1940, l’année terrible

Depuis l’arrivée d’Hitler à la chancellerie le 30 janvier 1933, la préparation à la guerre est au centre de la politique nazie. Le thème de « l’Allemagne, rempart contre le communisme » rencontre un écho certains au sein des milieux politiques, économiques et financiers occidentaux.
Deux lignes se sont opposées : celle de la sécurité collective, fondée sur la coopération de la Grande-Bretagne, de la France et de l’Union soviétique et celle de « l’apaisement », de concessions visant à négocier avec l’Allemagne nazie un partage des sphères d’influence et à détourner son agressivité vers l’est. C’est la passivité devant l’invasion de la Chine par le Japon, l’abandon de l’Ethiopie, l’annexion de la Sarre, l’abandon de l’Espagne républicaine, l’absence de riposte à l’annexion de l’Autriche, l’accord de Munich scellé aux dépens de la Tchécoslovaquie. Dès septembre 1938, le gouvernement britannique signe avec Hitler un accord de non-agression, imité par le gouvernement français en décembre. Les négociations pour la conclusion d’un pacte tripartite d’assistance mutuelle Grande-Bretagne, France, URSS sont menées mollement. La politique dite « d’apaisement » a fait d’Hitler le maître du jeu en Europe et lui permet d’enfoncer habilement un coin dans la faille existant depuis Munich entre les démocraties occidentales et l’URSS et c’est le 23 août 1939, la signature du pacte de non-agression germano-soviétique.
Sous le prétexte que le PCF se refuse à condamner le pacte de non-agression germano-soviétique, le journal L’Humanité est interdit le 25 août 1939. Son numéro daté du 26, saisi, titrait : « Union de la nation française contre l’agresseur hitlérien. »

La « drôle de guerre »

Le second conflit mondial commence par une « drôle de guerre ». La dislocation du Front populaire et la conjoncture au début de la guerre provoquent interrogations et scepticisme. Les gouvernements britannique puis français notifient l’état de guerre avec l’Allemagne à dater du 3 septembre à 17 heures. Mais c’est la guerre immobile. Au nom de l’effort de guerre, le gouvernement revient sur des conquis du Front populaire, le 25 septembre à l’instigation de Belin, son n°2 – qui deviendra ministre de Pétain -, la CGT entérine l’exclusion des communistes. Le lendemain, le gouvernement interdit le Parti communiste. Pourtant le 2 septembre, les crédits exceptionnels demandés par Daladier pour la Défense, ont été votés par les députés communistes.
Sur le front, R.A.S., l’armée se bat contre le « général Ennui », les soldats « tuent le temps » : belote et rebelote. A l’arrière, les conditions de vie se dégradent. La répression s’abat : le 15 mars 1940, le ministre de l’Intérieur Sarraut annonce fièrement son butin : 2 778 élus déchus de leur mandat, 11 000 perquisitions, 3 400 militants arrêtés, 1 500 condamnés. A quoi il faut ajouter les militants internés par simple mesure administrative des préfets. Pourchassés et diffamés, les communistes tentent de se réorganiser dans la clandestinité. La tâche est ardue. Les contacts rompus par la mobilisation sont difficiles à rétablir, les militants sont dispersés, il faut trouver des planques, restructurer l’organisation. Et le désarroi est réel : incompréhension du pacte germano-soviétique, formidable pression psychologique, poids de la répression etc.

La « débâcle »

10 mai 1940 : déclenchement de l’offensive allemande. 10 juin 1940 : l’Italie entre en guerre. 22 juin 1940 : signature de l’armistice à Rethondes. C’est la guerre éclair, la Blitzkrieg théorisée par les stratèges allemands. Sous un déluge de fer et de feu, la machine de guerre hitlérienne avance. Sur les routes, dans un chaos épouvantable, civils et militaires confondus, près de quatre millions de personnes sont en détresse. Des combats de retardement, des actes d’héroïsme ne parviennent pas à endiguer le raz-de-marée. Certains dirigeants s’adressent aux pays neutres, on songe même à appeler l’URSS à l’aide (1), on tente de jouer la carte américaine. Trop tard puisqu’ on annonce déjà la demande d’armistice. Le président du Conseil Paul Reynaud démissionne le 16 juin au soir. Pétain le remplace et demande aux Français le 17 juin de « cesser le combat ».L’armistice est signé le 22 juin à Rethondes. Il ne s’agit pas d’un simple arrêt des hostilités, mais également de l’occupation des trois cinquièmes de la France, de la détention en Allemagne des prisonniers de guerre, de la livraison d’armes et d’installations militaires, du désarmement de la flotte, du concours de l’administration française. Le gouvernement Pétain émigre à Vichy. Le 10 juillet 1940, dans le casino de Vichy, l’Assemblée nationale, qui rassemble députés et sénateurs) confère tous les pouvoirs à Pétain. 649 votants, 20 abstentions, pour 569, contre : 80 (surtout d’anciens élus du Front populaire dont Blum).Les quatre élus socialistes de Loire-Inférieure, le député-maire de Nantes, Auguste Pageot, le député-maire de Saint-Nazaire, François Blancho, ainsi que Maurice Thiéfaine et Eugène Leroux ont voté pour. « Tous les partis ont leurs renégats et leurs traîtres » commente amèrement V. Auriol (2)
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L’été 1940

La chute de la France constitue une étape cruciale dans la construction de l’Europe hitlérienne. Un grand pays a été anéanti en quelques semaines. Le pillage de la France va permettre de relever le niveau de vie des Allemands. Il s’agit d’« utiliser au maximum les ressources du pays pour les besoins de la Wehrmacht et de l’économie de guerre allemande ». (3) Tous les pays, jusqu’aux frontières soviétiques, sont des Etats alliés ou soumis. L’Allemagne nazie peut préparer la dernière étape de sa guerre : l’attaque de l’URSS et le plan Barbarossa est mis au point en décembre 1940.
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Eté 1940 : tous les cadres habituels volent en éclats. La France est débitée en six morceaux (4): la partie la plus riche est sous occupation allemande. La République est morte. Les partis politiques se sont volatilisés. La presse qui tire à 11 millions d’exemplaires change de contenu. L’économie est en berne. Le cadre familial est ébranlé, fragilisé sur les routes de l’exode, des millions de réfugiés, logés chez l’habitant ou dans des camps ont abandonné leurs foyers. Des enfants sont perdus en route. On est sans nouvelles des prisonniers de guerre. La France vit à l’heure allemande. Le ravitaillement est difficile, les prix flambent, le marché noir s’installe. Des bâtiments sont réquisitionnés par l’occupant, des restaurants, des cinémas leur sont réservés, les panneaux de signalisation s’écrivent en caractères gothiques, les Français apprennent vite le mot-clé : « verboten », interdit. Les Allemands entrent à Nantes le 19 juin puis se dirigent vers Saint-Nazaire.
Pour autant, l’occupant affecte de se tenir à l’écart des affaires du pays. C’est le rôle de Vichy, dont le gouvernement est légal, et a autorité sur l’ensemble du territoire, zone occupée comprise. Vichy s’empresse de construire « l’ordre nouveau » avec « l’homme providentiel » Pétain. L’équipe qui l’entoure consacre le triomphe des droites rassemblées : droite classique, droite « cléricale », fascistes, quelques hommes de gauche et des syndicalistes anticommunistes. A cela s’ajoutent deux nouveautés : la présence envahissante des militaires vaincus de Weygand à Darlan et celle, non moins envahissante, des technocrates qui ont fait carrière dans la haute administration et la gestion des grandes affaires.
Pétain bouclier ? Beaucoup de Français le croient capable d’amorcer le processus de paix, faire revenir les prisonniers, permettre de retrouver une vie plus normale.

La révolution nationale.

Dès le 8 juillet, avant même le vote des pleins pouvoirs, l’objectif est clairement défini : refonte complète du régime, liquidation des acquis démocratiques – en particulier ceux du Front populaire et insertion dans l’Europe dominée par l’Allemagne hitlérienne. Les illusions et le désarroi dans la population, l’impossibilité légale d’expression de la moindre contestation rendent l’opération facile.
« Nous, Maréchal de France, Chef de l’Etat français… » Cette formule régalienne consacre la dictature personnelle de Pétain, consacrée par les trois Actes constitutionnels du 11 juillet 1940, qui lui donnent des pouvoirs illimités. Seule la déclaration de guerre suppose l’accord des assemblées législatives, lesquelles sont ajournées jusqu’à nouvel ordre et ne seront jamais convoquées. La République est abolie et avec elle le suffrage universel. Le préfet devient le personnage central dans le département, consacré par la loi du 23 décembre 1940 comme seul représentant de l’Etat. La docilité à l’égard du nouveau régime est de mise : de juillet à décembre 1940, 85 préfets sur 93 sont remplacés (démission, retraite ou pour 40 d’entre eux exclusion). Les conseils d’arrondissements et conseils généraux sont supprimés en octobre 1940. Les maires et conseils municipaux sont remplacés par une délégation spéciale (il s’agit à Nantes d’E. Prieur, puis G. Rondeau et H. Orrion). Ainsi s’établit une pyramide de relations d’obéissance. Le 19 avril 1941, sont créés les préfets régionaux, sorte de gouverneurs provinciaux.
Un nouvel ordre économique et social ? Le 16 août 1940 sont institués les Comités d’organisation qui réorganisent l’économie dans une optique corporatiste. Créés par branche d’activité, ils ont des pouvoirs considérables. Souvent les dirigeants des grands groupes capitalistes président ces Comités. La politique sociale suit la même logique. Le droit de grève est supprimé. Le 9 novembre, un décret dissout la CGT et la CFTC à l’échelon confédéral. Seuls subsistent les syndicats locaux, les unions locales et départementales à condition que la référence à la lutte des classes ait disparu de leurs statuts. Le syndicat patronal CGPF est également interdit, mais le grand patronat s’est investi dans les Comités d’organisation. En octobre, Belin, l’ex-numéro deux de la CGT, converti en Ministre du Travail ébauche une nouvelle organisation des salariés, mais la Charte du travail ne verra le jour qu’un an plus tard, en octobre 1941.Celle-ci réalise l’intégration du syndicalisme à l’Etat, en excluant toute activité revendicative. Les comités sociaux, d’établissement, locaux, régionaux, nationaux structurent la collaboration de classe. A côté, les bonnes œuvres fleurissent.
L’Etat français se veut aussi national. L’épuration politique, sous la houlette du ministre de l’Intérieur, Marcel Peyrouton, frappe les opposants. L’arrestation ou la mise en résidence surveillée sur ordre du préfet est instituée le 3 septembre 1940. La répression frappe d’abord les militants et élus communistes (5). L’épuration administrative suit : fin 1940, 2 282 révocations de fonctionnaires ont paru au Journal officiel. Les auteurs de propos « défaitistes » ou les auditeurs de la BBC en langue française sont punissables. Mais l’anti-France, ce sont aussi les « indésirables » en tout genre : immigrés, naturalisés de fraîche date, juifs, tsiganes. L’exclusion de la Fonction publique et des professions libérales est décidée le 17 juillet 1940. Cette mesure frappe, par exemple, le docteur Maurice Ténine, Français par naturalisation de son père, interné à Châteaubriant et fusillé le 22 octobre 1941.(6) Le 3 octobre, un statut des juifs est promulgué.
L’Etat français a besoin de relais. Il les cherche d’abord vers ceux qui peuvent être les plus perméables aux slogans d’autorité, d’ordre : les anciens combattants, la paysannerie. La Légion française des combattants, « les yeux et les bras du Maréchal », est créée le 29 août 1940. Ils se feront les auxiliaires des autorités pour traquer et dénoncer les francs-maçons, les communistes, les juifs et les gaullistes (7).
L’attachement à la terre est l’un des tout premiers thèmes de la rhétorique pétainiste : « La terre, elle, ne ment pas. » Une organisation corporative de l’agriculture est promulguée le 2 décembre 1940, instituant « ce qu’on attendait depuis un demi-siècle dans le grand capital agrarien, un mécanisme officiel permettant aux producteurs de faire la loi sur un marché organisé », (8) plaçant la masse de la paysannerie sous la coupe des agrariens et des hobereaux.
Le remodelage de la France suppose la prise en main de l’éducation de la jeunesse. Dès août 1940, des écoles de cadres sont mises en route. Il s’agit d’abord de rassembler les dizaines de milliers de jeunes recrues dispersées par la débâcle. Ces groupements deviendront les Chantiers de jeunesse à partir du 10 juillet 1941. Ils reçoivent pour huit mois les jeunes de 20 ans. Mais prendre en main les jeunes à vingt ans ne suffit pas. Il faut les façonner dès leur passage à l’école. Une quantité impressionnante de mesures sont prises pour réformer les contenus. A cette vague obscurantiste s’ajoute une épuration dans le milieu enseignant. Enfin, une nouvelle organisation est créée pour accueillir les « inorganisés » : les Compagnons de France.
La mise en condition s’accompagne, au niveau des signes, de l’abandon de la devise républicaine, la relégation de Marianne, l’adoption de la francisque. L’Etat français contrôle tous les moyens d’information : agence de presse, journaux, à l’exemple à Nantes du Phare de la Loire (9), Radio-Vichy. La censure règne. Ainsi se met en place une énorme machine à décerveler.

