Comité Départemental du Souvenir des Fusillés de Châteaubriant de Nantes et de la Résistance en Loire-Inférieure

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Le 15 mars 1944 Le CNR adopte son programme

les_jours_heureux.jpgLe CNR, constitué le 27 mai 1943, sous l’impulsion de Jean Moulin, regroupe dans la clandestinité, huit mouvements de Résistance intérieure, les deux confédérations syndicales (la CGT réunifiée après les Accords du Perreux d’avril 1943 et la CFTC) et six représentants de partis politiques. Ainsi, les résistances deviennent La Résistance.

Neuf mois d’échanges coordonnés par Pierre Villon, de multiples moutures proposées par les différentes compo-santes aboutissent à ce texte, qui ouvre à la France d’après-guerre une ère d’invention sociale. Le CNR est porteur de conceptions diverses, mais les conflits sont chaque fois surmontés par un compromis, l’impératif catégorique admis de tous étant l’unité de la Résistance. De ce fait, certaines questions restent « en suspens », comme celle du droit de vote des femmes, résolue par l’amendement Grenier en avril 1944 ou la question de la nouvelle Constitution, reprise en 1946.

Ce programme très ambitieux prône la participation des citoyens à la conduite de la nation et leur émancipation des forces de l’argent.
Il développe en une 1ère partie « un plan d’action immédiate », qui lie appel à l’insurrection populaire et développement de la lutte pour hâter la libération: intensifier la lutte contre l’envahisseur, combattre l’attentisme, développer les grèves, empêcher la déportation, soutenir les maquis, créer des comités locaux et départementaux de Libération, traquer les gestapistes et les miliciens, améliorer les conditions de vie.
La 2ème partie énonce des réformes démocratiques:
*des mesures politiques, comme le rétablissement de la démocratie, du suffrage universel et de la liberté de la presse;
* des mesures économiques, caractérisées par « l’instauration d’une véritable démocratie économique et sociale, impliquant l’éviction des grandes féodalités économiques et financières de la direction de l’économie » – en clair, les nationalisations, ce qui est exprimé dans le texte comme « le retour à la nation des grands moyens de production monopolisée, fruits du travail commun, des sources d’énergie, des richesses du sous-sol, des compagnies d’assurances et des grandes banques. »
* des mesures sociales: rajustement important des salaires, rétablissement d’un syndicalisme indépendant, extension des droits syndicaux et « un plan complet de sécurité sociale, visant à assurer à tous les citoyens des moyens d’existence, dans tous les cas où ils sont incapables de se les procurer eux-mêmes par le travail, avec gestion appartenant aux représentants des intéressés et de l’Etat. »
Une grande partie de ce programme a été effectivement appliquée à la Libération: nationalisations, Sécurité sociale, retraites, statut de la Fonction publique, Comités d’entreprise, vote des femmes etc. Il a permis de redresser le pays. C’est ce modèle social français qui a été un amortisseur de la crise de 2008. 75 ans plus tard, tout semble à refaire mais tandis que l’ex-numéro 2 du MEDEF, D. Kessler propose de « défaire méthodiquement le programme du CNR », retrouver le souffle de la Résistance devrait plutôt conduire à en écrire le tome 2 : « Résister se conjugue toujours au présent » Lucie Aubrac

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Les francs tireurs de l’affiche rouge

Les Francs-Tireurs de L’Affiche rouge

Le 21 février 1944, les nazis exécutaient au Mont-Valérien les héros de l’Affiche rouge. C’était l’hiver et la guerre basculait sur le front de l’Est. La France commençait à ne plus être la même. L’armée des ombres s’était renforcée. On parlait de préparer l’insurrection nationale, et de plus en plus du débarquement annoncé. Une affiche, tristement célèbre, placardée sur les murs de Paris et des villes de France, présentait les photos de dix hommes, désignés comme appartenant à « l’armée du crime ». Qui étaient-ils ?

I – « FRANCAIS DE PREFERENCE » – LA MOI
Dès les années 1920, les immigrés sont nombreux, appelés à participer à la reconstruction après l’hécatombe humaine de la Première Guerre Mondiale. La France est allée puiser à l’étranger les forces vives dont elle avait besoin. Dans les années trente, 3 millions de travailleurs immigrés ont rejoint la France, chassés par la misère, l’antisémitisme et la répression politique. Nombreux sont les immigrés antifascistes. Ils sont d’abord organisés dans la mouvance syndicale, dans la MOE (Main-d’œuvre étrangère) qui devient la MOI (Main-d’œuvre immigrée) à l’initiative du Parti communiste. Le principe: les travailleurs immigrés s’organisent sur leur lieu de travail, sans distinction de nationalité, tout en participant à des groupes de langues.
Sous la domination turque, 1 500 000 Arméniens ont été massacrés en 1915. Les Juifs de Pologne, d’Autriche, d’Allemagne connaissent les persécutions. En Europe, la Hongrie, la Roumanie, la Bulgarie, l’Italie, l’Espagne, le Portugal ont des gouvernements fascistes. Dans les années 30, la France est encore épargnée : elle est leur terre d’asile.
« Ces étrangers et nos frères pourtant », Aragon les nomme « Français de préférence », non de naissance. Dès le début de la guerre, ils s’engagent dans le combat. Dans leur pays d’origine, ils ont vécu le fascisme et les horreurs qu’il engendre. Ils savent. Le nazisme, ils connaissent. C’est même pour ça qu’ils ont fui leur pays, pour se réfugier en France. 132 000 se portent volontaires et se battent dans les Ardennes, sur la Somme et sur la Loire. Parmi eux, certains ont déjà participé aux Brigades internationales en Espagne.
LES DEBUTS: 1941 – 42
Après la défaite, comme l’ensemble de la population désorientée, abasourdie, ils ont connu le désarroi, l’incertitude. La Résistance s’est organisée, petit à petit, confusément, par tâtonnements. « Pour ces étrangers, surtout les anciens des Brigades internationales, la question « Faut-il résister ? » ne se pose même pas. Ils se regroupent entre membres de même communauté d’origine. » dit Arsène Tchakarian, ajoutant : « Au début 1941, avec quelques amis Arméniens, nous commençons à écrire sur les murs « Vive Paris », « A bas Pétain ». Des slogans visant directement les Allemands nous auraient valu, si nous étions pris, d’être fusillés immédiatement. Plus tard, on a jeté à la volée des tracts antihitlériens édités par le PC clandestin. Nous sommes passés à l’inscription « Mort aux envahisseurs ». Nous ne pouvions pas engager la lutte armée car nous n’avions pas d’armes. Fin 1941, nous nous sommes organisés en triangles constitués chacun de trois hommes de même nationalité ».
Depuis le mois de juin 1941, un jour sur deux, en moyenne, le détachement Manouchian frappe l’occupant. La guérilla urbaine, à coups de grenades lancées dans les hôtels et les restaurants réquisi-tionnés, de coups de feu sur les troupes et principalement les officiers supérieurs, vise à saper le moral des envahisseurs.
Si dès 1941 des actions armées sont exécutées, c’est avec du matériel de fortune: armes récupérées au moment de la débâcle, souvent rouillées. Les produits chimiques étant rares, la fabrication de bombes et d’explosifs est difficile. Ce n’est qu’au début de 1943 qu’une première livraison aura lieu, très insuffisante.
1942. Année très sombre. Année des grandes rafles de juifs, de résistants. Le Vel’ d’hiv’, Drancy, les déportations. Les camps de la mort. La MOI est désorganisée pour un temps. Beaucoup sont arrêtés. Mais nombreux sont aussi ceux qui choisissent la Résistance. En octobre, les rangs de la MOI se renforcent par un afflux de volontaires. L’armée allemande commence à subir de cuisantes défaites sur le front de l’Est. Le moral remonte chez les résistants qui ont hâte de pouvoir attaquer l’occupant les armes à la main.
« N’allez pas croire. Ce n’est pas de gaieté de cœur qu’ils tueront. Ils ne sont pas des tueurs. Ils ne sont pas des héros de cinéma à la gâchette facile. Ils aiment, ils respectent la vie. Ils sont jeunes, il veulent vivre. Leur combat, c’est pour sauver la vie qu’ils le mènent. Ils ont peur. Lorsqu’on voit ses camarades tomber à côté de soi, on ne trouve pas facilement le sommeil… Et le lendemain, il faut surmonter cette peur. Il faut recommencer à frapper. Risquer l’arrestation. La mort. » Arsène Tchakarian.
1943
« En cette année 1943, la stratégie, la pratique, l’organisation, les objectifs de la résistance communiste (…) sont bien connus: tendue vers le développement de l’action sous toutes ses formes – de la pétition à la grève et à l’action militaire – afin de préparer l’insurrection nationale, elle s’efforce de rassembler dans et pour la lutte, à tous les niveaux, les forces nationales, afin de hâter l’heure de la Libération. » analyse l’historien Roger Bourderon.
La première attaque est fixée au 17 mars 1943. Au cours de l’année, les actions des résistants se multiplieront. Enfin parviennent de Londres les premières livraisons d’armes, promises depuis de longs mois. Pas un arsenal ! Quelques grenades, quelques revolvers automatiques, une boîte de cartouches, quelques bâtons de dynamite et d’explosifs munis de leur dispositif de mise à feu. Armement insuffisant, et cette insuffisance coûtera bien des vies aux résistants.
A l’époque les Alliés parachutent des armes aux groupes gaullistes. Il faut une pression des responsables nationaux des FTP pour obtenir cette livraison d’avril 1943. Dans son livre Les FTP, Charles Tillon écrit: « Sur des centaines de parachutages en France, six seulement furent officiel-lement autorisés par le BCRA aux FTP qui pourtant grouperont en août 1944, 50 % des FFI. »
Une trêve est décidée d’avril à juin pour modifier la structure de l’organisation. Seuls sont recrutés des antifascistes, des communistes ou des syndicalistes sûrs. En avril 1943, Missak Manouchian est nommé commissaire militaire de la 1ère division FTP-MOI de la région parisienne avec mission de réorganiser les groupes de combat et prendre des mesures de sécurité.
Ses plans d’action sont minutieusement préparés, ils fonctionnent comme une horloge. Il reconstitue les triangles, mais en y mêlant plusieurs nationalités. A la tête de chaque formation, il place des spé-cialistes: Marcel Rayman est chargé de la formation des nouvelles recrues, Joseph Boczov devient responsable des déraillements de trains militaires, Abraham Lissner est responsable politique et du ravitaillement. En matière de sécurité chaque franc-tireur a désormais un pseudonyme et un numéro matricule. Entre francs-tireurs il est interdit de révéler son identité, son adresse, sa nationalité. L’anonymat sera strictement observé, au prix de dures contraintes. Les rendez-vous doivent avoir lieu dans la rue et non à domicile, avec des rendez-vous de repêchage éventuel. Les femmes ont pour rôle de se faire remettre les armes par un responsable, de les transporter sur le lieu de l’attaque, d’attendre et de les récupérer à un endroit convenu pour les ramener au dépôt. Seul le responsable du dépôt en connait l’adresse. Les femmes ne connaissent que le pseudo du responsable.
Afin de consolider l’organisation, la MOI politique constitue début juillet 1943 un nouveau triangle de direction : Missak Manouchian (alias Georges), commandant militaire, Joseph Dawidowicz (Albert) commissaire politique, Patriciu Mihaly (Patrick) responsable de l’armement.
Mi-juillet, l’équipe spéciale est créée en vue de l’exécution des actions les plus difficiles: Marcel Rayman en est le chef avec l’allemand Léo Kneler, l’espagnol Celestino Alfonso et l’italien Spartaco Fontano. Selon Arsène Tchakarian, les FTP-MOI parisiens étaient environ une centaine.
Les Types d’action
La propagande.
« Au début, notre activité consistait à faire de la propagande. On fabrique des petits journaux, des papillons. On essaie d’en coller partout » dit Robert Endewelt. « Il y a eu aussi les manifestations de rue. La première se situe le 14 juillet 1941, sur les Grands Boulevards. Une autre a lieu au mois d’ août 1941. Là, on subit les premières arrestations. Samuel Tyszelman et Henri Gautherot sont arrêtés. Ils sont fusillés quelques jours plus tard. »
« Je collais des papillons, je faisais des inscriptions à la craie sur les murs. Nous faisions des lancers de tracts sur les marchés, dans les cinémas de quartiers, à la porte des usines et dans les métros. » se souvient Paulette Szlike-Sarcey, résistante dans les Jeunesses communistes juives.
Quelques documents existent, notamment les rapports d’activité transmis chaque semaine par Manouchian au commandement national des FTP. Il avait déposé des copies dans des cachettes, récupérées après la Libération par sa femme, Mélinée. Elles font état de 72 actions exécutées entre le 17 mars et le 12 novembre 1943, mais en réalité il y en a eu une centaine. L’historien Stéphane Courtois fait état de « 229 actions de juin 1942 à la chute de novembre 1943 ». 90 à 100 combattants ont participé à ces actions, dont les femmes FTP chargées des transports d’armes et les responsables des dépôts d’armes.
Les sabotages.
Pour les FTP, le temps de l’inexpérience est passé. Les combattants se sont aguerris, ils disposent d’un certain matériel, les succès remportés attirent de nouvelles recrues, stimulent l’audace. Vers le milieu de 1943, les attaques se multiplient, presque tous les jours, parfois deux ou trois dans la même journée. Le sabotage des pylônes électriques à haute tension est un objectif majeur. Les usines réquisitionnées travaillaient pour la production de guerre allemande. Presque toujours, les actes atteignent leur cible sans faire de victimes parmi la population.
Pour tenter de désorganiser et démoraliser l’adversaire, les francs-tireurs effectuent des opérations de sabotage dans les usines. « On coupait des câbles électriques, on subtilisait des pièces de machine pour les immobiliser » se souvient Robert Endewelt.
Les attentats contre les officiers de la Wehrmacht.
Les plans du commandement militaire des FTP-MOI ont pour objectif d’abattre le plus possible de militaires, pour répandre parmi eux la panique et la démoralisation. Ils devaient se convaincre que partout et en toutes circonstances ils ne pouvaient plus être en sécurité. Les actions doivent toujours frapper les officiers, de préférence aux simples soldats. En deux mois, les troupes ont été si durement frappées que les soldats n’osent plus parader avec leurs médailles et les officiers ne se déplacent qu’en vêtements civils.
Dans les quartiers Montmartre et Lafayette, il y a de nombreux hôtels réquisitionnés afin de recevoir les permissionnaires, venus du front de l’est se reposer à Paris. L’attaque de l’hôtel Montyon, près des Folies Bergères, s’inscrit dans ce plan global de démoralisation. La guerre n’est pas triste pour tout le monde. L’ABC affiche Tino Rossi, André Dassary chante à Bobino, Charles Trenet passe à Sa Majesté. Les restaurants sont pleins, les maisons de passe ne chôment pas. L’attaque de l’hôtel Montyon (40chambres) est une réussite.
Le 7 juin 1943, 4 rue Maspéro dans le 16ème arrondissement, le général von Apt est exécuté par Spartaco Fontano, Marcel Rayman et Celestino Alfonso.
Le 28 juillet, l’équipe spéciale s’attaque au général von Schaumburg, commandant du Gross Paris,en somme « le Führer à Paris ». Remplacé à ses fonctions , il n’était pas dans sa voiture, mais le message a été transmis: les FTP ont osé s’attaquer à la voiture du commandant du Gross Paris!
Depuis le début septembre, Manouchian a chargé plusieurs francs-tireurs, dont Arsène Tchakarian, de surveiller les allées et venues de Julius Ritter, chef du STO, le Service du Travail Obligatoire, mis en place avec la complicité active du gouvernement de Vichy. Le 28 septembre 1943, avant 8 h du matin, Celestino Alfonso et Marcel Rayman sont en place près du 18, rue Pétrarque, dans le 16ème arrondissement. Plus bas, assis sur la selle de son vélo, une grenade dans la poche, Léo Kneler garde les vélos de ses deux compagnons. A 8 h 15, la voiture du Général arrive devant le portail en fer forgé du 18, le chauffeur militaire ouvre la portière, Ritter s’installe. La voiture démarre. Avant qu’elle ne pénètre dans la rue du Réservoir, Alfonso s’élance, tire plusieurs balles sur Ritter et son chauffeur. Blessé gravement, Ritter se réfugie sous une porte cochère. Le voyant, Rayman contourne la voiture et achève le criminel nazi. Rapidement les francs-tireurs enfourchent leur vélo er rejoignent Olga Bancic qui récupère les armes.
Toutes les actions n’ont été réalisées à la demande du commandement des FTP. Le 18 septembre 1943, à la demande des services secrets alliés, l’officier major de la Kriegsmarine Wallenher a été exécuté au Parc Monceau, à hauteur du 58 boulevard de Courcelles, 8ème arrondissement par l’équipe spéciale Célestino Alfonso, Léo Kneler, Marcel Rayman auxquels s’était joint Henri Karayan.
Plusieurs actions ont un rapport avec Nantes et la Loire-Inférieure.
Le 8 septembre 1943, sur une décision du Comité militaire national des FTP, plusieurs actions sont conduites dans la région parisienne, contre les troupes d’occupation pour répondre à l’exécution, le 25 août à Nantes, au champ de tir du Bêle, de 11 résistants condamnés à mort à l’issue du « procès » dit des 16.
Le même jour, sept actions sont menées à Saint-Ouen, à Argenteuil, à Paris dans le 5ème arrondissement, porte d’Orléans, Porte d’Ivry et rue de Vaugirard. Huit militaires de la Wehrmacht sont tués et d’autres sont blessés. Les FTP nantais sont vengés.
A la mi-octobre, le commandement militaire national des FTP demande aux FTP-MOI de préparer des actions spectaculaires contre l’armée d’occupation pour commémorer le 22 octobre, le deuxième anniversaire des fusillades des 27 de Châteaubriant, des 21 de Nantes et du Mont-Valérien ainsi que des 50 otages de Bordeaux.
Deux attaques sont organisées. D’abord contre un foyer de la Gestapo, avenue de la Grande-Armée. C’est un vendredi, la salle est archicomble, les hommes de la Gestapo, y viennent sans doute pour se délasser de leurs « rudes journées » ponctuées de filatures, interrogatoires et séances de torture. L’antifasciste allemand Léo Kneler se présente et dans un allemand impeccable salue le portier et lance une grenade dégoupillée au milieu de la salle.
Les ambulances n’avaient pas commencé l’évacuation des blessés et des morts de l’avenue de la Grande Armée que les francs-tireurs frappaient encore plus durement leur seconde cible, près de l’Opéra, à deux pas de la Kommandantur.
Les déraillements.
Les opérations de sabotage sur les voies ferrées se font en collaboration avec les cheminots résistants, qui informent le commandement des FTP du passage des convois militaires importants et indiquent l’endroit propice pour une action. Pour provoquer le déraillement, les FTP doivent écarter les rails sur une longueur de 6 à 10 mètres et placer une charge d’explosifs. Il faut faire en sorte que l’explosion se produise après le passage de la locomotive et des deux premiers wagons, ce qui laisse la possibilité aux mécaniciens, prévenus par leurs collègues, de sauter de la locomotive à temps. Joseph Bozcov, responsable de l’équipe des dérailleurs, a combattu dans les Brigades, ses qualités militaires sont telles qu’il a réalisé 14 déraillements en 4 mois, causant des dégâts importants.
« Les actions militaires ont surtout valu pour l’impact qu’elles ont eu sur l’opinion publique et pour leur capacité à la faire basculer. Elles ont été un facteur de la reconstruction de l’identité nationale. Leur importance est donc majeure. » dit l’historien Denis Peschanski.
La traque.
La dénonciation est l’un des dangers les plus redoutés des résistants. La police et la Gestapo trouvent toujours à recruter des éléments louches et à les infiltrer. Un exemple : Après l’arrestation de sa mère et son frère, envoyés via Drancy en camp de concentration en Allemagne, Lucienne Goldfarb dite « La Rouquine », est arrêtée par la police en janvier 1943 pour une affaire de droit commun. Un temps hébergée par Jacques Lipa, 21 rue Michel Lecomte (3ème arrondissement), elle n’ hésite pas à le dénoncer. Elle indique aux policiers que d’autres juifs – des communistes – habitent dans sa rue, rue des Immeubles-industriels. Elle y aurait conduit la police pour lui signaler un certain nombre de résistants. C’est à partir de là que commence la filature des Brigades spéciales, conduisant à la première vague d’arrestations en mars 1943, dont celle d’Henri Krasucki (Bertrand), arrêté le 23 mars puis, dans les jours suivants, d’une soixantaine d’autres jeunes résistants. H. Krasucki est déporté à Auschwitz par le convoi 55 du 23 juin 1043.
Au cours de l’année 1943, les actions des résistants se multipliant, les polices allemandes, aidées par les services de Vichy et la milice, unissent leurs efforts pour les traquer. L’arrestation des FTP-MOI de la région parisienne fut le fait, notamment, des inspecteurs des Renseignement généraux, fer de lance de la lutte anticommuniste. A l’époque, environ 200 inspecteurs composent la Brigade Spé-ciale, divisée en BS 1 et BS 2. Le 20 juillet 1943, l’inspecteur spécial Emile André de la BS 2 commence la traque de Marcel Rayman. Depuis des mois, dissimulé dans une camionnette, camouflé en ouvrier, en employé des PTT ou en clochard, il traque consciencieusement les « terroristes ». Parfois pour brouiller les pistes, il n’hésite pas, comme ses collègues, à revêtir l’étoile jaune.
La surveillance des frères Rayman, mènera à l’hécatombe entrée dans la légende sous le nom de « L’Affiche rouge », décimera cette brigade composée d’hommes et des femmes à l’accent étranger, débarqués en France quelques années plus tôt, fuyant les dictatures et le fascisme, combattant en Espagne, pour enfin se jeter dans la bataille contre le Reich.
La police est de plus en plus aux trousses des FTP-MOI. Manouchian ordonne aux combattants qui ne sont pas engagés dans une action de se disperser. Après l’arrestation de trois dérailleurs le 26 octobre sur la ligne Paris-Troyes, il ordonne la suspension des actes de sabotage sur les voies ferrées. Le 30 octobre marque l’arrêt total des actions de la division dirigée par Manouchian, à l’exception de celle de la rue La Fayette, fixée au 12 novembre, pour laquelle une dizaine d’hommes sont prévus. Sa finalité est différente : il s’agit d’attaquer une banque militaire afin de permettre aux francs-tireurs de s’éloigner de Paris, loin des poursuites de la police. Cette opération a échoué en raison de la présence inhabituelle d’un grand nombre de policiers et de militaires dans le quartier ce jour-là.
Depuis le début juin, les nazis et collaborateurs sont harcelés en région parisienne par les FTP-MOI qui ne sont pourtant qu’une centaine dont seulement 50 permanents au maximum. Pourtant ils ont réussi, en quelques mois, à abattre des personnalités éminentes, à détruire des installations industrielles, à désorganiser le trafic ferroviaire, à démoraliser l’armée d’occupation. Dès juillet la police réagit avec les moyens considérables dont elle dispose. Estimant sans doute que l’important dispositif de répression est insuffisant, l’état-major de la Gestapo dépêche à Berlin Carl Oberg, chef supérieur de la SS et de la police pour la France. Il en revient, début août, avec un « plan anti-terroristes ». Des policiers spécialisés sont venus de Berlin pour renforcer le dispositif. La police de Vichy, les miliciens de Darnand, les membres des partis fascistes de Doriot et Bucard prêtent main-forte, accroissant le nombre d’indicateurs.
La machine policière fonctionne alors implacablement pour traquer les résistants. Les rapports de police défilent entre les bureaux de la Kommandantur, de la Gestapo, 93 rue Lauriston, de l’Abwehr à l’hôtel Lutétia, des Renseignements généraux dirigés par le commissaire Lucien Rottée qui coiffe la Brigade spéciale 1.
Un fichier est constitué, classé comme suit:
1- les anciens combattants de l’armée républicaine espagnole,
2- les communistes,
3- les jeunes d’origine juives qui ont échappé aux rafles de 1942/43,
4 – les immigrés réfractaires au STO,
5- les travailleurs immigrés sans emploi d’après le registre des assurances sociales (auxquelles ils ne cotisent plus).

