Les 6 dates clés de l’année 1945

Le 27 janvier 1945, Auschwitz

L’Armée rouge, qui avait découvert le 23 juillet 1944 près de la ville polonaise de Lublin, le camp de Majdanek, vidé de ses occupants tués à la mitrailleuse ou dans l’incendie de leurs baraques, arrivent à Auschwitz. Le monde découvre l’horreur du crime de masse le plus monstrueux de toute l’histoire humaine: des millions de morts et d’abord 6 millions de juifs, dont les nazis ont décidé l’ élimination totale, parce qu’ils étaient juifs, dans le cadre de « la solution finale » planifiée froidement en 1942, lors d’une conférence secrète à Wannsee.
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Avec l’extraordinaire complexe concentrationnaire, industriel et d’extermination d’Auschwitz- Birkenau, la réalité se révèle, qui va être confirmée à l’avancée des Soviétiques et des Alliés, par la découverte de centaines de camps, partout sur le territoire du Reich. Et la systématisation de l’horreur à une échelle sans précédent, de l’extermination, l’usure jusqu’au bout de la force de travail, la torture, les expérimentations « médicales » monstrueuses.

Du 4 au 11 février à Yalta: quelle organisation du monde ?

La photo est connue: côte à côte Churchill, Roosevelt, et Staline, au palais de Livadia, ancienne résidence du tsar Nicolas II en Crimée, au bord de la mer Noire. L’Armée rouge est à moins de 100 km de Berlin, les Occidentaux en sont à 500 km, mais la victoire est en vue. Il s’agit donc de discuter de la paix. Partage du monde ? En fait, il s’agit de procéder à un état des lieux reflétant les rapports de forces dans une Europe exsangue, où les institutions politiques sont défaites et en même temps de tenter de bâtir les conditions d’une paix durable. Certes, les arrière-pensées ne manquent pas. Staline se méfie des Alliés occidentaux qui n’ont cessé de retarder l’ouverture d’un second front à l’Ouest, jusqu’au 6 juin 1944. Surtout, il n’entend pas brader l’avancée de l’ Armée rouge et le prix du sang versé par 27 millions de soviétiques. Churchill n’entend rien céder sur la Pologne, pas plus que sur ses intérêts en Grèce. Roosevelt envisage une aide économique en faveur de ses alliés occidentaux, mais également de l’Union soviétique pour leur reconstruction et comme moyen de contrôle. Mais, les trois vainqueurs sont provisoirement d’accord sur le maintien d’une grande alliance d’après-guerre afin d’empêcher tout nouvel affrontement et de garantir la paix mondiale. Roosevelt propose de remplacer la Société des nations par une nouvelle organisation internationale: c’est l’avant-projet de l’ONU.

8 mai 1945, la capitulation sans conditions

Autre photo célèbre: celle d’un soldat soviétique plantant le drapeau rouge au sommet du Reichstag, le parlement allemand. Le Reich qui devait durer mille ans a sombré dans le chaos. Hitler s’est suicidé dans son bunker. Depuis des jours, l’artillerie soviétique pilonne Berlin. La vérité oblige à dire que la photo a été posée et retouchée, mais sa puissance symbolique et historique est très forte. 50 millions de morts, dont 27 millions pour la seule URSS, 6 millions de juifs exterminés, la sauvagerie de la Gestapo, des SS, les exactions des milices. L’humanité se réveille de l’épouvantable cauchemar. Deux ans plus tôt, les Alliés avaient décidé que la capitulation de l’Allemagne, de l’Italie et du Japon serait sans conditions. Le 7 mai, à 1h 30, à Reims, le général Jodl face aux représentants des quatre puissances (Etats-Unis, Angleterre, URSS, France) signe un document qui met fin à la guerre. Mais pour les Soviétiques, c’est un document provisoire, selon un protocole réglé par les seuls Alliés occidentaux. Ils veulent une capitulation à Berlin, en bonne et due forme. Elle est organisée par le maréchal Joukov, chef de l’ Armée rouge, en présence du maréchal anglais Tedder, du général Spaatz de l’US Air Force, et du général de Lattre de Tassigny. Le 8 mai à 0 h 06, le maréchal Keitel paraphe le document final. Dans la journée, c’est l’explosion de joie dans le monde, mais le Japon est encore en guerre.

Le 6 août 1945, « l’Eclair »

Si la guerre est finie en Europe, les Etats-Unis font toujours face à la résistance acharnée du Japon et à l’obstination de la clique militaire qui entoure l’empereur. L’URSS, comme promis aux Américains, attaque la Mandchourie mettant en déroute les divisions japonaises qui lui font face. La première bombe atomique de l’histoire a explosé quelques semaines plus tôt à Los Alamos, dans le désert du Nouveau Mexique. Pour le président Truman, les conditions sont réunies pour une expérimentation « in vivo » et une démonstration de force.
Le 6 août, à 8 h 15, le bombardier Enola Gay lâche Little Boy, qui explose à 600 mètres au-dessus de la ville d’Hiroshima. Le souffle balaie tout. « L’Eclair », comme l’ont appelé les Japonais, imprime les ombres sur les murs. 70 000 à 80 000 personnes sont tuées sur le coup, les survivants errent dans les ruines. 140 000 personnes au total vont périr. Le 9 août, Fatman, au plutonium cette fois, est lâché sur Nagasaki. La bombe fera 70 000 morts. Le 15 août, le Japon capitule. Une idée reçue veut que les deux bombes aient mis fin à la guerre. C’est très discutable. Les Américains avaient la maîtrise du ciel, le Japon ne pouvait plus tenir.

20 novembre 1945 : Nuremberg

Haut lieu des cérémonies du Reich, Nuremberg a été choisi comme siège du tribunal international devant lequel comparaissent 21 dignitaires nazis. Composé des juges des puissances alliées, il va durer plus d’un an, jusqu’au 1er octobre 1946. La décision a été prise très vite. Le 8 août 1945, un traité est signé par les gouvernements des Etats-Unis, de la Grande-Bretagne, de l’URSS et de la France pour organiser ce tribunal où les accusés devront répondre de complot, crimes contre la paix, crimes de guerre et crimes contre l’humanité. Ce dernier chef d’inculpation est une innovation juridique. Tous les accusés plaident non coupables et affichent leur mépris. La projection de films tournés à la libération des camps et des témoignages dont celui de Marie-Claude Vaillant-Couturier, viennent à bout des dénégations des accusés. Douze d’entre eux seront condamnés à mort par pendaison: Martin Bormann,, Hans Franck, Wilhelm Frick, Alfred Jodl, Ernst Kaltenbrunner, Wilhelm Keitel, Joachim von Ribbentrop, Alfred Rosenberg, Fritz Sauckel, Arthur Seyss-Inquart, Julius Streicher et Hermann Göring (qui parviendra à se suicider avant l’exécution de la sentence).

26 juin 1945: la Charte de l’ONU

La Société des Nations, créée après la Première Guerre mondiale avait été incapable de contrer la montée des fascismes en Espagne, en Italie et en Allemagne. Dès 1941, Churchill et Roosevelt s’étaient prononcés dans une Charte de l’Atlantique, pour un système de sécurité générale. Quelques mois plus tard, 26 pays dont l’URSS affichent leur volonté de vaincre dans le cadre d’une déclaration des « Nations unies ». La France vichyste n’est pas du nombre, mais la France libre non plus, Roosevelt considérant qu’elle ne peut être considérée comme un Etat. Elle ne pourra signer que le 1er janvier 1945.
Le 25 avril 1945, s’ouvre à San Francisco la conférence qui se conclura le 25 juin 1945, par la création de l’Organisation des Nations Unies et l’adoption de sa Charte, signée le lendemain, 26 juin par 50 pays. Elle stipule que tous les Etats membres y siègent à égalité pour formuler des recommandations, mais c’est son Conseil de sécurité de onze membres qui est habilité à prendre les décisions, y compris le recours à la force pour maintenir ou rétablir la paix et la sécurité internationales. En fait, le pouvoir de décision est aux mains des cinq membres permanents de ce Conseil: Chine, Etats-Unis, France, Grande-Bretagne, URSS. Aujourd’hui, 190 Etats en sont membres.

8 mai 1945 Armistice ou capitulation sans conditions ?

En janvier 1945, l’Allemagne ne s’avoue pas vaincue. Elle a lancé deux offensives dans les Ardennes et en Hongrie en décembre 1944 et compte sur de nouvelles armes: les fusées V1 et V2. Goebbels dit en mars :  » S’il est écrit que nous devons sombrer, le peuple allemand tout entier sombrera avec nous. »
Pourtant, en avril, l’Allemagne est aux abois. Le 24 avril 1945, Himmler prend contact avec le comte Bernadotte, président de la Croix rouge suédoise, pour transmettre aux occidentaux une proposition de paix séparée, en échange de quoi il regrouperait l’ensemble des forces armées allemandes sur le front de l’Est pour vaincre l’Union soviétique.
Le mardi 8 mai 1945, la Seconde Guerre mondiale s’achève en Europe par la victoire des Alliés et l’effondrement de l’Allemagne nazie, quand l’Italie fasciste était déjà défaite. Six années de guerre marquées par des atrocités inimaginables, 2077 jours de souffrances. Mais ce n’est pas la fin de la guerre mondiale, qui se poursuit en Asie.
La guerre se termine par la prise d’une ville Berlin, capitale et lieu de pouvoir des nazis dans laquelle Hitler avait décidé de revenir le 16 avril 1945. En mars, les troupes soviétiques des maréchaux Joukov, Koniev et Rokossovski se rejoignent et préparent l’assaut de la ville. A l’Ouest, les armées alliées encerclent la Ruhr: l’étau se resserre inexorablement. Le 21 avril, les chars soviétiques entrent dans la ville. L’appel pour défendre la ville, à la Volksturm, sorte d’armée fantoche d’enfants et de vieillards fanatisés ne change rien. Dans la nuit du 29 au 30 avril, Hitler se suicide. C’est la débâcle ! Une heure plus tôt, les soldats de Joukov ont entrepris la prise du Reichstag et le 1er mai, vers 3 h, le lieutenant Sorokine et son escouade hissent le drapeau rouge sur le toit. (1). Goebbels tente alors de négocier mais Staline lui fait répondre que rien n’est négociable et exige la capitulation sans conditions, comme cela a été annoncé par les Alliés. Le 2 mai, le commandant de la place de Berlin, Weidling se rend.