La collaboration

Dans son discours du 11 juillet 1940, Pétain développe le thème de la collaboration de la France « avec tous ses voisins ». Hitler avait fait le choix, avant l’armistice de maintenir un gouvernement français légal. Le gouvernement de Vichy n’existe et ne légifère qu’autant que les nazis y trouvent leur compte. La collaboration est d’abord économique. Elle est utile pour mieux piller les ressources françaises et il existe plusieurs canaux pour cela : la prise de guerre, la réquisition, les transactions commerciales, les bureaux d’achat. A l’autre bout de la chaîne, les profiteurs français. L’ambassadeur américain W. Bullitt, câble à Roosevelt, le 1er juillet, que l’espoir du gouvernement Pétain « est que la France soit une province favorite de l’Allemagne ». (10)
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La collaboration est aussi politique. Elle est lancée le 24 octobre, quand Pétain et Laval rencontrent Hitler et Ribbentrop à Montoire (ci-dessus) où Hitler ne concède rien, mais la célèbre poignée de main est utilisée par la propagande nazie pour montrer que la France change de camp. Et Pétain de confirmer le 30 octobre : « …j’entre aujourd’hui dans la voie de la collaboration. » L’Eglise catholique constitue tout de suite l’un des piliers du régime. L’Assemblée des archevêques et cardinaux rappelle le 24 juillet 1941 « son loyalisme sincère et complet envers le pouvoir établi ».
La France est-elle pétainiste ? Pour les Français, ce qui a changé, c’est l’apparition de difficultés matérielles sans précédent. Deux cent soixante-dix mille immeubles sont sinistrés, le réseau ferré, celui des PTT ont souffert. Tout un peuple est plongé dans la pénurie. Des produits de première nécessité disparaissent. En juillet des cartes de rationnement sont instaurées. Il n’est aucune catégorie sociale appartenant aux couches travailleuses qui n’ait pas des doléances à formuler. Ainsi dès la fin de l’année 1940, le consensus apparaît fragile ; dans l’hiver 1940-1941, si des illusions persistent, des lézardes apparaissent et le Maréchal s’inquiétera quelques mois plus tard du « vent mauvais » qui commence à se lever.
Sources
Roger Bourderon & Germaine Willard, 1940. De la défaite à la Résistance, Messidor, 1990
Marc Ferro, Pétain, Fayard, 2014
Alain Guérin, La Résistance, Livre Club Diderot, 1973, réédité Omnibus
Eric J. Hobsbawm, L’Age des extrêmes. Histoire du court XXeme siècle, Editions complexe, 1994
Annie Lacroix-Riz, De Munich à Vichy, A. Coli, 2008
Le choix de la défaite, A. Colin, 2009
Les élites françaises 1940-1944, A. Colin, 2016
Robert O. Paxton, La France de Vichy 1940 -1944, Le Seuil, 1973

Notes
1 – Pierre Cot, Les Lettres Françaises, 15-21 décembre 1966
2 – Vincent Auriol, Hier et demain, Charlot, 1945
3 – E. Jäckel, La France dans l’Europe d’Hitler, Fayard, 1968
4 – zone nord, zone sud, zone d’occupation italienne, dans le Nord et le Pas-de-Calais, zone rattachée au commandement de Bruxelles, zone réservée à l’Est, et Alsace-Lorraine annexée au Reich.
5 – Henri Michel, Vichy, année 1940, R.Laffont, 1966
6 – Ledigarcher & Richardeau , Immortels ! BD publiée par le Comité du Souvenir 44
7 – Henri Amouroux, Quarante millions de pétainistes, juin 1940-Juin 1941, R. Laffont, 1977
8 – R.O. Paxton, La France de Vichy 1940-1944, Le Seuil, 1973
9 – J.C. Cozic et D. Garnier, La Presse à Nantes, L’Atalante, 2008
10 – H. Michel, Vichy, année 1940, op.cit.

1940, de la résistance à la Résistance

Le général de Gaulle s’envole vers Londres le 17 juin à 9 heures du matin dès la constitution du gouvernement Pétain. Le 18 juin à 20 h 30, Churchill lui tend le micro de la BBC : « Moi, général de Gaulle… ». Il appelle les militaires stationnés en Grande-Bretagne ou dans l’Empire à se rallier à lui. Le PCF s’adresse aux couches populaires qu’il veut mettre en mouvement. La veille de l’appel de Londres, le 17 juin, Charles Tillon depuis Bordeaux a publié un appel à combattre le fascisme qu’il signe « Parti communiste Français (SFIC) ». Au lendemain de l’entrée des Allemands dans Paris, des élus communistes réapparaissent au grand jour, et semblent chercher à s’installer dans une semi-légalité. L’objectif est de renouer des contacts avec la population. La police française sévit. Et certains se retrouveront internés administratifs à Châteaubriant ou dans d’autres camps ou prisons. L’occupant, qui considère le PCF comme un danger majeur, exerce une surveillance étroite. L’appel dit du « 10 juillet », signé Jacques Duclos et Maurice Thorez, répond à un besoin urgent – combattre l’émiettement, éclairer les militants et la population sur la conjoncture nouvelle. La clé de l’appel est la volonté d’indépendance nationale, et pour atteindre cet objectif, le rassemblement du peuple autour de la classe ouvrière : « Jamais un grand peuple comme le nôtre ne sera un peuple d’esclaves. » Reproduit parfois par bribes, recopié à la main, il est distribué dans tout le pays, à partir de la deuxième quinzaine de juillet.

L’action des anciens combattants nantais
Le 19 juin, Nantes, déclarée ville ouverte par les autorités locales, tombe aux mains des Allemands. L’une de leurs priorités est de regrouper les nombreux soldats français, britanniques et belges présents en ville et aux alentours. Le 19 au soir, ils sont déjà 2 500 dans les casernes Cambronne et Richemont. Pourvoir au ravitaillement n’est pas le souci des nouveaux maîtres. Le 28 juin, Paul Birien vient se rendre compte de la situation. Il est atterré et alerte immédiatement le président du Comité d’entente des anciens combattants, Léon Jost, qui a déjà l’expérience de l’accueil des nombreux réfugiés arrivés à Nantes. Le bureau du Comité réuni le 30 juin apprend par Alexandre Fourny que plus de 35 000 prisonniers sont entassés dans plusieurs camps à Châteaubriant, dans le dénuement le plus complet. Le Comité décide d’agir et crée un Comité d’entraide reconnu par les autorités.
Sous couvert de ce Comité d’entraide, dans l’ombre se développe à partir d’août 1940, un réseau d’évasion dirigé par Auguste Bouvron qui fournit faux papiers, cartes de rationnement, un peu d’argent et des vêtements civils. Un réseau de passeurs se met en place avec des cheminots, le socialiste Marin Poirier à Nantes, le communiste Jean Le Gouhir à Châteaubriant. Au total, 2 248 prisonniers de guerre français ont profité de cette filière.(3)Mais les Allemands veillent et portent le coup fatal, le 15 janvier 1941, faisant irruption au siège de la rue Saint-Léonard. Arrestations, interrogatoires, procès, condamnations, prison. Marin Poirier, condamné à mort sera le premier fusillé nantais le 30 août 1941. Lorsque Hitler donne l’ordre de fusiller des otages, après que trois résistants communistes ont abattu le Feldkommandant Hotz en octobre, cinq anciens combattants seront désignés et fusillés au Bêle le 22 octobre 1941.
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« Le point de départ du recrutement pour la résistance a été souvent la rencontre de quelques vieux amis qui ont décidé de se revoir désormais régulièrement pour « faire quelque chose ».(4)C’est le cas du groupe Bocq-Adam qui se créé à l’initiative du garagiste Henri Adam et d’un lieutenant démobilisé, Paul Bocq. Roger Astic les rejoint. Ils ne se contentent pas de faire du renseignement, ils mènent aussi des actions de sabotage : incendie de camions, lancer de grenades au Foyer du soldat allemand.