Un document révèle que les dossiers du Ministère des Affaires étrangères concernant les immigrés ont été livrés aux allemands dès leur arrivée en 1940.Ce n’est que très progressivement que les FTP perçoivent le déploiement de ce dispositif répressif. Dès septembre des filatures sont signalées, près du domicile, puis courant octobre sur les lieux des rendez-vous. La police préfère surveiller les FTP pour en savoir le plus possible et pouvoir en arrêter le plus grand nombre ultérieurement. Cette traque a amené les francs-tireurs à modifier la technique du rendez-vous dans la rue. Désormais, chaque FTP s’avance vers l’autre, mais sur le trottoir opposé, ce qui lui permet de voir si son collègue est suivi.

La mort aux trousses.

Courant octobre, le rythme des actions ralentit. Rappelons la composition du triangle de direction: Georges (Manouchian), Albert (Dawidowicz), Patrick (Mihaly). Leur supérieur hiérarchique, Roger (Boris Holban), assure la liaison avec la MOI politique.
« Un premier coup de filet intervient en mars 1943. Une cinquantaine de jeunes ont été arrêtés… Un deuxième coup de filet s’est abattu sur le secteur des adultes. Et le troisième s’est abattu sur le groupe Manouchian. » dit Robert Endewelt
Les historiens ont effectivement découvert trois filatures qui s’enchaînaient et avec les archives trouvées à la préfecture de police, ils ont pu reconstituer le travail des brigades spéciales des Renseignements généraux. Et mettre au jour le professionnalisme de la police. Face à 65 personnes, très jeunes pour la plupart, il y a environ 200 membres de la Brigade spéciale, triés sur le volet, expérimentés en matière de surveillance et de filatures et fortement dotés en primes et avantages divers pour chaque prise.
Depuis plusieurs jours, Manouchian – qui doit réglementairement rencontrer Mihaly et Dawidowicz deux fois par semaine, ne trouve Dawidowicz à aucun des rendez-vous, ni aux repêchages. Il redoute qu’il ait été arrêté. D’où, selon Arsène Tchakarian, le ralentissement des actions. A la mi-octobre, Mihaly l’informe de l’arrestation de Dawidowicz, qu’un policier résistant a vu dans les locaux de la préfecture de police, parlant de la MOI avec des inspecteurs « pas du tout sous la contrainte ou la torture ». C’est donc sur ses gardes que Manouchian se rend à la réunion du triangle, fin octobre, chez Mme Der Thomassian 58 rue de Clisson dans le 13ème arrondissement. Sont présents: Manouchian, Dawidowicz et Holban. La discussion semble orageuse, Mme Thomassian s’en étonne, car les réunions sont habituellement calmes. Selon A.Tchakarian et les témoignages recueillis par lui, Manouchian aurait demandé la dispersion de ses hommes pour échapper aux filatures. Dawidowicz lui aurait alors demandé la liste de ses hommes et leur adresse, ce qui était strictement contraire au règlement et aux règles de sécurité. D’autant que la police est à leurs trousses! Holban aurait appuyé la demande de Dawidowicz. Ce qui conforte Manouchian dans l’idée de la trahison de Dawidowicz et de la complicité naïve d’Holban, ainsi que dans sa décision d’ordonner l’arrêt des attentats et de ne garder auprès de lui qu’un groupe restreint.
Les francs-tireurs sont à bout de ressources. Depuis 3 mois la totalité de leur solde n’est plus versée. Faire vivre 50 permanents à 2300 Francs par mois est un exploit. Et il faut de l’argent pour prendre le train, trouver un nouveau logement. C’est pour cela qu’une ultime opération est décidée: celle du 12 novembre, contre la banque de la rue Lafayette.
Le 13 novembre Spartaco Fontano, Cesare Luccarini et Georges Cloarec sont arrêtés. Le 14 novembre, c’est le tour de Roger Rouxel, le 16 novembre de Marcel Rayman et Olga Bancic, le 17 novembre de Celestino Alfonso et Emeric Glasz, le 18 novembre de Joseph Boczov, le 20 novembre Arpen Tavitian et Salvadori. Entre le 17 et le 20 novembre, Amédéo Usseglio, Maurice Fingercwajg, Szlama Grzywacz et Jonas Geduldig et fin novembre, Tamas Elek sont à leur tour arrêtés.
C’est le 15 novembre que Missak Manouchian tombe entre les mains de la police à la gare d’Evry-Petit-Bourg, où il a rendez-vous avec son supérieur hiérarchique Joseph Epstein, alias Colonel Gilles, chef de tous les FTP de la région parisienne.
L’arrestation d’Epstein n’est pas divulguée par la police allemande. Sans doute la Gestapo espère-t-elle lui arracher des informations. Mais il n’a pas parlé, n’a livré aucun nom, pas même le sien. Il a été fusillé le 11 avril 1944 au Mont-Valérien.
Après ces arrestations, des membres du groupe continuent le combat dans les régions où ils ont pu se replier. Fait unique dans la Résistance, un régiment composé de partisans arméniens – dont des arméniens soviétiques incorporés de force dans la Wehrmacht – est créé et participe à la libération de la Lozère et du Gard, de Mende à Nîmes. A Lyon, les FTP-MOI locaux prennent part à l’insurrection de Villeurbanne et à la Libération de Lyon à la tête d’une compagnie qui a pris le nom de Manouchian. A la Libération, le drapeau tricolore du régiment arménien est cité à l’ordre de la Nation par le général De Gaulle.
Le procès.
Le 17 février 1944, une cour martiale allemande est réunie dans les salons de l’hôtel Continental. Une immense salle lambrissée d’or. Sur des chaises garnies de velours rouge, vingt-trois hommes et une femme sont assis, attachés deux par deux par des menottes, face à deux grandes flammes de guerre allemandes encadrant l’aigle, emblème du Reich, et un portrait du Führer, Adolf Hitler. A gauche: le procureur. A droite: les défenseurs. Devant les accusés: l’interprète. Somptueuse mise en scène pour un simulacre de procès destiné à impressionner l’assistance et persuader l’opinion publique qu’il s’agit de juger de dangereux bandits, « des étrangers » à la solde de Londres et de Moscou. Journalistes, photographes, cinéastes, personnalités, Français, Allemands et étrangers ont été invités. Le procès dit « des vingt-trois » sera abondamment retransmis par la presse et la radio.
Le président de la cour martiale affirme:  » Les services de surveillance allemands ont fait un travail admirable. C’est un grand succès d’avoir mis hors d’état de nuire un groupe particulièrement dangereux ».  » Il faut dire aussi que la police française a fait preuve d’un grand dévouement » ajoute-t-il, avant de rendre hommage à Joseph Darnand, fondateur de la Milice française « particulièrement résolu à combattre aux côtés des Allemands », ainsi qu’à ses miliciens.
Le verdict tombe le 21 février au matin: les vingt-trois sont condamnés à mort. Leur sentence précise qu’ils ont cinq jours pour présenter leur recours en grâce. Cette clause ne sera pas respectée; le jour même, à 15 heures, ils sont fusillés au Mont-Valérien ». Olga BANCIC, la seule femme du groupe, arrêtée le 16 novembre 1943, est déportée à la prison de Stuttgart après le procès et décapitée à la hache le 10 mai 1944, à quelques jours de son 32ème anniversaire.
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L’exécution de combattants du groupe Manouchian, au Mont-Valérien, le 21 février 1944. Prise par un soldat allemand, cette photo a été authentifiée par Serge Klarsfeld.

