Un anniversaire et des archives retrouvées
Allocution d’ouverture de Monsieur Michel Ménard,
Président du Conseil départemental de Loire-Atlantique
Monsieur le Président du Comité du Souvenir,
Monsieur le Directeur du Musée de la Résistance nationale,
Mesdames, Messieurs,
Le 4 mars 2022, tous les élus de notre institution étaient réunis devant l’Hôtel du département pour dire, au moment où les bruits de bottes et de bombes revenaient en Ukraine, notre engagement pour la Liberté des peuples.
En vous accueillant dans cet hémicycle aujourd’hui, j’ai le sentiment de répondre à la même exigence.
Pour parler avec vous d’un combat politique fondamental, sans doute le plus important, celui qui défend l’état de droit contre la loi du plus fort, la démocratie contre l’autocratie, une vie organisée autour de règles communes respectueuses de chacun plutôt qu’un monde régi par l’oppression et la brutalité.
La leçon de la résistance est bien celle-là : lorsque la loi laisse libre cours à l’arbitraire, s’exonère de la question du juste et de l’injuste, lorsque les mécanismes mêmes de la démocratie sont instrumentalisés pour asservir et opprimer, la seule alternative réside dans la détermination des peuples à choisir librement leur destin.
La vérité d’une démocratie n’est pas dans la manière dont on désigne un chef mais davantage dans la manière dont elle s’organise pour permettre aux citoyens d’empêcher ceux qui ont le pouvoir d’en abuser.
Cette force hors-du-commun pour inventer librement l’avenir et le progrès humain animait les Francs-Tireurs-Partisans.
Aujourd’hui, nos générations partagent une responsabilité majeure, dont je crois nous ne mesurons pas assez l’importance. Pour beaucoup, nous n’avons pas vécu la seconde guerre mondiale. Les victimes de la déportation et les acteurs de la résistance disparaissent.
Au fur et à mesure des soubresauts du monde, si l’on n’y prend garde, le regard que l’on porte sur ces événements devient moins précis, soumis au contexte politique du moment, parfois instrumentalisé comme en témoignaient encore certains discours récents lors des élections présidentielles.
Il en résulte une sorte de confusion qui est un peu comme une nouvelle humiliation pour celles et ceux qui ont donné leur vie pour combattre le nazisme.
Il faut au contraire, j’en suis convaincu, s’employer avec la rigueur de l’historien à dire, débattre et transmettre. Il faut notamment expliquer comment des hommes et des femmes d’origines, de convictions politiques différentes se sont retrouvés au-delà de leurs différences, leurs antagonismes parfois, pour faire résistance.
Donner un visage, une voix, une identité, à ces milliers de femmes et d’hommes qui ont souffert jusqu’à donner leur vie face à l’horreur de l’oppression nazie, c’est essentiel. Et cela signifie aussi comprendre le sens et le moteur de leur engagement.
Même si je ne partage pas cette conviction politique, je sais combien nous devons aux militants communistes des FTP et comment le contexte politique d’après-guerre et le dévoiement d’une utopie ont trop souvent conduit à taire cette part d’histoire.
Pour construire du commun, je crois qu’il faut collectivement avoir une relation apaisée avec notre histoire. La connaître, la partager avec rigueur pour l’assumer sans en être prisonnier.
C’est pour cela qu’il y a de nombreux mois déjà, lorsque le président Christian Retailleau m’a parlé du projet de ces journées d’études, je lui avais proposé de vous accueillir ici, à l’Hôtel du Département.
L’Hôtel du Département, c’est par définition un espace de citoyenneté et je trouve important que ce soit rappelé dans cet hémicycle, où siègent habituellement les 62 élus départementaux, un moment important dans notre histoire démocratique et républicaine.
Votre présence à toutes et tous, ici, pour évoquer la mémoire des 45 résistants FTP condamnés à mort en 1943 fait honneur à notre institution.
Je vous souhaite à toutes et tous une bonne journée.
1ère séance présidée par Alain Croix, historien, professeur émérite des universités.
