Dernière lettre de Jean de Neyman

Près de La Baule le 02 septembre 1944

Mes chéris,

Nous voici donc en septembre, au début de la sixième année de ce cauchemar, qui semble heureusement ne plus devoir être bien long à se dissiper. Déjà, pour vous vont disparaître les angoisses de cette sorte de siège par la famine dont Paris souffre depuis si longtemps. Mais je sais que ce n’est rien devant l’immense soulagement moral de penser à la fin de l’infernale époque que nous vivons encore. Et les perspectives d’avenir, encore qu’incertaines, n’en sont pas moins lumineuses.

Moi-même, je suis heureux doublement, et pour mon compte personnel, et pour la joie de tant d’êtres qui en sont heureux. Pourtant, à cette atmosphère radieuse, il faut que j’apporte un nuage : il m’est arrivé ces derniers temps une rencontre fâcheuse qui va retarder peut-être longtemps le plaisir de nous voir.

Voici l’histoire en gros (vous aurez des détails ensuite).
Vers le 10 août, un jeune marin allemand, qui avait déserté, cherchait asile dans les parages de la ferme où j’avais élu domicile principal, depuis un mois à peu près. C’est moi qui le rencontrai d’abord, et, après une longue conversation, considérais que c’était un bon type qu’il serait inhumain de laisser reprendre et fusiller par les autorités militaires allemandes. Aussi je le vêtis en civil et demandais au fermier, Joseph Jergaud, de bien vouloir le nourrir à mes frais, pendant le temps (que nous supposions court) où les Américains ne seraient pas encore venus. Le gars se sentant en danger malgré tout, je lui donnais même un vieux revolver que j’avais trouvé dans la cave de ma maison en voulant enterrer mon poste radio. Tout se passa bien quelques jours, et j’eus même le plaisir de faire de bonnes parties d’échecs avec mon Fritz, ou plutôt Gerhardt, comme il se prénommait.
Par malheur, les américains ne venant pas, Gerhardt s’ennuyait et se montrait imprudent circulant autour de la ferme. Si bien qu’il fut pris par une patrouille avec son revolver en poche, et que je fus arrêté, ainsi que peu après tous les adultes de la ferme (Mme et M Jergaud, et un aide Jean Mercy que j’avais d’ailleurs comme à La Baule, alors que, mécanicien il prenait des leçons de sciences pour passer un concours naval). Nous fumes donc Gerhardt et moi d’abord en voiture à cheval, puis les autres en camion, conduit dans un camp entre Saint-Nazaire et Montoir, pour y être interrogés. Mme Jergaud fut relâchée, mais au bout de 8 jours, le 25 août.
Gerhardt, Jergaud et moi, nous passions devant un conseil de guerre, siégeant au camp de la marine Endras (entre Saint-Nazaire et La Baule). Comme je n’avais jamais voulu éviter mes responsabilités, et encore moins les rejeter sur le pauvre fermier, c’est évidemment moi qui fus condamné au maximum, et, tandis que Jergaud s’en tirait avec 2 ans de prison, je fut condamné comme Gerhardt. Il me restait encore une chance : le jugement devait être confirmé par le commandant de Saint-Nazaire, de sorte qu’au lieu d’être fusillé tout de suite, je fus conduit, à coté du tribunal, dans un pavillon ou j’ai attendu jusqu’à ce matin des nouvelles d’une sorte de pourvoi que j’avais formulé.
Voilà donc en résumé les événements, assez bêtes à certains points de vue, qui vont, je ne le crains que trop, vous faire tant de peine. Comme disait Heine :
Das ist das Los, das Menschenlos
Was schön sind gross, das nimmt’ein schlechtes Ende !

Maintenant, mes chéris, ne croyez pas que j’en suis bien affligé. Ah, pour ça, par exemple, il en faut davantage pour me faire perdre ma bonne humeur, et ces dernières semaines ont été bien agréables pour moi.
D’abord, il y a la joie d’avoir fait mon devoir ou, ce qui est la même chose, ce que je considérais comme mon devoir, envers et contre tous. Comme je l’ai expliqué aux juges, si le hasard met à côté de moi quelqu’un qui se noie, je ne me demande pas, en me jetant à l’eau, depuis combien de temps j’ai déjeuné.
Ensuite, il y a l’immense plaisir d’avoir pu, jusqu’au bout, faire du bien autour de moi. Passons sur Gerhardt. Ma connaissance de l’allemand m’a maintes fois permis d’être utile au 1er camp. J’ai également pu, et, c’est le principal, obtenir à peu près justice en ce qui concerne ceux qui n’avaient rien à voir dans l’affaire, Mercy et Jergaud. Sans parler du bien que j’ai pu faire en montrant une fois de plus aux Allemands que les Français ont le sens de l’honneur. Et mille détails qui me font penser aux vers de Kipling, traduits par moi-même pour compléter Maurois à la fin de son célèbre poème « Si… » :
Si tu peux, lorsque vient l’instant désespéré
De tout ce qu’il contient, tirer pourtant la somme,
Alors à toi, mon fils, est la Terre entière, et,
Bien plus, tu es un Homme !