QUI SONT LES 23 ?
Ce sont des résistants, incarcérés après leur arrestation en novembre et décembre 1943, interrogés, torturés quotidiennement depuis plus de trois mois, choisis par les bourreaux parmi des centaines d’autres emprisonnés, parce que membres d’une organisation, la MOI, composée essentiellement d’immigrés. En fait, il y a trois Français parmi les vingt-trois.
L’examen attentif de la liste des vingt-trois révèle que cinq d’entre eux, auxquels il faut ajouter le « colonel Gilles », Joseph Epstein, ont une expérience militaire qui s’est forgée dans les Brigades internationales en Espagne : Joseph Epstein, Celestino Alfonso-Matos, Joseph Boczor, Jonas Geduldig, Szlama Grzywacz, Stanislas Kubacki. Les anciens brigadistes constituent l’élite de la résistance communiste armée. Charles Tillon, futur responsable du Comité militaire national dit:  » La région parisienne ne comptait pas 50 combattants aptes à se servir d’une arme au printemps 1941. »
plaque_commemorative_groupe_manouchian.jpgL’AFFICHE
L’affiche fera la gloire paradoxale du groupe Manouchian. Outre la publicité exceptionnelle faite au procès, pendant sa durée et après, une affiche rouge est placardée sur les murs de Paris et partout en France. L’urbaniste Paul Virilio se souvient de l’avoir vue sur les murs de Nantes où il a passé son enfance.
En médaillon, le portrait de dix des victimes: visages de souffrance que les bourreaux veulent montrer menaçants. En regard, leurs noms, noms « étrangers », même lorsqu’il s’agit du Français Rober. Witchitz, qualifié pour la circonstance de « Juif polonais ». « Juif, Arménien, communiste, rouge, chef de bande, criminels professionnels, armée du crime ». Tels sont les éléments de langage véhiculés. Les visages et les mots doivent éveiller la peur, persuader que la Résistance est le fait d’une poignée d’étrangers ennemis de la France.
Cette grossière opération d’intoxication se retournera contre ses auteurs. Il s’agit d’un échec absolu de la propagande nazie. Le rejet de l’occupant est quasi unanime. Les Allemands essaient de stigmatiser la résistance en lui donnant une figure juive et étrangère. Or l’affiche va susciter un mouvement de sympathie envers les personnes qui se battent contre l’occupant. Elle va faire prendre conscience à la population que des résistants étrangers se battent pour la libération de la France. « Voila une affiche de propagande nazie qui devient le symbole de la résistance des étrangers en France.(…) Je trouve ce retournement assez fantastique. » affirme l’historien Denis Peschanski. Loin d’inspirer la réprobation, l’affiche suscite de courageuses prises de position. Au bas des murs où elle sont collées, des fleurs sont déposées. Sous la photo des victimes, les mots « Mort pour la France » sont écrits en cachette. L’affiche rouge ne fait pas peur. Au contraire, elle renforce la haine contre l’occupant.
L’Affiche rouge est maintenant entrée dans l’Histoire comme symbole des 23 du groupe Manouchian.
Tous les rescapés de la MOI ont pris la décision de s’engager comme volontaires en formant un régiment FFI, et le bataillon 51/22 dans lequel s’est constituée la compagnie Marcel-Rayman.
Ci-dessous, reproduction sous forme de tract de L’Affiche rouge (recto) et du texte l’accompagnant (verso).
l_affiche_rouge.jpgtract_de_haine_absolue.jpg

Sources
Arsène TCHAKARIAN Les Francs-Tireurs de l’Affiche Rouge Editions sociales / Messidor 1986
François COUDERC Les R.G. sous l’Occupation Olivier Orban 1992
Hors série de L’Humanité et DVD La traque de l’Affiche rouge de Jorge Amat et Denis Peschanski
Charles TILLON Les FTP Julliard 1962

Les jours heureux. Le programme du CNR

Cet ouvrage écrit collectivement par des membres de l’association « Citoyens résistants d’hier et d’aujourd’hui » (CRHA), créée en décembre 2008, republie le texte du programme du Conseil national de la Résistance, en rappelant les étapes de sa rédaction et en soulignant sa modernité. Il décrit la mise en place des avancées sociales contenues dans ce programme dans l’après-guerre, puis leur démantèlement progressif depuis les années 1980 et surtout depuis l’arrivée au pouvoir de Nicolas Sarkozy en 2007.

Le programme du CNR prévoyait le « châtiment des traîtres », « l’établissement d’un impôt progressif sur les bénéfices de guerre », « l’instauration d’une véritable démocratie économique et sociale », « le retour à la Nations des grands moyens de production monopolisés, fruit du travail commun, des sources d’énergie, des richesses du sous-sol, des compagnies d’assurances et des grandes banques », « le droit au travail et le droit au repos », « un plan complet de sécurité sociale », « la sécurité de l’emploi », la « retraite » pour tous, et une instruction égalitaire « afin que les fonctions les plus hautes soient réellement accessibles à tous ceux qui auront les capacités requises ». Ce texte a été diffusé entre mars et août 1944, dans des journaux clandestins et sous forme de tracts.

La réforme de la fonction publique et la création de l’Ecole nationale d’administration (1945), la nationalisation des usines Renault et de 4 grandes banques (1945), la loi de nationalisation du gaz et de l’électricité (1946), la nationalisation des combustibles minéraux (1946), la nationalisation des Charbonnages de France (1946), la création des comités d’entreprises (1945), la création de la sécurité sociale (1945), la création du SMIG (1950), la nationalisation de 34 compagnies d’assurances (1946), la création de l’assurance-chômage (1958), la création du minimum vieillesse (1959), la nationalisation des 9 plus grands groupes industriels et de 36 banques (1982) sont les principales avancées sociales émanant du programme du CNR. En outre, le Préambule de la Constitution de 1946 reprend l’essentiel des nouveaux droits prônés par le programme du CNR. Il sera inclus dans la Constitution de la Ve République en 1958.

Après les Trente Glorieuses, vient l’ère de la remise en cause de ces acquis. Les assurances privées se livrent à un intense travail de lobbying et d’influence pour discréditer la sécurité sociale et promouvoir le principe d’assurances privées. En 1989, la loi Evin officialise l’entrée des assureurs privés dans la complémentaire maladie. Le monde de l’assurance va ensuite s’appuyer sur le plan Juppé de 1995 pour s’implanter comme un acteur crédible dans la couverture maladie. Durant les années 2000, le gouvernement laisse le déficit de la sécurité sociale s’accroître vertigineusement. Sous la présidence de Sarkozy, est opéré par touches successives, en toute discrétion, le dépeçage de l’assurance-maladie (déremboursements de médicaments, hausse du forfait hospitalier). Les choix politiques depuis 2002 contribuent à creuser gravement les inégalités dans l’accès aux soins.

Le système des retraites a subi lui aussi de fortes attaques. A l’été 1993, le gouvernement Balladur adopte une réforme prévoyant que la durée de cotisation pour obtenir une retraite complète passe de 37,5 ans à 40 ans. En 2010, le gouvernement propose d’instituer des CDD pour les salariés de plus de 55 ans, au risque de créer une nouvelle catégorie : les vieux précaires.

Les années 1990 voient la privatisation de plusieurs banques. En 2009, les banques privées obtiennent du gouvernement de pouvoir distribuer le Livret A.

En 1997, Dominique Strauss-Kahn, alors ministre de l’Economie, lance la privatisation de France Telecom. En 2007 est privatisé GDF, et en 2009 EDF.

La presse est elle aussi de plus en plus aux mains de grands patrons liés au pouvoir, comme l’illustre la soirée de Nicolas Sarkozy au Fouquet’s le soir de son élection en 2007, à laquelle participent notamment Martin Bouygues, patron de TF1 et de LCI, Serge Dassault, patron du Figaro, Arnaud Lagardère, patron du Monde, d’Europe 1, du Journal du Dimanche, de Paris Match et de plusieurs autres journaux.

Début 2010, le gouvernement fait adopter par le Parlement le changement de statut de La Poste, malgré les plus de 2 millions de Français qui ont participé, en octobre 2009, à la « votation citoyenne » pour maintenir le statut public de la Poste. Ainsi est démantelé un des derniers services publics français.

Ce livre montre par quels moyens les grands acquis économiques et sociaux hérités du programme du CNR ont été progressivement démantelés sous l’influence des milieux libéraux, des grandes entreprises et de l’Union européenne. Il provoque un choc salutaire et rappelle utilement l’universalité des principes pour lesquels ont lutté les Résistants.

Chloé Maurel

http://www.editionsladecouverte.fr/catalogue/index-Les_jours_heureux-9782707160164.html

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Calendrier des cérémonies 2024

81e anniversaire des procès des 42 et des 16 

Journée nationale de la Déportation
Dimanche 28 avril à 10h30 au cimetière de la Chauvinière à Nantes
Journée nationale de la Résistance
Lundi 27 mai
Indre – cérémonie et initiative avec les écoles

Hommage aux syndicalistes résistants

Jeudi 6 juin – à 12h à Nantes
Cérémonie aux plaques mémorielles à la Maison des syndicats

80e anniversaire de l’exécution de Jean de Neyman à Saint-Nazaire

Samedi 7 septembre à Heinlex

83e anniversaire de l’exécution des 50 Otages

Dimanche 13 octobre
Indre – hommage à Eugène et Léoncie Kérivel et aux résistants indrais

Vendredi 18 octobre à 17h45
Veillée du souvenir au Monument aux 50 Otages

Dimanche 20 octobre à Châteaubriant
La Blisière (Juigné-des-Moutiers) à 10h00
La carrière des fusillés à 13h30, rond-point Fernand Grenier

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Aragon. C’est en leur nom que je vous parle

Les circonstances dans lesquelles ce texte a été écrit sont maintenant connues: Dans les tout premiers jours de novembre 1941 , le jeune avocat Joë Nordmann eut un rendez-vous avec le docteur Bauer. Bauer était le messager de Jacques Duclos (alias Frédéric) demandant si Nordmann était prêt à se rendre en zone non occupée pour voir Louis Aragon et lui transmettre des documents. Prêt ? Nordmann l’était. Lors du rendez-vous suivant, Bauer lui remit une liasse de papiers pliés ou froissés: les documents sortis clandestinement du camp de Châteaubriant, rédigés par des témoins du drame. Accompagnant le tout, un billet très bref: « Fais de cela un monument ! Frédéric ».
Nordmann quittait Paris en janvier 1942, par le train, ayant roulé tant bien que mal les papiers dans la couture de son slip. Après un arrêt à Nevers, pour obtenir de faux papiers d’identité par une amie, il passe la ligne de démarcation et arrive à Nice à l’adresse indiquée, dans le Vieux Nice, quartier des « Ponchettes ». Aragon est bouleversé en découvrant les documents. Il offrit l’honneur de composer ce texte à d’autres écrivains présents à Nice. Mais Roger Martin du Gard, Georges Duhamel, André Malraux et André Gide se récusèrent. Et Aragon écrivit Les Martyrs par le Témoin des Martyrs. En quelques semaines le texte bouleversant d’Aragon était parvenu dans onze pays, alliés ou neutres, et il fut bientôt lu à la radio de Londres (apporté par E. d’Astier de la Vigerie), radio-Brazzaville, Radio Moscou, et à New York. (Témoignage de Joë Nordmann, Aux vents de l’Histoire, Actes Sud, 1996)

Châteaubriant
C’est en leur nom que je vous parle

Mots clés: Châteaubriant, Aragon, Guy Môquet

Je ne sais qui lira ce qui va suivre. Je m’adresse à tous les Français et aussi simplement à tous ceux qui, au-delà des limites de la France, ont quelques sentiments humains dans le cœur, quelles que soient leurs croyances, leur idéologie, leur nation. Peut-être seront-ils retenus de m’accorder créance, parce que je ne signerai pas. J’atteste qu’il n’est rien au monde que je voudrais autant pouvoir faire que d’avoir l’honneur de signer ceci. C’est la mesure de l’iniquité et de la barbarie qu’aujourd’hui nous ne puissions dire notre nom pour appuyer une cause aussi juste, aussi généralement considérée comme noble et élevée, qu’est la cause de la France. Ceux qui meurent pour elle dans notre pays meurent anonymes ; le plus souvent, on ne dit même pas qu’ils sont morts, et tout ce qu’on ose écrire, c’est qu’un individu a été exécuté. Je partage ici le glorieux anonymat de tant de morts que vous ne pouvez plus vous étonner de cet anonymat. Si j’élève une faible voix, c’est parce que certains des morts me l’ont demandé, c’est en leur nom que je vous parle. Ils sont tombés sous les balles allemandes. Ils sont morts pour la France.

Les faits sont simples et personne ne les nie. Le 22 octobre 1941, 27 hommes ont été exécutés par les Allemands à côté du camp de Châteaubriant (Loire-Inférieure) pour des faits datant de quelques jours, dont ils étaient notoirement ignorants, pour l’acte d’hommes qu’ils ne connaissaient pas, sans s’être solidarisés avec ces hommes, mais livrés à l’occupant afin d’être exécutés, et cela par le ministère de l’Intérieur d’un gouvernement qui se dit français, qui en avait lui-même dressé la liste. Pris dans le camp où ils étaient détenus par une simple suspicion ou passibles de toute façon de peines moindres, ils ont été passés par les armes sur l’avis de ceux qui prétendent assurer la police dans le pays, y donnant ainsi l’exemple révoltant du crime. On dira : c’étaient des communistes. Est-il possible que des Français, est-il possible que des hommes, unis à d’autres hommes, à d’autres femmes par les liens de la chair, de l’affection, de l’amitié, puissent se satisfaire d’une phrase pareille ? Tous ceux qui diront, croyant se débarrasser ainsi de la chose : c’étaient des communistes n’entendent-ils pas que cela n’excuse pas le crime allemand, mais que cela honore les communistes ? Ces hommes étaient prisonniers pour leurs idées, ils avaient défendu leurs croyances au mépris de leur liberté. Ils s’étaient refusé à suivre l’exemple de ceux qui, se reniant par lâcheté ou par intérêt, sont passés dans le camp de ceux qu’ils combattaient la veille. S’ils avaient voulu les imiter, ils auraient pu, comme certains, revêtir l’uniforme allemand et être libres, collaborer aux journaux, aux organisations que l’Allemagne contrôle, et être libres. Ils ne l’ont pas voulu. On les a envoyés à la mort. Il y a eu dans le monde des hommes comme ceux-là, et même ceux qui ne croient pas en Dieu, ceux qui haïssent l’Église dont ils sont martyrs ne sont jamais à ce point entraînés par la violence anticléricale qu’ils ne reconnaissent pas la grandeur, la noblesse, la beauté du sacrifice des chrétiens jetés aux bêtes, qui chantaient dans les supplices. Vous pouvez haïr le communisme, vous ne pouvez pas ne pas admirer ces hommes. Écoutez !