Le 11 novembre 1940
Le 11 novembre 1940 marque une étape. Vichy et l’occupant ont vite tenté de mettre au pas l’Université. Les réactions sont immédiates : papillons, tracts glissés dans les livres des bibliothèques, lancers de tracts par les étudiants communistes – que dirige alors Claude Lalet, qui sera interné et fusillé à Châteaubriant – dans les amphis de la Sorbonne.(5) Pierre Villon lance L’Université Libre. Le 8 novembre, une petite manifestation se déroule dans un quartier Latin en état de siège, pour la libération du professeur Paul Langevin, grand savant et porte-drapeau du combat antifasciste, qui vient d’être arrêté. C’est la première manifestation publique de la Résistance. La deuxième a lieu trois jours après, le 11 novembre. Par petits groupes, étudiants et lycéens montent vers l’Etoile. Combien ? De trois à dix mille, en chantant La Marseillaise ou en scandant des slogans. La répression est sévère. Les blessés sont nombreux.
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A Nantes aussi, des jeunes expriment leur refus de la défaite. Un étudiant, Michel Dabat, 19 ans, et un jeune lycéen, Christian de Mondragon, 16 ans, s’illustrent dans la nuit du 10 au 11novembre. Leur but : hisser le drapeau tricolore sur une tour de la cathédrale. L’opération soigneusement préparée est une réussite : le 11 au matin, les passants et les fidèles qui viennent à la messe découvrent l’exploit et savourent le spectacle en attendant les pompiers et leur grande échelle. (5)
Bravant l’interdiction, un groupe d’élèves du Lycée Clemenceau a appelé à ne pas se rendre en cours ce lundi 11 novembre. Plusieurs dizaines se rassemblent au Jardin des plantes, puis déposent une gerbe au pied du Monument aux morts dans la cour d’honneur du lycée, avant de se diriger vers le Monument aux morts de 14 -18 puis de défiler en ville.

Cette première manifestation publique à Nantes a encouragé certains jeunes à préparer la suite. Un petit groupe se rend chez l’un d’eux à la Morrhonnière où ils sont présentés à Marcel Hévin. Le groupe Hévin aide des personnes à se rendre en Angleterre, collecte des renseignements transmis à Londres. En lien avec le groupe Bocq-Adam, ils rédigent et diffusent, à partir de novembre 1940, un bulletin clandestin En Captivité, créé par des étudiants catholiques de gauche parmi lesquels Frédéric Creusé, Jean Grolleau et Jean-Pierre Glou.

Elargir le cercle de proche en proche prend du temps, mais aboutit à la constitution de petits groupes locaux plus ou moins en relation entre eux, ce qui comporte des risques, notamment d’infiltrations policières. Ainsi le groupe Hévin est en relation avec Henry Vandernotte et Hubert Caldecott pour l’évasion de soldats anglais, mais également avec le réseau Nemrod créé par Honoré d’Estienne d’Orves et animé de Chantenay par André Clément. Trahi par son radio A.Gaessler, d’Estienne d’Orves et les membres du réseau sont arrêtés. D’Estienne d’Orves et deux autres membres seront fusillés le 29 août 1941 au Mont Valérien. Le démantèlement du réseau Nemrod est une catastrophe : les Allemands remontent la filière. Marcel Hévin est arrêté le 25 avril 1941, puis Michel Dabat, Frédéric Creusé, Christian de Mondragon et son amie Suzanne Le Lostec. Bientôt c’est le tour de Philippe Labrousse, de Max Veper et enfin de Jean Grolleau, Jean-Pierre Glou et son père. La plupart seront au nombre des otages fusillés le 22 octobre 1941 à Nantes, au champ de tir du Bêle ou au Mont Valérien près de Paris.
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Les communistes s’organisent
Seule organisation cherchant à entraîner dans l’action résistante de larges masses, le PCF se reconstruit clandestinement à partir de l’été 1940. Certes, la substance du Parti est réduite: ils sont nombreux à être emprisonnés, internés, prisonniers de guerre, adhérents dispersés, découragés, hésitants, en butte à la répression. Durant l’été 1940, un autre groupe de résistance s’organise en Loire-Inférieure à l’initiative du Parti communiste. Many Ballanger, professeure à l’annexe du lycée Guist’hau, route de Rennes(6)rassemble quelques militants dont François Juvin qui héberge Marcel Paul. Un groupe de 8 à 9 personnes se réunit début juillet chez Henri Gomichon au Petit Chantilly. Léoncie Kérivel est présente et fait le lien avec un autre groupe qui se retrouve à St Jean-de-Boiseau. Les nazairiens se regroupent également. Décision est prise au Petit Chantilly, d’éditer un tract « pour donner confiance à la population » dit Marcel Paul. Tiré à 2 000 exemplaires par Léon Coiffé aux stencils et M. Aubert à la ronéo, il est diffusé à la sortie des usines nantaises, puis dans celles de la Basse-Loire. D’autres tracts sont tapés chez Marie Michel à Rezé et vers le 15 août, l’Appel du 10 juillet signé J. Duclos et M. Thorez est distribué à Nantes, Couëron, Saint-Nazaire et Châteaubriant. Marcel Paul est nommé par la direction clandestine du PCF délégué pour dix départements de l’Ouest. Many Ballanger et Claude Millot assurent la direction régionale jusqu’au retour de Robert Ballanger à l’automne 1940. Marcel Paul met en place un réseau d’évasion de prisonniers de guerre de Châteaubriant et entreprend des opérations de récupérations d’armes (une soixantaine de fusils, trois mitrailleuses, des grenades) abandonnées lors de la débâcle et des explosifs. Pourles réparer, un groupe d’armuriers fonctionne avec Pierre Gaudin, Albert Brégeon et surtout Henri Adam (homonyme du garagiste du groupe Bocq-Adam). Mais la police française veille. Marcel Paul est repéré et la direction l’appelle pour diriger l’OS pour la région parisienne. Il est remplacé par Robert Ballanger pour tout l’Ouest et Venise Gosnat, maire-adjoint d’Ivry arrive en renfort.
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Vichy assure avec zèle, en matière de répression, la continuité des derniers gouvernements de la IIIe République. L’occupant fait semblant de ne pas intervenir directement; en fait il n’est jamais loin. Ainsi, Berlin donne le feu vert à la rafle du 5 octobre contre des dizaines de dirigeants (élus, responsables syndicaux, cadres) qui seront internés dans des centrales ou des camps comme celui de Choisel à Châteaubriant, les Charles Michels, Jules Auffret, Jean-Pierre Timbaud, Fernand Grenier etc.). La Gestapo transmet à Berlin un rapport hebdomadaire de la répression anticommuniste. Celui du 16 juin 1941 fait état pour la seule région parisienne de 2 325 communistes emprisonnés ou internés. (7)La propagande communiste s’est développée, les communistes animent des comités populaires dans les entreprises ou les localités. Des débrayages, parfois des grèves, des rassemblements de femmes contre les difficultés de ravitaillement se multiplient dans la région parisienne et dans le nord. L’occupant met aussi des sabotages au compte des groupes armés communistes, l’Organisation spéciale (l’OS). Le Parti communiste renforce ses liens avec les milieux universitaires. Il chemine ainsi vers l’initiative qu’il prend au début de 1941, concrétisée le 15 mai par un appel à « former un Front national de lutte pour l’indépendance de la France », dont seuls sont exclus « les capitulards et les traîtres ».

Faire quelque chose
Certaines rencontres ont pour points d’appui des organisations existantes ou dissoutes. Quelques socialistes désemparés après le vote des pleins pouvoirs à Pétain se retrouvent. Des chrétiens se regroupent. A Paris, des savants du Musée de l’Homme fondent un groupe très actif. Pour ces pionniers, agir c’est se faire entendre, éclairer leur entourage, dissiper les mensonges, contrer la désinformation « les bobards ». La première arme : les mots. Des textes clandestins, des inscriptions à la craie sur les murs, des papillons aux tracts manuscrits recopiés à la main et diffusés par le système de la « boule de neige» ou, plus tard, ronéotypés, bulletins et journaux imprimés. Certains disparaissent, d’autres subsistent. Le tirage peut être très variable, le premier numéro de Libération, le 1erdécembre 1940 sort à sept exemplaires seulement. Chaque collectif met l’accent sur ce qui lui semble essentiel. Ces publications reflètent donc la diversité des motivations et des modalités d’action. L’antivichysme n’est pas unanime : Pantagruel évoque dans son numéro 2 « l’honnête Maréchal Pétain », Liberté créé par des juristes démocrates-chrétiens, vante dans son numéro 1, daté du 25 novembre 1940 « la grande œuvre de rénovation nationale à laquelle le Maréchal nous convie ». (8)Certains, comme H. Frenay, rêvent de faire coopérer Pétain, le bouclier et de Gaulle, l’épée dont les rôles seraient complémentaires.

Ainsi commence à se former une nébuleuse fragile, éclatée mais prometteuse qu’occupant et vichystes baptisent alors « gaulliste ». Ce terme est-il justifié ? Ces premiers groupes se constituent spontanément, sans connexion avec la France libre. En outre les objectifs sont différents. Pour de Gaulle, il s’agit de créer à l’extérieur une nouvelle armée française, pour les civils qui créent ces groupes, la préoccupation est d’agir en France pour rompre avec l’esprit de servitude. Mais l’existence de la France libre et sa présence à travers la BBC donnent de l’espoir.
Affrontant « l’universel abandon » (9), De Gaulle met en place des structures administratives et militaires. Pour que la légitimité et l’autorité de la France libre s’impose aux Alliés, il faut qu’elle obtienne l’adhésion de ceux qui continuent le combat sur le territoire national.
Mais l’action résistante la plus éclatante se déroule à la fin de cette première année d’occupation : la grève des mineurs du Nord et Pas-de-Calais. Une femme, Martha Desrumeaux s’y distingue. L’action débute le lundi 26 mai et se prolonge jusqu’au 9 juin, lorsque les revendications sont satisfaites. La collusion du patronat, de Vichy et de l’occupant a été démontrée. Autre démonstration : la grève est aussi un acte de résistance.
La première année de l’occupation a été celle de la gestation de la résistance. La répression dont ils ont été victimes souligne le courage et l’efficacité de ces pionniers.

