayard, 2005
Mouloud Feraoun, Journal, Seuil, 1962
Kateb Yacine, Nedjma, roman, Seuil, 1956
Notes
1- La Charte de l’Atlantique est un document élaboré par Roosevelt et Churchill, non signé, qui servira de base à la « Déclaration des nations Unies », signée le 1er janvier 1942 par les représentants de 26 pays en guerre contre l’Allemagne, puis à la Charte de l’ONU en 1945.
2 – Ferhat Abbas (1899-1985). D’abord maurrassien, il adresse en 1941 à Pétain un rapport sur « L’Algérie de demain »; après le débarquement américain, il se rapproche de Darlan. Autonomiste, Il rédige le Manifeste et créé les Amis du Mouvement de la Liberté (AML) avec le PPA indépendantiste en 1943. Il sera le président de la 1ère Assemblée constituante en 1962 et à ce titre, premier Chef d’Etat algérien.
3 – Messali Hadj (1898-1974), indépendantiste depuis 1927, il crée le Parti du peuple algérien (PPA) en 1937. Il a révélé avoir reçu des avances de la part de Pétain, mais aussi de celle des Allemands, auxquelles il n’a pas donné suite.
4 – Les Amis du Manifeste pour la Liberté (AML) sont un mouvement créé par Ferhat Abbas, avec le soutien du PPA de Messali Hadj en 1943.
5 – Le général de brigade Duval (1894-1955) est le commandant des forces armées en Algérie. Il commande l’action sanglante de répression du 8 mai 1945 et des semaines suivantes dans le Nord-Constantinois. Il bénéficiera d’une fin de carrière fulgurante : promu commandant supérieur des troupes en Tunisie en novembre 1945, général de division en 1946, commandant supérieur des troupes du Maroc en 1949, général de corps d’armée en 1951 et obtiendra la 5ème étoile en 1954.
6 – André Achiary (1909-1983), socialiste, commissaire de police d’Alger sous Vichy, il recourt à la torture dans la répression contre les communistes en 1940-42. Sentant le vent tourner, il prépare l’accueil des Américains lors du débarquement en novembre 1942 et devient sous-préfet de Guelma. Il est l’initiateur, en mai 1945, des massacres de Guelma, qui lui valent son surnom de « boucher de Guelma ». L’historien J-P Peyroutou révèle qu’il avait créé sa milice le 14 avril, donc trois semaines avant le 8 mai. Mouloud Feraoun fait un terrible portrait d’Achiary dans son Journal.
7 – Achiary rejoint les « ultras » de l’Algérie française en 1955-56. La terminologie des tribunaux spéciaux est reprise par les « comités de salut public » formés par l’Algérie française. Dans ses Mémoires, On chantait rouge (Robert Laffont, 1977), Charles Tillon explique qu’il n’a aucune responsabilité dans la répression de ces émeutes, et qu’elle fut une machination fomentée par des nostalgiques de Vichy. Il dit être persuadé que les Américains ont joué un rôle dans ce drame. Il met en cause un colonel d’aviation pétainiste qui sera plus tard un animateur du complot du « Comité de salut public » du 13 mai 1958, qui aboutira à la prise du pouvoir par le général de Gaulle et à l’avènement de la Ve République.
8 – Olivier Lecour Grandmaison, L’Humanité, 9 mai 2009
9 – Sylvie Thénaut, Histoire de la guerre d’indépendance algérienne, Flammarion, 2005
10 – Jean-Marc Todeschini, secrétaire d’Etat aux Anciens combattants et à la Mémoire, le 19 avril 2015 reprenant les termes choisis par le Président de la République, François Hollande, lors de sa visite officielle en Algérie en 2012.

La foule en liesse fête la victoire sur les Champs Elysées, à Paris
8 mai 1945

Armistice ou capitulation sans conditions ?

La date du 8 mai est souvent retenue comme un « armistice », sans doute par analogie avec le 11 novembre. Mais il s’agit d’un abus de langage. Un armistice est négocié. Or, lors des Conférences de Casablanca puis de Téhéran, durant l’année 1943, les Alliés ont rejeté toute idée de négociation. Ils ont convenu d’un principe : à la guerre totale prônée par l’Allemagne doit répondre une victoire totale, sans compromis. 