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Au camp de Châteaubriant, il y avait, en octobre 1941, un peu plus de quatre cents prisonniers. On sait ce qu’est la vie dans ces camps, on ne sait pas assez le courage qu’y déploient des hommes et des femmes démunis de tout, mais qui ne paraissent se préoccuper que de maintenir le moral de tous. À Châteaubriant, ils préparaient des divertissements communs, ils faisaient des cours pour mettre en commun le savoir particulier de chacun. Le 20 octobre, un lundi, on y apprend qu’un officier allemand vient d’être tué à Nantes. Vers une heure de l’après-midi, un officier de la Kommandantur confère avec les directeurs du camp. Il s’agit de désigner des otages. Deux cents dossiers environ sont remis par le camp au chef de cabinet du sous-préfet qui les portera à Paris, au ministère de l’Intérieur, où seront choisis les otages. On ne peut s’en tenir à l’exposé nu des faits. Depuis qu’il y a des guerres, les belligérants ont considéré comme otages des hommes, des notables désignés d’avance pour porter les conséquences des actes de leurs concitoyens contre l’ennemi. Ici, c’est après l’acte que sont choisis de prétendus otages et parmi les hommes qui ne peuvent matériellement en être solidaires. Quels hommes ? Des notables dont la perte aura un caractère retentissant ? Non ! Des hommes qui portent le poids de leurs idées, qui sont choisis par ceux-là qui prétendaient assurer l’ordre, leurs ennemis politiques qui y trouvent l’occasion de vengeances personnelles. Parmi eux, il y a des étudiants, des ouvrières. Quelques-uns sont presque des enfants. Ce n’est plus le bourgmestre qui répond de ses concitoyens comme jadis. «  Otages ? – Non. – Martyrs ? – Oui.  » Ce même 20 octobre, les troupes allemandes prennent la garde du camp, à la place des gardes mobiles français. Les prisonniers sont consignés dans les baraques jusqu’au lendemain 9 heures. Vers 9 heures du soir les sentinelles tirent dans le camp, croyant voir une ombre ; une balle entre dans la baraque 10 et siffle aux oreilles d’un prisonnier couché. Le lendemain, la garde allemande est relevée. Des rumeurs circulent. les prisonniers apprennent le départ pour Paris du chef de cabinet du sous-préfet avec les dossiers. On prétend que trente otages doivent être désignés dans le camp. Dans la baraque 19, il y a vingt et un hommes : une indiscrétion a fait savoir que c’est de cette baraque que viendra le gros du contingent exigé. Vers 9 heures du soir, les soldats allemands reprennent la garde (…) Voici les vingt-sept enfermés dans la baraque 6. Chacun reçoit une feuille et une enveloppe pour écrire ses dernières volontés. Kérivel est autorisé à faire ses adieux à sa femme internée dans le même camp. J’ai sous les yeux le récit des mêmes heures fait par un autre interné qui se trouvait dans la baraque 10. Il traduit aussi cette angoisse sourde et montante des deux journées, les bruits qui courent, encore incertains, les signes précis d’un événement qu’on croit deviner sans en être sûr. Puis l’arrivée de l’officier et des gendarmes. «  Quand s’ouvre la baraque 10, le sous-lieutenant Touya lance sans hésitation, avec un sourire pincé, un seul nom : Guy Môquet. Le nom est un couperet qui tombe sur chacun de nous, une balle qui perce chacune de nos poitrines. Il répond d’un seul : présent ! Et comme sans réfléchir, droit, plus grand que jamais, notre Guy s’avance d’un pas rapide et assuré, dix-sept ans, plein d’inconscience et de vie ! À peine éveillé aux premiers rêves de l’amour, il est parti, notre Guy, comme serait parti un peu de nous.  » On cherche à se persuader dans les baraques que la partie n’est pas jouée ; cependant, suivant un autre témoignage, les otages étaient si sûrs de leur sort que Timbaud avait décidé de liquider toutes ses provisions en un bon repas et demandé à deux de ses camarades d’écrire à sa femme et à sa fille s’il lui arrivait quelque chose. D’autres camarades faisaient remarquer à Pesqué qu’il serait prudent de fumer tout de suite ses trois paquets de tabac. Quant à Poulmarch, il se faisait disputer après le repas de midi pour ne pas avoir fait chauffer l’eau du thé : «  Dépêche-toi au lieu de dormir, nous n’aurons même pas le temps de boire le thé.  » En effet, l’eau du thé est restée sur le feu.

Maintenant, dans les baraques, on attend. Chaque porte, chaque fenêtre a été condamnée avec un lit dressé contre les parois. Ils voient le curé de Béré entrer dans le camp. Cela en dit long. Le curé de Châteaubriant s’est récusé. On voit passer Mme Kérivel, autorisée à voir son mari. L’espoir disparaît. C’est à 14 h 22 que le prêtre sort de la baraque 6. Cinq minutes plus tard, des camions allemands apparaissent sur la route. Alors, de la baraque, un chant monte : la Marseillaise. Tout le camp P1 reprend le chant à son tour. Oh ! les avez-vous jamais bien entendues, ces paroles françaises : «  Ils viennent jusque dans nos bras égorger nos fils, nos compagnes !  » À 15 heures, les camions sont rangés devant la baraque 6. Voici les termes mêmes du récit d’un des rescapés. «  Le lieutenant ouvre la porte et commence le dernier appel. À l’annonce de son nom, chacun d’eux se présente. Les gendarmes fouillent, vident toutes les poches et leur attachent les mains, puis les font monter dans les camions. Chaque camion prend neuf camarades, ceux-ci n’arrêtent pas de chanter et nous font des signes d’adieu, car ils nous voient à la fenêtre. Ténine interpelle l’officier allemand : “C’est un honneur pour nous, Français, de tomber sous les balles allemandes.” Puis, désignant le jeune Môquet qui n’a que dix-sept ans : “Mais c’est un crime de tuer un gosse…”.  »

Il faudrait tout citer, chaque récit, car ils s’éclairent l’un l’autre. Dans cet autre, il y a des larmes aux yeux de ceux qui assistent impuissants au drame. Le geste instinctif de se découvrir quand éclate la Marseillaise des condamnés. Ah ! Ce n’est pas César qui salue ceux qui vont mourir, mais la France, mais l’avenir du pays pour lequel ils meurent. Comme ils reconnaissent les voix lointaines, celles de Timbaud, de Môquet ! Après la Marseillaise, il y a le Chant du départ et comment lire, dans ce texte d’un homme simple, sans en avoir les yeux humides, cette remarque : «  Qu’ils sont beaux, ces vers : Un Français doit vivre pour elle ! Pour elle, un Français doit mourir.  » Puis vient l’Internationale. Et une voix seule, jeune, fraîche, entonne la Jeune Garde. C’est Môquet, pour sûr, le benjamin des otages. On ne peut pas couper ce récit-là. «  Par la fenêtre, nous voyons des ombres s’agiter à travers les interstices de la palissade. Nous devinons que nos camarades prennent place dans les camions. Nous nous massons aux fenêtres, côté nord, pour voir le départ de nos héros. Les gendarmes sont toujours là, impassibles, postés de dix mètres en dix mètres. Plus loin, sous le mirador, on distingue les silhouettes sombres des soldats allemands casqués et armés. Une voiture à cheval entre. Elle ne va pas loin. Un gendarme arrête le cheval par la bride et lui fait faire demi-tour. Le temps est superbe, le ciel d’une pureté exceptionnelle pour un 22 octobre. Pas une âme qui vive. La consigne est parfaitement respectée dans notre quartier. Seul Kiki, notre petit fox-terrier, se roule dans l’herbe, heureux de s’étirer et de s’ébattre au soleil. À côté de la 9e, des pas martèlent le plancher. Enfin la Marseillaise, une fois de plus, s’élève de l’autre côté des palissades. Les moteurs sont mis en marche. Les camions vont partir. La Marseillaise s’envole des camions, irrésistible, gagne tout le camp, baraque par baraque. Les gendarmes rendent les honneurs militaires à nos camarades quand ils montent dans les camions et au moment où ceux-ci s’ébranlent…  » Alors, mus par le chant qui les a gagnés, ceux dont les camarades viennent de partir pour le supplice, tous se trouvent soudain – hors des baraques. Ils sont quatre cents à chanter. Deux couplets, deux refrains de la Marseillaise.

Le lieutenant Touya, qui tout à l’heure serrait les mains de l’officier allemand qui venait prendre livraison des vingt-sept martyrs, est bien embarrassé, mais il montre aux détenus la sentinelle allemande, et déjà il siffle. Eux, les détenus, sur un mot d’ordre qui circule parmi eux, se taisent et le silence tombe sur les bourreaux. Il faudra bien que le lieutenant consente quelques renseignements. De groupe en groupe, on se les passe, ainsi que la liste des otages. Touya leur a déclaré qu’ils seront fusillés dans une heure, à 16 h 15. Aussitôt, on décide de se rassembler à cette minute-là. L’heure est lente et lourde à passer dans les baraques. C’est pendant cette heure-là que, pieusement, dans la baraque numéro 6, certains vont recopier les instructions laissées par les condamnés. Les planches où ils ont marché, qu’ils ont touchées, sont découpées et mises à l’abri comme des reliques. À 16 h 15, les voilà tous rassemblés comme pour l’appel, tête nue, en silence, trois cents hommes réunis par camp. Dans chaque camp, l’appel est fait. Au nom des fusillés, un camarade répond : «  Fusillé !  » Une minute de silence. Cérémonial simple, sobre, spontané. Ils l’ont naturellement inventé. Et peut-être inaugureront-ils, pour la suite des temps, la commémoration qui fera du 22 octobre de chaque année un anniversaire pour tous les Français, le deuil, l’orgueil aussi, parce que vingt-sept Français sont morts comme on sait mourir chez nous. De la soirée qui suit, que rapporter ? Seulement le courage de Mme Kérivel. Cette femme admirable, quand elle est venue à la cellule des condamnés embrasser son mari, prise de pitié à la vue du jeune Guy Môquet, a proposé aux officiers de prendre sa place. On le lui a refusé. Maintenant, son calme fait l’admiration de tous. Elle se promène sur la piste avec ses amis. «  Pourquoi se frapper ? Nous ne sommes pas ici pour cueillir des fleurs, la vie continue.  » Et elle dit aux femmes : «  Surtout, faites votre fête dimanche, rien n’est changé !  » Elle tiendra ainsi toute la soirée, ce n’est que dans sa baraque que la fièvre s’emparera d’elle. Mais le lendemain la retrouvera debout, courageuse.

C’est le lendemain que l’on apprend les détails de l’hécatombe. C’est dans une carrière de sable, à deux kilomètres de Châteaubriant, qu’ils ont été fusillés. Ils avaient traversé la ville en chantant la Marseillaise dans les camions. Les gens se découvraient sur leur passage. On imagine l’émotion qui régnait dans la ville. À la ferme voisine de la carrière, les paysans étaient consignés par les Allemands, portes et volets clos, une mitrailleuse braquée sur leurs portes. Par un raffinement singulier, l’exécution a eu lieu en trois fournées. Il y avait trois rangées de neuf poteaux dans la carrière. Les exécutions ont été faites en trois salves : à 15 h 55, à 16 heures et à 16 h 10. Les vingt-sept condamnés ont voulu aller à la mort les yeux non bandés et les mains libres. Ces hommes, en tombant, ont étonné leurs bourreaux, ils ont chanté jusqu’à la dernière minute. Ils criaient : «  Vive la France ! Vive l’URSS ! Vive le Parti communiste !  » Le docteur Ténine a dit à l’officier allemand qui commandait le peloton : «  Vous allez voir comment meurt un officier français !  » Et le métallurgiste Timbaud, avec cette décision qu’il a toujours montrée dans la vie, a choisi pour sa dernière parole un cri bien particulier qui risque de rester comme un souvenir dans le cœur des hommes qui ont tiré sur lui, Français : «  Vive le Parti communiste allemand !  » Il avait demandé du feu à un gendarme pour fumer une dernière cigarette. Au départ, dans le camion, il a dit quelques mots sévères au lieutenant Touya. Il est mort comme il a vécu. C’est une image qui restera de l’ouvrier français, notre frère. Les gendarmes ont rapporté la montre de l’un, une lettre de l’autre, l’alliance d’un autre. Ils ont dit aux détenus ce qui se disait dehors. Eux-mêmes partagent l’émotion du camp et de la ville. La municipalité a refusé d’enfermer les corps dans les cercueils ignobles que les autorités allemandes avaient apportés. Les corps ont passé la soirée au château de la ville. On les dispersera le lendemain dans les divers cimetières de la région. Les familles pourront y aller, mais elles ne sauront pas quelle tombe est la leur, car les cercueils ne porteront pas de noms, mais un numéro correspondant à un registre, pour plus tard… et c’est tout. À la carrière, les gens du pays se sont rendus nombreux en pèlerinage ; on voyait encore les poteaux, le sang sur le sable. On sait maintenant que le même jour, à Nantes, vingt et un otages étaient tombés dans des conditions semblables. Quarante-huit en tout pour la journée du 22 octobre. Le dimanche suivant, plus de 5 000 personnes ont défilé dans la carrière, et déposé des fleurs.
C’est d’un garde mobile que l’on tient les détails de l’exécution. Cet homme déclare que les vingt-sept victimes lui ont donné une leçon de courage ineffaçable. Guy Môquet, qui avait eu une faiblesse au départ, mais dont le courage avait été égal à celui des autres en chemin, s’est évanoui dans la carrière. Il a été fusillé évanoui. Dans le pays, on se répète les mots des martyrs. Le jour de la Toussaint, les défilés ont recommencé, une gerbe de fleurs a été déposée à l’emplacement de chaque poteau dans la carrière tragique, des bouquets ont été portés dans les cimetières. Les autorités allemandes ont interdit les défilés et ont fait une enquête pour rechercher «  les coupables  » qui avaient apporté des fleurs. Un détail terrible : lors de la mise en bière, l’un des cadavres (on frémit de le reconnaître) était trop grand pour la caisse. Un Allemand prit une barre de fer pour l’y faire entrer. Comme le fossoyeur municipal qui était présent protestait, l’autre cria : «  Kommunist, pas Français !  » Ce mot-là, oui, il faudra qu’aucun Français ne l’oublie. Les brutes qui sont venues chez nous, jusque dans la mort, disposer de la nationalité des nôtres, d’un enfant de dix-sept ans, nous apprennent par là même ce qui nous unit contre eux. Il est seulement étrange et monstrueux que le mot de cette brute, il puisse se trouver parmi nous des gens pour le reprendre. Nous n’oublierons pas qui a envoyé au poteau cet enfant et ses vingt-six camarades, qui tranquillement, d’un bureau d’un de nos ministères, a jeté aux balles allemandes ceux qui devaient mourir la Marseillaise à la bouche et la France au cœur, parce qu’il pensait, comme les bourreaux : «  Communistes, pas Français !  » (1).
Il faudrait parler de ces vingt-sept hommes. Comment ne pas marquer à leur tête le député Michels qui portait, aux yeux des autorités françaises, le seul crime d’avoir voté contre la guerre, contre cette guerre à l’Allemagne : voici qu’il est tombé sous les balles allemandes, désigné par les autorités françaises. Il laisse une femme et deux enfants. À côté de lui, Poulmarc’h, secrétaire de syndicat à Ivry ; sa femme reste avec un enfant de six ans et deux personnes à sa charge. Voici le métallurgiste parisien Timbaud qui laisse une femme avec un enfant de treize ans, et deux jours de travail par semaine. Voici Vercruysse, de Paris, mutilé de la face de l’autre guerre, qui laisse une femme sans ressources avec un enfant de huit ans. Les soldats du Kaiser n’avaient pu que le défigurer, ceux de Hitler lui ont donné le coup de grâce. Voici Granet, de Vitry ; sa femme fait des ménages pour élever un enfant de onze ans. Barthélémy, de Tours, retraité des chemins de fer, cinquante-sept ans, dont le fils est marié, mais la femme de ce fils a été emprisonnée à Niort. Bartoli, qui avait cinquante-trois ans, une femme et un enfant. Bastard, d’Angers, lui, n’avait que vingt et un ans ; une mère le pleure. Bourhis, dont l’ordre de libération est arrivé le soir même de l’exécution, instituteur à Saint-Brieuc ; il laisse une femme institutrice et un enfant de six ans. Laforge, instituteur, devait comme lui être libéré. Il laisse une femme, professeur de lycée, et un enfant de dix-sept ans. C’est Lalet, étudiant de vingt et un ans, déjà marié, dont la libération est arrivée pendant qu’il écrivait ses dernières volontés ; cela ne l’a pas sauvé du poteau. Lefevre, d’Athis-Mons, nous laisse une femme et quatre enfants. Le Panse, de Nantes, laisse une femme malade avec deux enfants de cinq et trois ans. Môquet, notre Guy, comme disaient les camarades, le martyr de dix-sept ans, avait à sa charge sa mère et son jeune frère de dix ans, son père étant lui aussi emprisonné. Pesqué, docteur à Aubervilliers, cinquante-six ans, laisse un enfant. Pourchasse, trente-trois ans, laisse une femme sans ressources avec deux enfants de dix et quatre ans ; sa sœur a été arrêtée. Renelle, ingénieur de Paris, laisse une fille de vingt ans qui devra faire vivre sa grand-mère. L’artisan imprimeur Tellier, d’Armilly (Loiret), quarante-quatre ans, veuf. Le docteur Ténine, trente-cinq ans, celui qui dit : «  Vous allez voir comment meurt un officier français !  », médecin à Antony, fils d’un chauffeur de taxi qui, sans travail, était à sa charge, venait de perdre son fils de huit ans, quelques jours plus tôt ; on dit que sa femme, apprenant l’exécution quelques jours après ce terrible deuil, s’est tuée volontairement (2). Voici Kérivel, dont la femme eut le triste privilège, prisonnière à Châteaubriant, de l’embrasser à la dernière heure. Voici Delavacquerie qui avait dix-neuf ans et en paraissait quinze. Huynh Khuong An, Annamite, dont le pays a été livré aux Japonais tandis que lui était livré aux Allemands et que sa femme était jetée en prison à Rennes. Voici David, Grandel, Guéguin, Gardette… Tous des gens pauvres qui vivaient de leur travail.