Et puis, il faut que je l’avoue aussi, je suis heureux et fier du succès d’estime que j’ai remporté pendant mon jugement. Quand le président m’a demandé pourquoi j’avais recueilli Gerhardt, et si je ne savais pas que c’était interdit, et que j’ai répondu : « pour un Français c’est une question d’honneur d’aider celui qui demande de l’aide, et l’honneur est d’autant plus grand que l’on risque d’avantage » – quand, après le réquisitoire qui demandait la mort pour Jergaud et moi, et après la plaidoirie qui nous confondait aussi, on m’a demandé si j’avais quelque chose à ajouter et j’ai dit : « Je précise bien que, désirant dès le début conserver l’entière responsabilité de mon acte, je n’ai jamais dit à la ferme (où l’on ignore l’allemand) ce qu’était au juste Gerhart, de sorte que je suis seul responsable. » , – à ces moments il y a eu des murmures dans la salle et ce n’était pas de la moquerie. Et là où, je dois le dire, j’ai éprouvé l’une des plus puissantes impressions de bonheur de ma vie, ce fut, tout de suite après le jugement, quand j’ai entendu discuter sur moi les hommes de garde devant le couloir de ma cellule, Si vous aviez pu les entendre, mes chéris mon cœur eut éclaté de fierté joyeuse.
En plus de cela, il y a eu une foule de petits à cotés agréables, une foule étonnamment nombreuse de réjouissances secondaires, qui me donnent l’occasion de vous donner une vue de quelques détails.

Le seul ennui que j’ai eu, c’est que, le jour où l’on m’a arrêté, on m’a pris mes si utiles lunettes et, que depuis, personnes n’a jamais pu savoir ce qu’elles sont devenues. Personnellement je n’ai jamais pu comprendre pourquoi ; quelqu’un de vous comprendra peut-être, à la longue, quoique, maintenant que nous ne nous verrons plus, cela n’ait vraiment plus beaucoup d’importance… !
Un premier incident que nous avons eu en route mérite d’être signalé, il constitue vraiment un petit fait comique. Comme nous voyagions sur notre carriole, où nous étions attachés fort discrètement, tirés par mon excellent cheval vers une destination hélas triste, un passant rentrait du travail à pied nous demanda naïvement : « Il n’y a pas une place pour moi ? »
Je n’avais pas ri avant mais, à partir de ce moment, je perdis toute mauvaise humeur ou dépit de mon arrestation. Et depuis, j’ai toujours eu des occasions agréables ou divertissantes. C’est ainsi que j’ai pu couper dans ma planche, obligeamment prêtée, d’une part un échiquier percé de trous où s’infiltraient les tiges des pièces, découpées d’autres part. De cette façon j’ai pu jouer en paix sans que les voisins puissent brouiller le jeu, quelle que fut leur turbulence juvénile. Fallait voir ce jeu fait de fil de fer et de bois, signé Jean, reconnaissable à 100 mètres !
Il fallait aussi voir les Allemands s’empresser à jouer avec moi (qui ne pouvais causer aux autres prisonniers) comme s’ils désiraient tous me consoler, et prouver par leur amabilité qu’ils déploraient ma situation et qu’ils auraient bien voulu faire quelque chose – mais quoi ? – pour ne pas me voir fusiller (on s’y attendait dès le début).Aussi n’est-ce pas sans laisser presque des amis que j’ai quitté le camp : à peu près tous ceux avec qui j’avais parlé un peu s’en faut. Naturellement j’ai du y laisser aussi, aussi avec quelque regret, le plus beau de mon équipement ; c’est-à-dire mon jeu d’échecs-, quand je serais ministre, je changerai le texte du règlement rigoureux dont je fut victime… !

Or, depuis le jugement, les doubles rations (pour le moins) de tout ce qui est comestible ou favorable, dont je suis favorisé ; auraient enthousiasmé ceux qui s’imaginent que « Jean bon » ne peut vivre sous autre orthographe (si j’ose ce déplorable calembour). Au début je crus à un cuisinier fantaisiste qui aurait voulu terminer peut être une époque de son service par un festin capable de faire sensation, et je m’attendais à retourner à mon ordinaire modeste, en homme de bon sens que je suis. Mais comme mon ahurissante abondance continuait à régner de plus en plus belle, ce qui de l’extérieur ou de l’intérieur toutes sortes de friandises ne cessaient d’affluer, la seule explication valable, à laquelle je dû me rendre, était une bienveillance collective touchante chacun, se demandant si cela finira bien mal pour moi, concluait que le mieux devait être de participer par tous les moyens à me rendre « succulentes » les heures dont j’étais encore maître, en attendant qu’on sut si mon pourvoi, soutenu par mon avocat, arriverait à être rejeté ou non. Et, de la part des officiers aussi, une amabilité trop franche et personnelle pour n’être que de la propagande, venait satisfaire tous mes désirs. Ainsi, en l’absence de mes lunettes on a réussi à me faire voir clair en mobilisant les lunettes d’essais de l’oculiste militaire ! Et une chambre étant plus lumineuse, on a même été jusqu’à m’autoriser à sortir dans le plus éclairé de tous les couloirs d’ici, avec tout mon matériel. Car le plus beau, c’est qu’on m’a pourvu d’un matériel comme je n’en eu pas souvent : table, sous-main, papier à volonté, crayon chimique, gomme, règle, couteau. (Et tout pour Jean ! comme disait ma petite sœur autrefois) – et par-dessus le marché, l’autorisation de travailler à tout ce que je voulais laisser après moi qui me paraît pouvoir être utile aux générations futures, pour parler modestement !
C’est ainsi qu’en plus de cette lettre vous récupérerez de moi presque un volume de remarques et réflexions plus ou moins scientifiques et pédagogiques. J’espère qu’elles intéresseront Papa et peut-être un professeur curieux de points de vue non classiques.