Le 7 mai à Reims, 2 h 41

Le 3 mai, Doenitz, désigné par Hitler comme son successeur, envoie le général Alfred Jodl, chef d’état-major de la Wehrmacht, au quartier général d’Eisenhower à Reims, muni des pleins pouvoirs pour signer la reddition générale des forces allemandes. Il y arrive le 6. La veille, les troupes du général Leclerc se sont emparées du « Nid d’aigle » de Berchtesgaden. Jodl est contraint d’accepter un texte du commandement allié soumis par le général américain Walter B. Smith (2). La capitulation est signée dans la nuit, le 7 mai à 2 h 41. De Gaulle et Staline sont furieux, ils ont le sentiment que la France et l’URSS ont été tenus à l’écart, en dépit de la présence à Reims du général Sousloparov et du général François Sevez, à titre de témoin.jodl_signe_l_acte_de_reddition_a_reims.jpg Jodl signe l’acte de reddition à Reims

Le 8 mai à Berlin, 23 h 01

La « cérémonie » de signature doit être répétée à Berlin le 8 mai, au quartier général de l’Armée rouge. Il est certain que le symbole est plus fort. L’Allemagne y est représentée par le maréchal Keitel. En entrant dans la salle, il salue de son bâton de maréchal. Joukov qui préside, reste assis et impassible: Keitel vient de comprendre qu’il est un vaincu auxquels les honneurs ne seront pas rendus (3). La signature des neuf exemplaires intervient à 23 h 01 à Berlin (4), soit 1 h 01 à Moscou le 9 mai (5). Le drapeau français a été ajouté à la hâte, la France est représentée par le général de Lattre de Tassigny, ce qui a provoqué les sarcasmes de Keitel:  » Les Français, ici » (6). Etre admise parmi les vainqueurs n’a été possible que grâce à la mobilisation de la Résistance tout au long de la guerre et dans les combats de la libération.
Le texte signé à Reims le 7 mai est un « acte de reddition », celui du 8mai, signé à Berlin est un « acte de capitulation militaire », qui implique le dépôt des armes et pas seulement la fin des combats.keitel_signe_l_acte_de_capitulation_a_berlin.jpgKeitel signe l’acte de capitulation à Berlin
Un autre acte de reddition intervient le 9 mai à Bouvron. En effet les combats se sont poursuivis, après la libération de Nantes, dans la Poche de Saint-Nazaire. L’armée allemande se rend, de même que dans les autres forteresses nazies protégées par le Mur de l’Atlantique. Le 9 mai à 15 h, le général de Gaulle fait un discours à la radio, tandis que les cloches de toutes les églises françaises sonnent à la volée puis il se rend à l’Etoile. Au même moment, Churchill à Londres et Truman à Washington s’expriment également. La fin de la guerre est vécue dans la liesse populaire, malgré l’angoisse de celles et ceux qui attendent le retour d’un prisonnier ou d’un déporté. Au lourd bilan humain (58 millions de morts civils et militaires, 10 millions de morts dans les camps nazis), s’ajoutent des économies en ruines, des drames personnels, le traumatisme de la révélation des horreurs du système nazi.
La foule en liesse ignore que le 8 mai devra s’écrire au pluriel. Il y a eu des 8 mai. Au moment où cette foule célébrait la victoire, l’armée française tirait à Sétif et à Guelma sur des manifestants algériens qui exprimaient des sentiments nationaux, mais aussi des revendications démocratiques largement inspirés par les idéaux de la Résistance.
Le 8 mai appartient à ces dates clefs de l’époque contemporaine – « Une des plus grandes dates de l’Histoire universelle »(7) – celles qui commémorent les fins de conflits meurtriers marqués par des atrocités innommables, celles qui fondent pour partie l’identité des vivants sur le souvenir des morts. Le sens du 8 mai, c’est la victoire de la démocratie sur la barbarie nazie, sur le fascisme. Comme le note l’historien Serge Wolikow: « L’esprit né de la victoire sur l’hitlérisme a encore une grande résonance dans le monde d’aujourd’hui, qu’il s’agisse des principes démocratiques, des solidarités internationales ou de la manière de vivre ensemble ».
Source
* Ian Kershaw, La Fin. Allemagne 1944 – 1945, Seuil, 2012
* Serge Wolikow, Antifascisme et nation, EUD, 1998
*Jean Lopez (dir), La Wehrmacht, La fin d’un mythe, Perrin, 2019

Notes
1 – Officiellement, c’est le lieutenant Sorokine et son escouade qui ont hissé le drapeau sur le toit du Reichstag. Mais, en raison de l’obscurité l’événement n’a pas pu être photographié. La photo mythique de Evguéni Klhaldéi a été prise le lendemain.
2 – La séance est présidée par le général Bedell Smith, chef d’état-major d’Eisenhower qui signe l’acte pour les Occidentaux, puis l’acte est signé par le général Souslopalov, pour l’Union soviétique et par le général Sevez, sous-chef d’état major, pour la France (Juin est à San Francisco où se déroule la Conférence des Nations-Unies)
3 – Témoignage du commandant René Bondoux, présent aux côtés du général de Lattre, Le Figaro, 8 mai 2015.
4 – La séance est présidée par le maréchal Joukov qui signe pour l’URSS, les Occidentaux ont une double représentation, le général Tedder signe pour la Grande-Bretagne et le général Spaatz pour les Etats-Unis. L’acte est signé pour a France par le général de Lattre de Tassigny au titre de témoin.
5 – Ce qui explique que le « 8 mai » est commémoré le 9 en Russie.
6 – Il y a plusieurs variantes selon les traductions:  » Les Français ici » ou « Les Français aussi »
7 – Marcel Cachin, L’Humanité, 9 mai 1945

Férié, chômé ou pas
L’histoire mouvementée du 8 mai

En 1946, la commémoration de la Victoire à la date du 8 mai est instaurée, mais à condition que ce jour-là soit un dimanche, autrement elle est reportée au dimanche suivant.
En 1948, le ministre des Anciens combattants, François Mitterrand confirme le caractère non férié du 8 mai.
En 1953, un vote de l’Assemblée nationale rend le 8 mai férié
En 1959, le général de Gaulle, en installant la Vème République, décide que le 8 mai ne sera plus férié, mais commémoré le 2ème dimanche de mai (loi du 11 avril 1959).
En 1965, pour le 20ème anniversaire, le gouvernement Pompidou rétablit exceptionnellement le caractère férié.
En 1968, la cérémonie à l’Arc de Triomphe est déplacée en fin de journée.
En 1975, V. Giscard d’Estaing supprime la commémoration officielle de la victoire sur l’Allemagne nazie et la remplace par une « Journée de l’Europe ». Il veut faire du 11 novembre un « Mémorial Day », se substituant aux diverses commémorations.
En 1981, le 8 mai est rétabli comme jour commémoratif férié par le gouvernement d’union de la gauche, après l’élection de F. Mitterrand (loi du 23 septembre 1981).
2 mai 1945 – Le Drapeau rouge flotte sur le Reichstag

Le 1er mai, à 3 heures dans la nuit, le drapeau est déployé sur la statue équestre du Kaiser Guillaume II, officiellement par le lieutenant Sorokine et son escouade. L’obscurité ne permet pas de photographier l’événement. Le drapeau est donc déplacé le lendemain sur le dôme de l’édifice par trois soldats: le Géorgien (comme Staline) Meliton Kantaria et les Russes Mikhaïl Egorov et Alekseï Bérest.
un_drapeau_sovietique_flotte_sur_le_toit_du_reichstag.jpg(© Yevgeny Khaldei/Corbis)
Cependant la photo représente les soldats Alekseï Kovalev, Abdoulkhakim Ismaïlov et Léonid Govitchev.
Son auteur est Evgueni Khaldei. Jeune photographe de guerre de 28 ans, il travaille pour l’agence de presse russe Tass.
Il reconnaît avoir beaucoup tâtonné avant de réaliser LA photo qui fera ensuite le tour du monde et restera dans l’histoire comme symbole de la victoire des Alliés sur l’Allemagne nazie.
« La » photo ? En fait, Khaldéi a réalisé avec son Leica 35mmm, 36 clichés, une pellicule entière en cherchant le meilleur angle pour que la photographie montre quelque chose de Berlin.
Il existe donc 36 clichés pris sous des angles différents et montrant des soldats dfférents(1). Ainsi, une photo d’Evgueni Khaldei est publiée pour la première fois le 13 mai 1945, dans le magazine soviétique « Ogoniok » (La Petite Flamme).
un_drapeau_sovietique_flotte_sur_le_toit_du_reichstag1.jpgIl a été reproché à Evgueni Khaldei d’avoir réalisé une image de propagande pour exprimer la fierté nationale et témoigner aux yeux du monde de la victoire de l’URSS sur l’Allemagne nazie.
Et, au-delà du symbole, le processus de fabrication du cliché est également critiqué. La photo aurait en effet été préparée en amont, mise en scène, retouchée. Peut-on reprocher à Evguéni Khaldéi d’être un photographe professionnel, tout en étant soldat?
Lorsqu’il entre à Berlin en mai 1945, conscient de l’imminence de la fin de la Bataille de Berlin, il a un objectif : transposer la photo prise par l’Américain Joe Rosenthal à Iwo Jima, représentant six GI plantant le drapeau américain sur le mont Suribachi de l’île d’Iwo Jima, tout juste arrachée aux Japonais, le 23 février 1945, photo qui symbolise la victoire des Etats-Unis sur le Japon.(2) soldats_americains.jpg(Joe Rosenthal/AP/SIPA)
Evgueni Khaldei a vu « Raising the flag on Iwo Jima » dans les journaux. Il espère pouvoir réaliser la réplique soviétique.

En raison du manque de drapeaux, les soldats étant plus attentifs à se munir d’autres types de munitions, « Il a même demandé, quelques jours plus tôt, à Lioubinsky, l’économe de l’agence Tass, de lui offrir quelques-unes des belles nappes rouges qu’il utilise lors des réunions du Parti. Chargé de son butin, Khaldei est rentré chez lui. Puis, à l’aide de son ami le tailleur Israël Kichitser, il a fabriqué dans la nuit trois drapeaux soviétiques, la confection des emblèmes du marteau et de la faucille ayant été les tâches les plus délicates » affirment Pierre Bellemare et Jérôme Equer (3)

Le photographe recherche des lieux emblématiques. D’abord l’aéroport de Tempelhof où se dresse un aigle gigantesque, symbole du Reich hitlérien. Puis il va à la porte de Brandebourg, où trône la déesse de la Victoire et fait un essai dans l’axe de la célèbre avenue Unter den Linden. Mais faute de recul, il lui est impossible de montrer Berlin en arrière plan. Or, il y tient.