Est-ce bien la France, direz-vous, où se passent des choses pareilles ? Oui, c’est la France, soyez-en sûrs. Car ces vingt-sept hommes représentent la France mieux que ceux qui les ont désignés aux bourreaux allemands. Leur sang n’aura pas coulé en vain : il restera comme une tache indélébile au visage de l’envahisseur. Ce sang précieux, c’est le rouge de notre drapeau qu’il a reteint et qui, mieux que jamais, se marie au blanc et au bleu de la France pour marquer l’unité de notre pays contre l’ennemi installé sur notre terre et la poignée de traîtres pourvoyeurs de ces bourreaux.

L’HUMANITE, 21 octobre 2011
Copyright Jean Ristat

(1) On sait aujourd’hui que Pucheu, de qui à Alger justice devait être faite, était avant guerre l’homme qui pour les trusts remettait à Doriot l’argent de la trahison de classe et de la trahison nationale. 
Cette même main qui payait la provocation livra les patriotes aux balles allemandes. Comment aujourd’hui s’étonner des journaux que payent en France les patrons sains et saufs de Pucheu, et du travail qu’ils font, du langage de Goebbels par eux repris ?
(2) Heureusement inexact. Ce bruit m’était arrivé d’une source dont 
je n’avais pas de raison de douter : quelques mois plus tard, Mme  Ténine nous rendait visite à Nice, dans cette petite pièce où j’avais écrit 
les Martyrs.
NDLR : Le lieutenant Touya, placé en résidence surveillée à Saintes, à la Libération, fut libéré, puis promu capitaine et décoré de la Légion d’honneur.
Louis Aragon

* Cet épisode de la mission de Joë Nordmann et de sa rencontre avec Aragon est dessiné dans la BD Immortels!, publiée par le Comité du Souvenir

Le camp de Choisel – Châteaubriant

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Le camp d’internement de Choisel

L’existence des camps français entre 1938 et 1946 est peu connue. Des camps sont ouverts par le gouvernement Daladier pour regrouper les réfugiés espagnols fuyant le franquisme. Le décret-loi du 12 novembre 1938 prévoit l’internement des «étrangers indésirables». Il est élargi par la loi du 18 novembre 1939 qui permet l’internement « de tout individu, Français ou étranger, considéré comme dangereux pour la défense nationale ou la sécurité publique ».

Choisel est d’abord un camp de prisonniers de guerre, à partir de la débâcle de juin 1940. Il s’agit du camp C du Frontstalag 183 A, installé sur le champ de courses de Choisel. Situé aux abords de Châteaubriant, (Loire-Inférieure), il s’étend sur 5 hectares. La ville – une sous-préfecture – compte de 8 à 9 000 habitants. Le 17 juin, les Allemands y font leur entrée, le soir à la radio, Pétain « le cœur serré », appelle à « cesser le combat ». Le 19 juin 1940, dès leur entrée dans Nantes, les Allemands font de très nombreux prisonniers parmi les soldats français, britanniques et belges qui s’y trouvent, poussés par leur avance. Ils les regroupent dans les casernes nantaises, Cambronne et Richemont, sans se préoccuper de leur ravitaillement. Le Comité d’entente des anciens combattants, alerté par cette situation, propose son aide, comme il le fait pour les réfugiés qui affluent également. Le 30 juin 1940, son Bureau apprend par le président des prisonniers de guerre, Me Alexandre Fourny, que la situation est plus catastrophique encore à Châteaubriant, où les Allemands sont là depuis deux jours. Plus de 45 000 prisonniers y sont répartis dans plusieurs camps. C’est cinq fois la population de la ville. Outre Choisel, trois autres camps existaient : au moulin Roul, à la Courbetière et au stade de la Ville-en-bois. Installés dans une totale improvisation, ces camps, sont sommaires. Des prisonniers dorment à la belle étoile. La nourriture est parcimonieuse. Les cas de maladie se multiplient. Le Comité d’entente décide de mettre tous ses fonds disponibles à la disposition des prisonniers. Il s’agit d’une activité légale, soutenue par les autorités : préfet, maire, Croix-Rouge française, chambre de commerce etc. A la fin de son activité, en décembre 1940, 197 tonnes de denrées ont été distribuées.1 Les derniers soldats prisonniers sont transférés en Allemagne, vers les stalags et oflags, le 14 janvier 1941, mais la Kreiskommandantur de Châteaubriant conserve les installations en vue d’une éventuelle réutilisation. Ce qui ne tarde pas.

En février 1941 et jusqu’en mai 1942, le camp de Choisel est dédié à l’internement2. C’est l’un des 200 sites de « la France des camps », « ces lieux où se retrouve toute personne enfermée par mesure administrative (par un préfet en général) et non dans le cadre d’une procédure judiciaire »3. Pour l’historien Denis Peschanski, et pour la période qui nous concerne, deux logiques cohabitent : l’internement-exclusion contre les Juifs, les étrangers, les Tsiganes et l’internement-persécution contre les communistes. Des populations diverses y cohabitent : des « indésirables » (Réfugiés espagnols, droits communs – proxénètes, prostituées -, trafiquants du marché noir etc.) ; des Tsiganes, nomades et forains et surtout des internés politiques, majoritairement des communistes et des syndicalistes. Tous les internés ont été arrêtés par la police française, parfois sur ordre des autorités d’Occupation.

Choisel est représentatif de la diversité de l’internement. A partir de la mi-avril 1941, des internés politiques y sont transférés. Ils arrivent de Centres d’internement de l’Ouest, (Le Croisic, Ile d’Yeu etc.) et plus tard de la région parisienne via différents camps ou prisons. Nombreux parmi eux sont les élus déchus de leur mandat par Vichy, et les dirigeants syndicaux. La plupart sont des ouvriers : 71 % (42% d’ouvriers d’usine) selon D. Peschanski. Mais on compte aussi des enseignants, des ingénieurs, des médecins. La répartition par âge met en évidence la forte proportion (41 %) d’internés nés entre 1900 et 1909.

Beaucoup parmi les politiques transitent par le camp d’Aincourt, les prisons de la Santé, Fresnes, puis sont transférés dans les maisons centrales sordides de Poissy, Fontevrault et Clairvaux, Le 18 juin, quatorze gaullistes arrivent. Léon Mauvais a donné son accord au chef de camp pour les accueillir dans le quartier des communistes. « Dans la lutte menée par notre peuple pour sa libération, il y a place pour tous les patriotes. […] Nous devons les accueillir comme des frères de combat », dit-il à ses camarades. Mais les gaullistes refusent et demandent à être logés avec les détenus pour marché noir. Ils seront rapidement libérés.4 Un interné « atypique » séjourne à Choisel : le président Paul Didier, le seul magistrat qui refuse de prêter serment au maréchal Pétain. A l’automne 1941, les politiques sont plus de 600. L’effectif maximal des « indésirables » est de 196. Le nombre des nomades est relativement constant : environ 350. L’effectif total le plus élevé est atteint en septembre 1941 avec 907 internés.

Le camp a un double statut : Centre de séjour surveillé pour indésirables et Camp de concentration. Ces deux intitulés figurent sur les documents officiels du camp. Pour autant, on est loin de la logique concentrationnaire allemande. La direction des camps est transférée au Ministère de l’Intérieur en novembre 1940, la responsabilité repose sur les préfets et sous-préfets. Les autorités d’Occupation supervisent. A Châteaubriant, le sous-préfet est Bernard Lecornu. Il est l’interlocuteur direct du chef du camp et du Kreiskommandant Kristukat.

Jusqu’au 24 juin 1941, le chef de camp est le capitaine Louis Leclerc, un ancien militaire de la Coloniale. Rendu responsable de l’évasion de quatre dirigeants communistes le 19 juin 1941, il est relevé de ses fonctions. En fait, selon le sous-préfet « il y avait eu 17 évasions entre le 29 mars et le 25 juin ». Leclerc s’engage alors dans la Légion des volontaires français contre le bolchévisme et rejoint le front de l’Est. Son successeur, Charles Moreau, est également un ancien militaire. La surveillance est assurée par un détachement de gendarmerie longtemps commandé par le sous-lieutenant Lucien Touya. De 21 à l’ouverture du camp, les gendarmes sont 85 en novembre 1941 après les fusillades. La crainte des évasions est la hantise de la direction des camps, renforcée après l’évasion de juin 1940 quand Fernand Grenier5, Eugène Hénaff,6, Léon Mauvais7 et Henri Raynaud8 prennent la clef des champs.

Choisel-Plage ?

A la réouverture du camp en février 1941, les autorités récupèrent 32 baraquements en bois recouverts de tôle ondulée, dont seuls 20 sont immédiatement réutilisables. Chacun héberge entre 40 et 50 individus. Les internés y prennent leurs repas : quatre tables de douze places sont installées dans l’allée centrale. En septembre, le camp est divisé en plusieurs sections, elles-mêmes séparées par des barbelés, qui isolent les politiques, les nomades, les détenus de droit commun ou du marché noir.
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Les historiens J.-M. Berlière et F. Liaigre, reprennent l’expression « Choisel – Plage ». Cette version idyllique ne convainc pas, l’expression est extraite d’une lettre d’Antoine Pesqué à sa femme. Mais il l’emploie de manière ironique. Une caractéristique des lettres adressées par les internés à leurs familles est en effet qu’ils ne veulent pas les inquiéter et préfèrent donner des nouvelles rassurantes. La valeur du témoignage est liée à la nature du témoin. Ainsi Fernand Grenier ne manque pas de noter qu’à leur arrivée à Châteaubriant, « dans une prairie verdoyante, avec des pommiers en fleurs », « l’impression est plutôt favorable ».9 Mais les internés arrivent de maisons centrales où ils ont connu des cellules humides et sales, contraints de porter la tenue des bagnards.

Le ravitaillement est un problème constant. La nourriture est la première préoccupation. Les rations sont maigres, F. Grenier parle « d’une lutte quotidienne contre la faim ». René Sentuc écrit : « Grâce aux internés qui entretiennent un potager, les repas sont améliorés : salade, haricots, tomates ».10

Le capitaine Leclerc constate que les vêtements « commencent à tomber en lambeaux ». Les conditions d’hygiène sont rudimentaires. Les baraques sont des fournaises l’été, des glacières l’hiver. Le camp est particulièrement boueux. Des photographies montrent la pose de planches sur le sol, sorte de « caillebotis » traçant un chemin pour se déplacer.
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La vie derrière les barbelés

L’emploi du temps est réglé très précisément. Réveil à 7 h, toilette jusqu’à 7 h 45, distribution du « café ». Nettoyage de la baraque jusqu’à 8 h 30, heure de l’appel. Répartition des tâches, repas à midi. A 14 h, second appel et reprise des activités (dont les cours) jusqu’à 18 h. Repas du soir à 18 h 45. Extinction des feux et silence absolu à 21 h. Après les évasions de juin, un troisième appel est instauré à 20 h. Le dimanche, l’après-midi est consacré aux loisirs.

Les internés politiques n’acceptent que les travaux qui améliorent leurs conditions de vie et les organisent eux-mêmes: isolation des baraques, fosse septique, douches et lavabos, cuisines, salle de réunion, jardins potagers, parterres de fleurs, chambre d’hôte pour les visiteurs, ratissage des allées, enfouissement des déchets, installation de caillebotis, installations sportives : tout est l’œuvre des internés. Mais le projet d’ouverture d’une classe pour les enfants des nomades leur est refusé.

Un Comité de direction réunit un délégué par baraque. Les demandes des internés sont ainsi relayées, le Comité en débat, représente les internés auprès du chef de camp, gère la part d’autonomie qui leur est laissée et – dans la plus grande discrétion – assure les liaisons avec l’extérieur. Ils obtiennent ainsi d’instaurer les cours et divertissements de leur choix. Un interné peut se rende en ville pour acheter un peu de nourriture supplémentaire, sans être escorté par des gendarmes. En mai – juin 1941, le capitaine Leclerc, débordé, se repose sur les internés eux-mêmes pour organiser leurs visites. F. Grenier est chargé d’établir le «tour de visites ». « Il y eut dans chaque camp une participation à la gestion du système et des formes plus ou moins élaborées de subversion, jusqu’à la résistance. »11

Une grande solidarité, matérielle et morale, s’exerce entre les politiques. Ils partagent des convictions communes. Ces actes de solidarité créent une réelle cohésion, facteur de stabilité. Néanmoins, Leclerc s’en méfie dans son rapport d’avril 1941 : « Il est certain qu’une solidarité profonde, une réelle discipline de parti existent et qu’ils sont absolument convaincus de la légitimité de leurs aspirations […] En résumé, la plus grande prudence est indispensable en ce qui les concerne ». 12
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L’université de Choisel

L’inactivité pèse sur le moral. Les internés mettent en place de nombreuses activités intellectuelles et sportives. Il s’agit de rester actif et de tirer parti de ce « temps perdu ». C’est aussi une forme de résistance à l’internement administratif. Les internés sont invités à « retourner à l’école ». La plupart ont été contraints de quitter l’école très jeunes, bien avant le Certificat d’études primaires. « Certains, illettrés à leur arrivée, repartent de Choisel en sachant lire, écrire, compter ».13 Leclerc, qui lit les lettres des internés, est surpris de leur faible niveau scolaire. 14

Le « recteur » de cette Université est Pierre Rigaud. Il existe des cours de différents niveaux en français, mathématiques, langues (allemand, anglais ,espagnol, russe, breton) et d’économie politique, philosophie, littérature, histoire et géographie, musique, poésie ainsi qu’hygiène et secourisme et d’électricité. Odette Nilès apprend la sténo puis l’enseigne à ses camarades. Pour la période du 17 août au 14 septembre, « Le total des assistants et des heures de présence est impressionnant : 536 assistants, 3859 heures dans 36 cours traitant de 13 matières ».15 70 à 80 % des internés suivent un ou plusieurs cours. La bibliothèque du camp a compté jusqu’à 820 livres en octobre 1941. Les corps sont mis à rude épreuve par les privations. Les activités physiques sont mises en place sous la direction d’Auguste Delaune, secrétaire général de la FSGT (Fédération sportive et gymnique du travail). Il fait aménager une piste de course à pied et un terrain de volley-ball. Il organise des séances de culture physique tous les matins et des jeux sportifs. Des équipes de football et de volley-ball sont constituées, tandis que certains s’adonnent à la boxe.