Je m’en vais donc disparaître dans les meilleures conditions possibles, après avoir passé mes dernières semaines de condamné plus confortablement que bien d’autres semaines, sans avoir subi aucun mauvais traitement – après avoir eu la chance de voir le sinistre tableau du monde de 1939 remplacé par les claires perspectives de 1944, et la nouvelle chance que ma condamnation me donne le droit de penser que je n’y suis pas complètement étranger – après avoir dégusté l’amusante et flatteuse ironie du sort qui me fait l’un des derniers fusillés français de cette guerre – avec l’agréable sensation d’avoir laissé par écrit le meilleur de moi-même, en plus de ce que j’ai pu laisser comme influence durable dans la vie de ceux que j’ai connus.
Et comme dans les conditions où elle se produit, ma disparition peut avoir autant d’effet que le bien que j’aurais pu faire en un peu de vie supplémentaire, mon seul regret est le chagrin qu’elle ne peut hélas manquer de vous causer.
Ainsi, si vous voulez me faire rétrospectivement plaisir, ne soyez pas trop malheureux. Je vous ai assez aimés pendant ces dernières 20 années pour que vous ne m’en vouliez pas de vous laisser seuls ensuite. Ne soyez pas égoïstes. Vivez pour continuer à faire progresser le monde, comme vous-mêmes me l’avez appris à le faire.
J’ai conscience encore plus aujourd’hui, combien tout ce que j’ai fait est au fond votre œuvre et je vous prie de faire quelqu’un de bien de chacun de vos petits-enfants actuels et futurs – car je compte sur vous pour que les enfants de Nénette soient aussi dépourvus de toute illusion religieuse que moi, et que ce soit en pleine conscience qu’ils sachent faire leur devoir d’homme.
A propos d’enfants, si vous le pouvez, intéressez vous au second fils de Jergaud, un bébé de 5 ans, mais qui a du bon ; vous me ferez plaisir en le faisant ; c’est une dette de reconnaissance. Vous pourriez avoir chez lui divers objets m’appartenant. Voici son adresse : Ker Michel en Saint- Molf par Guérande (Loire Inférieure).

Pour finir par une plaisanterie, Papa y trouvera la solution du problème des 2 ampèremètres dont l’un marque 6 ampères pendant que le premier n’en marque que 3…
En vous embrassant, mes chéris, je vous écris la conclusion de ma vie, entre les 2 morales célèbres : – il n’est pas besoin d’espérer pour entreprendre, ni de réussir pour persévérer – et : toute la sagesse humaine tient dans 2 mots : attendre et espérer, il y a de la place pour ma synthèse : – tout le bonheur de l’homme tient dans ce devoir « Agir et espérer ».
Jean.
P.S. Naturellement saluez tous ceux qui me sont chers.

Jean de Neyman
Jean de NEYMAN

Né le 2 août 1914 à Paris (VIIe arr.), fusillé par condamnation le 2 septembre 1944 à Saint-Nazaire, poche de Saint-Nazaire (Loire-Inférieure, Loire-Atlantique) ; professeur agrégé de physique ; militant communiste ; résistant FTPF.

Fils de Constantin de Neyman, ingénieur chimiste et de Rose Majerczak, Jean, Casimir de Neyman naquit le jour de la mobilisation générale de la guerre de 1914, dans une famille polonaise aisée composée de trois enfants, un frère André et une soeur jumelle Marie, domiciliée 15 rue du Bac à Paris VIIe arr.
Il fut un brillant élève au lycée Pasteur de Neuilly-sur-Seine (Seine, Hauts-de-Seine), obtenant le second prix de physique au concours général en 1932 et parlant couramment allemand et anglais. Ses qualités de bricoleur en faisait un excellent réparateur d’appareils ménagers familiaux. Après deux années de préparation au lycée Janson-de-Sailly à Paris XVIe arr., il rata de justesse l’admission à l’École normale supérieure mais obtint une bourse d’État pour la faculté de Strasbourg (Bas-Rhin) en 1934.
Il adhéra alors au Parti communiste français (PCF) et devint membre de la cellule de langue française de Strasbourg, rédigeant et vendant le bulletin Le prolo de la Bruche. Il envoyait des colis aux antinazis emprisonnés en Allemagne et, pour faire libérer une jeune Allemande, contracta un mariage blanc avec elle. Les parents de Jean hébergèrent Nathalie Ernestine Vogel, professeur de physique, avant qu’elle ne divorce.
Reçu à l’agrégation en 1937, il fut nommé au lycée Claude Fauriel à Saint-Étienne (Loire). Au cours de l’année scolaire 1938-1939, il participa à la création de l’Union des étudiants communistes, dont la conférence constitutive se tint les 1er et 2 avril 1939, et y eut des responsabilités.
Lors de la déclaration de guerre, en septembre 1939, très myope, il fut mobilisé et affecté à un laboratoire de Paris (où l’on vérifiait la nourriture pour l’Armée) qui, lors de la débâcle, se replia au sud.
Démobilisé, Jean de Neyman, en raison d’une loi de Vichy interdisant la fonction publique aux Français d’origine étrangère – ses parents étaient Polonais –, dut quitter l’enseignement public. Cependant, ce fait est étonnant car né en France d’un père naturalisé en 1912 (donc avant 1927) le décret-loi du 10 août 1940 ne s’appliquait pas à lui. Il entra alors comme professeur au cours secondaire privé « Le Cid » à La Baule (Loire-Inférieure, Loire-Atlantique) et mena une intense propagande anti-allemande dans les milieux qu’il fréquentait puis réussit à entrer en contact avec les résistants communistes nazairiens.