En janvier 1945, l’Allemagne ne s’avoue pas vaincue. Elle a lancé deux offensives dans les Ardennes et en Hongrie en décembre 1944 et compte sur de nouvelles armes : les fusées V1 et V2. Goebbels dit en mars :  » S’il est écrit que nous devons sombrer, le peuple allemand tout entier sombrera avec nous. »

Pourtant, en avril, l’Allemagne est aux abois. Le 24 avril 1945, Himmler prend contact avec le comte Bernadotte, président de la Croix rouge suédoise, pour transmettre aux occidentaux une proposition de paix séparée, en échange de quoi il regrouperait l’ensemble des forces armées allemandes sur le front de l’Est pour vaincre l’Union soviétique.

Le mardi 8 mai 1945, la Seconde Guerre mondiale s’achève en Europe par la victoire des Alliés et l’effondrement de l’Allemagne nazie, quand l’Italie fasciste était déjà défaite. Six années de guerre marquées par des atrocités inimaginables, 2077 jours de souffrances. Mais ce n’est pas la fin de la guerre mondiale, qui se poursuit en Asie.

Drapeau rouge sur le Reischstag – Photo d’Evgueni Khaldeï

La guerre en Europe se termine par la prise de Berlin, capitale et lieu de pouvoir des nazis dans laquelle Hitler avait décidé de revenir le 16 avril 1945. En mars, les troupes soviétiques des maréchaux Joukov, Koniev et Rokossovski se rejoignent et préparent l’assaut de la ville. A l’Ouest, les armées alliées encerclent la Ruhr : l’étau se resserre inexorablement. Le 21 avril, les chars soviétiques entrent dans la ville. L’appel pour défendre la ville, à la Volksturm, sorte d’armée fantoche d’enfants et de vieillards fanatisés ne change rien. Dans la nuit du 29 au 30 avril, Hitler se suicide. C’est la débâcle ! Une heure plus tôt, les soldats de Joukov ont entrepris la prise du Reichstag et le 1er mai, vers 3 h, le lieutenant Sorokine et son escouade hissent le drapeau rouge sur le toit (1). Goebbels tente alors de négocier mais Staline lui fait répondre que rien n’est négociable et exige la capitulation sans conditions, comme cela a été annoncé par les Alliés. Le 2 mai, le commandant de la place de Berlin, Weidling se rend.

Le 7 mai à Reims, 2 h 41

Le 3 mai, Doenitz, désigné par Hitler comme son successeur, envoie le général Alfred Jodl, chef d’état-major de la Wehrmacht, au quartier général d’Eisenhower à Reims, muni des pleins pouvoirs pour signer la reddition générale des forces allemandes. Il y arrive le 6. La veille, les troupes du général Leclerc se sont emparées du « Nid d’aigle » de Berchtesgaden. Jodl est contraint d’accepter un texte du commandement allié soumis par le général américain Walter B. Smith (2). La capitulation est signée dans la nuit, le 7 mai à 2 h 41. De Gaulle et Staline sont furieux, ils ont le sentiment que la France et l’URSS ont été tenus à l’écart, en dépit de la présence à Reims du général Sousloparov et du général François Sevez, à titre de témoin.

Jodl signe l’acte de reddition à Reims
Keitel signe l’acte de capitulation à Berlin

Le 8 mai à Berlin, 23 h 01

La « cérémonie » de signature doit être répétée à Berlin le 8 mai, au quartier général de l’Armée rouge. Il est certain que le symbole est plus fort. L’Allemagne y est représentée par le maréchal Keitel. En entrant dans la salle, il salue de son bâton de maréchal. Joukov qui préside, reste assis et impassible : Keitel vient de comprendre qu’il est un vaincu auxquels les honneurs ne seront pas rendus (3). La signature des neuf exemplaires intervient à 23 h 01 à Berlin (4), soit 1 h 01 à Moscou le 9 mai (5). Le drapeau français a été ajouté à la hâte, la France est représentée par le général de Lattre de Tassigny, ce qui a provoqué les sarcasmes de Keitel :  » Les Français, ici » (6). Pour la France, être admise parmi les vainqueurs n’a été possible que grâce à la mobilisation de la Résistance tout au long de la guerre et dans les combats de la libération. Le texte signé à Reims le 7 mai est un « acte de reddition », celui du 8 mai, signé à Berlin est un « acte de capitulation militaire », qui implique le dépôt des armes et pas seulement la fin des combats.