Le toit du Reichstag est le lieu idéal. Il constitue une revanche vis à vis du régime hitlérien qui, en 1933, avait humilié les communistes en leur imputant l’incendie du parlement. D’ailleurs, « Tout le monde voulait aller au Reichstag », dit-il(4). Et surtout, c’est précisément là que le drapeau soviétique y a déjà été planté la veille, le 30 avril, à 22h40, alors que Berlin était encore en proie aux combats. « Devant le Reichstag, j’en ai sorti un et les soldats se sont écriés : ‘Donnez-nous ce drapeau, on va le planter sur le toit' », racontera le photographe à « Libération », 50 ans plus tard. « J’ai demandé à un jeune soldat de le tenir le plus haut possible. Il avait 20 ans, il s’appelait Alexis Kovalev. Je cherchais le bon angle, je lui ai demandé de grimper encore plus haut. Il a répondu « D’accord, mais que quelqu’un me tienne les pieds ». Ce qui a été fait. La photo est partie, elle a plu »

La photo a-t-elle été retouchée? A « Libération », le photographe confirme : « J’ai reçu un coup de téléphone du rédacteur en chef de l’agence Tass : « Ça ne va pas. Le soldat d’en bas, qui tient les pieds de l’autre, a deux montres, une à chaque poignet ! Il faut arranger ça ! »un_drapeau_sovietique_flotte_sur_le_toit_du_reichstag2.jpg (AFP PHOTO / TASS / YEVGENIY KHALDEI)
Pour que la photo puisse être publiée, Evgueni Khaldei « gratte délicatement un contretype du négatif avec la pointe d’une aiguille et fait disparaître du poignet droit la montre surnuméraire ».
Qui est Evgueni Khaldeï ?
Il est né de parents juifs dans le sud de l’Ukraine en 1917, l’année de la révolution russe. Il est touché dès son plus jeune âge par l’antisémitisme : au cours d’un pogrom, alors qu’il est à peine âgé d’un an, une balle lui transperce un poumon et tue sa mère qui le portait dans ses bras… Adolescent, il lit avec passion les grands reportages publiés dans le magazine russe Ogoniok, qui, des années plus tard, publiera en Une sa photo iconique (voir ci-dessus).

« Dès 13 ans, j’étais passionné de photographie. Je me suis bricolé mon premier appareil photo avec du carton et les verres de lunettes de ma grand-mère », racontera-t-il, en 1995, à « Libération ». A 19 ans, il est engagé à Moscou par l’agence Tass, où il est formé. Puis, il effectue son service militaire en 1937, avant d’être remobilisé lorsque la guerre éclate, en 1941, avec le grade de lieutenant. Il est d’abord envoyé à Mourmansk en qualité de correspondant spécial de l’agence Tass.

« J’étais soldat, enrôlé dans l’armée comme combattant. Mais, comme j’étais correspondant spécial de l’agence Tass, les autres soldats, mes camarades, me disaient souvent : vas-y, prends des photos, nous nous occupons du reste… » A nouveau victime de l’antisémitisme, nazi cette fois, il perd son père et ses sœurs, fusillés par les Allemands et jetés dans un puits. Il sera le témoin effaré des massacres de juifs en Ukraine, dès le début du conflit.

A la fin de la guerre, il couvre le procès de Nuremberg (5). En 1948, il est renvoyé de La Pravda: « J’étais juif, j’avais voyagé à travers l’Europe, approché Tito et j’aimais les photographes américains. Autant dire que j’étais ‘cosmopolite’. » Ce qui était mal vu.
Onze ans plus tard, en 1959, il est de réengagé par la Pravda. Mais il est de nouveau renvoyé en 1970. Il survit alors tant bien que mal, grâce à l’aide de ses proches. Il devra attendre la chute de l’URSS pour enfin recevoir une reconnaissance internationale. evgueni_khaldei.jpg (LASKI/SIPA)
Il est ainsi l’invité d’honneur, en 1995, de Visa pour l’image, le festival international du photojournalisme de Perpignan, où sera exposé une sélection de ses travaux. Le directeur du festival, Jean-François Leroy, réussit même le tour de force de réunir le photographe ukrainien et… Joe Rosenthal, l’auteur du « Drapeau flottant sur Iwo Jima ». En 2005 une rétrospective lui est consacrée par le Musée du judaïsme à Paris.

Evgueni Khaldeï meurt deux ans plus tard, en 1997, à l’âge de 80 ans. Sa photo lui survit puisqu’elle est publiée dans tous les manuels scolaires et sera de nouveau publiée en Une d’un journal, « L’Humanité », le 8 mai 2015. Une version colorisée et avec… une seule montre !

Source
Mark Grosset, Khaldéi. Un photoreporter en Union soviétique, ed. Chêne, 2004
Victor Barbat, Bannières et drapeaux… L’exemple du Reichstag, revue 1895 n°74, 2014

Notes
1 – Ainsi un Espagnol, Francisco Ripoll a révélé au journal Mundo Obrero s’être reconnu sur l’un des clichés.
2 – La photographie a également soulevé des suspicions, balayées par l’attribution du prix Pulitzer 1945.
3 – Histoire secrète des 44 photos qui ont bouleversé le monde.
4 – Libération. 9 septembre 1995.
5 – Il est l’auteur de la photo de sa collègue photo-reporter Marie-Claude Vaillant-Couturier, témoin au procès.

75ème anniversaire de la libération des camps

À partir de juillet 1944, l’avancée des troupes soviétiques permet la libération des premiers camps de concentration nazis. Si les camps d’extermination de Treblinka, Sobibor et Belzec ont été complètement détruits par les Allemands dès 1943, d’autres camps de la mort offrent aux yeux sidérés des libérateurs un spectacle effroyable et jusqu’alors inimaginable. Il en sera de même pour les soldats américains et britanniques qui découvrent en avril 1945 le cauchemar concentrationnaire.

Les derniers camps attendront d’être libérés le 5 mai, Neuengamme en Allemagne par les Britanniques et Mauthausen en Autriche par les Américains, le 9 mai le Stutthof en Pologne par les Soviétiques.
A Buchenwald, le serment fait par les rescapés le jour de la libération du camp à leurs camarades déportés assassinés par les nazis se concluait ainsi : « notre idéal est la construction d’un monde nouveau dans la paix et la liberté ».

Il résonne encore aujourd’hui comme un espoir.

À la veille de la Journée nationale du souvenir des victimes et des héros de la Déportation le 26 avril 2020, au moment où les derniers témoins s’en vont, cette mémoire doit continuer de vivre.

Les idées de haine, le racisme, l’antisémitisme et la xénophobie n’ont pas disparu, des crimes contre l’humanité sont toujours perpétrés.
Oublier serait lourd de conséquences pour l’avenir.
En cette année du 75ème anniversaire de la libération des camps de concentration, des circonstances exceptionnelles ne doivent pas empêcher que les nombreuses initiatives qui étaient programmées (expositions, conférences, projections, débats…) puissent avoir lieu dès que cela sera possible et que la mémoire de la Déportation soit portée auprès du plus grand nombre.

Le Comité départemental du Souvenir appelle en ce sens les autorités de la République à organiser, dès maintenant dans les médias, puis à la reprise des cours dans les établissements scolaires des moments de connaissance et de transmission, avec le concours des associations d’anciens déportés et résistants.
Il faut sans relâche permettre aux nouvelles générations de pouvoir bâtir leur avenir, « en sachant qui vous étiez » comme le chantait Jean Ferrat, fils de déporté jamais revenu.
Pour le département de la Loire-Inférieure (44), il a été recensé 1844 déportés, 997 sont morts en déportation.
Nantes, le 20 avril 2020

Histoire du convoi du 6 juillet 1942, dit convoi des 45000

Pour plus de 1 000 d’entre eux, ce sont des hommes animés par un idéal d’émancipation humaine, internationalistes et patriotes.

Engagés contre le fascisme qui menaçait l’Europe, ils avaient, dans les années 30, anticipé les combats des années 40. Certains s’engageant dans les Brigades Internationales contre Franco en Espagne.

Ils sont arrêtés pour des actes de refus d’une soumission à l’occupant et de la collaboration. Ils s’efforçaient de dresser la population contre Vichy et les nazis.

Ils rédigent, impriment, distribuent tracts et journaux clandestins.

Ils prennent part à des grèves malgré leur interdiction – certains cachent des armes ou participent à des sabotages.

Dès 1940, le 30 septembre, un télégramme à Berlin du chef de la Gestapo de Paris ordonne « tous les chefs communistes, dont on peut s’attendre directement ou indirectement qu’ils puissent rédiger, distribuer des tracts ou être actifs de façon ou d’une autre, doivent être arrêtés et internés ». Réponse le 3 octobre 1940 du chef de la Gestapo de Berlin : « Hitler donne son accord à condition qu’on épargne nos indicateurs, que les listes des arrêtés soient obtenues et que tout ceci reste discret « .

C’est dans ce cadre qu’est effectuée une grande rafle de militants communistes, syndicalistes, élus, arrêtés notamment le 5 octobre, dans la région parisienne et ailleurs. Ceux-ci seront internés dans divers camps ou prisons puis rejoindront le camp de Choisel à Châteaubriant.

Mais en dépit de la chasse aux militants politiques et syndicalistes à laquelle collaborent Gestapo et police française, les antifascistes s’efforcent de renouer les contacts, de structurer leurs organisations clandestines et d’agir sur leur terrain traditionnel.

Le 1er mai 1941 annoncera un puissant mouvement de grèves à caractère d’opposition à l’occupant. 100 000 mineurs y participeront en mai – juin. Le 15 mai, un appel à constituer un Front de lutte pour l’indépendance sera lancé.

D’inspiration communiste, de caractère national, auquel adhèreront des personnes de sensibilités diverses tels Aragon, François Mauriac ou le gaulliste J. Debû – Bridel, ce mouvement de résistance (Front National), préfigurera les Francs Tireurs et Partisans qui en seront la branche armée.

Ils allaient bénéficier du contexte mondial bouleversé à partir du 21 juin 1941 avec l’entrée en guerre contre l’Allemagne de l’Union Soviétique envahie par les armées hitlériennes.