En mai ou juin 1944, il rentra dans la clandestinité et, avec son groupe de Francs-tireurs et partisans, basé dans la ferme de Madame et Monsieur Joseph Gergaud à Kermichel en Saint-Molf au nord de Guérande, avec entre autres Jean Mercy et Bernard Cabasson qui avait tué un soldat allemand. Ils multiplièrent les actions de guérilla contre l’ennemi, capture d’équipements et d’armes, sabotages de transformateurs électriques et coupures de câbles, chasse aux Géorgiens de la Wehrmacht pilleurs de fermes, ainsi que la désertion de travailleurs forcés polonais et de marins allemands. Début août, deux marins allemands déserteurs se joignirent au groupe de résistants et participèrent à quelques actions mais le 17 août 1944, non loin de la ferme refuge des Gergaud alors qu’ils sortirent en plein jour, ils furent surpris par une patrouille allemande ; l’un réussit à s’échapper tandis que l’autre le déserteur tchèque de la Kriegsmarine, Gerhardt, qu’il avait hébergé, fut arrêté. Jean de Neyman essaya de le secourir en discutant avec les soldats mais il fut arrêté à son tour et tous deux conduits au château d’Heinlex à Saint-Nazaire puis au camp Franco de Gron. Plusieurs membres de son équipe furent appréhendés, Mercy et Gergaud dont la ferme de Kermichel fut pillée, ainsi que le capitaine David et le gendarme maritime Breton, soupçonnés d’avoir transporté des membres du groupe.
Jean de Neyman réussit à innocenter ses camarades en prenant sur lui toutes les responsabilités. Il fut condamné à mort le 25 août 1944 au camp de la Marine Endrass (autre appellation du camp de Beauregard, situé à l’Immaculée à St Nazaire),
par un conseil de guerre allemand, ou le tribunal de la Luftwaffe (DAVCC) avec Gerhardt et Joseph Gergaud dont la peine de ce dernier fut commuée en deux ans de prison et 45 jours d’internement à l’école de Méan. Jean de Neyman avait assuré sa défense avec un courage qui impressionna l’ennemi mais son pourvoi auprès de la Kommandantur de Saint-Nazaire fut rejeté. Pendant les quelques jours de sa détention, il écrivit un article de physique cinétique.
Jean de Neyman a été fusillé le 2 septembre 1944 « après avoir dégusté l’amusante et flatteuse ironie du sort qui [le faisait] l’un des derniers fusillés français de cette guerre » ainsi qu’il l’écrivit dans sa dernière lettre codée, transcrite et conservée au Musée de la Résistance nationale de Champigny-sur-Marne avec des objets lui ayant appartenu.
La poche de Saint-Nazaire assiégée capitula le 11 mai 1945.
Reconnu Mort pour la France le 5 novembre 1946, un décret du 24 avril 1946 publié au Journal officiel du 17 mai 1946 lui attribua la Médaille de la Résistance avec rosette à titre posthume.
En Loire-Atlantique, La Baule, Saint-Nazaire (boulevard et cellule communiste), Trignac et Montoir-de-Bretagne ainsi qu’à Paris, des espaces publics honorent la mémoire de Jean de Neyman. Son nom est également gravé sur la plaque commémorative du lycée Claude Fauriel de Saint-Etienne. Tous les ans, autour de la date du 2 septembre, sa mémoire est honorée devant la stèle érigée en son honneur à l’endroit où il a été fusillé.

© Patrice Morel

La tombe de Jean de Neyman se trouve à Saint-Nazaire dans le cimetière de Toutes-Aides.
Son frère André de Neyman, également résistant, dans une lettre à la principale du collège Jean de Neyman, datée du 12 septembre 1994 expliquait ce code mais aussi la signification de « fils brouillés » : « Jean s’était fait confectionner des clefs lui permettant d’entrer dans les transformateurs des lignes électriques à haute-tension alimentant la base maritime allemande. S’y introduisant, sans les couper, il intervertissait extérieurement les condensateurs pour provoquer des pannes (par chute de tension, ou par surtension) ; deux ou trois heures après, il rétablissait les circuits ; l’état major allemand n’a jamais compris ce qui s’était passé, donc ne prenait pas les sanctions contre la population habituelles en cas de sabotage ». Quant au « mot fusillés doit être compris « abattus par armes à feu » et qu’il ne s’applique pas aux prisonniers allemands faits par son groupe ».
Nénette est le surnom de sa sœur jumelle, Marie de Neyman peut-être influencée par sa tante, le Dr Dina Majerczak, élève du cours de microbiologie de l’Institut Pasteur (1901-1902) elle entreprit dans les années 30 des études de médecine à Paris.

