Comité Départemental du Souvenir des Fusillés de Châteaubriant de Nantes et de la Résistance en Loire-Inférieure

Des Nantais témoignent sur les bombardements de 1943

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Le 4 octobre, le journal OUEST-FRANCE a organisé  à Nantes une soirée sur les bombardements des 16 et 13 septembre. Cette soirée faisait suite à la publication d’un ensemble d’articles de grande qualité. Trois historiens  – Ambre Ivol, Andrew Knapp et Christophe Belser ont apporté leur éclairage puis des témoins ont partagé leurs souvenirs de ces terribles journées. Plusieurs autres témoignages, dont certains avaient été confiés à notre Comité, ont été lus par des élèves du lycée Carcouët. Nous publions ci-dessous ceux de Monique Arradon, Jean-Claude Baron et Jean Cesbron.

 

Témoignage de Monique ARRADON sur les bombardements de Nantes

Monique Arradon avait 12 ans en 1943. Elle vivait à Nantes, où elle est née. Elle a remis au Comité du souvenir son témoignage sur les bombardements de Nantes les 16 et 23 septembre 1943 qui l’ont marquée, comme les fusillades des Otages à Nantes, Châteaubriant et au Mont-Valérien, deux ans auparavant, le 22 octobre 1941 « Comme une volée de grains jetée aux poulets, le 16 septembre 1943, une pluie de bombes américaines tombe sur Nantes. Ce jeudi-là, fin de vacances, j’étais avec ma mère  chez ma tante, quartier de Saint-Félix, assez éloigné du port.

Nous ne fûmes pas trop inquiètes de la sirène d’alerte, qui allait retarder notre retour à la maison. Les Nantais ne craignaient plus guère, jour et nuit, les alertes au cours desquelles rien ne se passait sauf quelques bombes lancées, en piqué, sur le port par les aviateurs anglais. Une batterie de DCA, allemande, au bout de notre avenue, ne m’empêchait plus de dormir…

Contrairement aux Nazairiens, fuyant leur ville, enflammée chaque nuit, où seule résistait la base sous-marine, qui nous prédisait des catastrophes…

Donc, en cette fin d’après-midi ensoleillée, le 16 septembre, nous fûmes atterrées par le bruit épouvantable, incessant, sa durée, les détonations et les lueurs d’incendies qui irradiaient le ciel, bleu.

Annick, ma cousine, arriva, blanche de plâtras, choquée. Elle était restée coincée dans son bureau. Fuir, fuir Nantes…

Sitôt l’alerte terminée, au bout de combien de temps ? Très inquiètes, ma mère et moi revînment vite à la maison. Claude, mon frère, arriva, assourdi par les explosions. Il s’était protégé sous le pont de la Motte-Rouge, au bord de l’Erdre. Il avait vu Nantes flamber. Peu éloigné, à vol d’oiseau du centre-ville, il entendit s’écrouler une rue entière, la rue de l’Arche-Sèche, transformée en fleuve de pierres.

Puis mon père rentra. De son bureau il avait vu les malades de l’Hôtel-Dieu descendre en hâte par les fenêtres dans leurs draps. Il avait traversé à vélo la ville en feu pour rejoindre notre quartier, au rond-point de Paris.

La rue du calvaire, baptisée à jamais, n’était que flammes. Le samedi, lorsque nous allâmes mesurer l’ampleur du désastre, la rue brûlait encore, longue torche couchée, allumée au pied de l’église Saint- Nicolas.

Chaque rue révélait son drame, la dérision des immeubles éventrés sur la poignante intimité de ceux qui désormais étaient sous les décombres. Fleurs jaunes délavées d’un papier peint entourant le cadre du grand-père soldat, le chatoiement d’un miroir intact, un lit de fer préparé pour la nuit, au-dessus du vide…

Le jeudi 23 septembre, une semaine après,  les bombardements reprirent. Stupeur et colère.

Il faisait très beau cet automne-là. Le 23 septembre, on prépare la rentrée scolaire du 1er octobre. Courait dans Nantes l’histoire de ce grand-père accompagné de ses petits-enfants pour faire des achats d’écoliers  et qui n’en revinrent jamais. Nous étions séparés, sans nouvelle possible des parents et amis, par des montagnes de pierres, des gouffres de cendre. Il faudra des années et des milliers de bras pour « déblayer » Nantes, après la guerre.

Mon souvenir le plus vif est celui des obsèques des victimes. Tous les Nantais valides y assistaient – un dimanche, je crois. Nous fûmes bloqués près du lycée Clemenceau, chapelle ardente, qui fournissait sans fin les « cercueils » portés à dos d’hommes. Impossible d’approcher la cathédrale Saint-Pierre. Des cercueils ? Il n’y en avait plus dans Nantes. Planches hâtivement assemblées, de divers formats. Que restait-il de certains Nantais ? « Tout » ce qu’on avait pu retirer des décombres avait été casé dans des caisses. Je n’ai pas souvenir de fleurs. Il ne devait pas subsister de fleurs en septembre 1943, pas même ces gros dalhias d’automne, prémices des chrysanthèmes frisés de la Toussaint, pour nos morts.

La décision est annoncée : tous les enfants au-dessous de 15 ans doivent quitter Nantes. Ma mère, ma grand-mère, mon frère et moi partîmes pour Vigneux-de-Bretagne, avec les meubles de valeur. En arrivant nous apprîmes de notre famille, le pire. Odile Caudal, notre cousine de vingt ans, descendue sur la recommandation de son père, dans l’abri « creusé » place Viarme, y avait été déchiquetée par une bombe.