LA RÉSISTANCE DES GROUPES ARMÉS COMMUNISTES EN LOIRE-INFÉRIEURE
Le souvenir des « 50 Otages » :
les premiers fusillés en Loire-Inférieure
Communication d’Eric Brossard,
Agrégé d’histoire, professeur relais du Musée de la Résistance nationale.
Pour la première communication de la journée d’étude, Eric Brossard a pour tâche de traduire la construction du souvenir des 50 Otages, premiers fusillés de Loire-Inférieure, notion éminemment immatérielle.
L’exécution du commandant Hotz est un choc considérable pour l’occupant, et ses complices de Vichy. A leurs yeux, les violences contre les autorités militaires allemandes sont le fait de « hors-la-loi» communistes, agissant en faveur de l’ennemi et au détriment des populations locales. Hitler demande l’exécution d’otages et la publicité des mesures répressives : il faut faire un exemple.
C’est une lecture idéologique en même temps que géographique – avec, après un nouvel attentat en Gironde, le choix de quatre sites d’exécutions quasiment simultanées (Nantes, Châteaubriant, Paris, Bordeaux) – qui est faite sur l’ensemble du territoire occupé.
Charles de Gaulle intervient dès le 23, puis le 25 octobre, alors que les déclarations de Churchill et Roosevelt, à la même date, sont larguées par tracts sur le territoire national. La presse soviétique reprend les faits et les réactions.
Les premiers éléments de la construction du souvenir en Loire-Inférieure sont immédiats et bien réels. Citons le récit de l’abbé Moyon, la récupération des planches de la baraque 6 sur lesquelles les fusillés ont gravé leurs ultimes messages, le recueillement des familles à la Toussaint 1941, la maquette d’un monument fabriquée en cachette, la diffusion de L’Humanité clandestine le 1er novembre 1941.
Puis ce sont les images qui circulent, avec la figure de Guy Môquet dès 1942. Quant à la diffusion du Crime contre l’esprit signé « Le Témoin des Martyrs » (Aragon), à partir de février 1942, elle est considérable.
A la Libération, divers comités et associations se sont créés. Les commémorations pérennes à Châteaubriant sont placées sous l’égide du PCF et de la CGT qui délèguent leurs plus hauts responsables et mobilisent les participants.
A partir de 1986 s’ajoutent le réaménagement de la carrière de La Sablière, le rachat de la ferme, l’ouverture d’un musée, l’exposition thématique au Musée d’histoire dans le château des Ducs de Bretagne : « Nantes dans la deuxième guerre mondiale ». En 1991, c’est l’inauguration du monument au Bêle, lieu d’exécution des otages nantais, suivie en 2018 de la pose de la plaque listant tous les fusillés sur le site.
La réhabilitation des sites, comme La Blisière, lieu d’exécution de 9 otages le 15 décembre 1941, la visibilité des lieux de mémoire comme Saint-Nazaire, la Maison des Syndicats, les cimetières de La Chauvinière, Rezé, Sainte-Luce, La Chapelle-Basse-Mer, l’éclat donné à la mémoire des fusillés espagnols, l’attribution de noms de rues, l’action de nouveaux comités locaux renforcent la matérialité de la présence mémorielle.
En s’appuyant sur un programme officiel, les commémorations mobilisent les partenaires pour enrichir et développer la construction du souvenir. En prenant un tournant culturel, en adoptant un caractère événementiel, la mémoire s’est ravivée et s’est renouvelée,
lesquelles les fusillés ont gravé leurs ultimes messages, le recueillement des familles à la Toussaint 1941, la maquette d’un monument fabriquée en cachette, la diffusion de L’Humanité clandestine le 1er novembre 1941.
Puis ce sont les images qui circulent, avec la figure de Guy Môquet dès 1942. Quant à la diffusion du Crime contre l’esprit signé « Le Témoin des Martyrs » (Aragon), à partir de février 1942, elle est considérable.
A la Libération, divers comités et associations se sont créés. Les commémorations pérennes à Châteaubriant sont placées sous l’égide du PCF et de la CGT qui délèguent leurs plus hauts responsables et mobilisent les participants.