Sources
D. Amouroux, A. Croix, T. Guidet, D. Guivarc’h (dir), Dictionnaire de Nantes, PUR, 2001
Dominique Bloyet et Etienne Gasche, Nantes les 50 Otages, Editions CMD, 1999
Roger Bourderon& Germaine Willard, 1940, de la défaite à la Résistance, Messidor,1990
Robert Gildéa, Comment sont-ils devenus résistants ? Les arènes, 2017
Alain Guérin, Chronique de la Résistance, réédition Omnibus, 2010
François Marcot(dir), Dictionnaire historique de la Résistance,R. Laffont, 2006
Sébastien Albertelli, Julien Blanc, Laurent Douzou, La lutte clandestine en France, Seuil, 2019

Notes
1 – voir l’article 1940, l’année terrible
2 – Conseils à l’occupé reproduits par Henri Noguères, Histoire de la Résistance en France, R. Laffont,1967
3 – D. Bloyet et E.Gasche,Nantes. Les 50 otages, Editions CMD, 1999
4 – Germaine Tillion, Première Résistance en zone occupée RHDGM n° 30, avril 1958
5 – Ledigarcher & Richardeau, BD Immortels ! Comité du souvenir
6 – aujourd’hui collège Hector Berlioz
7 – Bourderon, Détruire le PCF, Messidor, 1988
8 – de Menthon, Teitgen, Capitant, Coste-Floret qui deviendront ministres sous la IVe et même Ve Républiques
9 – C.de Gaulle, Mémoires de guerre,Plon, 1954

Le vent de l’Histoire a tourné à l’Est *

La célèbre photo du drapeau rouge flottant sur le Reichstag a beau figurer dans presque tous les manuels scolaires, si vous demandez en 2020 à un jeune Français quelle est selon lui la nation qui a le plus contribué à la défaite de l’Allemagne durant la Deuxième Guerre mondiale, il répondra mécaniquement les Etats-Unis. Le débarquement de Normandie, les médias et les programmes scolaires y sont sans doute pour beaucoup. Reste une grande oubliée (1): l’ex-Union Soviétique. Un sondage de l’IFOP en 2015 indique que 54 % des personnes interrogées pensent que ce sont les Etats-Unis qui ont vaincu Hitler. Or l’IFOP avait déjà réalisé un sondage fin 1945 et le résultat était tout autre: 57 % des sondés répondaient que l’action de l’URSS avait été décisive dans la défaite nazie, contre 20 % pour les Etats-Unis. Et lorsqu’on interroge les Allemands d’aujourd’hui, une écrasante majorité reconnaît que le tournant de la guerre date de la défaite de Stalingrad le 2 février 1943, et pas du 6 juin 1944. Mais la capitulation l’armée de von Paulus n’est pas le premier tournant militaire décisif.

Les faits historiques demeurent des faits.

Examinons-les et voyons comment la guerre a basculé vers la défaite inéluctable de l’Allemagne nazie.
Durant l’été 1940, après la défaite de la France, l’Allemagne semble invincible et prédestinée à dominer durablement le continent européen. Entre 1940 et 1944, le vent a donc tourné. Mais quand, et où ? En Normandie, le 6 juin 1944 selon les uns, à Stalingrad le 3 février 1943 selon d’autres. L’historien Jacques R. Pauwels considère que le tournant s’est produit en décembre 1941, dans la plaine de Moscou.

L’opération Barbarossa

Privée des matières premières nécessaires pour gagner une guerre moderne (pétrole, caoutchouc etc.), l’Allemagne ne peut gagner une longue guerre. Elle doit s’assurer une victoire rapide, d’où le concept de Blitzkrieg, la « guerre éclair ». L’écrasement en quelques semaines des défenses polonaises, hollandaises, belges et françaises ont semblé valider le concept: les « guerres éclair » étaient suivies de « victoires éclair ».
Hitler et ses généraux pensent que la Blitzkrieg qu’ils s’apprêtent à déclencher contre l’Union soviétique connaîtra la même réussite que les premières contre la Pologne et la France. Ils considèrent que l’URSS est  » un géant aux pieds d’argile ». L’attaque allemande débute le 22 juin 1941 à l’aube. Trois millions de soldats allemands et près de 700 000 alliés traversent la frontière avec 600 000 véhicules motorisés, 3 648 chars, 2 700 avions et 7 000 pièces d’artillerie. L’invasion de l’Union soviétique en juin 1941 surprend néanmoins Staline, qui ne l’attendait pas aussi tôt, n’imaginant pas que Hitler s’engagerait dans une guerre sur deux fronts (2) . Dès avant 1939, la préparation de la guerre est à l’ordre du jour(3): révision du plan quinquennal, fabrication en série d’avions et de chars, mobilisation de la main d’œuvre, création de nouveaux centres industriels et transfert d’usines au-delà de l’Oural etc. Des faiblesses subsistent: l’industrie soviétique est jeune, l’armée n’a aucune expérience de la guerre moderne et est affaiblie par les purges de 1937-1938. Les succès hitlériens sont d’emblée foudroyants. Des trous énormes sont creusés dans la défense soviétique, des gains territoriaux sont réalisés, et des centaines de soldats soviétiques sont tués, blessés ou capturés. Tout fonctionne donc comme prévu et la route de Moscou semble grande ouverte. Il apparaît très vite que ce ne sera pas la promenade de santé escomptée. Confrontée à la plus puissante armée au monde, l’Armée rouge subit de sérieux revers, mais ce n’est pas l’effondrement. Et, comme le confie Goebbels (4) à son journal dès le 2 juillet, elle a riposté vigoureusement en maintes occasions. Le général Halder, l’un des concepteurs de l’opération Barbarossa, fait savoir que la résistance russe est acharnée et entraîne de lourdes pertes allemandes. On observe également que l’Armée rouge est mieux équipée que ce qu’on croyait: en quantité mais également en qualité, tel le lance-roquettes Katioucha (surnommé orgues de Staline) et le char T-34 dont les services secrets n’avaient pas détecté l’existence. Plusieurs dignitaires de la Wehrmacht commence à percevoir que la guerre commence à perdre ses caractéristiques de « guerre éclair ». Hitler fixe à ses troupes l’objectif d’atteindre la Volga en octobre et de s’emparer des gisements pétroliers du Caucase.

La Bataille de Moscou, première défaite terrestre nazie

Le 3 juillet 1941, dans un discours radiodiffusé, Staline appelle le peuple russe à s’unir dans la « Grande guerre patriotique » et à se lever contre l’envahisseur comme il l’avait fait en 1812 face aux troupes napoléoniennes. Le lendemain même de l’attaque allemande, le premier détachement de partisans, le Starosyelski, se forme le 23 juin 1941. La guerre des partisans, et des partisanes est généralisée le 29 juillet. L’objectif de cette guérilla est de désorganiser les arrières du front allemand, de perturber la logistique de la Wehrmacht et notamment les communications routières et ferroviaires. partisanes.jpgPartisanes
L’incorporation dans l’Armée rouge d’unités de réserve venues en renfort d’Extrême-Orient, les difficultés de ravitaillement en vivres et matériels, en raison du harcèlement des partisans changent la donne, d’autant que la Luftwaffe n’a plus la suprématie des airs. Dans un discours au Palais des sports de Berlin, le 3 octobre, le Führer déclare que la guerre à l’Est est virtuellement terminée, le lancement de l’opération Typhon visant à s’emparer de Moscou. En septembre, la prise de Kiev redonne de l’espoir et la Wehrmacht poursuit sa progression, les premières unités sont à 30 kilomètres de Moscou, épuisées et à court d’approvisionnement. Le 5 décembre, à 3 heures du matin, l’Armée rouge lance une contre-offensive minutieusement préparée, les lignes allemandes sont enfoncées, les troupes repoussées avec de lourdes pertes. Le 8 décembre, Hitler ordonne le repli. Ainsi la « guerre éclair » est terminée!  » L’Allemagne nazie avait subi la défaite qui rendait toute victoire impossible, non seulement contre l’Union soviétique, mais aussi la victoire de la guerre en général… On peut donc affirmer que le cours de la Seconde Guerre mondiale a tourné le 5 décembre 1941″ (5). » Dès lors que la bataille de Russie n’avait pas été réglée dans les trois mois, comme l’avait espéré Hitler, l’Allemagne était perdue, car elle n’avait ni le matériel, ni les moyens de mener une guerre longue. » (2) Rappelons que les Etats-Unis ne sont pas encore entrés en guerre .
Ce tournant n’est pas perceptible aux yeux de tous les Allemands. Hitler explique ce revers par l’arrivée inattendue (en décembre !) du « général Hiver »(6). Ce n’est qu’une bonne année plus tard, après la défaite catastrophique de Stalingrad, au cours de l’hiver 1942-1943 que le public allemand et le monde entier comprennent que l’Allemagne perdra la guerre.

Stalingrad, le renversement de la situation militaire

L’année 1942 est une année noire. Cependant la transformation de la « guerre éclair » en guerre totale contre trois grandes puissances, dont la mobilisation coordonnée de leurs force commence à peine, rend possible une évolution différente du conflit. L’URSS est admise dans la Grande alliance. L’été 1942 apparaît comme la « bissectrice » de la guerre.stalingrad.jpgLe centre de Stalingrad, le 2 février 1943, jour de la défaite de la Wehrmacht
A l’automne 1942, se produit le tournant stratégique de la guerre. Les Alliés prennent alors l’offensive qu’ils garderont pour l’essentiel jusqu’à la fin de la guerre. Stoppée aux portes de Moscou en décembre 1941, la Wehrmacht rassemble toutes ses forces pour une opération dont le nom de code est « Opération Bleue » en direction des gisements pétroliers du Caucase, via Stalingrad. L’offensive déborde l’Armée rouge par le sud, franchit le Don, atteint la Volga, parvient au cœur du Caucase et vise le champ pétrolier de Bakou. Au cours de six mois de combats acharnés (juillet 1942-février 1943) s’affrontent plus de deux millions d’hommes épaulés par des milliers de chars et d’avions. L’Allemagne y a engagé ses meilleures troupes, 266 divisions. Après l’échec de la Bataille de Moscou, il lui faut à tout prix obtenir un succès décisif. Les Soviétiques, au cours de quatre mois de très durs combats défensifs, obtiennent le sursis nécessaire pour achever la mise sur pied au-delà de la Volga d’une force de frappe considérable acquise grâce aux succès économiques de l’année 1942. Le 19 novembre 1942, l’Armée rouge passe à l’offensive: encerclement des troupes allemandes de la VIème armée, commandée par von Paulus, puis morcelle et brise ces armées dont la reddition, le 2 février 1943 officialise la victoire soviétique. La VIème armée est repoussée à plus de 200 kilomètres à l’ouest de Moscou. L’Armée rouge déclenche alors, dès janvier 1943, la contre-offense vers l’ Ukraine et le Nord.
A la même époque, les Anglo-Américains connaissent aussi leurs premiers succès, dans le Pacifique et en Afrique. Les armées britanniques délivrent l’Egypte des quatorze divisions de Rommel. Le 8 novembre 1942, les forces alliées débarquent en Afrique du nord sous le commandement américain. Certes, ces opérations n’ont pas l’ampleur de Stalingrad, mais elles signifient que désormais l’ouverture d’un second front est possible. Ce que Staline demande avec insistance à ses alliés: ouverture d’un second front à l’Ouest pour soulager l’Armée rouge qui, de fait, porte l’essentiel du poids de la guerre.
C’est le deuxième tournant de la guerre : à Stalingrad, le mythe de l’invincibilité de l’Allemagne nazie s’effondre.