SOURCES : DAVCC, Caen. – Arch.mun. Nantes, Fonds Luce . — Arch. dép. Loire-Atlantique, 305 J 3 . — Clarté, 13 septembre 1947. – Jean de Neyman, brochure de la cellule G. Môquet de Saint-Nazaire, 1972. – Maxime, Raconte, camarade, Saint-Nazaire, 1974. – « Collection Patrice Morel – Fonds Dominique De Neyman » et notes de Patrice Morel. – Guy Krivopissko, La vie à en mourir, Tallandier, 2006 p. 299 à 307. — Cahier n°2 de l’AREMORS Association de recherches et d’études du mouvement ouvrier de la région de Saint-Nazaire. — Ouest France, édition Saint-Nazaire, 11 mai 1995. — Jacques Varin, Les étudiants communistes, dans Matériaux pour l’histoire de notre temps, n°74 avril-juin 2004 p.38  — Notes d’Annie Pennetier.— Note de Michel Mahé.

Guy Haudebourg, Guy Krivopissko, Annie Pennetier

En prélude aux commémorations de septembre, hommage à Jean de Neyman, le 8 mai à La Baule

La cérémonie du 8 mai à La Baule a été dédiée  au général De Gaulle et au résistant communiste Jean de Neyman. A l’occasion de cette cérémonie, le maire, Franck Louvrier a annoncé l’érection d’une Croix de Lorraine sur la place de la Victoire pour le 8 mai 2025, à l’occasion du 80e anniversaire de la Victoire. Cette œuvre en inox marine, sera monumentale à l’instar de celle de Colombey-les-Deux-Eglises : haute de 4,43 m, son envergure sera de 2,33 m.

Elle sera édifiée sur la place de la Victoire, dans la perspective du square de la France-libre, non loin de l’avenue du général-De-Gaulle. Le maire entend ainsi « honorer ces combattants pour ce qu’ils ont fait, en mettant leur vie en péril, pour permettre à notre pays d’être libre. » Franck Louvrier a rappelé la visite du général De Gaulle à La Baule le 25 juillet 1945. Il n’a pas manqué de saluer également la mémoire « d’une personnalité qui lui aussi résiste à l’occupant, Jean de Neyman », dont le 80e anniversaire de son exécution sera commémoré en septembre.

Dans ce double hommage, le maire a tenu à saluer « deux pans de la France du refus, opposées sur le plan politique mais unis conte le même ennemi ». Si la Croix de Lorraine est l’emblème de la France libre, « elle sera aussi une façon de commémorer l’engagement de ce héros. Il a donné sa vie pour la même cause. »

Auparavant, une première cérémonie s’était déroulée au 12 rue de la Pierre-Percée, où Jean de Neyman a été professeur  du cours  privé Le Cid, installé dans l’annexe de la Villa Sunset.  Des gerbes ont été déposées par la section de la presqu’île guérandaise  du PCF et le Comité départemental du souvenir. En présence de la famille : Dominique, nièce de Jean de Neyman, sa fille Claire et Pierre, l’arrière petit-neveu accompagné de Clémence, sa compagne. Hubert Favre-Pierret, a pris la parole au nom des deux organisations.

©Patrice Morel

Qui était Jean de Neyman ?

Antifasciste convaincu, Jean de Neyman avait adhéré au PCF en 1934. Après un détour par l’université de Strasbourg où, tout en militant à la cellule de langue française, il rédige et gère un journal « Le Prolo de la Bruche » qu’il diffuse dans cette vallée vosgienne francophone.  Il mène des études qui le conduisent à l’agrégation de physique, il est nommé au lycée Claude Fauriel à Saint-Etienne (Loire). Révoqué de l’enseignement public car il est fils d’étranger. – Son père est polonais -.  Il  trouve un poste d’enseignant dans le cours privé Le Cid à La Baule. Après son entrée dans la clandestinité en mai 1944, il anime un groupe de Francs-Tireurs-et-Partisans dont le point de ralliement est une ferme à Saint-Molf, la ferme de Joseph Gergaud. Le groupe mène de nombreuses actions de guérilla, capture d’équipements et d’armes, coupure de câbles électriques et téléphoniques, sabotage de transformateurs et d’ouvrages militaires, chasse aux Géorgiens enrôlés dans la Wehrmacht qui pillent les fermes etc. Le 17 août, deux marins allemands déserteurs qui s’étaient joints au groupe sont surpris par une patrouille allemande. Si l’un parvient à s’enfuir, l’autre est capturé. Jean de Neyman tente de le secourir, mais il est arrêté à son tour. Ils sont conduits au château d’Heinlex à Saint-Nazaire. Torturé, Gerhart, le déserteur parle. La ferme est criblée de balles A leur tour deux de ses camarades sont arrêtés, ils rejoignent Jean de Neyman à Heinlex puis tous sont transférés au camp Franco, à Gron. Jean prend sur lui toutes les responsabilités. Sa conduite lors du procès impressionne jusqu’aux juges allemands. Il est néanmoins condamné à mort le 25 août 1944, son pourvoi étant rejeté il sera fusillé le 2 septembre à Heinlex où une stèle lui rend hommage.