Mesurant le danger que représentait la lutte armée de partisans sur le sol de France, les nazis répondirent (en vain) par des fusillades massives afin de réduire toute opposition. Comme celles de Châteaubriant, de Nantes et du Mont Valérien le 22 octobre 1941, immédiatement suivies de celles de Souge, près de Bordeaux.

Au contraire, sabotages et attentats contre les officiers et soldats allemands se multiplièrent.

Durant la période évoquée, depuis la défaite, de petits groupes de patriotes anglophiles ou gaullistes, s’efforçaient de renseigner les Anglais restés seuls dans la guerre et répondaient à l’appel lancé par le Général de Gaulle, notamment afin d’exprimer leur condamnation des fusillades de Châteaubriant, Nantes et Bordeaux.

Le seuil de la seule répression anticommuniste était franchi. Ces exécutions symboliseront une forme d’union face à la répression.

Pour créer un nouvel effet de terreur, Hitler décide la déportation des otages vers l’Est. Les autorités allemandes vont faire leur choix dans des listes établies par les autorités de Vichy. Destination Auschwitz via Compiègne.

Le 6 juillet 1942, le premier convoi de Résistants quitte ce camp d’internement de la Werhmacht.

De Choisel et Nantes à Auschwitz

1175 hommes dont 90 % de communistes ou sympathisants, 50 juifs dont certains sont résistants, et en moindre proportion des gaullistes. Parmi eux, neuf internés du camp de Choisel, près de Châteaubriant : Joseph Biffe, Edouard Bonnet, Louis Brenner, Paul Caille, André Gaullier, Louis Goudailler, Maurice Graffin, Maurice Guy, Marcel Gouillard, et Roger Pinault.

Dix autres internés de Compiègne participent à ce convoi. Il s’agit de résistants arrêtés à la suite des rafles opérées le 23 juin puis le 9 juillet 1941dans l’agglomération nantaise par la police militaire allemande (GFP). A la demande celle-ci, le commissaire central de la police nantaise avait donné une liste de neuf « ex-militants communistes ». Internés au Champ de mars, ils sont transférés à Compiègne le 12 juillet 1941 et partiront le 6 juillet 1942 à l’aube vers Auschwitz, où ils arriveront le 8. Les dix de Loire-Inférieure sont : Alphonse Braud, Eugène Charles, Victor Dieulesaint, Paul Filoleau, André Forget, Louis Jouvin, André Lermite, Antoine Molinié, Gustave Raballand, et Jean Raynaud. Seuls deux sont revenus: E. Charles et G. Raballand.

Marguerite Joubert-Lermite, l’épouse d’André Lermite a été arrêtée le 5 juillet 1942 à Mouzeil, elle sera internée dans diverses prisons avant d’être transférée au fort de Romainville, puis d’être déportée à Auschwitz par un autre convoi atypique, celui du 24 janvier 1943. Elle mourra à Auschwitz le 18 mas 1943.

Ce convoi sera le seul à destination définitive d’Auschwitz-Birkenau, avec le convoi des femmes résistantes dit « des 31 000 » du 24 janvier 1943, celles qui sont entrées dans le camp en entonnant La Marseillaise.

Un autre convoi de déportés de répression arrive le 30 avril 1944 à Auschwitz, mais quittera le camp pour Buchenwald au bout de 12 jours. Ils prendront le nom de « tatoués ». Ce convoi comprenait notamment Marcel Paul.

Le long séjour des « 45 000 » à Auschwitz-Birkenau aura fait d’eux des témoins de l’enfer organisé par les SS : l’extermination de Tziganes, de milliers de prisonniers de guerre soviétiques, de patriotes polonais, de résistants de toute l’Europe et du génocide des juifs.

Ce sont les matricules reçus à l’enregistrement qui feront d’eux les « 45 000 ». Ils seront séparés en deux groupes quelques jours après leur arrivée, l’un à Auschwitz, l’autre à Birkenau.

Après 7 mois, plus de 1 000 auront disparu. Leur taux de mortalité fût de 80 % à Auschwitz et de 96 % à Birkenau.

Seuls 119 reverront la France en 1945.

Sources
CARDON-HARMET Claudine, Triangles rouges à Auschwitz, éditions Autrement, 2015
et son blog: https://politique-auschwitz.blogspot.com
DELBO Charlotte, Le convoi du 24 janvier 1943, Editions de Minuit, 1966

Témoignage de Jules BUSSON

Arrivés de la prison de Châlons-sur-Marne, le 24 avril 1944, nous quittâmes Compiègne le 11 mai. Depuis la veille, nous étions groupés dans un petit camp et nous fûmes rassemblés sur la grande place pour être comptés et fouillés.
Mon camarade Adrien BERSELLI, après avoir vu sa nationalité française radiée par le tribunal spécial de Rennes, avait retrouvé sa qualité de citoyen italien. De ce fait, les Allemands ne l’avaient pas couché sur la liste des partants. Au petit jour nous l’aperçûmes, furtivement, alors qu’il nous saluait le poing tendu. Nous ne le revîmes jamais ; notre camarade devant disparaître dans la baie de Lübeck aux dernières heures de la guerre.
Nous traversâmes la ville de Compiègne, déserte. Nous sentions, derrière les volets, la présence des habitants angoissés en entendant le passage d’un nouveau convoi de patriotes déportés vers l’Allemagne. J’aperçus le visage d’une femme âgée qui nous regardait tristement. Cela m’émut profondément. Elle me rappelait ma vieille maman.

Le camp de Compiègne

le_camp_de_compiegne.jpgArrivés sur le pont qui enjambe l’Oise, un groupe de femmes appelèrent, en pleurant, leurs maris ou leurs fils. Elles furent repoussées violemment par les soldats qui nous encadraient, fusils aux poings.
Puis ce fût la gare, avec son long train de wagons de marchandises. Groupés par paquets de cent, nous fûmes entassés dans les wagons. La porte se referma. Seules deux petites lucarnes garnies de barbelés enchevêtrés éclairaient le wagon. Impossible de s’asseoir. Et l’attente commença.
Rapidement la chaleur fut intolérable. L’énervement gagnait les prisonniers. Des discussions, puis des cris, des bousculades eurent lieu. Alors nos responsables, je ne me rappelle plus ceux qui étaient montés dans mon wagon, prirent des initiatives. La moitié des détenus devaient rester debout pendant que l’autre moitié des occupants s’asseyait, les jambes écartées, les uns dans les autres. Tous les quarts d’heure la relève était faite. Cette manœuvre fût suivie sans discussions et soulagea la fatigue de tous.
Le voyage se poursuivait. La chaleur était insoutenable. Les évanouissements se multipliaient. Alors on se passait, à bouts de bras, le camarade pour le faire respirer à la lucarne. Ensuite un tour de rôle fût organisé pour que chacun vienne respirer de temps à autre. Mais un groupe de droits communs s’emparèrent de force d’une lucarne et ce fût impossible, sans risquer de provoquer de sérieuses bagarres qui auraient entraîné l’anéantissement des plus faibles, de les déloger.
Le voyage devait durer quatre jours et trois nuits. Il y avait longtemps que le morceau de pain avait été avalé provoquant, d’ailleurs, une soif plus intense. Certains avaient commencé, malgré les recommandations, à boire leur urine. Cela leur donnait encore plus soif et les rendait pratiquement fous. Des hurlements remplissaient le wagon et il fallut toute l’autorité de nos responsables, toute la discipline des « politiques » pour rétablir un certain ordre.
Pour ma part, assoiffé comme tous, je léchais au petit matin les montures en acier du wagon là où la sueur, s’étant distillée, formait une sorte de rosée. Ma langue était pleine de rouille mais j’avais l’illusion d’avoir avalé un peu d’eau.
Il fût question de tenter l’évasion. C’est l’ordre que nous avions reçu de nos responsables avant de quitter Compiègne. J’avais avec moi mon camarade Louis GRAVOUIL. Avec quelques jeunes, âgés comme nous d’une vingtaine d’années et originaires de Bretagne, nous prîmes contact avec un capitaine F.T.P. Nous lui fîmes part de notre intention de nous évader.
« Attendez, nous dit-il, le travail est commencé. J’ai un homme qui a creusé la porte du wagon. Il reste une mince pellicule de bois. Au moment voulu, à la tombée de la nuit, avant d’être en Allemagne, il va faire sauter cette dernière partie puis il ouvrira la porte qui est fixée par un crochet et attachée avec un fil de fer et nous sauterons. Cela fait la deuxième fois qu’il est dans un wagon partant pour l’Allemagne. La première fois il s’est évadé de cette façon. Faites-nous confiance. »
Alors des voix s’élevèrent : «Vous êtes fous de vouloir vous évader. Les Allemands nous ont dit à Compiègne que toute tentative serait punie par un tir nourri à travers les wagons. Nous ne voulons pas mourir. Au prochain arrêt nous allons prévenir les Allemands. »
Alors le capitaine F.T.P. s’avança vers celui des droits communs qui dirigeait les paniquards. Sortant un long couteau – où l’avait-il caché ? – il le piqua sur la gorge de celui-ci et il lui dit fermement : « Un mot de ta part et avant que les Allemands aient ouvert la porte tu es un homme mort. » Lâchement celui-ci se tût.