Opération Bagration

Si le 6 juin est bien connu, une autre date est totalement négligée: celle du 22 juin 1944, le jour où Staline lance une opération de l’Armée rouge de très grande envergure. Or il existe un lien entre le 6 juin en Normandie et le 22 juin en URSS. L’historien Jean-Pierre Azéma explique: « Le D-Day a été rendu possible par ce qui se déroulait sur le front russe. L’Armée rouge empêche ainsi Hitler de ramener ses divisions de Panzer vers l’Ouest. Ne pas prendre en compte les Soviétiques, c’est risquer de ne pas comprendre le débarquement qui est une opération amphibie extrêmement risquée. Le D-Day n’était concevable qu’avec un front russe qui tenait et retenait les forces allemandes.  » (7)
Les Soviétiques qui sortent de la terrible bataille de Stalingrad, ont baptisé cette opération de juin 1944 « Bagration ». Les Allemands eux-mêmes qualifieront ces offensives de cause de la destruction du groupe d’armées du centre du front, qui met l’Allemagne militaire quasiment à genoux. Les 22, 23 et 24 juin 1944, près de deux millions de militaires russes montent à l’assaut des troupes allemandes sur un front de plus de 500 kilomètres avec une force de frappe inouïe: du jamais vu dans l’histoire militaire. En deux mois les Allemands perdent un demi-million d’hommes et sont enfoncés sur près de 600 kilomètres.
Après la victoire de Koursk où s’affrontent un millier de chars, l’Armé soviétique fait reculer la Wehrmacht sur tout le front, dégage Léningrad, libère l’Ukraine et la Crimée, elle s’avance en Europe centrale et en Pologne. Fin 1944, la Finlande, la Roumanie et la Bulgarie, alliées de l’Allemagne font défection et signent un armistice. Au début de 1945, l’Armée rouge libère la Pologne, la Hongrie, la Tchécoslovaquie, s’avance en Autriche et pénètre en Allemagne. Les troupes soviétiques de Joukov, Koniev et Rokossorski se rejoignent, prenant la Wehrmacht en étau et font leur jonction avec les troupes occidentales à Torgaü, sur l’Elbe puis se fraient un chemin dans Berlin, réduite à un gigantesque amas de ruines fumantes. L’acte définitif de la capitulation sans condition de l’Allemagne est signé dans la nuit du 8 mai, au quartier général du maréchal Joukov.(8)
l_homme_qui_a_vaincu_hitler.jpgL’apport de l’URSS à la victoire contre le nazisme a été essentiel. « Cela peut ne pas plaire mais c’est ainsi: nous devons en bonne part au maréchal de Staline [Joukov] notre survie et notre liberté. » (9) La statistique générale des morts de la Deuxième guerre mondiale témoigne de la contribution soviétique à l’effort de guerre. Il a coûté aux Soviétiques un prix terrible: 20 millions de morts parmi les civils, 7 millions de soldats, sur un total d’environ 50. Toute la partie occidentale, jusqu’au Caucase est dévastée: il y a 25 millions de sans-abris. L’économie est ruinée. Les Soviétiques retirent un sentiment de fierté d’avoir défendu leur patrie, puis d’avoir été les libérateurs de l’Europe de l’Est et enfin, d’avoir vaincu les troupes du IIIème Reich en s’emparant de Berlin. De sorte que le 9 mai est la seule date qui fédère vraiment l’ensemble des citoyens de l’ex- Union Soviétique, explique Andréï Gratchev, ancien conseiller et porte-parole de Gorbatchev.

Bibliographie
Alexander Werth, La Russie en guerre, Stock, 1964
Geoffrey Roberts, Les guerres de Staline, Delga, 2014
Eric J. Hobsbawm, L’Age des extrêmes – Histoire du court XXe siècle, Ed. Complexe, 1994
Claude Quétel, La Seconde Guerre mondiale, Perrin, 2018
Jean Lopez et Lasha Otkhmezuri, Joukov, Perrin,2013
John Erickson, La route de Stalingrad & La route de Berlin, 2 t, Weinfelden & Nicolson, 1983
Steven Zaloga, Bagration 1944, Osprey
Notes
*Marc Ferro
1 – Eric J. Hobsbawm, L’Age des extrêmes
2 – d’ailleurs la Russie est souvent omise lors des invitations aux commémorations du débarquement en Normandie.
3 – Annie Lacroix-Riz: « Cette victoire trouve son origine dans les préparatifs de l’URSS à la guerre allemande jugée inévitable (…) dont l’attaché militaire français à Moscou [le général Palasse] a été le témoin, estimant que l’URSS infligerait une sévère défaite à tout agresseur. »
4 – Goebbels, ministre de la Propagande du Reich
5 – Jacques Pauwels, Comment l’Armée rouge a vaincu l’Allemagne nazie, Global Research
6 – ce qui n’avait pourtant pas empêché la Reichswehr de rester victorieuse à l’Est en 1917-1918
7 – JP Azéma, L’Humanité, 5-6 juin 2004
8 – Joukov, chef d’état-major de l’Armée rouge depuis janvier 1941. Il est partout: siège de Leningrad, bataille de Moscou, Stalingrad, Koursk, Opération Bagration et prend Berlin. L’historien Jean Lopez le considère comme « l’homme qui a vaincu Hitler »
9 – Jean Lopez, L’Opinion, 17 septembre 2013

La famille Rol-Tanguy communique

Porteuse des plus hautes distinctions de la République (Grand Officier de la Légion
d’honneur, Grand Croix dans l’Ordre national du Mérite, Médaille de la Résistance, Croix du Combattant Volontaire de la Résistance), elle était emblématique de la place de femmes dans le combat contre Vichy et l’occupant nazi. Cécile ROL-TANGUY soulignait toujours qu’elle n’acceptait ces décorations qu’en hommage à toutes les femmes de l’ombre, rouages indispensables de la lutte clandestine. Aux déportées, aux internées, à toutes celles assassinées par l’ennemi et pourtant si souvent oubliées à l’heure de la victoire.

A toutes les femmes qui, comme elle, une fois la guerre terminée, reprirent simplement leur place dans la vie quotidienne de leur famille et du pays.

Née Cécile LE BIHAN le 10 avril 1919, elle était la fille unique de François LE BIHAN, ouvrier électricien, militant du Parti Communiste Français depuis sa création en 1920 et dirigeant syndical de la CGT, déporté-résistant mort à Auschwitz en 1943 et de Germaine JAGANET, femme au foyer et résistante, elle aussi.

L’engagement de Cécile ROL-TANGUY date de 1936, du Front Populaire et de la guerre d’Espagne. C’est au Syndicat des Métaux CGT de Paris, où elle est employée, qu’elle rencontre Henri TANGUY, dirigeant des métallos parisiens, combattant volontaire dans les Brigades Internationales aux côtés de la République espagnole attaquée par Franco. Ils se marient en 1939, juste avant la guerre durant laquelle il est mobilisé en première ligne.

Dès la fin juin 1940, alors qu’elle vient de perdre leur premier enfant, Françoise, le jour de l’entrée de la Wehrmacht dans Paris, elle rejoint ce qui deviendra la Résistance. Elle tape des tracts, des journaux syndicaux et autres documents illégaux de la CGT interdite et travaille pour les avocats communistes qui défendent les premiers emprisonnées du régime de Vichy.

Le 18 août 1940, elle accueille Henri TANGUY à Paris, tout juste démobilisé. Le jour même, elle le met en contact avec les cadres clandestins de la CGT. Quatre ans plus tard, jour pour jour, elle tapera l’ordre de l’insurrection parisienne que son mari – devenu le colonel ROL, Chef militaire régional des FFI de l’Ile de France- lui dictera à l’aube de la semaine insurrectionnelle victorieuse de la capitale. Entre temps, le couple a plongé dans la clandestinité dès octobre 1940. Elle vivra alors, aux côtés de son époux dont elle est l’agent de liaison, la vie clandestine des résistants. Elle donnera aussi le jour – en mai 1941 et novembre 1943 – à deux enfants, Hélène et Jean.

Elle participera à la semaine insurrectionnelle de Paris du 19 au 26 août 1944, au cœur de la décision et de l’action, dans le PC souterrain du Colonel ROL, sous la place Denfert-Rochereau. Elle sera la seule femme présente quand le Général De Gaulle recevra l’EtatMajor des FFI d’Ile-de-France, le 26 août 1944 à l’Hôtel de Ville. Cécile et Henri Rol-Tanguy, avec Lucie et Raymond Aubrac, resteront comme les deux couples symboles de la Résistance intérieure française.