Il faut avoir la chronologie en tête : le débarquement du 6 juin provoque au sein de la Wehrmacht une panique qui accroît son agressivité comme l’ont montré ses multiples exactions et crimes commis au fil de sa remontée vers le nord en vue de stopper l’avancée les Alliés. Ses crimes ont pour noms Tulle, Oradour-sur-Glane…La hantise d’Hitler est que les Alliés puissent utiliser les ports de l’Atlantique. D’où la construction du mur. Les troupes allemandes se replient sur la zone fortifiée qu’ils appellent Festung Saint-Nazaire : la forteresse de Saint-Nazaire.  

Commémoration de l’internement des Républicains espagnols et des Tsiganes                   à Moisdon-la-Rivière

Une commémoration s’est déroulée le 27 avril 2024, sur le site de La Forge

Plus de 200 personnes se sont réunies le 27 avril dernier pour commémorer l’internement de Républicains espagnols puis de Tsiganes entre 1939 et 1942, le Comité du souvenir – résistance 44 y étant fortement représenté. Préalablement aux dépôts de gerbes devant la stèle, inaugurée le 27 avril 2019, successivement M. Patrick Galivel, maire de Moisdon, M. Christophe Sauvé, secrétaire général de l’association départementale des gens du voyage citoyens, M. Christian Retailleau, président du Comité du Souvenir, M. Jérôme Alemany, vice-président du Conseil départemental de Loire-Atlantique, M. Marc Maklouf, sous-préfet de Châteaubriant-Ancenis ont fait vivre la mémoire de celles et ceux qui ont été entassés dans ce camp dans des conditions déplorables, jusqu’à la mort pour certains. La ville de Nantes était représentée par Robin Salecroix.

Christian Retailleau accompagné de Serge Adry (Comité de Châteaubiant) s’inclinent devant la stèle

 

Christophe Sauvé a demandé aux pouvoirs publics et aux associations de faire connaître « cette histoire de Français qui ont interné d’autres Français » en inscrivant notamment cette mémoire au schéma départemental actuellement en cours de révision.  Christian Retailleau a rappelé la mémoire des 875 internés dont 452 enfants, 385 femmes et 38 vieillards, Républicains espagnols, internés dès avril 1938 sur décision du nouveau gouvernement Daladier dont l’une des premières mesures a concerné les étrangers « suspects », « dont les réfugiés espagnols « indésirables ». Un décret est promulgué pour qu’ils soient internés dans des « centres spéciaux ». C’est début novembre 1939 qu’il sera décidé d’expulser tous ces réfugiés en direction de l’Espagne. Ils seront reconduits, sous escorte de la gendarmerie, jusqu‘à la frontière à Irun où les attendra de pied ferme la « guardia civile ». Puis, il a fait le rapprochement avec l’actualité politique et sociale et notamment la loi « asile immigration » qui torpille les piliers porteurs de notre pacte républicain hérité du Conseil national de la Résistance. » Il a conclu son intervention en déclarant « le sort indigne fait il y a plus de 80 ans, en France, aux Républicains espagnols et aux Tsiganes ne doit plus jamais se reproduire. Plus jamais « d’ indésirables » dans notre pays. »

Patricia RETAILLEAU

© Michel Charrier – « Rien n’est plus vivant qu’un souvenir » Federico Garcia Lorca, inscription gravée sur la stèle

Hommage à Raymond LAFORGE

Un autre lieu de mémoire à Moisdon-la-Rivière: le cimetière où ont été inhumés le 23 octobre 1941 trois des 27  de Châteaubriant fusillés le 22 octobre 1941. Il s’agit de Charles Delavacquerie, Eugène Kérivel et Raymond Laforge. Avant la cérémonie au camp de La Forge un hommage a été rendu à Raymond Laforge, toujours inhumé dans ce cimetière.

©Michel Charrier

POUR EN SAVOIR PLUS

* Allocution de Christophe Sauvé

*Allocution de Christian Retailleau

*Biographie de Raymond Laforge

* Livre – Les camps d’internement de Châteaubriant,Choisel et Moisdon-la-Rivière 1940-1945, Louis Poulhès, ed. Atlande

L’autre 8 mai 1945: les massacres coloniaux de Sétif, Guelma, Kherrata

Pour comprendre, il faut se reporter cinq années en arrière. En 1940, dans ce département français nommé Algérie, le monde colonial, qui s’était senti menacé par le Front populaire, accueille avec enthousiasme Vichy et le pétainisme. Le Parti du peuple algérien (PPA) et le Parti communiste algérien (PCA) sont dissous. Avec le débarquement américain de 1942, le climat évolue. Alger devient la capitale de la France libre, le siège du gouvernement provisoire de la République française (GPRF) et celui de l’Assemblée consultative provisoire (ACP). La revendication nationaliste reprend. « Les nationalistes prennent au mot l’idéologie anticolonialiste de la Charte de l’Atlantique (12 août 1942), écrit Mohammed Harbi.(1) Ferhat Abbas(2), transmet aux Américains le 10 février 1943, avec le soutien du PPA de Messali Hadj(3) un « Manifeste du peuple algérien ». A l’exception de Messali Hadj, placé en résidence surveillée, les prisonniers politiques sont libérés en avril 1943. Les tirailleurs algériens, dont plusieurs milliers sont tués, s’illustrent à la bataille de Montecassino, participent à la libération de la Corse, de la Provence. Ils sont les premiers à franchir le Rhin le 31 mars 1945. Ce qui fait dire à Ferhat Abbas: »L’opinion musulmane veut être associée au sort commun autrement que par de nouveaux sacrifices. »

messali_hadj.jpgA l’occasion du 1er mai 1945, les manifestations organisées par les mouvements nationalistes pour rappeler les promesses qui leur ont été faites, sont brutalement réprimées. Il y a des morts à Alger et à Oran. Le PPA décide alors d’organiser le 8 mai des manifestations pacifiques en mettant en avant le mot d’ordre d’indépendance.