wagon_compiegne_buchenwald1.jpgNous nous préparions à cette évasion tant espérée. La peur, je n’ai pas honte de le dire, m’étreignait quelque peu. Je ne pouvais m’empêcher de penser aux petits piquets qui soutiennent les câbles tout le long des voies et je souhaitais ne pas m’empaler dessus. Au dernier moment me disais-je, j’enroulerai mon blouson de cuir autour de ma tête, cela me protègera.
Mais notre fol espoir ne se réalisa pas. Brusquement le train s’arrêta. Puis nous entendîmes des coups de feu, des cris. Notre porte fut ouverte et, tout à coup, j’étouffais, littéralement écrasé contre la paroi du wagon par mes camarades qui reculaient en criant. Puis la pression se relâcha. J’étais dans le brouillard, presque inconscient.
Un violent coup de cravache ou de bâton, je n’eus pas le temps de le voir venir, en pleine figure me réveilla et je me retrouvais cette fois au premier rang, dans la partie opposée du wagon. Les SS nous avaient comptés en tassant les cent hommes dans une moitié de wagon. Les Allemands avaient tué sur le ballast mon camarade BENITE avec quelques autres détenus qui avaient tenté l’évasion. Cela je le sus, une fois arrivé à Buchenwald.
BENITE, un Lorrain, avait quelques jours auparavant fièrement chanté devant l’état-major du camp de Compiègne, lors d’une petite fête que nous avions organisée : « Vous n’aurez pas l’Alsace et la Lorraine », provoquant ainsi la colère de nos geôliers. À Poissy, il avait commencé à m’apprendre le solfège et la sténo. Bien que communiste, passionné de chorales, il chantait m’avait-il dit dans les églises, lors des cérémonies, pour le plaisir uniquement. Je l’aimais beaucoup mais, sur le moment, je ne l’avais pas compris.
La nuit tomba, alors les Allemands allumèrent des projecteurs et, perchés dans des guérites, ils balayaient le train en permanence. L’évasion s’avéra impossible sans certitude d’échec.
Au petit jour nous étions, je le pense, en Alsace. Tout au moins il y avait des petites montagnes au bas desquelles couraient de petits torrents. De voir cette eau, sans pouvoir l’atteindre, accentuait encore notre terrible soif.
L’air était lourd, vicié par nos respirations. Nous nous étions déshabillés complètement pour avoir moins chaud ; la sueur ruisselait sur nos corps. Avec nous il y avait deux prêtres, ils avaient, par pudeur, gardé quelques vêtements.
Vainement, alors que c’était mon tour d’être près de la lucarne, j’essayais avec ma ceinture d’attraper des branches d’arbre pour les sucer, pour en mâcher les feuilles. Un camarade eut l’idée de mettre un carton à l’extérieur du wagon et il l’attacha de façon à former un écran qui rabattait un air frais dans le wagon. Cela fut légèrement bénéfique.
Des prisonniers devenaient fous par la soif. Certains parlaient, ni plus ni moins, de tuer leurs co-détenus pour boire leur sang. Il fallut les assommer pour les neutraliser et les désarmer.
Puis, en plein midi, le convoi s’arrêta, de longues heures m’a-t-il semblé, dans une gare, entre deux trains à gauche et à droite. Ce fût épouvantable. Pour ma part, je tombais quatre ou cinq fois évanoui. Les camarades me ramenaient à moi par de fortes gifles. J’étouffais, ma gorge était emplie de peaux que j’essayais d’arracher avec les doigts. Mon urine était toute rouge, certains disaient : « On pisse notre graisse ».
Je ne me rappelle plus la dernière partie du voyage, je l’ai vécue inconsciemment. Toutefois, après avoir passé une ville qui devait être Weimar et où, sur le quai, des gens riaient et nous insultaient en nous traitant de bandits, de terroristes, nous attaquâmes la montée vers Buchenwald.
Le train avançait au pas ; j’ai su ensuite que les convois qui nous avaient précédés débarquaient les détenus à Weimar et ceux-ci, épuisés, à demi-morts, devaient faire la route, pieds nus la plupart du temps, sous les coups des « Kapos » et des SS jusqu’au camp. Beaucoup mouraient ou étaient abattus par les gardiens.

L’arrivée à Buchenwald

arrivee_a_buchenwald1.jpgCette route qui fut construite par les déportés coûta beaucoup de vies humaines, on l’appelle présentement « La Route du Sang ».
J’étais à demi-inconscient ; j’entendais la prière des morts et je crus que ceux qui la disaient marchaient dehors, le long de la voie. C’était sinistre. Puis je réalisais que quelques détenus avaient entamé cette prière dans le wagon même où tous étaient prostrés à terre, pêle-mêle, les uns sur les autres. Seuls quelques-uns étaient encore debout.
Enfin le convoi s’arrêta dans une courbe au milieu d’une grande clairière. Après un long moment je vis des wagons s’ouvrir et des hommes se jeter dehors, sur le ballast, poursuivis et frappés à coups de crosse par les soldats.
Brusquement, la porte s’ouvrit. Nous étions littéralement aveuglés. Il fallut rapidement réagir et sauter nous aussi de notre wagon. Les traînards étaient sauvagement battus, jetés dehors brutalement, tombant lourdement par terre sur les cailloux, souvent la tête la première.
J’attrapais mon pantalon et mon blouson que j’avais gardés. Nu, je courus vers un groupe qui se formait par cinq et par vingt rangs de cinq. Nous faisions l’apprentissage des « Fünf » (par cinq) et des « Hundert » (par cent). Je m’habillais à la hâte, me protégeant des coups comme je le pouvais.
Au-dessus de nos têtes les arbres me paraissaient immenses. J’avais l’impression de faire partie d’un troupeau que l’on menait à l’abattoir. Je ne savais pas si bien prévoir ce qui allait suivre. Puis, notre pitoyable cortège s’ébranla. J’avais pris Louis par le bras ; il ne réalisait pas où il était, ses yeux étaient dans le vague, il me faisait peur, je le secouais vainement ; il prononçait des mots sans signification.
Une poterne nous apparut. Sur un poteau sculpté, des effigies en bois (un prêtre, un Juif, un terroriste, un bourgeois) – j’eus le détail plus tard – indiquaient la direction du camp, des soldats, celle des casernes SS.
Puis ce fut une allée bordée de baraques peintes en vert avec quelques fleurs devant. Aux fenêtres, des femmes se moquaient de notre déchéance et s’esclaffaient en voyant des hommes nus bousculés par les bourreaux ; les chiens, tenus en laisse par les SS, aboyaient furieusement. Certains détenus furent mordus cruellement.
photographie_de_l_arrivee_des_detenus_au_camp_c_afbdk.jpg Photographie de l’arrivée des détenus au camp©AFBDK

Brusquement une porte avec une grosse grille en fer forgé, des SS nous comptaient au passage, il nous fallait marcher au pas ; fièrement nous redressions au moins la tête. Il ne serait pas dit que des Français, des patriotes, s’inclineraient devant l’ennemi. On ignorait vraiment encore tout de la barbarie nazie mais jamais nous n’avons plié.
Une immense place au fond de laquelle des groupes d’hommes maigres en tenue rayée. Où étions-nous ? Nous bifurquâmes sur la droite, des baquets étaient là plein d’eau déjà boueuse ; tout le monde plongeait la tête dedans et buvait, buvait… Certains utilisaient un chapeau, voire une chaussure pour, enfin, se désaltérer. Nous étions littéralement déshydratés.
Après avoir bu longuement je pensais à Louis qui, à côté de moi, restait impassible, dans le vague. Je lui disais : « Mais bois donc, Louis ». Je pris un chapeau qui traînait et, après l’avoir rempli d’eau, le lui ai mis sur la tête à plusieurs reprises ; il réagit enfin…
Nous avons été dirigés vers un bâtiment, une salle de douches. Épuisés, nous nous couchâmes à même le ciment ; nous continuions à boire, quelques camarades nous conseillèrent d’arrêter si nous ne voulions pas être malades.
Par petits groupes, les arrivants se dirigeaient vers une autre salle. Nous y sommes allés, nous aussi, vers l’inconnu… Nous fûmes d’abord interrogés par des détenus habillés en tenue rayée : « Nom ? prénom ? adresse ? profession ? puis le motif de notre arrestation ? »
Je répondis que j’avais été arrêté pour avoir distribué des tracts communistes contre les occupants. Et là, stupeur ! « Très bien » me répondit le préposé aux écritures.
Je n’en revenais pas ; arriver dans un camp de concentration après de si longs mois de prison en France et s’entendre dire que c’était très bien d’avoir appelé à la lutte contre les nazis ; je ne savais plus si je rêvais ou non. J’appris par la suite que les « Rouges » avaient chassé les « Verts » de l’administration interne du camp. Nul doute que je venais d’être interrogé par un combattant antifasciste.
Il fallut nous déshabiller complètement ; on passa dans une salle et là, à nouveau, stupeur ! Des rayés, munis de tondeuses électriques, rasaient de la tête aux pieds les camarades qui nous avaient précédés. Nous passâmes à ce genre d’exercice et nus comme des vers, c’est vraiment le cas de le dire, nous dûmes plonger, l’un après l’autre, dans un bac en ciment rempli d’un liquide qui piquait les yeux. Mieux valait enfoncer soi-même sa tête dans l’eau semi-boueuse…
Enfin nous nous trouvâmes sous la douche ce qui me délassa quelque peu. Après être passés dans un couloir chauffé faisant office de séchoir, des vêtements rayés nous furent octroyés. Les magasiniers ne regardaient pas à la taille. Une veste, un pantalon, un béret, une chemise, une paire de claquettes en bois, deux numéros à coudre (avec quoi !) sur le pantalon et sur la veste, avec deux lettres F sur un triangle rouge, nous étions drôlement affublés.
Pour certains, les jambes du pantalon arrivaient à mi-mollet, d’autres marchaient dessus ; quelques échanges eurent lieu mais, bousculés par les « Kapos » qui nous avaient pris en charge, cela n’était pas facile.
Au petit jour du 15 mai, nous descendions la montagne, trébuchant à chaque pas sur les cailloux, perdant nos claquettes de bois dans la boue. Des détenus, maigres à faire peur, allaient dans le sens contraire, vers la place d’appel que nous avions vue à notre arrivée. Ils parlaient dans toutes les langues.
Nous entendîmes parler français. 
« Où sommes-nous ? » 
« À Buchenwald ! »
Texte publié en janvier-février 1979 dans Le Serment N° 126, journal de l’association française Buchenwald – Dora et Kommandos

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Des Femmes dans La Résistance Nantaise

Héroïnes des Cités en bois
(Texte extrait de l’exposition « Saint Jo, la Révolution, les guerres »,
organisée par la Commune Libre de Saint Joseph de Porterie en 1997)
Voir l’ouvrage de Louis LE BAIL  » St Jo et les Batignolles : histoire d’un quartier nantais »

Pour l’exposition « Saint Jo, la Révolution, les guerres », nous en avons rencontré trois, seulement trois : il aurait fallu commencer l’enquête plus tôt. Elles ont bien voulu parler de cette période terrible, mais, chacune, à une condition : « qu’on parle aussi des autres camarades ».
Ce sont aujourd’hui (1997) des grands-mères, des arrière-grands-mères, très dignes, très discrètes, très seules aussi, souvent. Plusieurs ont dépassé 80 ans. Elles avaient de 18 à 35 ans, pendant l’occupation. Les injustices de la société les indignent toujours autant qu’autrefois ; l’indignation, c’est un signe de jeunesse, a dit un philosophe.
Elles ont toutes trois un autre point commun : elles ont habité la Halvêque, les « cités en bois » des Batignolles, car leurs maris étaient ouvriers à la grande usine.