Après-guerre, elle donnera naissance à deux autres enfants, Claire (1946) et Francis (1953) et demeurera l’indispensable collaboratrice de son mari.
Jusqu’à son dernier souffle, Cécile ROL-TANGUY témoignera de sa fidélité à l’utopie
généreuse du communisme, à ses engagements de jeunesse pour la justice sociale et
l’émancipation des femmes.
A la suite de son mari, décédé en 2002, Cécile était également Présidente de l’ANACR
(Association Nationale des Anciens Combattants de la Résistance) et Présidente d’Honneur de l’ACER/AVER (Amis des Combattants en Espagne Républicaine/ Amicale des Volontaires en Espagne Républicaine). Jusqu’en 2014, elle animera régulièrement des échanges sur la Résistance avec des collégiens et lycéens. Enfin, en août 2019, elle assistera aux cérémonies du 75e anniversaire de la Libération de Paris.
Monteaux, le 8 mai 2020

Hommage à Cécile Rol-Tanguy

Elle était emblématique de la place – trop occultée – des femmes dans le combat contre Vichy et l’occupant nazi. Elle n’avait accepté les hautes distinctions dont elle était porteuse qu’en reconnaissance de la participation de toutes ces femmes à la Résistance, elle qui en fut une pionnière, dès l’entrée de la Wehrmacht à Paris en juin 1940.
Une mission l’avait conduite, dans la lutte clandestine, en Loire-Inférieure où elle devait établir un contact avec Maurice Lagathu. Elle s’en est souvenue plus tard en répondant en 2013, à l’invitation de notre Comité lors des cérémonies du 70ème anniversaire des fusillades consécutives aux simulacres de procès des 42 et des 16. Attachée à la mémoire des Républicains espagnols, elle avait participé aux initiatives en hommage aux résistants espagnols inhumés à La Chapelle Basse-Mer. Elle était la Présidente d’honneur des Amis de l’Espagne républicaine et de l’Amicale des Volontaires en Espagne républicaine.
Cécile Rol-Tanguy était également la Présidente de l’ANACR, l’Association nationale des anciens combattants de la Résistance, dont elle n’a eu de cesse de promouvoir les valeurs, notamment auprès des jeunes générations. Sa vie durant, elle fut une combattante contre les injustices, pour les libertés et pour la paix.
Cette grande dame nous quitte un 8 mai, et un 8 mai bien particulier où la victoire sur le nazisme des nations et des peuples unis a été en partie estompée. Victoire à laquelle elle a contribué avec ses camarades résistants, au prix d’immenses sacrifices. Le meilleur hommage que nous pouvons lui rendre est de poursuivre ses combats et son activité inlassable dans la transmission de la mémoire. Nous nous y engageons.
Nantes, le 8 mai 2020

COMMEMORATION DE LA VICTOIRE 8 MAI 1945 – 8 MAI 2020

bandeau.jpgLa terrible crise sanitaire que traverse le pays ne doit pas occulter la célébration du 75ème anniversaire de la capitulation sans condition des armées nazies, le 8 mai prochain, même si le confinement général interdit les manifestations publiques.

Dans ce contexte, le Comité départemental du souvenir des fusillés de Châteaubriant et Nantes et de la Résistance en Loire-Inférieure, le Comité local de Châteaubriant et le Comité local d’Indre s’associent à l’initiative du Comité parisien de la Libération et avec de nombreuses associations mémorielles, appelle nos concitoyens et concitoyennes – tout en respectant les gestes barrières, la distanciation physique et les modalités des déplacements dérogatoires – à aller individuellement déposer le 8 mai 2020 une fleur, un bouquet, un dessin, un poème sur les monuments aux morts, au pied des plaques du souvenir de toutes les victimes du nazisme dans chaque commune.

De 1940 à 1944, dans la France envahie, nos aînés ont bravé l’occupant et ses collaborateurs et chaque 1er mai, 14 juillet et 11 novembre ont su trouver le moyen de fleurir les monuments aux morts de nos communes. 75 ans plus tard, nous devons rappeler leur héroïsme et leur victoire, celle de la liberté et de la démocratie sur la barbarie nazie.
Nantes, le 4 mai 2020
www.resistance-44.fr

Comité du souvenir des fusillés de Châteaubriant et Nantes et de la Résistance en Loire-Inférieure
1, place de la Gare de l’Etat. Case 1. 44276 NANTES Cedex 2. comitesouvenir@orange.fr

Les 6 dates clés de l’année 1945

Le 27 janvier 1945, Auschwitz

L’Armée rouge, qui avait découvert le 23 juillet 1944 près de la ville polonaise de Lublin, le camp de Majdanek, vidé de ses occupants tués à la mitrailleuse ou dans l’incendie de leurs baraques, arrivent à Auschwitz. Le monde découvre l’horreur du crime de masse le plus monstrueux de toute l’histoire humaine: des millions de morts et d’abord 6 millions de juifs, dont les nazis ont décidé l’ élimination totale, parce qu’ils étaient juifs, dans le cadre de « la solution finale » planifiée froidement en 1942, lors d’une conférence secrète à Wannsee.
auschwitz.jpg
Avec l’extraordinaire complexe concentrationnaire, industriel et d’extermination d’Auschwitz- Birkenau, la réalité se révèle, qui va être confirmée à l’avancée des Soviétiques et des Alliés, par la découverte de centaines de camps, partout sur le territoire du Reich. Et la systématisation de l’horreur à une échelle sans précédent, de l’extermination, l’usure jusqu’au bout de la force de travail, la torture, les expérimentations « médicales » monstrueuses.

Du 4 au 11 février à Yalta: quelle organisation du monde ?

La photo est connue: côte à côte Churchill, Roosevelt, et Staline, au palais de Livadia, ancienne résidence du tsar Nicolas II en Crimée, au bord de la mer Noire. L’Armée rouge est à moins de 100 km de Berlin, les Occidentaux en sont à 500 km, mais la victoire est en vue. Il s’agit donc de discuter de la paix. Partage du monde ? En fait, il s’agit de procéder à un état des lieux reflétant les rapports de forces dans une Europe exsangue, où les institutions politiques sont défaites et en même temps de tenter de bâtir les conditions d’une paix durable. Certes, les arrière-pensées ne manquent pas. Staline se méfie des Alliés occidentaux qui n’ont cessé de retarder l’ouverture d’un second front à l’Ouest, jusqu’au 6 juin 1944. Surtout, il n’entend pas brader l’avancée de l’ Armée rouge et le prix du sang versé par 27 millions de soviétiques. Churchill n’entend rien céder sur la Pologne, pas plus que sur ses intérêts en Grèce. Roosevelt envisage une aide économique en faveur de ses alliés occidentaux, mais également de l’Union soviétique pour leur reconstruction et comme moyen de contrôle. Mais, les trois vainqueurs sont provisoirement d’accord sur le maintien d’une grande alliance d’après-guerre afin d’empêcher tout nouvel affrontement et de garantir la paix mondiale. Roosevelt propose de remplacer la Société des nations par une nouvelle organisation internationale: c’est l’avant-projet de l’ONU.

8 mai 1945, la capitulation sans conditions

Autre photo célèbre: celle d’un soldat soviétique plantant le drapeau rouge au sommet du Reichstag, le parlement allemand. Le Reich qui devait durer mille ans a sombré dans le chaos. Hitler s’est suicidé dans son bunker. Depuis des jours, l’artillerie soviétique pilonne Berlin. La vérité oblige à dire que la photo a été posée et retouchée, mais sa puissance symbolique et historique est très forte. 50 millions de morts, dont 27 millions pour la seule URSS, 6 millions de juifs exterminés, la sauvagerie de la Gestapo, des SS, les exactions des milices. L’humanité se réveille de l’épouvantable cauchemar. Deux ans plus tôt, les Alliés avaient décidé que la capitulation de l’Allemagne, de l’Italie et du Japon serait sans conditions. Le 7 mai, à 1h 30, à Reims, le général Jodl face aux représentants des quatre puissances (Etats-Unis, Angleterre, URSS, France) signe un document qui met fin à la guerre. Mais pour les Soviétiques, c’est un document provisoire, selon un protocole réglé par les seuls Alliés occidentaux. Ils veulent une capitulation à Berlin, en bonne et due forme. Elle est organisée par le maréchal Joukov, chef de l’ Armée rouge, en présence du maréchal anglais Tedder, du général Spaatz de l’US Air Force, et du général de Lattre de Tassigny. Le 8 mai à 0 h 06, le maréchal Keitel paraphe le document final. Dans la journée, c’est l’explosion de joie dans le monde, mais le Japon est encore en guerre.

Le 6 août 1945, « l’Eclair »

Si la guerre est finie en Europe, les Etats-Unis font toujours face à la résistance acharnée du Japon et à l’obstination de la clique militaire qui entoure l’empereur. L’URSS, comme promis aux Américains, attaque la Mandchourie mettant en déroute les divisions japonaises qui lui font face. La première bombe atomique de l’histoire a explosé quelques semaines plus tôt à Los Alamos, dans le désert du Nouveau Mexique. Pour le président Truman, les conditions sont réunies pour une expérimentation « in vivo » et une démonstration de force.
Le 6 août, à 8 h 15, le bombardier Enola Gay lâche Little Boy, qui explose à 600 mètres au-dessus de la ville d’Hiroshima. Le souffle balaie tout. « L’Eclair », comme l’ont appelé les Japonais, imprime les ombres sur les murs. 70 000 à 80 000 personnes sont tuées sur le coup, les survivants errent dans les ruines. 140 000 personnes au total vont périr. Le 9 août, Fatman, au plutonium cette fois, est lâché sur Nagasaki. La bombe fera 70 000 morts. Le 15 août, le Japon capitule. Une idée reçue veut que les deux bombes aient mis fin à la guerre. C’est très discutable. Les Américains avaient la maîtrise du ciel, le Japon ne pouvait plus tenir.

20 novembre 1945 : Nuremberg

Haut lieu des cérémonies du Reich, Nuremberg a été choisi comme siège du tribunal international devant lequel comparaissent 21 dignitaires nazis. Composé des juges des puissances alliées, il va durer plus d’un an, jusqu’au 1er octobre 1946. La décision a été prise très vite. Le 8 août 1945, un traité est signé par les gouvernements des Etats-Unis, de la Grande-Bretagne, de l’URSS et de la France pour organiser ce tribunal où les accusés devront répondre de complot, crimes contre la paix, crimes de guerre et crimes contre l’humanité. Ce dernier chef d’inculpation est une innovation juridique. Tous les accusés plaident non coupables et affichent leur mépris. La projection de films tournés à la libération des camps et des témoignages dont celui de Marie-Claude Vaillant-Couturier, viennent à bout des dénégations des accusés. Douze d’entre eux seront condamnés à mort par pendaison: Martin Bormann,, Hans Franck, Wilhelm Frick, Alfred Jodl, Ernst Kaltenbrunner, Wilhelm Keitel, Joachim von Ribbentrop, Alfred Rosenberg, Fritz Sauckel, Arthur Seyss-Inquart, Julius Streicher et Hermann Göring (qui parviendra à se suicider avant l’exécution de la sentence).

26 juin 1945: la Charte de l’ONU

La Société des Nations, créée après la Première Guerre mondiale avait été incapable de contrer la montée des fascismes en Espagne, en Italie et en Allemagne. Dès 1941, Churchill et Roosevelt s’étaient prononcés dans une Charte de l’Atlantique, pour un système de sécurité générale. Quelques mois plus tard, 26 pays dont l’URSS affichent leur volonté de vaincre dans le cadre d’une déclaration des « Nations unies ». La France vichyste n’est pas du nombre, mais la France libre non plus, Roosevelt considérant qu’elle ne peut être considérée comme un Etat. Elle ne pourra signer que le 1er janvier 1945.
Le 25 avril 1945, s’ouvre à San Francisco la conférence qui se conclura le 25 juin 1945, par la création de l’Organisation des Nations Unies et l’adoption de sa Charte, signée le lendemain, 26 juin par 50 pays. Elle stipule que tous les Etats membres y siègent à égalité pour formuler des recommandations, mais c’est son Conseil de sécurité de onze membres qui est habilité à prendre les décisions, y compris le recours à la force pour maintenir ou rétablir la paix et la sécurité internationales. En fait, le pouvoir de décision est aux mains des cinq membres permanents de ce Conseil: Chine, Etats-Unis, France, Grande-Bretagne, URSS. Aujourd’hui, 190 Etats en sont membres.