La fête du dimanche est l’occasion d’organiser des divertissements : pièces de théâtre, bigophones, chanteurs, chorales, cirque. Les jeux de cartes sont prisés et plus encore les échecs. Des internés sculptent le bois, réalisent de petits coffrets, des objets montés en pendentifs.

L’information est importante mais partielle et partiale. Jusqu’en octobre 1941, la presse est autorisée mais c’est la presse aux ordres : Paris-Soir, Le Phare de la Loire et Ouest-Eclair. Jusqu’en juin les internés peuvent écouter la radio du poste de garde. Ils apprennent l’entrée en guerre de l’Allemagne contre l’URSS. Mais ils décident d’avoir leur propre radio. Apporté par la femme d’un interné, le poste est caché dans le lavoir. Les préposés à l’écoute notent et communiquent les informations quotidiennes aux autres.

Une évidence s’impose : le camp ne peut fonctionner sans l’aide des internés. D’où l’obligation dans laquelle se trouve Leclerc de composer. Les choses se gâtent après l’arrivée du nouveau chef de camp, le commandant Moreau, lieutenant d’artillerie, 34 ans. Il est rigide, manifestement très autoritaire et manque de psychologie avec les internés. En fait, le durcissement est dicté par Lecornu lui-même. Il n’est plus question de laisser les internés prendre des initiatives. Ceux-ci se rebellent face à l’arbitraire des autorités et à l’injustice de certaines mesures. Vercruysse parle de « régime féroce », après le refus qui lui a été opposé d’aller voir son enfant qui vient de naître. Des incidents assez fréquents témoignent de tensions entre internés et gardiens. Il s’agit souvent d’insultes. Les restrictions concernant les visites, le courrier, l’interdiction par le sous-préfet de l’envoi de colis alimentaires, au motif que « des papiers pourraient [y] être facilement glissés », provoquent un fort mécontentement. Dans leurs souvenirs, les internés ont surtout retenu le comportement brutal du « sinistre Touya ». Il se vante d’avoir maté les Espagnols rouges dans les camps d’Argelès et de Gurs. Il ordonne régulièrement des fouilles et utilise fréquemment l’envoi au « mitard » de ceux qui lui tiennent tête. Il tire la nuit sur les baraquements. Il est vraisemblable qu’il a réussi à s’attacher les services de quelques mouchards. S’il a des « adeptes » parmi les gendarmes, F. Grenier note que certains ont fini par ressentir de la sympathie pour les internés. Ils se mettent au garde à vous lorsque les otages partent dans les camions vers les lieux de leur supplice le 22 octobre et des témoins rapportent que certains pleurent.

La clef des champs

Une dizaine d’internés, pour être libérés, adhèrent au POPF, le parti ouvrier et paysan français, créé par l’ancien communiste Marcel Gitton, devenu un anticommuniste virulent, utilisé par Pucheu. L’opération Gitton est montée avec l’aide du Sipo-SD16. Selon le rapport mensuel du chef de camp, cela concerne une dizaine d’internés en juillet 1941.17

D’autres déclinent les offres de libération : Victor Renelle refuse de faire allégeance au maréchal Pétain et Henri Barthélémy répond qu’« entré ici la tête haute et qu’il en sortira la tête haute ».

Les rapports du chef de camp font état de nombreuses évasions ou tentatives d’évasions parmi les nomades ou les droits communs. Pour les politiques, l’évasion est une forme de subversion. L’enjeu est de prendre part au combat pour libérer le pays. Les évasions ne relèvent pas de décisions individuelles, elles répondent à des ordres extérieurs. Elles impliquent une préparation minutieuse : une bonne forme physique, le repérage des heures de ronde et de relève des gendarmes, des rendez vous avec des personnes de confiance à l’extérieur, l’acheminement des évadés vers les planques successives, des moyens pour leur ravitaillement donc tout un réseau. Elles nécessitent également, à l’intérieur, des « évadeurs » qui font preuve d’une réelle abnégation, car eux restent dans le camp. E. Hénaff et L. Mauvais prennent la clef des champs en tirant parti du mode de gestion des visites et sortent du camp le 19 juin 1941en se faisant passer pour des visiteurs en fin de visite. En représailles, les visites sont suspendues pendant l’été. Elles le sont à nouveau à la suite des fusillades du 22 octobre 1941, pour empêcher les internés de faire le récit de cet événement.

A l’extérieur, « l’évadeur en chef » est Henri Janin, maire de Villeneuve-Saint-Georges. Il s’est évadé lors de son transfert de la prison de la Santé vers Bordeaux. Il est affecté à l’organisation de la résistance armée en Bretagne, à partir de juin 1941 et contribue aux évasions de Châteaubriant en relation avec Venise Gosnat, un élu d’Ivry-sur-seine, où il est trop repéré et qui a été désigné responsable interrégional en Bretagne en décembre 1940.

« C’est au moment des premières « belles » que le ministère envisagea le transport en Afrique du nord des communistes et indésirables considérés comme les plus dangereux : ils seraient occupés à la construction du Transsaharien » 18

Le ressenti de l’internement varie selon les catégories d’internés, leur parcours, la situation de leur famille depuis leur arrestation. Il y avait à l’évidence une culture différente de l’internement.

Pour les politiques, être inactif est difficile à supporter. Ils ne sont jamais passés en jugement. Le sentiment d’injustice atteint fortement leur moral. Les médecins diagnostiquent parfois des états dépressifs. De surcroît, parmi les internés se trouvent des blessés de la guerre 14 -18, des malades chroniques, des tuberculeux. D’autres ont subi des mauvais traitements après leur arrestation.

Les relations avec les Castelbriantais.

Les internés bénéficient de la solidarité des Castelbriantais. Des habitants viennent « se promener » aux abords du camp, occasion de parler aux internés par-dessus les barbelés, de faire passer des journaux. Le capitaine Leclerc prétend que la nouvelle de l’attaque allemande contre l’URSS le 22 juin 1941 aurait été apprise par la radio à tue-tête d’une ferme voisine. Le dentiste Puybouffat récupère des lettres qu’il poste secrètement, leur évitant la censure. Des paysans préservent du beurre ou du gibier et les offrent aux internés. Certains, comme le cheminot Jean Le Gouhir qui anime un groupe de résistants, le boulanger de Treffieux, Jean Trovalet ou les instituteurs Joseph Autret et Marcel Viaud aident aux évasions. Et malgré les risques, dès les jours suivants les fusillades, le dimanche 26 octobre et à la Toussaint de nombreux Castelbriantais se rendent à la carrière pour se recueillir et déposer des fleurs. Les répercussions des fusillades du 22 octobre au sein de la population du castelbriantais sont considérables, mais elles sont loin du résultat attendu, car plutôt que la peur, elles génèrent surtout une volonté de vengeance et un engagement fort dans la Résistance.
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La baraque 19

Pour les Allemands, rappelons-le, la priorité est d’assurer la sécurité de leurs troupes en laissant la responsabilité de l’administration des camps à Vichy, et « on aurait tort de négliger [l]a capacité autonome de radicalisation [de Vichy]» note Denis PESCHANSKI. Pour autant, les Allemands exercent une réelle supervision. Le 8 juillet, sur instruction de Darlan, Ingrand, délégué du ministre de l’Intérieur dans les territoires occupés, demande au préfet Dupard, d’établir la liste des 100 internés « les plus dangereux » pour les transférer en Algérie. A l’automne, les attentats se multiplient et les Allemands interdisent ces transferts qui les priveraient d’otages. Décision est prise d’isoler les « meneurs » dans une baraque spéciale. En septembre, deux officiers allemands viennent inspecter l’installation d’un réseau de barbelés autour d’une baraque, la 19. Les internés observent également des incursions fréquentes dans le camp, d’officiers allemands : le 18 septembre, puis les 2, 3, 9, 10 – le 10 octobre, la Wehrmacht exige du chef de camp une copie du registre des entrées – et 12 octobre, un dimanche. « Je revis encore Chassagne le 13 octobre, il était venu avec M. Dupard pour l’installation du nouveau conseil municipal ; mais son déplacement avait un autre but, plus important pour lui : dans l’après-midi, il participa à une visite du camp avec le préfet, le commandant de gendarmerie, M. Robin, commissaire de police principal à Nantes, M. Le Du, commissaire à Châteaubriant, et moi-même »21

Elles sont précédées, le 16 septembre, d’une visite du préfet Dupard, du sous-préfet Lecornu accompagnés d’un homme que certains internés reconnaissent : Chassagne ! Un ex- communiste qui a rompu 1931, puis s’est rapproché de Belin, n° 2 de la CGT, devenu secrétaire d’Etat dans le gouvernement de Vichy. Chassagne est missionné par Pucheu pour opérer une sélection. Il dresse une liste d’une vingtaine d’internés, dirigeants ou élus du P.C. et de responsables de la CGT et le 23 septembre à l’appel du matin, Touya annoncent à ceux-ci qu’ils doivent déménager à la baraque 19, une enclave étriquée ceinte de fils de fers barbelés bientôt surnommée « baraque des otages ». Il s’agit de Timbaud, Grandel, Ténine, Renelle, Michels, Agnès, Laforge, Jacq, Pesqué, Bartoli, Huynh Khuong, Guéguin, Bourhis, Baroux, Auffret, Babin, Barthélémy, Gardette. Ils sont 18. Le 13 octobre, lors d’une nouvelle visite avec le préfet et le sous-préfet, il demande de transférer deux syndicalistes à la 19 : J. Poulmarc’h et D. Granet, ses « amis », auxquels il a promis le 16 septembre : « Vous aurez de mes nouvelles, je vais m’occuper de vous ».

Châteaubriant est ainsi le théâtre de l’un des épisodes les plus tragiques des années noires. 27 otages sont choisis parmi les internés du camp de Choisel.

1-BLOYET Dominique et GASCHE Etienne, Les 50 otages, Ed. CMD, Montreuil-Bellay, 1999, p. 11-15.
2 -MECHAUSSIE Gaëlle, Les détenus des camps d’internement français – L’exemple du camp de Choisel, Université Paris IV-Sorbonne, 2009
3 – PESCHANKI Denis, La France des camps, Paris, Gallimard, 2002
4 – GRENIER Fernand, Ceux de Châteaubriant, Editions sociales, Paris, 1971, p. 30.
5 – Fernand Grenier est délégué par le PC auprès du général de Gaulle en 1943, commissaire de l’Air à Alger dans le gouvernement provisoire (GRPF). On lui doit d’avoir fait adopter le droit de vote des femmes.
6 – Eugène Hénaff, est , après son évasion, chargé es rapports entre l’OS (Organisation spéciale) et le PC, puis adjoint de Charles Tillon aux FTP.
7 – Après son évasion, Léon Mauvais a été chargé de reconstituer le triangle de direction du PC dans la zone sud
8 – Henri Raynaud est chargé d’impulser l’activité syndicale, de travailler après Raymond Sémat à l’unification de la CGT (Accord du Perreux, 1943) et à la Libération il est un acteur majeur de la mise en place des caisses de Sécurité sociale.
9 – GRENIER Fernand, Ceux de Châteaubriant, ouv. cit., p.27.
10 – SENTUC René, Journal, cité par MECHAUSSIE Gaëlle, Les détenus des camps d’internement, ouv.cit.
11 – PECHANSKI Denis, ouv. cit. , p. 419.
12- PESCHANSKI Denis, ouv. cit. , p. 401.
13- NILES Odette, Mon amour de jeunesse, L’Archipel, Paris, 2008, p.57
14 – ADLA, 1694W39, compte-rendu du chef de camp au préfet, mai 1941
15 – RIGAUD Pierre, Journal, MRN, Champigny-sur-Marne, p. 22.
16 – Sicherheitspolizei (police secrète) et le Sicherheitsdienst (service de sécurité de la SS) regroupe la Gestapo et la Kripo (police criminelle)
17 – ADLA 1694 W 39
17 – ADLA 1694 W 39
18. LECORNU, Un préfet sous l’occupation allemande, op.cit., p. 46.

16 et 23 septembre 1943, Nantes anéantie par les bombardements

Le 16 d’abord, puis le 23 septembre, « une pluie de fer, de feu, d’acier, de sang »(1) s’abat sur la ville. Les Américains déversent des tonnes de bombes et laissent derrière eux 1 463 tués, 2 500 blessés ; 2 000 immeubles sont détruits ou à raser. Et tant de vies brisées.

Les escadrilles alliées ont pour objectifs la destruction du port de Nantes, qui abritait des navires d’assistance aux sous-marins et autres navires allemands amarrés sur le quai de la Fosse, ainsi que la destruction de la base de l’aviation militaire allemande de Château-Bougon, à Bouguenais, d’où la Luftwaffe faisait décoller les avions qui allaient bombarder l’Angleterre. A noter que déjà, l’usine d’aviation située à proximité – la SNCASO, aujourd’hui Airbus – avait été aux trois-quarts détruite lors d’un précédent raid le 4 juillet 1943.
Mais, au lieu de voler dans le sens de la Loire, les bombardiers ont traversé la ville perpendiculairement au fleuve et à très haute altitude, lâchant leurs bombes sur le centre-ville et ratant leurs cibles.
Dès 1938, Nantes était dotée d’un système de Défense passive, dont le siège se trouvait dans l’Hôtel Rosmadec, l’un des bâtiments de l’Hôtel de ville.
Le centre-ville n’avait pas été bombardé auparavant. Certes, les alertes avaient été nombreuses, mais les avions survolaient la ville pour aller finalement bombarder Saint-Nazaire. De sorte que les Nantais ne prenaient pas très au sérieux ces alertes et négligeaient de se rendre aux abris. Avant le 16 septembre 1943, Nantes avait déjà connu 320 alertes et 10 bombardements aériens qui avaient causé la mort de 68 victimes. (2) Selon le préfet, ces bombardements anglais étaient compris et acceptés par les Nantais car ils visaient l’aéroport et les usines qui travaillaient pour l’Allemagne. C’est le cas de ceux des 23 mars et 4 juillet qui avaient rassuré les Nantais quant à la volonté des Alliés de ne s’en prendre qu’à des objectifs militaires. Et il y a le souvenir des fusillades de Châteaubriant et du Bêle le 22 octobre 1941 qui ont eu un retentissement non seulement dans tout le pays, mais également au plan international. Roosevelt et Churchill ont condamné l’exécution des 50 Otages et on pense que de ce fait, Nantes est à l’abri d’une attaque massive de l’aviation alliée.