A partir de 1986 s’ajoutent le réaménagement de la carrière de La Sablière, le rachat de la ferme, l’ouverture d’un musée, l’exposition thématique au Musée d’histoire dans le château des Ducs de Bretagne : « Nantes dans la deuxième guerre mondiale ». En 1991, c’est l’inauguration du monument au Bêle, lieu d’exécution des otages nantais, suivie en 2018 de la pose de la plaque listant tous les fusillés sur le site.
La réhabilitation des sites, comme La Blisière, lieu d’exécution de 9 otages le 15 décembre 1941, la visibilité des lieux de mémoire comme Saint-Nazaire, la Maison des Syndicats, les cimetières de La Chauvinière, Rezé, Sainte-Luce, La Chapelle-Basse-Mer, l’éclat donné à la mémoire des fusillés espagnols, l’attribution de noms de rues, l’action de nouveaux comités locaux renforcent la matérialité de la présence mémorielle.
En s’appuyant sur un programme officiel, les commémorations mobilisent les partenaires pour enrichir et développer la construction du souvenir. En prenant un tournant culturel, en adoptant un caractère événementiel, la mémoire s’est ravivée et s’est renouvelée, appelant à faire mieux encore dans une synergie peut-être complexe, mais néanmoins nécessaire, entre mémoire locale, mémoire familiale, mémoire nationale, mémoire militante et mémoire officielle.
L’Etat français contre les communistes
Communication de Louis Poulhès
Agrégé et docteur en histoire
Louis Poulhès inscrit les procès de janvier et août 1943 à Nantes dans la continuité des répressions anticommunistes après la signature du pacte germano-soviétique.
En 1939, le gouvernement Daladier de la IIIe République interdit les publications et réunions communistes (août), dissout les organisations communistes et suspend les conseils municipaux à majorité communiste (septembre), radie des fonctionnaires, procède à des arrestations et à des internements administratifs sur décision préfectorale (novembre). En avril 1940, le gouvernement adopte le décret Sérol : les communistes encourent désormais la peine de mort pour trahison.
Dès le début de l’Occupation, le nouvel Etat français collabore et continue la traque des communistes : Vichy a le même objectif de criminalisation des communistes que l’Occupant. Les Allemands délèguent d’abord à Vichy la répression anticommuniste mais l’invasion allemande de l’Union Soviétique ouvre une nouvelle période. Les Allemands procèdent à une vaste opération d’internement des personnes « sous influence soviétique », ouvrent leurs propres camps d’internement, encouragent Vichy à renforcer ses opérations de police et de répression. S’ensuivent côté français l’institution de Sections spéciales auprès des cours d’appel, d’un Tribunal d’État et la création d’une police parallèle, le Service de police anticommuniste (SPAC). Les Allemands, eux, jugent, condamnent et exécutent les membres des groupes armés, avant en 1944 de déporter les membres de la branche politique.
A Nantes, c’est la police française, très efficace, qui démantèle les groupes armés communistes qu’elle livre aux Allemands. Au total, elle arrête plus de 140 résistants français et espagnols. 45 sont jugés par le tribunal militaire allemand lors du « procès-spectacle » de janvier 1943 puis 16 en août.
La résistance et la répression espagnole
en Loire-Inférieure
Communication d’Alain Bergerat,
Agrégé d’histoire, professeur honoraire en classes préparatoires
Alain Bergerat rappelle en introduction que dans le cadre du 80ème anniversaire des « Procès des 42 et des 16 », était inaugurée à Nantes la rue Alfredo Gomez Ollero en présence de la famille et de l’Ambassadeur d’Espagne en France.
Et l’historien précise que son intervention s’appuie grandement sur la recherche et les travaux réalisés depuis de nombreuses années par Carlos Fernandez, auteur et militant au sein du « Collectif du Procès des 42 ».
En premier lieu, il interroge : pourquoi tant d’Espagnols ? Et de resituer leur parcours à partir de la défaite des troupes régulières de la République espagnole, dès leurs arrivées en France dans ce que l’on a appelé « La Retirada » et par la suite leurs engagements (forcés) dans les C.T.E. (Compagnies des Travailleurs Etrangers) d’où leur présence dans ce département de Loire-Inférieure, sur l’Atlantique.