8 mai 1945 Armistice ou capitulation sans conditions ?

En janvier 1945, l’Allemagne ne s’avoue pas vaincue. Elle a lancé deux offensives dans les Ardennes et en Hongrie en décembre 1944 et compte sur de nouvelles armes: les fusées V1 et V2. Goebbels dit en mars :  » S’il est écrit que nous devons sombrer, le peuple allemand tout entier sombrera avec nous. »
Pourtant, en avril, l’Allemagne est aux abois. Le 24 avril 1945, Himmler prend contact avec le comte Bernadotte, président de la Croix rouge suédoise, pour transmettre aux occidentaux une proposition de paix séparée, en échange de quoi il regrouperait l’ensemble des forces armées allemandes sur le front de l’Est pour vaincre l’Union soviétique.
Le mardi 8 mai 1945, la Seconde Guerre mondiale s’achève en Europe par la victoire des Alliés et l’effondrement de l’Allemagne nazie, quand l’Italie fasciste était déjà défaite. Six années de guerre marquées par des atrocités inimaginables, 2077 jours de souffrances. Mais ce n’est pas la fin de la guerre mondiale, qui se poursuit en Asie.
La guerre se termine par la prise d’une ville Berlin, capitale et lieu de pouvoir des nazis dans laquelle Hitler avait décidé de revenir le 16 avril 1945. En mars, les troupes soviétiques des maréchaux Joukov, Koniev et Rokossovski se rejoignent et préparent l’assaut de la ville. A l’Ouest, les armées alliées encerclent la Ruhr: l’étau se resserre inexorablement. Le 21 avril, les chars soviétiques entrent dans la ville. L’appel pour défendre la ville, à la Volksturm, sorte d’armée fantoche d’enfants et de vieillards fanatisés ne change rien. Dans la nuit du 29 au 30 avril, Hitler se suicide. C’est la débâcle ! Une heure plus tôt, les soldats de Joukov ont entrepris la prise du Reichstag et le 1er mai, vers 3 h, le lieutenant Sorokine et son escouade hissent le drapeau rouge sur le toit. (1). Goebbels tente alors de négocier mais Staline lui fait répondre que rien n’est négociable et exige la capitulation sans conditions, comme cela a été annoncé par les Alliés. Le 2 mai, le commandant de la place de Berlin, Weidling se rend.

Le 7 mai à Reims, 2 h 41

Le 3 mai, Doenitz, désigné par Hitler comme son successeur, envoie le général Alfred Jodl, chef d’état-major de la Wehrmacht, au quartier général d’Eisenhower à Reims, muni des pleins pouvoirs pour signer la reddition générale des forces allemandes. Il y arrive le 6. La veille, les troupes du général Leclerc se sont emparées du « Nid d’aigle » de Berchtesgaden. Jodl est contraint d’accepter un texte du commandement allié soumis par le général américain Walter B. Smith (2). La capitulation est signée dans la nuit, le 7 mai à 2 h 41. De Gaulle et Staline sont furieux, ils ont le sentiment que la France et l’URSS ont été tenus à l’écart, en dépit de la présence à Reims du général Sousloparov et du général François Sevez, à titre de témoin.jodl_signe_l_acte_de_reddition_a_reims.jpg Jodl signe l’acte de reddition à Reims

Le 8 mai à Berlin, 23 h 01

La « cérémonie » de signature doit être répétée à Berlin le 8 mai, au quartier général de l’Armée rouge. Il est certain que le symbole est plus fort. L’Allemagne y est représentée par le maréchal Keitel. En entrant dans la salle, il salue de son bâton de maréchal. Joukov qui préside, reste assis et impassible: Keitel vient de comprendre qu’il est un vaincu auxquels les honneurs ne seront pas rendus (3). La signature des neuf exemplaires intervient à 23 h 01 à Berlin (4), soit 1 h 01 à Moscou le 9 mai (5). Le drapeau français a été ajouté à la hâte, la France est représentée par le général de Lattre de Tassigny, ce qui a provoqué les sarcasmes de Keitel:  » Les Français, ici » (6). Etre admise parmi les vainqueurs n’a été possible que grâce à la mobilisation de la Résistance tout au long de la guerre et dans les combats de la libération.
Le texte signé à Reims le 7 mai est un « acte de reddition », celui du 8mai, signé à Berlin est un « acte de capitulation militaire », qui implique le dépôt des armes et pas seulement la fin des combats.keitel_signe_l_acte_de_capitulation_a_berlin.jpgKeitel signe l’acte de capitulation à Berlin
Un autre acte de reddition intervient le 9 mai à Bouvron. En effet les combats se sont poursuivis, après la libération de Nantes, dans la Poche de Saint-Nazaire. L’armée allemande se rend, de même que dans les autres forteresses nazies protégées par le Mur de l’Atlantique. Le 9 mai à 15 h, le général de Gaulle fait un discours à la radio, tandis que les cloches de toutes les églises françaises sonnent à la volée puis il se rend à l’Etoile. Au même moment, Churchill à Londres et Truman à Washington s’expriment également. La fin de la guerre est vécue dans la liesse populaire, malgré l’angoisse de celles et ceux qui attendent le retour d’un prisonnier ou d’un déporté. Au lourd bilan humain (58 millions de morts civils et militaires, 10 millions de morts dans les camps nazis), s’ajoutent des économies en ruines, des drames personnels, le traumatisme de la révélation des horreurs du système nazi.
La foule en liesse ignore que le 8 mai devra s’écrire au pluriel. Il y a eu des 8 mai. Au moment où cette foule célébrait la victoire, l’armée française tirait à Sétif et à Guelma sur des manifestants algériens qui exprimaient des sentiments nationaux, mais aussi des revendications démocratiques largement inspirés par les idéaux de la Résistance.
Le 8 mai appartient à ces dates clefs de l’époque contemporaine – « Une des plus grandes dates de l’Histoire universelle »(7) – celles qui commémorent les fins de conflits meurtriers marqués par des atrocités innommables, celles qui fondent pour partie l’identité des vivants sur le souvenir des morts. Le sens du 8 mai, c’est la victoire de la démocratie sur la barbarie nazie, sur le fascisme. Comme le note l’historien Serge Wolikow: « L’esprit né de la victoire sur l’hitlérisme a encore une grande résonance dans le monde d’aujourd’hui, qu’il s’agisse des principes démocratiques, des solidarités internationales ou de la manière de vivre ensemble ».
Source
* Ian Kershaw, La Fin. Allemagne 1944 – 1945, Seuil, 2012
* Serge Wolikow, Antifascisme et nation, EUD, 1998
*Jean Lopez (dir), La Wehrmacht, La fin d’un mythe, Perrin, 2019

Notes
1 – Officiellement, c’est le lieutenant Sorokine et son escouade qui ont hissé le drapeau sur le toit du Reichstag. Mais, en raison de l’obscurité l’événement n’a pas pu être photographié. La photo mythique de Evguéni Klhaldéi a été prise le lendemain.
2 – La séance est présidée par le général Bedell Smith, chef d’état-major d’Eisenhower qui signe l’acte pour les Occidentaux, puis l’acte est signé par le général Souslopalov, pour l’Union soviétique et par le général Sevez, sous-chef d’état major, pour la France (Juin est à San Francisco où se déroule la Conférence des Nations-Unies)
3 – Témoignage du commandant René Bondoux, présent aux côtés du général de Lattre, Le Figaro, 8 mai 2015.
4 – La séance est présidée par le maréchal Joukov qui signe pour l’URSS, les Occidentaux ont une double représentation, le général Tedder signe pour la Grande-Bretagne et le général Spaatz pour les Etats-Unis. L’acte est signé pour a France par le général de Lattre de Tassigny au titre de témoin.
5 – Ce qui explique que le « 8 mai » est commémoré le 9 en Russie.
6 – Il y a plusieurs variantes selon les traductions:  » Les Français ici » ou « Les Français aussi »
7 – Marcel Cachin, L’Humanité, 9 mai 1945

Férié, chômé ou pas
L’histoire mouvementée du 8 mai

En 1946, la commémoration de la Victoire à la date du 8 mai est instaurée, mais à condition que ce jour-là soit un dimanche, autrement elle est reportée au dimanche suivant.
En 1948, le ministre des Anciens combattants, François Mitterrand confirme le caractère non férié du 8 mai.
En 1953, un vote de l’Assemblée nationale rend le 8 mai férié
En 1959, le général de Gaulle, en installant la Vème République, décide que le 8 mai ne sera plus férié, mais commémoré le 2ème dimanche de mai (loi du 11 avril 1959).
En 1965, pour le 20ème anniversaire, le gouvernement Pompidou rétablit exceptionnellement le caractère férié.
En 1968, la cérémonie à l’Arc de Triomphe est déplacée en fin de journée.
En 1975, V. Giscard d’Estaing supprime la commémoration officielle de la victoire sur l’Allemagne nazie et la remplace par une « Journée de l’Europe ». Il veut faire du 11 novembre un « Mémorial Day », se substituant aux diverses commémorations.
En 1981, le 8 mai est rétabli comme jour commémoratif férié par le gouvernement d’union de la gauche, après l’élection de F. Mitterrand (loi du 23 septembre 1981).
2 mai 1945 – Le Drapeau rouge flotte sur le Reichstag