Sétif

Ce mardi 8 mai 1945, à Sétif comme à Paris, c’est aussi la liesse. On fête la Libération, à laquelle les tirailleurs algériens, comme d’autres soldats coloniaux, ont pris une part décisive: 138 000 jeunes Algériens ont participé à la libération de la France. Les bâtiments officiels sont pavoisés, la foule converge vers l’avenue Georges Clemenceau et se dirige vers le monument aux morts. Les manifestants brandissent des drapeaux alliés, dont celui de la France et l’emblème algérien, précédés par des scouts qui portent la gerbe destinée à être déposée devant le monument aux morts. A l’appel des Amis du Mouvement de la Liberté (AML)(4), aux slogans de liberté se mêlent des mots d’ordre nationalistes: « A bas le colonialisme! », « Vive l’Algérie libre et indépendante! ». Des militants du PPA réclament la libération de leur chef, Messali Hadj, arrêté deux semaines plus tôt et déporté à Brazzaville. On entonne Min Djibalina, l’hymne des indépendantistes. Un jeune scout, Saal Bouzid, porte une bannière en vert et blanc, frappée d’un croissant et d’une étoile rouges. C’est le drapeau algérien ! Pour les autorités coloniales, c’en est trop, c’est une provocation. Le préfet de Constantine, Lestrade-Carbonnel, qui avait prévenu à l’issue du 1er mai : « il y aura des troubles et un grand parti sera dissous », ordonne : « Faites tirer sur tous ceux qui arborent le drapeau algérien ».la_manifestation_de_setif.jpg

Les policiers reçoivent l’ordre de se saisir du drapeau. Ils tirent. Saal Bouzid s’effondre. Des Européens tirent également depuis les fenêtres des immeubles. D’autres manifestants tombent à côté. Le défilé pacifique se transforme en émeute.

Les miliciens ou policiers pillent, volent, violent, tuent. Présent dans la manifestation, Kateb Yacine, alors lycéen, décrira dans son roman Nedjma, la confusion qui règne: « Les automitrailleuses, les automitrailleuses, les automitrailleuses, y en a qui tombent et d’autres qui courent parmi les arbres, y a pas de montagne, y a pas de stratégie, on aurait pu couper les fils téléphoniques, mais ils ont la radio et des armes américaines toutes neuves. Les gendarmes ont sorti leur side-car, je ne vois plus rien autour de moi ». Alors que se répand la nouvelle de l’assassinat du porte-drapeau, la révolte gagne toute la ville, puis se diffuse dans les campagnes alentour. La population européenne est prise pour cible dans une explosion de colère et de vengeance longtemps contenues. Ces émeutes coûtent la vie à une centaine d’Européens. En réponse au soulèvement qui se propage dans le Nord-Constantinois, le général Duval (5) mobilise l’aviation et la marine, et se met alors en place une répression d’une sauvagerie inouïe jusqu’au bombardement de populations civiles. L’armée ratisse les villages et les bombarde.
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Guelma, Kherrata

Le soir, à Guelma, sans attendre, le sous-préfet (socialiste) André Achiary(6) fait tirer sur la foule. Il a organisé trois semaines plus tôt, des milices composées d’Européens, toutes tendances politiques confondues. Il met sur pied des tribunaux d’exception, dits de salut public, en dehors de toute légalité. De pacifiques, en réaction les manifestations deviennent violentes. L’armée, aidée par les milices européennes, réprime sauvagement la révolte: manifestants tués, femmes violées…L’aviation mitraille et bombarde les villages. Depuis la baie de Bougie, le croiseur Duguay-Trouin bombarde les douars de Kabylie. A Périgotville, près de Guelma, on fusille tous ceux qui savent lire et écrire. Des prisonniers fusillés sont jetés dans les gorges de Kherrata, on fait disparaître les corps, jetés et brûlés dans les fours à chaux de Marcel Lavie, entrepreneur et conseiller général.

Les arrestations se multiplient, les condamnations pleuvent, les exécutions sommaires sont nombreuses. Tout cela s’accompagne de véritables razzias; les tueurs, miliciens ou policiers, pillent, volent, violent, massacrent à tout va. Ces milices forment le creuset d’une « culture politique séditieuse » préfigurant l’ OAS (7). L’historien Alain Ruscio explique que « Le fossé entre les communautés était tel que la simple rumeur d’une insurrection générale des Arabes, savamment reprise puis orchestrée par certains administrateurs et élus coloniaux, avait littéralement plongé dans les transes la quasi-totalité de la population européenne ».

La répression, qui dure sept semaines, fait plusieurs dizaines de milliers de morts. Des milliers de personnes sont condamnées par les « tribunaux », totalement illégaux, dits de « salut public » et internées.