Son père, une nuit entière, manipula des restes de corps humains pour retrouver à l’aube, une main. Reconnue à la bague de la mère d’Odile, morte jeune, qu’elle portait.

Les nouvelles les plus atroces circulaient. »

Monique Arradon

.* Plus tard, devenue artiste peintre et sculpteure reconnue, elle a conçu pour la carrière de la Sablière, un projet de monument Hommage aux fusillés de Châteaubriant dont elle a offert le prototype au musée de la Résistance de Châteaubriant, où il est exposé depuis le 80e anniversaire de cet événement tragique.

Monique Arradon expose une sculpture 

Bonsoir. Je m’appelle Jean Cesbron

Je suis né en 1935 et ma sœur en 1936 à Malville  où mes parents étaient instituteurs publics. Mobilisé en Septembre 1939, mon père est décédé en 1942 des suites de la guerre.

Le 16 Septembre 1943 nous sommes allés, ma mère, ma sœur et moi chez Decré pour y faire les courses de la rentrée scolaire qui avait lieu le 1er Octobre à cette époque.

Nous étions chez Decré quand les sirènes ont retenti indiquant une alerte aérienne .Le magasin a été évacué et nous sommes partis à pied pour rejoindre Pont Rousseau où nous résidions chez mes grands parents maternels .Pendant les alertes les tramways ne roulaient pas. Lorsque nous sommes arrivés chaussée de la Madeleine on percevait le bruit des moteurs d’avions qui volaient au dessus de Nantes.

Ma mère craignant la destruction possible du pont de la Madeleine a fait, comme d’autres piétons,  le choix de nous faire pénétrer dans le couloir ouvert d’un grand immeuble, côté droit de la rue de la Madeleine après la maternité et l’Hôtel Dieu .Le couloir où nous avons pénétré était sombre, humide et froid. Dans ce couloir qui possédait un escalier en pierre, une dizaine de personnes étaient assises sur les marches ou debout appuyées sur le mur. Il n’y avait pas d’enfants, pas de pleurs, pas de bruit, personne ne parlait.    

Serré contre ma mère, je ne me souviens pas avoir eu peur bien qu’on entendît dans ce couloir sinistre le bruit des avions et des explosions fortes et peu éloignées.

Lorsque la sirène a annoncé le départ des avions, donc la fin du bombardement nous sommes sortis et j’ai constaté que sur le pont de la Madeleine  il y avait des gens. Nous avons donc traversé la Loire et regagné Rezé par le pont de fer SNCF ouvert sur une voie aux piétons et cyclistes.

Le jeudi 23 septembre dans la matinée des avions ont bombardé Nantes et Rezé .

Mon grand père chez qui nous habitions a considéré que notre sécurité n’était plus assurée. Il a estimé que nous ne pouvions plus demeurer chez lui à Rezé.

Le même jour le Préfet de Loire inférieure et le Maire de Nantes ont décidé l’évacuation des enfants, des lycéens. En fin d’après midi nous sommes allés ma mère, ma sœur et moi à la gare de l’Etat où nous avons pris le train des ouvriers pour Clisson. Ce train s’est arrêté  avant les ponts de la Vendée et j’ai vu brûler la ville de Nantes : un brasier énorme, des explosions terribles proches du train immobile.

J’avais alors 8 ans et demi et ces visions d’incendies sont gravées dans ma mémoire pour toujours.

Depuis je hais la guerre et me suis engagé pour la paix et l’entente  entre les peuples.

Jean Cesbron  –  1/10/ 2023.

Jean-Claude Baron

« J’ai vécu dans Nantes dévastée »

Jean-Claude Baron est né en 1939. Il garde des souvenirs d’enfance de Nantes dévastée par les bombardements. Avec ses parents, Marcelle et Alfred Baron, ils n’ont jamais pu regagner leur appartement de Doulon, qui avait été « soufflé ».

« En 1943, nous étions réfugiés dans un hameau près de Nort-sur-Erdre, fuyant les restrictions alimentaires et les premiers bombardements sur Nantes. Mon père était dans la clandestinité et ma mère, employée chez Brissoneau, était une résistante active, elle cachait des résistants, Agente de liaison, elle est arrêtée par la Gestapo en mars 1944, déporté à Ravensbrück, elle reviendra très affaiblie en mai 1945 », expose-t-il.

 « C’est ma grand-mère et ma grande sœur qui s’occupaient de moi, j’avais 4 ans. En mai 1945, mon père, réintégré aux Batignolles, avait obtenu une maison ouvrière à la Halvêque car il était impossible de retourner dans l’appartement de Doulon, « soufflé » lors des bombardements de septembre 1943. C’était dans les années 1950 que j’ai vécu dans Nantes dévastée. Je me souviens de la rue du Calvaire rasée, sauf le haut et le bas ; Decré rasé, place Royale à demi-rasée ; les baraques du Commerce occupant le cours Saint-André, les grands magasins installés dans des entrepôts en face le château des Ducs, plus tard, un ami, Georges Douard, profondément marqué par les bombardements où il avait perdu son frère, a écrit un livre témoignage. »

Pour Jean-Claude Baron, qui perpétue toujours le souvenir de cette terrible période : « 1943, c’est aussi le procès des 42, avec 37 condamnations à mort, la résistance décapitée. L’usine des Batignolles fut aussi bombardée par les Anglais, bombardements ciblés, causant la mort de 42 ouvriers. Les bombardements de septembre 1943 par les Américains visaient le port, la gare, mais eux n’étaient pas ciblés, poursuit-il. Aujourd’hui, amoureux de la ville où je suis né, j’aime « lire » les façades et celles de la reconstruction, elles sont intégrées, mais portent pour ceux qui les regardent de douloureux souvenirs. »

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