L’historien aborde ensuite leur participation à la résistance et détaille leur rôle très actif dans l’organisation clandestine du parti communiste espagnol en mettant l’accent sur la personnalité de cinq d’entre eux.
Il développe ensuite la répression subie par ces résistants particulièrement surveillés par la police française et considérés comme « des bandits de droit commun ». Puis il aborde succinctement la place de ces Espagnols dans le cadre du « Procès des 42 ».
Dans un dernier temps, il s’étend davantage sur la mémoire de ces Espagnols. Entre mémoire et histoire, il rappelle les nombreuses initiatives du Comité du Souvenir pour retrouver les familles des cinq républicains fusillés à Nantes et de quelles manières ils sont honorés depuis vingt ans.
Enfin Alain Bergerat termine son propos sur l’activation de la mémoire en Espagne. Ce sera le principal objet des questions posées par le public auxquelles répondra Carlos Fernandez.
La lutte armée en Loire-Inférieure :
la résistance et la chute des groupes armés
du Parti communiste clandestin
Communication de Franck Liaigre,
Docteur en histoire
L’été-automne 1941 marque le début de la lutte armée des communistes à la demande de la direction du PC clandestin, qui répond elle-même à une demande de Moscou.
Albert Ouzoulias, responsable des Bataillons de la jeunesse, créés par les Jeunesses communistes, vient à Nantes et rencontre Guy Gaultier, responsable d’un groupe de militants de Pont-Rousseau et Jean Vignau-Balous, chef de l’Organisation spéciale (OS). Un document de Pierre Rebière, responsable national de l’OS, fait alors état de 13 combattants actifs en Loire-Inférieure, essentiellement des Nantais. Ces chiffes paraissent faibles, néanmoins ils attestent de «l’importance énorme, exceptionnelle» de Nantes dans la résistance communiste. L’OS se renforce et recrute 10 nouveaux combattants au 1er trimestre 1942 dont 5 sont déjà entrés dans la clandestinité. A Paris on compte à ce stade 280 FTP, 20 en Meurthe & Moselle, 20 à Nantes, 15 à Rennes et 11 à Brest, soit 46 au total pour la région Bretagne.
« Nantes est au firmament de la lutte armée» et la police le sait. On dénombre 65 actions. Les FTP ont deux objectifs : entraver la production industrielle et créer un climat d’insécurité pour les Allemands, y compris en tuant des militaires. De ce point de vue, après l’attentat d’octobre 1941, le plus retentissant de la période de l’Occupation est celui du cinéma nantais Apollo.
Pour autant l’action n’est pas aisée. P. Rebière souligne le manque d’armement, moins sensible à Nantes où les combattants ont des armes récupérées lors de la débâcle. Mais ce dénuement « n’enlève rien à la force de conviction des combattants, à leur audace et leur remarquable courage».
La chute. Ce sont les polices françaises qui arrêtent la totalité des membres des groupes armés communistes. Le rôle du commissaire André Fourcade, arrivé à Nantes en 1938, est à souligner. C’est un policier compétent, zélé et ambitieux. Les Allemands ne font pas confiance à la police nantaise, hormis à la police mobile. A Rennes, opère le commissaire Soutif et à Angers, Marcel Fritz mise sur Jacques Poupard, un jeune policier aux dents longues qu’il recrute en lui promettant une montée en grade rapide. Il y a là également l’inspecteur Pierre Larrieu, le pire tortionnaire du SPAC-SRMAN, une police parallèle qui intervient à Nantes à la demande du préfet Dupart.
Son moyen d’action : la torture pour obtenir des « aveux ». L’aveu : « la reine des preuves » ! La violence exercée par le SPAC-SRMAN comprend trois phases : après la gifle puis le passage à tabac, c’est l’utilisation du nerf de bœuf. Ce qui explique que des « combattants d’un courage inouï » finissent par livrer des informations. La police a en outre la force du nombre : 480 policiers sont mobilisés pour retrouver Raymond Hervé après son évasion du tribunal, action dans laquelle le juge Le Bras a été tué.
Une autre situation aide la police. Les FTP vivent de manière très spartiate. Ils se recrutent entre eux donc se connaissent. Le cloisonnement est difficile.