Souvenirs de Madame Marcelle BARON
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Dès 1940, des réseaux de résistance s’organisent à Nantes, les femmes y participent activement. Madame BARON est l’une d’elles. Elle travaille alors chez Brissonneau. Le 4 novembre 1941, lorsque le jeune Christian de MONDRAGON hisse le drapeau français sur une des tours de la cathédrale, à la barbe de l’occupant, elle participe à la manifestation, place Saint Pierre. Son domicile, rue de Pressensé, sert de cache à de nombreux résistants :
Fernand GRENIER, avant son départ pour Londres, qui faisait la liaison entre le P.C.F. et le général de Gaulle ;
Gaston TURPIN, F.T.P.F., qui sera fusillé au Bèle ;
Georges GOASNAT, responsable de la résistance communiste pour la Bretagne ….

MMmes René JACQUET (l’épouse du secrétaire départemental de la C.G.T.), Zabeth LE GUYADER et Marcelle BARON deviennent responsables du mouvement des femmes communistes en Loire-Inférieure. Elles organisent la collecte de secours pour les familles de prisonniers, de déportés, de résistants. Mme BARON devient l’adjointe de Venise GOSNAT, lorsqu’elle est arrêtée.

Elle passe dans les caves de la Gestapo, place Louis XVI, où elle est tabassée, torturée. Comme la Gestapo ne peut rien obtenir d’elle (son opiniâtreté arrive même à provoquer une certaine admiration chez ses bourreaux), elle est déportée. A Ravensbrück, elle fait la connaissance de Geneviève de Gaulle, la nièce du général. Elle est envoyée dans un camp près de Karlovy Vary (Karlsbad), dans les Sudètes (Tchécoslovaquie), où les prisonniers doivent participer à la construction de fusées : le sabotage des pièces va bon train !

Au bout d’un an, c’est la libération, elle est ramenée en France, à bout de force. Elle retrouve sa famille, son mari Alfred BARON qui travaille aux Batignolles où il est responsable syndical. Ils viennent s’installer dans la cité en bois de la Halvêque, où ils resteront jusqu’en 1960.

« Surtout, dit Madame BARON (Ginette, dans la Résistance), n’oubliez pas de parler des autres camarades : Mme VAILLANT, Mme CHAUVIN, Mme LOSQ, Margot RIVET ! » (dont le fils a été déporté avec elle).

Souvenirs de Madame Renée LOSQ
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Madame Renée LOSQ : une alerte dame de 84 ans. Qu’a-t-elle fait, pendant la guerre ? Elle habitait la Halvêque. « On a constitué très tôt des réseaux autour des Batignolles. Et pour cause : le P.C.F. était déjà hors-la-loi avant le début de la guerre. Je cachais des copains F.T.P. dans l’illégalité, des gens de passage, le plus souvent inconnus. Je distribuais des tracts, je procurais des tickets de ravitaillement (volés) aux familles des copains en difficulté. »

« Nous formions des petits groupes très cloisonnés, question de sécurité. J’ai pourtant eu des contacts avec Raymond HERVE, avec TOUSSAINT …. » (Ce dernier, condamné à la prison dès avant la guerre pour avoir distribué des tracts anti-allemands).

Août – septembre 1942 – La résistance à l’occupant se développe, la répression aussi. Raymond HERVE est arrêté et comparaît devant le juge LE BRAS. Un commando pénètre dans le palais de justice pour le délivrer. Mme LOSQ est dans le jardin du palais pour protéger la fuite de ses camarades. Que s’est-il passé dans le bureau ?

« Ils m’ont raconté que le juge avait ouvert un tiroir, peut-être pour sortir une arme ? Un résistant a tiré, abattant le juge. Lequel ? Je ne l’ai pas su, sûrement pas HERVE, il n’était pas armé. »

Madame LOSQ accompagne P. HERVE à Concarneau où elle se fait arrêter, tandis que HERVE est repris à Lanester. Elle est envoyée en prison en Allemagne (Aix-la-Chapelle, Breslau, Cologne), condamnée à 12 ans de travaux forcés. Elle connaît les camps : Ravensbrück en Allemagne de l’Est, Mauthausen en Autriche….

Au bout de trois ans, c’est la Libération, elle rentre en France. Pendant ce temps, M. LOSQ, ouvrier aux Batignolles, a été arrêté, condamné à mort, fusillé au Bèle. Leur beau-frère Jacques GUILLOU, ouvrier aux Batignolles lui aussi, a été aussi fusillé au Bèle : on avait trouvé chez lui des tickets de pain volés….

Souvenirs de Madame Paule VAILLANT

Madame Paule VAILLANT est la fille de Marguerite RIVET, dite « Margot », pontonnière aux Batignolles (elle conduisait ces énormes ponts roulants que l’on aperçoit de la route de Paris), et la sœur de René RIVET dont on parlera plus loin.

En 1941, elle a 18 ans, elle est mariée, elle a un enfant. Elle participe au groupe de femmes résistantes de la Halvêque avec Marie CHAUVIN, Renée LOSQ …. Les réunions du groupe se tiennent en plein air, chemin du Perray, près d’une tenue maraîchère (magasin Décathlon actuel). C’est Madame BARON qui anime ces réunions.

On distribuait des tracts dans les files d’attente, en particulier chez L.U., rue Boileau, à l’angle de la rue du Chapeau Rouge. Au retour, on se regroupait dans les jardins du Palais de Justice. On distribuait aussi des tracts et on collait des affiches dans les trois cités en bois (Halvêque, Baratte, Ranzay).

« Un de nos exploits, c’est d’avoir réussi à coller une affiche sur le portail de l’usine Brandt, malgré les rondes de la garde allemande ». L’usine Brandt, aujourd’hui Saulnier-Duval, fabriquait des armes. « Une autre nuit, nous faisions une distribution de tracts dans la cité Baratte. Les chiens n’arrêtaient pas d’aboyer, à la Halvêque. C’est cette nuit-là que la Gestapo est venue arrêter Renée LOSQ, son mari et Jacques GUILLOU. »

Le groupe de Madame VAILLANT militait avec le Front National, organisation de la Résistance n’ayant pas la moindre ressemblance avec le parti qui porte ce nom aujourd’hui. Le responsable était le jeune Libertaire RUTIGLIANO, fils d’un émigré italien, qui mourut en déportation.

« Mon frère René RIVET était lui aussi membre du Front National. Ayant été dénoncé, il a été arrêté en avril 1944 à Trans sur Erdre, emprisonné à Lafayette, torturé place Louis XVI. Il a eu 20 ans en prison. Déporté à Buchenwald, il a été délivré par les Américains. Rapatrié sanitaire, il est décédé à l’Hôpital Bichat en juin 1945. Il avait 21 ans. »

« Nous organisions la solidarité : tous les mois, nous versions une certaine somme, suivant nos disponibilités, pour aider les familles des camarades en prison ou en fuite. »

Une anecdote parmi tant d’autres : « Marie CHAUVIN, qui était enceinte, a obtenu de se marier, à la prison Lafayette, avec Auguste CHAUVIN qui a été fusillé peu après. Courage ou inconscience du danger ? Margot RIVET, ma mère, et moi-même avons été témoins du mariage. Nous sommes allées à la prison avec ma petite fille Denise qui avait alors 2 ans, début septembre 1942. Jean CHAUVIN est né à la fin de septembre. »Ceci n’est qu’un trop rapide aperçu de la Résistance dans le quartier. Seulement trois femmes ont témoigné pour l’exposition ; il y en a eu tant d’autres !

Il y a eu les hommes : quelques-uns ont leur nom sur la plaque des fusillés, à l’ancien stand de tir du Bèle. Mesdames BARON, LOSQ et VAILLANT nous en ont cité quelques-uns : MM. BOURSIER, MAISONNEUVE, LE PRIM, RAYNAUD, Ange VAILLANT, Marius HONNET, Rémy GACHE, Henri LEFIEVRE …, M. ASTIC qui tenait la droguerie près de la Poste des Batignolles….

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Gisèle Giraudeau: la fille à la chaussette

J’étais : la fille à la chaussette

Gisèle Giraudeau est née à St Vincent des Landes en 1923, il n’y est restée que 4 ans, rejoignant son père à la gare de Treillières où il travaillait. Elle se souvient très bien de la déclaration de guerre, des Allemands contournant la ligne Maginot, des réfugiés du Nord qu’il fallait loger à la gare. Elle se souvient des impatiences de son frère, Joseph Fraud, son aïné de trois ans, qui voulait partir en Angleterre, par l’Espagne. Avec lui, elle a quitté la maison, à vélo, mais les deux jeunes gens ont été stoppés à la ligne de démarcation à Eymoutiers à une cinquantaine de kilomètres au sud-est de Limoges. « Après l’armistice du 22 juin 1940, nous sommes donc revenus à Treillières, très déçus ».

Février 1943, Joseph Fraud, refusant le STO (service du Travail Obligatoire), est caché en gare par des cheminots avant de pouvoir participer de façon plus active. C’est alors qu’il fait la connaissance de Libertaire Rutigliano et entre au Front National de la Résistance et de la Libération de la France.

« Moi je travaillais au service régional des assurances sociales à Nantes. Et, le week-end, à la demande de mon frère, je frappais les stencils servant à imprimer des journaux clandestins : Le Front des Ouvriers, le Front des Paysans, le Front des Universitaires, etc. Les journaux étaient cachés dans un cabanon au fond du jardin de Rutigliano et des camarades venaient les chercher pour les distribuer. Je m’occupais aussi de trouver des chambres pour les maquisards »

Le frère de Gisèle lui avait dit : « tu ne parles de rien à personne ». « J’ai respecté la consigne mais, au boulot, on en parlait beaucoup de ces journaux. Un jour, en mars 1944, un paquet de journaux a été trouvé aux Chantiers de Bretagne. La police est remontée jusqu’à l’ouvrier qui l’avait apporté, et plus haut dans la filière, c’est ainsi qu’ils ont arrêté mes amies, Jeannette Alain et Marcelle Baron à l’usine métallurgique Brissonneau ».

Gisèle s’interroge alors : partir ? « Mais si je partais, mes parents trinqueraient. Je suis restée. Cette fois-là, ce n’est pas moi qu’on cherchait. On cherchait DUHART, c’était le nom de guerre de mon frère ».