16 septembre 1943

Tout change le 16 septembre 1943. C’est une belle journée ensoleillée, le ciel est bleu, sans un nuage. « On préparait la rentrée des classes. La foire de septembre était installée sur le terre-plein de la Petite Hollande. On avait tellement l’habitude d’entendre les sirènes et les avions survoler pour aller bombarder Saint-Nazaire qu’on n’y prenait plus garde. » témoigne Jeanne Corpard –Fougerat. Peu après 15 h 30, les sirènes donnent l’alerte. Dix minutes plus tard, par vagues successives 160 forteresses volantes B 17 de la 8ème Air Force américaine survolent l’est de la ville, la gare de triage du Grand-Blottereau, le port, les quartiers ouvriers de Chantenay et Roche-Maurice. L’Hôtel Dieu qui accueille 800 malades est touché par 47 bombes, faisant 40 morts et 36 blessés parmi le personnel hospitalier. En un quart d’heure, 1 450 bombes s’abattent sur 600 points de chute dans la ville et son agglomération. Le centre-ville reçoit 130 bombes qui déclenchent de nombreux incendies, notamment rue du Calvaire, place Royale, St Nicolas, le quartier ouvrier du Marchix. La ville est sous le choc.
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La place Royale après les bombardements. Seule la fontaine a résisté.

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Une rue du centre-ville après les bombardements

Le 23 septembre 1943
Les objectifs des Alliés n’ayant pas été atteints le 16, deux nouveaux raids aériens sont lancés contre la ville le 23 septembre. Six groupes de la 8ème Air Force reçoivent l’ordre de bombarder le port. A 8 h 55, l’alerte est déclenchée. A 9 h 14, les premiers avions survolent la ville. A 9 h 20, les premières bombes sont lâchées sur la zone portuaire. Puis le soir à 18 h 55, les sirènes retentissent de nouveau : une centaine de B 17 reviennent bombarder la ville.
bomb_carte_ntes.pngCarte du centre-ville montrant les zones bombardées

Le bilan humain et matériel des bombardements
Le bilan humain est terrible. Au total, 1463 civils sont tués et plus de 2 500 blessés sont recensés. Les listes ont été minutieusement établies par Jean-Pierre Sauvage et Xavier Trochu. Pour la journée du 16 on décompte 977 noms, pour celle du 23, on dénombre 63 victimes en matinée et 197 dans la soirée. Il convient d’ajouter les 27 disparus, les 113 corps non identifiés. 67 soldats allemands ont été tués. Une chapelle ardente est installée au musée des Beaux-Arts. Les dégâts matériels sont énormes : plus de 2 000 maisons et immeubles sont détruits, 6 000 sont inhabitables, il faut les raser. 513 hectares sont totalement ravagés. On dénombre 10 000 personnes sans abri. (3)
Ces bombardements dévastateurs ont bouleversé le visage de la ville et laissé une trace encore visible aujourd’hui dans l’architecture du centre-ville.
A la suite de ces trois bombardements, un exode massif des Nantais commence vers des villes alentour et à la campagne. Sur 200 000 habitants, on considère que plus des deux-tiers, de 70 à 100 000 quittent la ville. Un appel à la population est d’ailleurs lancé par le préfet Bonnefoy. Après la Libération, des milliers d’habitants ont été relogés dans des baraquements en bois ou en tôle. Des cités de relogement pour sinistrés ont été construites en marge du centre-ville : Chêne des Anglais, Hauts-Pavés, Serpette, Contrie, Grand-Clos etc. Certes, l’urgence a primé sur l’esthétisme. Confiée en 1948 à l’architecte Michel Roux-Spitz, la reconstruction de Nantes a duré une quinzaine d’années.
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 Avis à la population après les bombardements du 23 septembre 1943

La perception des bombardements par les Nantais

Ne comprenant pas l’imprécision de ces bombardements, la population nantaise conçoit une certaine rancœur. Selon le préfet, cette fois une majorité de Nantais condamne ces bombardements. Pour l’occupant et les collaborateurs, les bombardements sont une aubaine. Vichy tente de récupérer cette détresse, mène « une guerre de propagande dans les ruines encore fumantes des bombardements » (4) et les exploite comme la presse collaborationniste laquelle, telle Le Matin, qualifie les pilotes américains de « pirates ». Des inscriptions hostiles aux Américains apparaissent sur les ruines. Des tracts pétainistes sont distribués. Le groupe Collaboration publie des photos des dégâts et invite les Nantais à le rejoindre.
Le journal collaborationniste Le Phare, dont l’immeuble de la place du Commerce n’est plus qu’une carcasse fumante, est imprimé par L’Ouest-Eclair à Rennes. Il publie photos, listes des cérémonies funèbres, comptes-rendus d’obsèques et textes sur la cruauté des bombardements dont il stigmatise les auteurs.(5)
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Affiche de propagande vichyste

La mémoire des bombardements

Cette rancœur perdurera et si les Nantais expriment leur soulagement et leur joie à l’entrée des soldats américains à Nantes le 12 août 1944, Nantes ne connaît pas les scènes de liesse qu’ont vécues d’autres villes.
En 2014, l’angle du Cours Olivier-de-Clisson et du boulevard Jean-Philippot est baptisé Esplanade des victimes-des-bombardements-des-16-et-23-septembre-1943. A Saint-Herblain, une rue du 16-septembre (sans précision de l’année) signale que cette ville a également été touchée. Une plaque rappelle le souvenir des sauveteurs de la Défense passive à l’entrée de leur ancien P.C., à la mairie, Hôtel Rosmadec. Et une place, sur l’axe de la rue du Calvaire, a pris le nom de place des Volontaires-de- la-Défense-passive.
Chaque année une cérémonie du souvenir a lieu à l’Hôtel Rosmadec puis au cimetière de La Chauvinière où les victimes ont été inhumées.
Le film d’Agnès Varda Jacquot de Nantes évoque ces bombardements qui avaient marqué le jeune Jacques Demy, alors âgé de douze ans, réfugié ensuite avec sa famille à La Chapelle-Basse-Mer. Dans son superbe récit Régine, Paul-Louis Rossi, évoque « les temps paléolitiques » vécus dans l’habitation au sol de terre battue et « où on faisait la cuisine accroupi », où il avait été évacué. (6)
L’historien Didier Guyvar’ch écrit : « Les bombardements des 16 et 23 septembre participent à la construction de l’image de Nantes, « ville résistante et martyre ». (7) Leur mémoire permet d’héroïser les sauveteurs de la Défense passive, de souligner le courage d’édiles municipaux ou d’autorités religieuses par ailleurs soutiens du régime de Vichy. Cette fonction intégratrice, et occultante, de la mémoire trouve cependant sa limite dans la mise en cause récurrente des Américains jugés peu soucieux de la population civile. »(8)
Notes
1- PREVERT Jacques, Paroles
2- source : Archives municipales
3- GUIVARC’H Didier, Dictionnaire de Nantes, Article Bombardements, PUR
& Patrimonia site de la ville de Nantes
4 – COZIC Jean-Charles et GARNIER Daniel , La Presse à Nantes, tome III, L’Atalante
6 – ibid
6 – ROSSI Paul-Louis, Régine, Julliard
Son père, Paolo Rossi, a été arrêté. Il vient d’être jugé et condamné le 13 août 1943 avec les FTP du procès des 16, déporté le 6 septembre en Allemagne où il sera fusillé à Tübingen le 20 novembre suivant.
7- Ouest-France, 15 août 1945
8 – op. cité

Sources
Dictionnaire de Nantes PUR (Patrimonia, https://patrimonia.nantes.fr
Archives municipales de Nantes www.archives.nantes.fr
La Société Académique de Nantes et Loire-Atlantique présente sur son site une galerie de photos de la ville à la suite des bombardements. (hébergée par le site des archives municipales)

 

 

Le programme d’action de la Résistance (adopté par le CNR le 15 mars 1944)

Né de la volonté ardente des Français de refuser la défaite, la Résistance n’a pas d’autre raison d’être que la lutte quotidienne sans cesse intensifiée.
Cette mission de combat ne doit pas prendre fin à la Libération. Ce n’est, en effet, qu’en regroupant toutes ses forces autour des aspirations quasi unanimes de la nation, que la France retrouvera son équilibre normal et social et redonnera au monde l’image de sa grandeur et la preuve de son unité.
Aussi les représentants des organisations de Résistance, des centrales syndicales et des partis ou tendances politiques groupés au sein du CNR délibérant en assemblée plénière le 15 mars 1944, ont-ils décidé de s’unir sur le programme suivant, qui comporte à la fois un plan d’action immédiate contre l’oppresseur et les mesures destinées à instaurer, dès la libération du territoire, un ordre social plus juste.

I – Plan d’action immédiate

Les représentants des organisations de Résistance, des centrales syndicales et des partis ou tendances politiques groupés au sein du CNR :
Expriment leur angoisse devant la destruction physique de la Nation que l’oppresseur hitlérien poursuit avec l’aide des hommes de Vichy, par le pillage, par la suppression de toute production utile aux Français, par la famine organisée, par le maintien dans les camps d’un million de prisonniers, par la déportation d’ouvriers au nombre de plusieurs centaines de milliers, par l’emprisonnement de 300 000 Français et par l’exécution des patriotes les plus valeureux dont déjà plus de 50 000 sont tombés pour la France.
Ils proclament leur volonté de délivrer la patrie en collaborant étroitement aux opérations militaires que l’armée française et les armées alliées entreprendront sur le continent, mais aussi de hâter cette libération, d’abréger les souffrances de notre peuple, de sauver l’avenir de la France en intensifiant sans cesse et par tous les moyens la lutte contre l’envahisseur et ses agents, commencée dès 1940.
Ils adjurent les gouvernements anglais et américain de ne pas décevoir plus longtemps l’espoir et la confiance que la France, comme tous les peuples opprimés de l’Europe, ont placés dans leur volonté d’abattre l’Allemagne nazie, par le déclenchement d’opérations militaires de grande envergure qui assureront, aussi vite que possible, la libération des territoires envahis et permettront ainsi aux Français qui sont sur notre sol de se joindre aux armées alliées pour l’épreuve décisive.
Ils insistent auprès du Comité français de la Libération nationale pour qu’il mette tout en œuvre afin d’obtenir des armes et de les mettre à la disposition des patriotes. Ils constatent que les Français qui ont su organiser la Résistance ne veulent pas, et d’ailleurs ne peuvent pas, se contenter d’une attitude passive dans l’attente d’une aide extérieure, mais qu’ils veulent faire la guerre, qu’ils veulent et qu’ils doivent développer leur résistance armée contre l’envahisseur et contre l’oppresseur.
Ils constatent, en outre, que la Résistance française doit ou se battre ou disparaître ; qu’après avoir agi de façon défensive, elle a pris maintenant un caractère offensif et que seuls le développement et la génération de l’offensive des Français contre l’ennemi lui permettront de subsister et de vaincre.
Ils constatent enfin que la multiplication des grèves, l’ampleur des arrêts de travail le 11 novembre qui, dans beaucoup de cas, ont été réalisés dans l’union des patrons et des ouvriers, l’échec infligé au plan de déportation des jeunes Français en Allemagne, le magnifique combat que mènent tous les jours, avec l’appui des populations dans les Alpes, dans le Massif Central, dans les Pyrénées et dans les Cévennes, les jeunes Français des maquis, avant-garde de l’armée de la Libération, démontrent avec éclat que notre peuple est tout entier engagé dans la lutte et qu’il doit poursuivre et accroître cette lutte.

En conséquence, les représentants des organisations de résistance, des centrales syndicales et des partis ou tendances politiques groupés au sein du CNR :
Déclarent que c’est seulement par l’organisation, l’intensification de la lutte menée par les forces armées, par les organisations constituées, par les masses, que pourra être réalisée l’union véritable de toutes les forces patriotiques pour la réalisation de la Libération nationale inséparable, comme l’a dit le général de Gaulle, de l’insurrection nationale qui, ainsi préparée, sera dirigée par le CNR sous l’autorité du CFLN, dès que les circonstances politiques et militaires permettront d’assurer, même au prix de lourds sacrifices, son succès.
Ils ont l’espoir que les opérations de libération du pays, prévues par le plan de l’état-major interallié, pourront ainsi être, le cas échéant, avancées grâce à l’aide apportée par les Français dans la lutte engagée contre l’ennemi commun, ainsi que l’a démontré l’exemple glorieux des patriotes corses.
Ils affirment solennellement que la France qui, malgré l’armistice, a poursuivi sans trêve la guerre, entend plus que jamais développer la lutte pour participer à la Libération et à la victoire.

Pour mobiliser les ressources immenses d’énergie du peuple français, pour les diriger vers l’action salvatrice dans l’union de toutes les volontés, le CNR décide :

D’inviter les responsables des organisations déjà existantes à former des comités de villes et de villages, d’entreprises, par la coordination des formations qui existent actuellement, par la formation de comités là où rien n’existe encore et à y enrôler les patriotes non organisés. Tous ces comités seront placés sous la direction des Comités départementaux de la Libération (CDL). Ils seront soumis à l’autorité des CDL, qui leur transmettront, comme directives, la plate-forme d’action et la ligne politique déterminée par le CNR.
Le but de ces comités sera, à l’échelon communal, local et d’entreprise, de faire participer de façon effective tous les Français à la lutte contre l’ennemi et contre ses agents de Vichy, aussi bien par la solidarité et l’assistance active à l’égard des patriotes que par l’impulsion et le soutien donnés aux revendications vitales de notre peuple. Par dessus-tout, leur tâche essentielle sera de mobiliser et d’entraîner les Français, qu’ils auront su grouper, à l’action armée pour la Libération.
Ces comités devront, selon les circonstances et en se conformant aux instructions données par les CDL, appuyer et guider toutes les actions menées par les Français, contre toutes les formes d’oppression et d’exploitation imposées par l’ennemi, de l’extérieur et de l’intérieur.

Ces comités devront :
1°) Développer la lutte contre la déportation et aider les réfractaires à se cacher, à se nourrir, à se vêtir et à se défendre, enlevant ainsi des forces à l’ennemi et augmentant le potentiel humain de la résistance ;
2°) Traquer et punir les agents de la Gestapo et de la Milice de Darnand ainsi que les mouchards et les traîtres ;
3°) Développer l’esprit de lutte effective en vue de la répression des nazis et des fascistes français ;
4°) Développer, d’une part la solidarité envers les emprisonnés et les déportés ; d’autre part, la solidarité envers les familles de toutes les victimes de la terreur hitlérienne et vichyssoise ; 5°) En accord avec les organisations syndicales résistantes, combattre pour la vie et la santé des Français par une lutte quotidienne et incessante, par des pétitions, des manifestations et des grèves, afin d’obtenir l’augmentation des salaires et des traitements, bloqués par Vichy et les Allemands, et des rations alimentaires et attributions de produits de première qualité, de façon à rendre à la population un minimum vital en matière d’alimentation, de chauffage et d’habillement ;
6°) Défendre les conditions de vie des anciens combattants, des prisonniers, des femmes de prisonniers, en organisant la lutte pour toutes leurs revendications particulières ; 7°) Mener la lutte contre les réquisitions de produits agricoles, de matières premières et d’installations industrielles pour le compte de l’ennemi ; saboter et paralyser la production destinée à l’ennemi et ses transports par routes, par fer et par eau ;
8°) Défendre à l’intérieur de la corporation agricole les producteurs contre les prélèvements excessifs, contre les taxes insuffisantes et lutter pour le remplacement des syndics à la solde de Vichy et de l’Allemagne par des paysans dévoués à la cause de la paysannerie française.