Le 1er mai, à 3 heures dans la nuit, le drapeau est déployé sur la statue équestre du Kaiser Guillaume II, officiellement par le lieutenant Sorokine et son escouade. L’obscurité ne permet pas de photographier l’événement. Le drapeau est donc déplacé le lendemain sur le dôme de l’édifice par trois soldats: le Géorgien (comme Staline) Meliton Kantaria et les Russes Mikhaïl Egorov et Alekseï Bérest.
un_drapeau_sovietique_flotte_sur_le_toit_du_reichstag.jpg(© Yevgeny Khaldei/Corbis)
Cependant la photo représente les soldats Alekseï Kovalev, Abdoulkhakim Ismaïlov et Léonid Govitchev.
Son auteur est Evgueni Khaldei. Jeune photographe de guerre de 28 ans, il travaille pour l’agence de presse russe Tass.
Il reconnaît avoir beaucoup tâtonné avant de réaliser LA photo qui fera ensuite le tour du monde et restera dans l’histoire comme symbole de la victoire des Alliés sur l’Allemagne nazie.
« La » photo ? En fait, Khaldéi a réalisé avec son Leica 35mmm, 36 clichés, une pellicule entière en cherchant le meilleur angle pour que la photographie montre quelque chose de Berlin.
Il existe donc 36 clichés pris sous des angles différents et montrant des soldats dfférents(1). Ainsi, une photo d’Evgueni Khaldei est publiée pour la première fois le 13 mai 1945, dans le magazine soviétique « Ogoniok » (La Petite Flamme).
un_drapeau_sovietique_flotte_sur_le_toit_du_reichstag1.jpgIl a été reproché à Evgueni Khaldei d’avoir réalisé une image de propagande pour exprimer la fierté nationale et témoigner aux yeux du monde de la victoire de l’URSS sur l’Allemagne nazie.
Et, au-delà du symbole, le processus de fabrication du cliché est également critiqué. La photo aurait en effet été préparée en amont, mise en scène, retouchée. Peut-on reprocher à Evguéni Khaldéi d’être un photographe professionnel, tout en étant soldat?
Lorsqu’il entre à Berlin en mai 1945, conscient de l’imminence de la fin de la Bataille de Berlin, il a un objectif : transposer la photo prise par l’Américain Joe Rosenthal à Iwo Jima, représentant six GI plantant le drapeau américain sur le mont Suribachi de l’île d’Iwo Jima, tout juste arrachée aux Japonais, le 23 février 1945, photo qui symbolise la victoire des Etats-Unis sur le Japon.(2) soldats_americains.jpg(Joe Rosenthal/AP/SIPA)
Evgueni Khaldei a vu « Raising the flag on Iwo Jima » dans les journaux. Il espère pouvoir réaliser la réplique soviétique.

En raison du manque de drapeaux, les soldats étant plus attentifs à se munir d’autres types de munitions, « Il a même demandé, quelques jours plus tôt, à Lioubinsky, l’économe de l’agence Tass, de lui offrir quelques-unes des belles nappes rouges qu’il utilise lors des réunions du Parti. Chargé de son butin, Khaldei est rentré chez lui. Puis, à l’aide de son ami le tailleur Israël Kichitser, il a fabriqué dans la nuit trois drapeaux soviétiques, la confection des emblèmes du marteau et de la faucille ayant été les tâches les plus délicates » affirment Pierre Bellemare et Jérôme Equer (3)

Le photographe recherche des lieux emblématiques. D’abord l’aéroport de Tempelhof où se dresse un aigle gigantesque, symbole du Reich hitlérien. Puis il va à la porte de Brandebourg, où trône la déesse de la Victoire et fait un essai dans l’axe de la célèbre avenue Unter den Linden. Mais faute de recul, il lui est impossible de montrer Berlin en arrière plan. Or, il y tient.

Le toit du Reichstag est le lieu idéal. Il constitue une revanche vis à vis du régime hitlérien qui, en 1933, avait humilié les communistes en leur imputant l’incendie du parlement. D’ailleurs, « Tout le monde voulait aller au Reichstag », dit-il(4). Et surtout, c’est précisément là que le drapeau soviétique y a déjà été planté la veille, le 30 avril, à 22h40, alors que Berlin était encore en proie aux combats. « Devant le Reichstag, j’en ai sorti un et les soldats se sont écriés : ‘Donnez-nous ce drapeau, on va le planter sur le toit' », racontera le photographe à « Libération », 50 ans plus tard. « J’ai demandé à un jeune soldat de le tenir le plus haut possible. Il avait 20 ans, il s’appelait Alexis Kovalev. Je cherchais le bon angle, je lui ai demandé de grimper encore plus haut. Il a répondu « D’accord, mais que quelqu’un me tienne les pieds ». Ce qui a été fait. La photo est partie, elle a plu »

La photo a-t-elle été retouchée? A « Libération », le photographe confirme : « J’ai reçu un coup de téléphone du rédacteur en chef de l’agence Tass : « Ça ne va pas. Le soldat d’en bas, qui tient les pieds de l’autre, a deux montres, une à chaque poignet ! Il faut arranger ça ! »un_drapeau_sovietique_flotte_sur_le_toit_du_reichstag2.jpg (AFP PHOTO / TASS / YEVGENIY KHALDEI)
Pour que la photo puisse être publiée, Evgueni Khaldei « gratte délicatement un contretype du négatif avec la pointe d’une aiguille et fait disparaître du poignet droit la montre surnuméraire ».
Qui est Evgueni Khaldeï ?
Il est né de parents juifs dans le sud de l’Ukraine en 1917, l’année de la révolution russe. Il est touché dès son plus jeune âge par l’antisémitisme : au cours d’un pogrom, alors qu’il est à peine âgé d’un an, une balle lui transperce un poumon et tue sa mère qui le portait dans ses bras… Adolescent, il lit avec passion les grands reportages publiés dans le magazine russe Ogoniok, qui, des années plus tard, publiera en Une sa photo iconique (voir ci-dessus).

« Dès 13 ans, j’étais passionné de photographie. Je me suis bricolé mon premier appareil photo avec du carton et les verres de lunettes de ma grand-mère », racontera-t-il, en 1995, à « Libération ». A 19 ans, il est engagé à Moscou par l’agence Tass, où il est formé. Puis, il effectue son service militaire en 1937, avant d’être remobilisé lorsque la guerre éclate, en 1941, avec le grade de lieutenant. Il est d’abord envoyé à Mourmansk en qualité de correspondant spécial de l’agence Tass.

« J’étais soldat, enrôlé dans l’armée comme combattant. Mais, comme j’étais correspondant spécial de l’agence Tass, les autres soldats, mes camarades, me disaient souvent : vas-y, prends des photos, nous nous occupons du reste… » A nouveau victime de l’antisémitisme, nazi cette fois, il perd son père et ses sœurs, fusillés par les Allemands et jetés dans un puits. Il sera le témoin effaré des massacres de juifs en Ukraine, dès le début du conflit.

A la fin de la guerre, il couvre le procès de Nuremberg (5). En 1948, il est renvoyé de La Pravda: « J’étais juif, j’avais voyagé à travers l’Europe, approché Tito et j’aimais les photographes américains. Autant dire que j’étais ‘cosmopolite’. » Ce qui était mal vu.
Onze ans plus tard, en 1959, il est de réengagé par la Pravda. Mais il est de nouveau renvoyé en 1970. Il survit alors tant bien que mal, grâce à l’aide de ses proches. Il devra attendre la chute de l’URSS pour enfin recevoir une reconnaissance internationale. evgueni_khaldei.jpg (LASKI/SIPA)
Il est ainsi l’invité d’honneur, en 1995, de Visa pour l’image, le festival international du photojournalisme de Perpignan, où sera exposé une sélection de ses travaux. Le directeur du festival, Jean-François Leroy, réussit même le tour de force de réunir le photographe ukrainien et… Joe Rosenthal, l’auteur du « Drapeau flottant sur Iwo Jima ». En 2005 une rétrospective lui est consacrée par le Musée du judaïsme à Paris.

Evgueni Khaldeï meurt deux ans plus tard, en 1997, à l’âge de 80 ans. Sa photo lui survit puisqu’elle est publiée dans tous les manuels scolaires et sera de nouveau publiée en Une d’un journal, « L’Humanité », le 8 mai 2015. Une version colorisée et avec… une seule montre !

Source
Mark Grosset, Khaldéi. Un photoreporter en Union soviétique, ed. Chêne, 2004
Victor Barbat, Bannières et drapeaux… L’exemple du Reichstag, revue 1895 n°74, 2014

Notes
1 – Ainsi un Espagnol, Francisco Ripoll a révélé au journal Mundo Obrero s’être reconnu sur l’un des clichés.
2 – La photographie a également soulevé des suspicions, balayées par l’attribution du prix Pulitzer 1945.
3 – Histoire secrète des 44 photos qui ont bouleversé le monde.
4 – Libération. 9 septembre 1995.
5 – Il est l’auteur de la photo de sa collègue photo-reporter Marie-Claude Vaillant-Couturier, témoin au procès.

75ème anniversaire de la libération des camps

À partir de juillet 1944, l’avancée des troupes soviétiques permet la libération des premiers camps de concentration nazis. Si les camps d’extermination de Treblinka, Sobibor et Belzec ont été complètement détruits par les Allemands dès 1943, d’autres camps de la mort offrent aux yeux sidérés des libérateurs un spectacle effroyable et jusqu’alors inimaginable. Il en sera de même pour les soldats américains et britanniques qui découvrent en avril 1945 le cauchemar concentrationnaire.

Les derniers camps attendront d’être libérés le 5 mai, Neuengamme en Allemagne par les Britanniques et Mauthausen en Autriche par les Américains, le 9 mai le Stutthof en Pologne par les Soviétiques.
A Buchenwald, le serment fait par les rescapés le jour de la libération du camp à leurs camarades déportés assassinés par les nazis se concluait ainsi : « notre idéal est la construction d’un monde nouveau dans la paix et la liberté ».

Il résonne encore aujourd’hui comme un espoir.

À la veille de la Journée nationale du souvenir des victimes et des héros de la Déportation le 26 avril 2020, au moment où les derniers témoins s’en vont, cette mémoire doit continuer de vivre.

Les idées de haine, le racisme, l’antisémitisme et la xénophobie n’ont pas disparu, des crimes contre l’humanité sont toujours perpétrés.
Oublier serait lourd de conséquences pour l’avenir.
En cette année du 75ème anniversaire de la libération des camps de concentration, des circonstances exceptionnelles ne doivent pas empêcher que les nombreuses initiatives qui étaient programmées (expositions, conférences, projections, débats…) puissent avoir lieu dès que cela sera possible et que la mémoire de la Déportation soit portée auprès du plus grand nombre.

Le Comité départemental du Souvenir appelle en ce sens les autorités de la République à organiser, dès maintenant dans les médias, puis à la reprise des cours dans les établissements scolaires des moments de connaissance et de transmission, avec le concours des associations d’anciens déportés et résistants.
Il faut sans relâche permettre aux nouvelles générations de pouvoir bâtir leur avenir, « en sachant qui vous étiez » comme le chantait Jean Ferrat, fils de déporté jamais revenu.
Pour le département de la Loire-Inférieure (44), il a été recensé 1844 déportés, 997 sont morts en déportation.
Nantes, le 20 avril 2020