2ème séance présidée par Alain Alexandra, chef de la division des archives des victimes des conflits contemporains du Service historique de la Défense à Caen
LES PROCÈS ALLEMANDS ET LEUR MÉMOIRE
Le rôle et le regard des avocats français
dans le procès des « 42 »
Communication de Serge Defois,
Docteur en histoire.
Serge Defois convoque les archives du barreau de Nantes, les écrits privés des avocats, ceux d’Edmond Duméril, conseiller-interprète auprès du préfet, et la presse collaborationniste locale.
Il dessine un procès mis en scène, fortement médiatisé, dont l’objectif est de criminaliser les communistes aux yeux de l’opinion.
La mise en scène du procès par l’occupant.
Le tribunal militaire allemand est à cette occasion déporté vers la cour d’Assises du Palais de Justice de Nantes. Le procès est public et fait salle comble. On s’assure de sa médiatisation. Il dure treize jours. Les accusés sont assistés par cinq avocats (un Parisien et quatre Nantais) au lieu de gradés allemands faisant habituellement office d’avocats.
La parodie de justice.
Ces avocats commis d’office ne rencontrent les accusés qu’au premier jour d’audience. Douze jours de procès en matinée, soit 50 heures en tout pour 45 accusés ; un procès mené tambour battant, en allemand, sur la base d’aveux extorqués sous les coups portés par des policiers qui témoignent à la barre sans prêter serment. Sept minutes de plaidoirie par accusé – y compris le temps de traduction, préparée dans la nuit pour le lendemain du réquisitoire, sans recours en grâce possible, neuf exécutions dès le lendemain…
Un procès vitrine dont les avocats de la défense, peu soupçonnables de proximité politique avec les accusés, ont compris qu’ils participaient à une parodie de justice.
Cette mise en scène atteste l’importance pour l’occupant et Vichy de criminaliser les communistes : si les accusés ont un procès, si leur défense est garantie par de vrais avocats, et s’ils sont condamnés, c’est donc bien pour leurs activités criminelles. Les accusés ne sont pas des patriotes puisqu’il y a des étrangers parmi eux, des Espagnols, un Italien, bref des « agents de Moscou »… Bandits, assassins, criminels de droit commun, ils nuisent aux Français plus qu’à l’occupant, voilà l’idée que l’Occupant veut faire passer.
Juger les francs-tireurs
Le franc-tireur en droit allemand et la figure du terroriste judéo-bolchévique dans les prétoires allemands en France.
Communication de Gaël Eismann,
Maîtresse de conférences à l’Université de Caen
Le franc-tireur et le terroriste judéo-bolchévique:
La qualification de « franc-tireur » est introduite dans le droit pénal militaire allemand en 1938.
La phobie du franc-tireur est née dans le cadre de la guerre contre les francs-tireurs français de1870-1871 lorsque, en référence au précédent révolutionnaire de 1793, le gouvernement de défense nationale de Gambetta décrète la « levée en masse ». C’est une interprétation restrictive de la convention de La Haye de 1899 et 1907.
Le nouveau code pénal militaire nazi dispose « qu’en dehors du temps très court de l’invasion, tout acte de résistance de la population civile contre la puissance occupante est illégal et qu’en tant qu’acte de franc-tireur, il devra être sanctionné par la peine de mort ».
A compter de l’invasion de l’URSS par l’Allemagne, la figure du franc-tireur est perçue en France à travers le prisme déformant du judéo-bolchévisme, ce qui conduit à une criminalisation à la fois juridique et idéologique de la Résistance dont les conséquences se font vite sentir dans les prétoires militaires allemands.
L’Allemagne nazie est le premier État à interdire de sanctionner les combattants illégaux sans procédure judiciaire, mais dans le cadre d’une procédure judiciaire militaire accélérée et simplifiée. Très vite le résistant français est donc perçu à travers le prisme déformant de l’anticommunisme et de l’antisémitisme.