Tout en luttant de cette façon et grâce à l’appui de solidarité et de combativité que développe cette lutte, les comités de villes, de villages et d’entreprises devront en outre :

a°) Renforcer les organisations armées des Forces françaises de l’Intérieur par l’accroissement des groupes de patriotes : groupes francs, francs-tireurs et partisans recrutés en particulier parmi les réfractaires ;
b°) En accord avec les états-majors nationaux, régionaux et départementaux des FFI, organiser des milices patriotiques dans les villes, les campagnes et les entreprises, dont l’encadrement sera facilité par des ingénieurs, techniciens, instituteurs, fonctionnaires et cadres de réserve, et qui sont destinés à défendre l’ordre public, la vie et les biens des Français contre la terreur et la provocation, assurer et maintenir l’établissement effectif de l’autorité des Comité départementaux de la Libération sur tout ce qui aura été créé dans ce domaine par le strict rattachement aux FFI dont l’autorité et la discipline doivent être respectées par tous.

Pour assurer la pleine efficacité des mesures énoncées ci-dessus, le CNR prescrit que l’étatmajor national des Forces françaises de l’Intérieur, tout en préparant minutieusement la coopération avec les Alliés en cas de débarquement, doit :
1°) Donner ordre à toutes les formations des FFI de combattre dès maintenant l’ennemi en harcelant ses troupes, en paralysant ses transports, ses communications et ses productions de guerre, en capturant ses dépôts d’armes et de munitions, afin d’en pourvoir les patriotes encore désarmés ;
2°) Faire distribuer les dépôts d’armes encore inutilisés aux formations jugées par lui les plus aptes à se battre utilement, dès à présent, et dans l’avenir immédiat ;
3°) Organiser de façon rationnelle la lutte suivant un plan établi avec les autorités compétentes à l’échelon régional, départemental ou local, pour obtenir le maximum d’efficacité ;
4°) Coordonner l’action militaire avec l’action de résistance de la masse de la nation en proposant pour but aux organisations régionales paramilitaires d’appuyer et de protéger les manifestations patriotiques, les mouvements revendicatifs des femmes de prisonniers, des paysans et des ouvriers contre la police hitlérienne, d’empêcher les réquisitions de vivres et d’installations industrielles, les rafles organisées contre les réfractaires et les ouvriers en grève et défendre la vie et la liberté de tous les Français contre la barbare oppression de l’occupant provisoire.

Ainsi par l’application des décisions du présent programme d’action commune se fera, dans l’action, l’union étroite de tous les patriotes, sans distinction d’opinions politiques, philosophiques ou religieuses. Ainsi se constituera dans la lutte une armée expérimentée, rompue au combat, dirigée par des cadres éprouvés devant le danger, une armée capable de jouer son rôle lorsque les conditions de l’insurrection nationale seront réalisées, armée qui élargira progressivement ses objectifs et son armement.
Ainsi par l’effort et les sacrifices de tous sera avancée l’heure de la Libération du territoire national ; ainsi la vie de milliers de Français pourra être sauvée et d’immenses richesses pourront être préservées.
Ainsi dans le combat se forgera une France plus pure et plus forte, capable d’entreprendre au lendemain de la Libération la plus grande œuvre de reconstruction et de rénovation de la patrie.

II – Mesures à appliquer dès la libération du territoire
Unis quant au but à atteindre, unis quant aux moyens à mettre en œuvre pour atteindre ce but qui est la libération rapide du territoire, les représentants des mouvements, groupements, partis ou tendances politiques, groupés au sein du CNR, proclament qu’ils sont décidés à rester unis après la Libération :
1°) Afin d’établir le gouvernement provisoire de la République formé par le général de Gaulle pour défendre l’indépendance politique et économique de la nation, rétablir la France dans sa puissance, dans sa grandeur et dans sa mission universelle ;
2°) Afin de veiller au châtiment des traîtres et à l’éviction dans le domaine de l’administration et de la vie professionnelle de tous ceux qui auront pactisé avec l’ennemi ou qui seront associés activement à la politique des gouvernements de collaboration ;
3°) Afin d’exiger la confiscation des biens des traîtres et des trafiquants de marché noir, l’établissement d’un impôt progressif sur les bénéfices de guerre et plus généralement sur les gains réalisés au détriment du peuple et de la nation pendant la période d’occupation, ainsi que la confiscation de tous les biens ennemis y compris les participations acquises depuis l’armistice par le gouvernement de l’Axe et par leurs ressortissants dans les entreprises françaises et coloniales de tout ordre, avec constitution de ces participations en patrimoine national inaliénable ; 4°) Afin d’assurer :
– l’établissement de la démocratie la plus large en rendant la parole au peuple français par le rétablissement du suffrage universel ;
– la pleine liberté de pensée, de conscience et d’expression ;
– la liberté de la presse, son honneur et son indépendance à l’égard de l’Etat, des puissances d’argent et des influences étrangères ;
– la liberté d’association, de réunion et de manifestation ;
– l’inviolabilité du domicile et le secret de la correspondance ;
– le respect de la personne humaine ;
– l’égalité absolue de tous les citoyens devant la loi ; 5°) Afin de promouvoir les réformes indispensables :
Sur le plan économique :
– l’instauration d’une véritable démocratie économique et sociale, impliquant l’éviction des grandes féodalités économiques et financières de la direction de l’économie ; une organisation rationnelle de l’économie assurant la subordination des intérêts particuliers à l’intérêt général et affranchie de la dictature professionnelle instaurée à l’image des Etats fascistes;
– l’intensification de la production nationale selon les lignes d’un plan arrêté par l’Etat après consultation des représentants de tous les éléments de cette production ; le retour à la nation de tous les grands moyens de production monopolisés, fruit du travail commun, des sources d’énergie, des richesses du sous-sol, des compagnies d’assurance et des grandes banques ; le développement et le soutien des coopératives de production, d’achats et de ventes, agricoles et artisanales ;
– le droit d’accès, dans le cadre de l’entre prise, aux fonctions de direction et d’administration, pour les ouvriers possédant les qualifications nécessaires, et la participation des travailleurs à la direction de l’économie.

Sur le plan social :
– le droit au travail et le droit au repos, notamment par le rétablissement et l’amélioration du régime contractuel du travail ;
– un réajustement important des salaires et la garantie d’un niveau de salaire et de traitement qui assure à chaque travailleur et à sa famille la sécurité, la dignité et la possibilité d’une vie pleinement humaine ; la garantie du pouvoir d’achat national par une politique tendant à la stabilité de la monnaie ;
– la reconstitution, dans ses libertés traditionnelles, d’un syndicalisme indépendant, doté de larges pouvoirs dans l’organisation de la vie économique et sociale ; un plan complet de sécurité sociale, visant à assurer à tous les citoyens des moyens d’existence, dans tous les cas où ils sont incapables de se les procurer par le travail, avec gestion appartenant aux représentants des intéressés et de l’Etat ;
– la sécurité de l’emploi, la réglementation des conditions d’embauchage et de licenciement, le rétablissement des délégués d’atelier ;
– l’élévation et la sécurité du niveau de vie des travailleurs de la terre par une politique de prix agricoles rémunérateurs, améliorant et généralisant l’expérience de l’Office du Blé, par une législation sociale accordant aux salariés agricoles les mêmes droits qu’aux salariés de l’industrie, par un système d’assurance contre les calamités agricoles, par l’établissement d’un juste statut du fermage et du métayage, par des facilités d’accession à la propriété pour les jeunes familles paysannes et par la réalisation d’un plan d’équipement rural ;
– une retraite permettant aux vieux travailleurs de finir dignement leurs jours ;
– le dédommagement des sinistrés et des allocations et pensions pour les victimes de la terreur fasciste ;
– une extension des droits politiques, sociaux et économiques des populations indigènes et coloniales.
La possibilité effective pour tous les enfants français de bénéficier de l’instruction et d’accéder à la culture la plus développée quelle que soit la situation de fortune de leurs parents, afin que les fonctions les plus hautes soient réellement accessibles à tous ceux qui auront les capacités requises pour les exercer et que soit ainsi promue une élite véritable, non de naissance mais de mérite, et constamment renouvelée par les apports populaires.
Ainsi sera fondée une République nouvelle qui balaiera le régime de basse réaction instauré par Vichy et rendra aux institutions démocratiques et populaires l’efficacité que leur avaient fait perdre les entreprises de corruption et de trahison qui ont précédé la capitulation. Ainsi sera rendue possible une démocratie qui unisse au contrôle effectif par les élus du peuple la continuité de l’action gouvernementale.
L’union des représentants de la Résistance pour l’action dans le présent et dans l’avenir, dans l’intérêt supérieur de la patrie, doit être pour tous les Français un gage de confiance et un stimulant. Elle doit les inciter à éliminer tout esprit de particularisme, tout ferment de division qui pourrait freiner leur action et ne servir que l’ennemi.
En avant donc, dans l’union de tous les Français rassemblés autour du CFLN et de son président, le général de Gaulle ! En avant pour le combat, en avant pour la victoire, afin que vive la France !

Le Conseil national de la Résistance
comprenant:
Le mouvement de Libération National (combat, Franc-Tireur, Libération, France au Combat, Défense de la France, Lorraine, Résistance);
Le Front National ou Front National de lutte pour la libération et l’indépendance de la France. ( Mouvement de la Résistance Française créer par le Parti communiste « PCF » vers mai 1941);
L’Organisation Civile et Militaire (O.C.M);
Libération Zone Nord;
Ceux de la Résistance;
Ceux de la Libération;
La Confédération Générale du Travail;
La Confédération Française des Travailleurs Chrétiens;

Les partis et tendances politiques suivantes
Parti Communiste;
Parti Socialiste reconstitué;
Parti Républicain-radical et radical-socialiste;
Parti Démocrate Populaire;
Alliance Démocratique;
Fédération Républicaine.

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Les cinquante otages

Les 50 otages, fusillés par les nazis

– Les 48 qui furent fusillés par les Allemands le 22 octobre 1941

  • 27 d’entre eux furent fusillés à Châteaubriant,
  • 16 à Nantes
  • et les 5 autres près de Paris vers 16h au Mont Valérien à Suresnes.

La liste fut établie par le Commandant militaire de la Wehrmacht en France Stülpnagel, avec la complicité active de Pucheu ministre de l’Intérieur, son chargé de mission Chassagne … du gouvernement de Pétain.

Ceux de Châteaubriant fusillés le 22 octobre 1941 à la Sablière:

Charles MICHELS, de Paris, communiste, secrétaire général de la Fédération du Cuirs et peaux, député de Paris, 38 ans

Jean POULMARC’H, d’Ivry-sur-Seine, communiste, secrétaire général du syndicat de la chimie de la région parisienne, 31 ans

Jean Pierre TIMBAUD, de Paris, communiste, secrétaire général de la Fédération de la Métallurgie. 38 ans

Jules VERCRUYSSE, de Paris, communiste, secrétaire général de la Fédération des Textiles. 48 ans

Désiré GRANET, de Vitry-sur-Seine, communiste, secrétaire général de la Fédération des Papiers et cartons. 37 ans

Maurice GARDETTE, de Paris, artisan, conseiller municipal communiste de Paris 11ème, 49 ans

Jean GRANDEL, de Gennevilliers, secrétaire de la Fédération postale CGT, maire communiste de Gennevilliers et conseiller général de la Seine, 50 ans

Jules AUFFRET, de Bondy (Originaire de Trignac-44), adjoint au maire de Bondy, conseiller général communiste de la Seine, 39 ans.

Pierre GUEGUIN, professeur, maire communiste de Concarneau, 45 ans

Raymond LAFORGE, de Montargis, communiste, instituteur, 43 ans

Maximilien BASTARD, de Nantes, communiste, chaudronnier, 21 ans

Julien LE PANSE, de Nantes, communiste, peintre en bâtiment, 34 ans

Emile DAVID, de Nantes, communiste, mécanicien-dentiste. 19 ans

Guy MÔQUET, de Paris, lycéen, fils de Prosper Môquet, député communiste de Paris, 17 ans

Henri POURCHASSE, d’Ivry-sur-Seine, communiste, fonctionnaire, 34 ans

Victor RENELLE, de Paris, syndicaliste, ingénieur, 53 ans

Maurice TENINE, d’Antony, élu municipal communiste, médecin, 34 ans

Henri BARTHELEMY, de Thouars, communiste. 58 ans

Raymond TELLIER, d’Amilly, communiste, imprimeur. 44 ans

Marc BOURHIS, de Trégunc, instituteur. 34 ans

Titus BARTOLI, de Digoin, communiste, instituteur. 58 ans

Eugène KERIVEL, de Basse-Indre, communiste, capitaine côtier. 50 ans

AN HOUYNK-KUONG, de Paris, communiste, professeur. 29 ans

Claude LALET, de Paris, communiste, étudiant. 21 ans

Charles DELAVAQUERIE, de Montreuil, communiste, imprimeur. 19 ans

Antoine PESQUE, d’Aubervilliers, communiste, docteur en médecine. 55 ans

Edmond LEFEBVRE, d’Athis-Mons, communiste, métallurgiste. 38 ans

carrière 2021

Ceux de Nantes fusillés le 22 octobre 1941 au Terrain du Bêle:

Léon JOST, de Nantes, 57 ans. Président des anciens combattants. Groupe des ACVG de L. Inf, organisateur des évasions des camps de prisonniers.

Alexandre FOURNY, de Nantes. 43 ans. Avocat et socialiste. Conseiller Général et Municipal de Nantes. Groupe des anciens combattants.

Maurice ALLANO, de Nantes. , 21 ans, violences contre un soldat allemand.

Paul BIRIEN, de Nantes, 50 ans. Groupe des anciens combattants.

Joseph BLOT, de Nantes, 50 ans. Groupe des anciens combattants.

Auguste BLOUIN, de Nantes, 57 ans. Groupe des anciens combattants.

René CARREL, de Nantes. 25 ans, communiste soupçonné de résistance.

Frédéric CREUSE, de Nantes. 20 ans, soupçonné de résistance.

Michel DABAT, de Nantes. 20 ans, a hissé les couleurs nationales avec Christian de Mondragon, le 11 novembre 1940 sur la cathédrale.

José GIL, de Nantes. 19 ans, communiste soupçonné de résistance.

Jean-Pierre GLOU, de Nantes. 19 ans, soupçonné de résistance.

Jean GROLLEAU, de Nantes. 21 ans, soupçonné de résistance.

Robert GRASSINEAU, de Nantes. 34 ans, communiste soupçonné de résistance.

Léon IGNASIAK, de Saint-Herblain. 48 ans, communiste soupçonné de résistance.

André LE MOAL, de Saint Nazaire. 17 ans, violences contre les soldats allemands.

Jean PLATIAU, non résistant, soupçonné de résistance par « action en faveur de l’ennemi ».

Ceux fusillés le 22 octobre 1941 au Mont Valérien. vers 16 h

Emprisonnés au Fort de Romainville

Hubert CALDECOTT, 28 ans, de Nantes.. Résistant

Marcel HEVIN, 35 ans de Nantes. ( chef du groupe Hévin.)

Philippe LABROUSSE, 32 ans, de Saint-Nazaire. Résistant.

Alain RIBOURDOUILLE, 33ans, de Nantes. ( Originaire de Dinard ) Résistant.

Victor SAUNIER, 27 ans de Nantes. ( Originaire de St Suliac 35) Résistant.