Le 9 mai à 15 h, le général de Gaulle fait un discours à la radio, tandis que les cloches de toutes les églises françaises sonnent à la volée puis il se rend à l’Etoile. Au même moment, Churchill à Londres et Truman à Washington s’expriment également. La fin de la guerre est vécue dans la liesse populaire, malgré l’angoisse de celles et ceux qui attendent le retour d’un prisonnier ou

d’un déporté. Au lourd bilan humain (58 millions de morts civils et militaires, 10 millions de morts dans les camps nazis), s’ajoutent des économies en ruines, des drames personnels, le traumatisme de la révélation des horreurs du système nazi.

Le 11 mai à Bouvron (Loire-Inférieure)

Toutefois, le territoire n’est pas libéré en totalité le 8 mai. Il reste, sur la façade atlantique, des poches toujours occupées par l’armée allemande. C’est le cas en Loire-Inférieure où les combats se sont poursuivis, après la libération de Nantes, dans la Poche de Saint-Nazaire. Un autre acte de reddition intervient le 11 mai à Bouvron.

Le général de la Wehrmacht Junck remet son revolver au général américain Kramer, accompagné du général français Chomel. « En remettant mon arme, je vous remets la reddition de toutes les troupes allemandes de la forteresse de Saint-Nazaire leur déclare-t-il. L’armée allemande se rend, de même que dans les autres forteresses nazies protégées par le Mur de l’Atlantique.  

Le général de la Wehrmacht Junck remet son revolver au général américain Kramer

L’autre 8 mai : Sétif*

Le 8 mai, la foule en liesse ignore que ce jour devra s’écrire au pluriel. Il y a eu des 8 mai. Au moment où cette foule célébrait la victoire, l’armée française tirait à Sétif et à Guelma sur des manifestants algériens qui exprimaient des sentiments nationaux, mais aussi des revendications démocratiques largement inspirés par les idéaux de la Résistance.

Le 8 mai appartient à ces dates clefs de l’époque contemporaine – « Une des plus grandes dates de l’Histoire universelle » (7) – celles qui commémorent les fins de conflits meurtriers marqués par des atrocités innommables, celles qui fondent pour partie l’identité des vivants sur le souvenir des morts. Le sens du 8 mai, c’est la victoire de la démocratie sur la barbarie nazie, sur le fascisme. Comme le note l’historien Serge Wolikow : « L’esprit né de la victoire sur l’hitlérisme a encore une grande résonance dans le monde d’aujourd’hui, qu’il s’agisse des principes démocratiques, des solidarités internationales ou de la manière de vivre ensemble ».

* Pour en savoir plus, voir notre article L’autre 8 mai : Sétif

L’autre 8 mai 1945: les massacres coloniaux de Sétif, Guelma, Kherrata

 Source

* Ian Kershaw, La Fin. Allemagne 1944 – 1945, Seuil, 2012

* Serge Wolikow, Antifascisme et nation, EUD, 1998

*Jean Lopez (dir), La Wehrmacht, La fin d’un mythe, Perrin, 2019

Notes

1 – Officiellement, c’est le lieutenant Sorokine et son escouade qui ont hissé le drapeau sur le toit du Reichstag. Mais, en raison de l’obscurité l’événement n’a pas pu être photographié. La photo mythique de Evguéni Khaldéï a été prise le lendemain.

2 – La séance est présidée par le général Bedell Smith, chef d’état-major d’Eisenhower qui signe l’acte pour les Occidentaux, puis l’acte est signé par le général Souslopalov, pour l’Union soviétique et par le général Sevez, sous-chef d’état-major, pour la France (Le maréhal Juin est à San Francisco où se déroule la Conférence des Nations-Unies)

3 – Témoignage du commandant René Bondoux, présent aux côtés du général de Lattre, Le Figaro, 8 mai 2015.

4 – La séance est présidée par le maréchal Joukov qui signe pour l’URSS, les Occidentaux ont une double représentation, le général Tedder signe pour la Grande-Bretagne et le général Spaatz pour les Etats-Unis.  L’acte est signé pour la France par le général de Lattre de Tassigny au titre de témoin.

5 – Ce qui explique que le « 8 mai » est commémoré le 9 en Russie.

6 – Il y a plusieurs variantes selon les traductions :  » Les Français ici » ou « Les Français aussi »

7 – Marcel Cachin, L’Humanité, 9 mai 1945