Le 3 avril 1944, Gisèle est arrêtée à son tour. « La Gestapo m’a emmenée dans ses locaux, rue du Maréchal Joffre. J’y ai retrouvé une amie qui m’a seulement dit en m’embrassant : je n’ai pas pu tenir. Le soldat de la Gestapo m’a flanqué une violente claque, je suis tombée et j’ai été emmenée dans les caves. J’ai été questionnée, torturée pour que je dise où était Duhart mais je n’ai rien dit. Dans les cellules voisines j’entendais les plaintes d’autres personnes. J’avais peur. Dans des situations comme cela, on implore le ciel, on essaie de répondre n’importe quoi, j’ai tenu »

Le 8 avril 1944, la Gestapo emmène Gisèle sur le quai de la gare de Nantes : elle doit servir d’appât pour arrêter d’autres résistants. La gestapo veille à proximité. « Ma sœur, 16 ans, est sortie du train avec un ami. Quand elle est passée à côté de moi, elle m’a dit discrètement « il est à l’abri ». En effet, Joseph, prévenu, était descendu du train à Nantes, par les voies et, équipé d’un vélo, avait filé vers Treillières.

Gisèle est alors emmenée par les Allemands jusqu’à Treillières. « Par la fenêtre, j’aperçois mon frère à l’étage. Les Allemands n’avaient rien vu. Moi je me disais : le sort est contre nous ». En entrant dans la maison de ses parents, Gisèle prend quelques secondes pour cajoler son chat venu lui faire fête : ce court laps de temps permet au jeune homme de descendre se cacher dans la cave. La porte de celle-ci, bien dissimulée, n’est pas repérée par les Allemands. « Le temps qu’ils interrogent mes parents, j’ai pu me faufiler jusqu’à l’étage et cacher la valise de mon frère sous le lit. Dans ses papiers, il y avait des caricatures d’Hitler ». C’était la veille de Pâques, ce 8 avril 1944. Les Allemands n’ont pas fouillé beaucoup. Joseph n’a pas été trouvé mais Gisèle a été emmenée en prison à Nantes jusqu’au 21 avril. « Votre fille, elle va partir pour l’Allemagne, pour éplucher des pommes de terre » disent les Allemands.

21 avril 1944 : un convoi quitte Nantes, avec 57 hommes dirigés vers Compiègne, un Juif dirigé vers Drancy et deux femmes, Marcelle Baron et Gisèle Fraud, dirigées vers le fort de Romainville, un ancien bastion de type Vauban, construit au XIXe siècle, surveillé par des miradors, ceinturé de grillages déroulés tout au long du chemin de ronde qui serpente sur les hauts murs. Romainville : antichambre des camps nazis.

13 mai 1944, il fait beau, très chaud même. Un colis de la Croix Rouge est remis aux 705 détenues que les Allemands font entrer dans le train à Pontoise. Des wagons à bestiaux avec une étroite ouverture grillagée. « Nous y sommes restées toute la journée, sous le soleil brûlant, nous avions soif. Les cheminots, dans la gare, avaient des bouteilles d’eau mais un cordon d’Allemands empếchait tout contact. Nous ne sommes parties que le soir, celles qui l’ont pu ont écrit de brefs messages jetés sur la voie, acheminés ensuite par ceux qui les trouvaient : c’est ainsi que j’ai pu faire dire à mes parents que je partais pour l’Est ».

Dans le train, les femmes sont anxieuses : pour l’Est ? Pour l’Allemagne ? « Nous sommes entassées dans ce wagon, le colis de la Croix Rouge est terminé. La « tinette » déborde, nauséabonde. Nous avons soif, le matin je passe ma main à travers le vasistas pour recueillir quelques gouttes de rosée sur le toit ».

A la frontière allemande, la Croix Rouge peut offrir un quart de soupe bienvenu. A Berlin, sous les bombardements, le train est bloqué une journée, puis le voyage reprend, il durera en tout cinq jours et quatre nuits. A l’arrivée les femmes sont en mauvais état, épuisées.

Gare de Fürstenberg à 80 km au nord de Berlin. « Nous avions encore nos montres. Il est deux heures du matin. Des projecteurs nous aveuglent. Chiens. Des ordres sont hurlés en allemand : se ranger en colonnes par 5. Celles qui, parmi nous, connaissent cette langue, nous transmettent les ordres. Chercher nos valises. Schnell ! Aider les plus faibles à descendre. Schnell ! Relever celles qui sont tombées. Schnell ! Schnell ! Nous ne sommes pas sur le quai de la gare mais sur les voies et c’est encore plus difficile de descendre ».

Les 705 femmes, en colonne, marchent sur 2-3 km, en direction de Ravensbrück. Elles traversent un bois, cela sentait bon la verdure. Puis elles parcourent une allée bordée de belles maisons, avec des fleurs aux balcons. Timidement l’espoir renaît. Les femmes apprendront vite que ce sont les maisons des gardiens du camp.

Pour elles, voici un immense portail avec des murs de 5 mètres de haut. Et des barbelés. Et toujours les projecteurs et les chiens. « On nous a fait nous ranger dans un coin de la cour et nous mettre par ordre alphabétique : chacune demandait le nom de ses voisines : Une belle pagaille ! Mais enfin ça y est, nous sommes rangées »gisele_giraugeau200.jpg

Quatre heures du matin, le jour se lève, « Nous apercevons quelques prisonnières qui nous font de grands signes. Nous finissons par comprendre qu’il faut manger tout ce qui reste dans nos bagages. Nous ne les croyons pas. Nous essayons de leur envoyer quelque chose et nous récoltons des coups de nos gardiens. L’inquiétude nous étreint. Vers 5 heures, le camp s’éveille, des femmes vont chercher des bidons de café. D’autres convergent vers la place d’appel ».

« Nous, on nous fait entrer dans les bureaux : nom, adresse, bijoux, argent. Nos objets précieux sont mis dans une enveloppe qu’on a promis de nous rendre. [Mais nous n’avons rien récupéré !] »

Puis c’est le rituel habituel : déshabillage total, désinfection au grésil (ça pique !). « On nous entasse alors dans une salle, les portes sont fermées. C’est la salle de douche, une douche qui nous fait grand bien après notre voyage. Mais l’alternance du chaud et du froid nous met mal à l’aise. Nous avons la peur au ventre ».

Au sortir de la douche, chacune reçoit un paquetage : robe légère, culotte, chaussures à semelles de bois. « Nous recevons aussi une bande à coudre sur notre robe, avec notre numéro matricule. Et un triangle rouge, car je suis Résistante. Coudre ? Avec quoi ? Nous n’avons rien, mais il faut se débrouiller et surtout retenir ce satané numéro, en allemand. Pour moi : 38 854 »

« Je ne suis plus qu’un numéro : 38854 : achtunddreißigtausendachthundertvierundfünfzig »

Quarantaine

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Les 705 femmes sont alors entassées dans une baraque prévue pour 350. Elles se partagent les châlits superposés. Promiscuité. Pas le droit de parler avec des personnes de l’extérieur. C’est la période de quarantaine, 40 jours sans sortir, même pour l’appel. « Ce système d’appel que nous pouvons observer, avec le comptage et le recomptage, les longues séances debout, les chiens, cela ne nous dit rien de bon. Nous avons quand même appris le débarquement du 6 juin 44 car des femmes sont passées en criant le long de notre baraque : le débarquement est fait ». Dans la baraque, les femmes fredonnent La Marseillaise.

« Au dehors, nous apercevons les enfants, en haillons. Ils n’ont rien à manger, ils n’ont même pas de gamelles, rien que des boites de conserve. Ils sont avides de cette nourriture infecte que, au début, nous refusons. Je comprends que c’est l’enfer ». A Ravensbrûck, les femmes qui arrivaient enceintes accouchaient et retournaient très vite au travail. Aucun supplément de nourriture. Les femmes qui pouvaient voler (on disait « organiser ») des gants en caoutchouc en faisaient des biberons de fortune. Seuls trois enfants revinrent de Ravensbrück. « Nous avions des piqûres tous les 2-3 jours, je n’ai jamais su pourquoi. Celle qui demandait recevait une paire de claques. J’ai toujours pensé que ces piqûres provoquaient une modification hormonale car, nous les femmes, nous n’avions plus nos règles »
Zwodau

Gisèle n’est pas restée au camp de Ravensbrück, elle a été dirigée vers le Kommando de Zwodau, dans les Sudètes, qui, au début, dépendait de Ravensbrück. « Trois jours de voyage. L’horizon verdoyant nous a apporté un peu de réconfort. Pas longtemps ».

« A Zwodau, on a demandé des volontaires pour travailler à l’usine Siemens qui fabriquait des pièces pour l’aviation. Personne n’a répondu. Nous avons alors appris qu’il nous faudrait ramasser du charbon dans la mine voisine, à ciel ouvert, pour chauffer les maisons de gardiens et les blocks du camp. Ou travailler à la réfection des routes ou faire du bûcheronnage en forêt. Finalement nous avons accepté l’usine. Là au moins il faisait chaud ».

Lever à 4 h du matin, lit à faire au carré, appel qui dure longtemps, cinq par cinq, même les malades qui pouvaient tenir debout. Attendre qu’on nous compte : la blockova, l’aufseherin, le commandant … et il faut trouver le même nombre ou recommencer à compter. Un liquide noir en guise de café. Se laver. Schnell, schnell. Et partir au travail.

Pour aller travailler, d’abord se ranger, puis marcher au pas en chantant. « Alli Allo, chantaient les premiers rangs. Nous, les Françaises, nous étions en bout de colonne car nous n’avons jamais su marcher au pas, nous ne voulions pas marcher au pas. Et nous chantions : as-tu vu la casquette la casquette, as-tu vu la casquette du père Bugeaud, Elle est faite la casquette, la casquette, Elle est faite avec du poil de chameau ». [vieux chant historique que Radio-Alger avait adopté comme indicatif]

« J’ai appris à manier la perceuse, le tour, la scie circulaire. C’est un Allemand qui m’a appris, il s’est adouci quand il a compris que j’étais là pour faits de Résistance, et pas « droit commun ». J’ai pris tout mon temps pour apprendre le maniement des machines car je ne voulais pas travailler pour l’Allemagne »

Marcelle Baron, dans cette usine, s’efforçait de percer de biais : le trou devenait inutilisable, la mèche cassait. Elle a été tabassée souvent. D’autres filles limaient certaines dents de la scie circulaire : les pièces fabriquées avaient des défauts.