Après plusieurs procès, celui dit des 42, qui se tient à Nantes du 15 au 28 janvier 1943 est probablement le plus important de l’Occupation par le nombre de peines de mort prononcées, à savoir 37. Si la plupart des accusés sont condamnés pour « actes de franc-tireur » et dans une moindre mesure pour « intelligence avec l’ennemi », ce sont les infractions dites de droit commun lésant surtout les Français qui retiennent d’abord l’attention du tribunal. Le Ministère public insiste particulièrement sur les accusations d’assassinat, tentative d’assassinat, vols, cambriolage, attaque à main armée, destruction, ou encore incendie, alors que les atteintes à l’armée allemande ne le mobilisent que marginalement. Le tribunal peut ainsi dénier tout caractère politique aux actes incriminés et nier en bloc le patriotisme que les accusés revendiquent, ce qu’entend confirmer la présence d’Espagnols dans le box des accusés. Le tribunal assure dans ces conditions démasquer des imposteurs, agents du communisme, dont la seule patrie est en fait l’URSS
Pendant l’Occupation, plus de 1 500 civils désignés comme « terroristes » sont jugés pour acte de « franc-tireur » par les tribunaux militaires allemands implantés en France occupée dont près de 1 300 durant les seules années 1943 et 1944. 90 % de ces prévenus ont été condamnés à mort et la plupart d’entre eux exécutés.
Les deux procès des « 42 » et des « 16 »
Communication de Thomas Fontaine,
Docteur en histoire, directeur des projets au Musée de la Résistance nationale
Thomas Fontaine insiste d’emblée sur l’importance de ces deux procès, instruits à
Nantes, en janvier et en août 1943. Les archives de ces procès récemment retrouvées permettent d’établir une chronologie et un état des lieux quasi complets, archives conservées à la Division des archives des conflits contemporains du Service historique de la Défense à Caen. Pendant sa présentation, Thomas Fontaine montrera à l’écran divers documents issus de ces archives.
Trois points fondamentaux sont développés :
– l’envergure des procès tenus à Nantes, le nombre d’inculpés et de condamnations à mort ;
– l’opération de propagande allemande développée à l’occasion de ce procès ;
– l’active collaboration policière franco-allemande qui a permis l’arrestation et les condamnations des membres des groupes de la branche armée et de la branche politique du PCF clandestin.
Les deux procès ne sont pas une exception dans la répression allemande. L’outil répressif vise à se montrer légitime car l’occupation allemande entend être légitime. Les procès visent en premier lieu les groupes armés FTP. Les 50 exécutions des deux procès nantais de 1943 constituent un lourd bilan. Les motifs d’accusation sont les attentats, les cambriolages et les sabotages, les assassinats contre l’Occupant. Les premières exécutions ont lieu dès le lendemain du procès. Les condamnations à mort sont aussi appliquées à deux femmes, commuées en déportation « nuit et brouillard », trois détenus sont acquittés mais ne sont pas libérés, remis à la Gestapo, placés en internement administratif et déportés.
La collaboration policière franco-allemande vise avant tout à organiser la répression contre les groupes armés communistes. Elle a été l’objet des accords Laval-Oberg de l’été 1942, qui instaurent une répartition des rôles : la police française fait l’enquête, eu égard à son expérience de terrain, procède aux arrestations, avant que la police allemande se saisisse des affaires FTP communistes pour les juger. L’exemple des procès nantais est particulièrement significatif des « relations étroites », « cordiales », qui ont présidé à la chute des groupes communistes. Les services français et allemands se félicitant des arrestations, les Allemands veulent faire de ces procès une opération de propagande contre les groupes résistants. La machinerie judiciaire allemande permet de viser le communiste. La presse locale, accréditée par les Allemands, parle « d’épuration » et de condamnations de « véritables criminels dangereux ».
Les archives de ces deux procès se révèlent donc d’une grande importance pour cerner aujourd’hui la répression de la Résistance armée communiste : rapports détaillés, déroulé des procès tenus en allemand, jugement, explication des peines, lettres personnelles des condamnés, archives saisies.
Faire ressortir l’importance de ces deux procès, montrer ce qu’a été la lutte communiste clandestine, œuvrer pour la transmission, c’est tout le travail de l’histoire. La mémoire est un choix et l’on en mesure les limites dans le cas des procès nantais encore largement méconnus.
Comptes-rendus des interventions réalisés par le Comité départemental du Souvenir