Punies

« Nous travaillions en équipe. Douze heures de jour. Ou douze heures de nuit. Je ne faisais pas partie de la même semaine que mon amie Marcelle Baron et j’en étais très triste. Mais nous, les Françaises, nous nous soutenions beaucoup. Les plus jeunes, comme moi, essayaient de faire rire les autres. Nous n’avions sur le dos qu’une robe légère. La neige a commencé à tomber dès octobre-novembre. En mai 1945 la neige n’avait pas encore fondu. Il faisait -25°. Il fallait tenir cependant ».

Le soir, les appels étaient plus redoutables que le matin, car on pouvait être « appelées » : achtunddreißigtausendachthundertvierundfünfzig, pour avoir parlé, pour avoir passé trop de temps dans les « toilettes », pour avoir déplu tout simplement. C’était alors une liste de punitions, à effectuer le dimanche matin. « C’est ainsi que j’ai déchargé des rutabagas, et des pommes de terre. J’ai transporté des ferrailles aussi et déchargé un wagon de briques. Avec le froid qu’il faisait, cette corvée vous arrachait la peau des mains ».

Une seule fois Gisèle a pu écrire à sa famille, en allemand bien sûr, texte imposé « Je mange bien, je dors bien. Envoyez moi un colis ». « Ma lettre n’est arrivée qu’en décembre 1944, je n’ai jamais eu de colis. Celles d’entre nous qui en ont reçu ont tout partagé. Trois ou quatre morceaux de sucre par personne, un ou deux gâteaux. Le grand plaisir ».

Plus le temps passait, plus la soupe était claire, il fallait la manger dehors, debout, dans la gamelle. Les déportées qui le pouvaient « organisaient » (volaient) des betteraves blanches ou un os à la cuisine, pour le ronger comme elles pouvaient. « J’avais fabriqué un couteau à l’usine, en ponçant un morceau de fer sur une meule. Je le cachais dans ma chaussette. J’étais la fille à la chaussette car mes chaussettes, grises au départ, étaient raccommodées avec des fils de toutes les couleurs donnés par les filles qui travaillaient à la couture ».

Ce calvaire a duré onze mois. « Et puis, début mai 1945, les Allemands nous ont mis sur les routes en direction de Flossenbürg. Nous avons erré pendant 5 jours, partout nous nous heurtions aux Alliés. Les Allemands nous trimballaient d’une grange à l’autre, il faisait un froid de canard. Et nous sommes revenues au camp ». Le 7 mai 1945, « ils sont là ». Les tanks américains ont ouvert les grilles du camp de Zwodau.

Gisèle et ses compagnes ont pu partir vers Duisburg, dans des camions pas couverts. Trois jours de voyage, « comme des wagons à bestiaux, mais avec de la paille. Nos pauvres os à fleur de peau ressentaient toutes les secousses du camion. Lors des arrêts, nous allions en campagne chercher des œufs et des poulets, les prisonniers français nous aidaient ».

Franchir le Rhin (le pont n’avait plus de rambarde). Charleville Mézières. Angers. Là Gisèle a pu faire téléphoner à ses parents et au mari de Marcelle Baron. « A Nantes, sur le quai de la gare, j’ai pu voir mon père, ma sœur, mon frère de qui je n’avais plus eu de nouvelles ». A cette évocation la voix de Gisèle se brise. « Pour Marcelle, il a fallu aller chercher une civière. Moi je ne faisais plus que 38 kg mais tout le temps de ma déportation, je savais que je reviendrais, j’étais de celles qui redonnaient confiance aux compagnes qui n’avaient plus le moral »

Gisèle, depuis, témoigne de ce qu’elle a vécu, sans haine : les souffrances, la solidarité, pour que « cela » ne se reproduise pas. Pour la remercier, les enfants ont chanté « Nuit et brouillard ».

Ecoutez Gisèle raconter :

L’arrivée au camp

La vie dans le block 10

Cet article a été conçu par le journal en ligne La Mée

http://www.journal-la-mee.fr/3202-gisele-giraudeau-la-fille-a-la

Marthe GALLET de Saint-Nazaire à la Libération de Paris

Le 3 novembre 2014, une foule emplit la grande salle de la résidence du Traict, sur le front de mer de Saint-Nazaire. Tous ces gens, famille, amis, camarades, résidents, personnel de l’EPHAD sont venus souhaiter un bon anniversaire à Marthe Gallet, et pas n’importe lequel: le 100ème.
Marthe Gallet, « ce petit bout de femme à la vie extraordinaire »1 est une figure nazairienne dont la vie est jalonnée d’engagements multiples.
Née en 1914, Marthe Robert entre à l’Ecole normale d’institutrices de Nantes et commence à militer au syndicat des instituteurs, au Groupe des jeunes. Elle militait déjà au Parti communiste depuis 1934. C’est l’époque des luttes antifascistes, du soutien à l’Espagne républicaine et du Front populaire qui l’enthousiasme. C’est dans un défilé à La Baule qu’elle rencontre Frédéric. Instituteur, lui est passé par l’Ecole normale de Savenay. Tous deux sont militants, Frédéric devient responsable du Comité du Front populaire, tandis que Marthe s’occupe de l’Union des Jeunes Filles de France, un mouvement créé par Danièle Casanova et d’autres pour permettre aux jeunes filles, en un temps où la mixité n’était pas ce qu’elle est aujourd’hui, de s’engager elles aussi. Elle épouse Frédéric en 1937 et ils obtiendront un poste double à Trignac en 1939.
1939, c’est la guerre. Frédéric est mobilisé, il laisse sur le quai de la gare sa femme et sa fillette, Françoise née l’année précédente. Grâce à deux militants, Raymonde et Ernest Pichon2, elle reprend contact avec le parti communiste, hors la loi depuis le 26 septembre 1939 et participe à la diffusion de tracts et journaux clandestins et apporte son aide aux militants traqués par la police, car la répression est féroce.
« Septembre 1942. Soudain vers onze heures du soir, des coups violents ébranlent la porte. Ma sœur était avec moi. Son mari venait de quitter la maison avec Albert Rocheteau3. Tout de suite, nous avons eu peur pour eux. Mais la police arrêtait cette nuit-là toute une liste de suspects dont je faisais partie. Comment expliquer que malgré la douleur de quitter ma petite Françoise endormie dans son berceau, je ressentis une sorte de soulagement. Ma sœur partit dans la nuit par des chemins détournés, roulant ma petite fille dans sa poussette. Elle la conduisit à Saint-Nazaire chez ses grands-parents.(…)
Je fus conduite à pied à la prison de Saint-Nazaire où je retrouvai « Tante Fine » arrêtée la nuit même au Croisic. Les policiers voulaient savoir où se trouvaient Georges et Léone, les interrogatoires se succédèrent. A l’un d’eux, ils amenèrent une petite fille de l’âge de Françoise me promettant la liberté si je donnais une adresse.
Je fis connaissance avec la saleté de la prison et pourtant j’étais privilégiée. Nous n’étions que trois dans une grande pièce, mais les tas de chiffons qui s’amoncelaient étaient un lieu d’élection pour les souris; nous trouvions sous nos paillasses des nichées de petites souris toutes roses. J’étais avec deux condamnées de droit commun dont je garde un excellent souvenir, l’une emprisonnée pour avortement, l’autre rejetée par la société, Marie, à qui j’apprenais l’orthographe. »
Après Saint-Nazaire, c’est le circuit des prisons : château de Gaillon (Eure), camp de la Lande près de Tours, où elle fait une tentative d’évasion, infructueuse mais qui lui fait inventer La Chanson des évadés, de nouveau Tours puis le transfert à la prison des Tourelles à Paris qu’évoque Patrick Modiano dans son roman Dora Bruder, d’où elle s’évade en février 1944 après avoir pris quelques cours d’espagnol auprès de Républicaines internées. Elle reprend sa place dans la résistance, et s’engage dans les FTP, elle devient l’agente de liaison Michèle, attachée à l’Etat-major du Colonel André, de son vrai nom Albert OUZOULIAS4 et parcourt Paris à vélo pour transmette les courriers et les instructions. Arrive l’insurrection d’août 1944, elle est en première ligne et participe à ce titre à la libération de Paris.
marthe_gallet.jpgPrison des Tourelles- Hiver 1943 Marthe est au centre
Après la Libération, elle rentre à Saint-Nazaire et reprend son métier d’institutrice à l’école Jean Jaurès. Elle anime et préside l’Union des Femmes françaises, mouvement né pendant l’Occupation à partir des comités populaires féminins (aujourd’hui Femmes solidaires). Les combats ne manquent pas. Si la guerre est finie, les conflits ne manqueront pas – Indochine, Algérie, Vietnam . Conflits sociaux également dans lesquels elle est investie: 1955, 1967, 1968. Luttes pour l’école et la laïcité.
Marthe Gallet nous a quittés en 2015 dans sa 101ème année.
1- Ouest-France 7/11/2014
2- Ernest Pichon, membre du triangle de direction de la résistance communiste nazairienne avec Emile Bertho et Pierre Mahé, il sera arrêté le 5 août 1942, torturé, emprisonné, il comparaît devant la Cour spéciale de Rennes avec 25 autres communistes, en février 1943. Il sera déporté à Buchenwald.
3- Albert Rocheteau, membre de l’Organisation spéciale, puis des FTP
4 – Albert Ouzoulias, adjoint du colonel Rol-Tanguy, auteur de Les Bataillons de la jeunesse Editions sociales

Le camp des Tourelles
Avant le Bureau des légendes et l’existence de la télévision, la caserne des Tourelles, dans le 20ème arrondissement de Paris, qui abrite aujourd’hui les services de renseignements, a été un camp d’internement. 7 658 personnes y ont été internées entre novembre 1940 et le 19 août 1944: des « indésirables » étrangers, des communistes, des femmes juives, des réfractaires au STO.
Le 14 mai 2018, la Ville de Paris a dévoilé une plaque commémorative, au 163, boulevard Mortier Paris 20ème, à la mémoire des populations internées dans cette caserne entre 1940 et 1944. Le Musée de l’Histoire vivante de Montreuil possède et a exposé fin 2019/début 2020 trente et un portraits d’interné-e-s des Tourelles
Pour en savoir plus
* reportage dans L’Humanité-Dimanche n° 689 2 au 8 janvier 2020
* Louis Poulhès , Un camp d’internement en plein Paris : Les Tourelles, Atlande éditeur