Ainsi « pendant que l’on fêtait la victoire en métropole, des « indigènes » étaient arrêtés en masse, exécutés sommairement, fusillés à Sétif et Guelma parce qu’ils avaient osé revendiquer l’application des principes de liberté, d’égalité, de droit des peuples à disposer d’eux-mêmes contre l’ordre colonial. »(8)

monument_aux_morts_de_kherrata.jpgCombien de morts ? Le bilan est impossible à établir. Du côté européen, il est précis: 102 tués, 86 civils et 16 militaires. Du côté algérien, le ministère de l’intérieur a concédé 1 000 à 1500 morts, le PPA en a dénoncé 45 000. Les historiens estiment l’ampleur des tueries entre 15 000 et 30 000. La guerre des chiffres ne peut en tout cas dissimuler la disproportion dans l’exercice de la violence. « Le caractère massif de la répression explique cette imprécision. Il rend très aléatoire, en effet, le décompte des morts. » (9)

 » La guerre d’Algérie a commencé à Sétif », affirme Mohammed Harbi.

A la fin de ces événements sanglants, le général Duval, commandant en chef des forces françaises en Algérie, assure dans un rapport à ses supérieurs: « Je vous ai donné la paix pour dix ans. Mais il ne faut pas se leurrer. Tout doit changer en Algérie. » Mais rien ne sera fait.

En fait, cette répression a créé une situation irréparable. Ce bain de sang est un point de non-retour. Il s’inscrit comme le prologue de la guerre d’indépendance algérienne déclenchée neuf ans plus tard, le 1er novembre 1954. En 1947, le PPA mettra en place une structure paramilitaire, prélude à la fondation du FLN.

L’événement a été noyé dans la joie de la victoire sur l’Allemagne nazie. Ce qui a contribué à confisquer la mémoire de ces événements. C’est seulement le 27 janvier 2005, année du 60ème anniversaire, qu’un officiel français, l’ambassadeur Hubert Colin de Verdière évoque à l’université Ferhat-Abbas de Sétif « cette tragédie inexcusable ». Et il a fallu attendre soixante-dix ans pour qu’un ministre se rende à Sétif, exprimer « la reconnaissance par la France des souffrances endurées et rendre hommage aux victimes algériennes et européennes de Sétif, Guelma et de Kherrata »(10) Reconnaissance timide et tardive. En Algérie, la plaie est vive.

En 2009, pour la première fois, un espace public, la mairie de Paris, se souvient de ces événements ignorés par l’histoire française. A l’initiative de l’historien Olivier Lecour Grandmaison et de l’Adjointe (PCF) au maire de Paris, Catherine Vieu-Charier, un colloque s’est tenu pour dit-elle « faire connaître ces événements, très complexes, très douloureux et injustifiables qui ont été les grands oubliés de l’histoire de la France », expliquant cette amnésie par le fait « qu’il semblait insupportable de reconnaître de telles horreurs, quand on était à dénoncer celles de l’Allemagne nazie. » Si le travail de mémoire est défaillant, le travail d’histoire se développe comme le montre la bibliographie partielle en annexe.

Bibliographie
Henri Alleg (dir), La Guerre d’Algérie, Temps actuels,1981
Jean-Pierre Peyroutou, Aux origines de la guerre d’Algérie, 1940-1945
Alain Ruscio, Les communistes et l’Algérie. 1920-1962, La Découverte, 2019
Annie Rey-Goldzeigner, De Mers-el-Kébir aux massacres du Nord-Constantinois, La Découverte, 2002
Jean-Louis Planche, Sétif 1945-Histoire d’un massacre annoncé, Perrin, 2006
Mohammed Harbi & Benjamin Stora, La Guerre d’Algérie 1954-2004,La fin de l’amnésie, Robert Laffont, 2004
Sylvie Thébaut, Histoire de la guerre d’indépendance algérienne, Flammarion, 2005
Olivier Lecour Grandmaison, Coloniser, exterminer. Sur la guerre et l’Etat colonial, Fayard, 2005
Mouloud Feraoun, Journal, Seuil, 1962
Kateb Yacine, Nedjma, roman, Seuil, 1956
Notes
1- La Charte de l’Atlantique est un document élaboré par Roosevelt et Churchill, non signé, qui servira de base à la « Déclaration des nations Unies », signée le 1er janvier 1942 par les représentants de 26 pays en guerre contre l’Allemagne, puis à la Charte de l’ONU en 1945.
2 – Ferhat Abbas (1899-1985). D’abord maurrassien, il adresse en 1941 à Pétain un rapport sur « L’Algérie de demain »; après le débarquement américain, il se rapproche de Darlan. Autonomiste, Il rédige le Manifeste et créé les Amis du Mouvement de la Liberté (AML) avec le PPA indépendantiste en 1943. Il sera le président de la 1ère Assemblée constituante en 1962 et à ce titre, premier Chef d’Etat algérien.
3 – Messali Hadj (1898-1974), indépendantiste depuis 1927, il crée le Parti du peuple algérien (PPA) en 1937. Il a révélé avoir reçu des avances de la part de Pétain, mais aussi de celle des Allemands, auxquelles il n’a pas donné suite.
4 – Les Amis du Manifeste pour la Liberté (AML) sont un mouvement créé par Ferhat Abbas, avec le soutien du PPA de Messali Hadj en 1943.
5 – Le général de brigade Duval (1894-1955) est le commandant des forces armées en Algérie. Il commande l’action sanglante de répression du 8 mai 1945 et des semaines suivantes dans le Nord-Constantinois. Il bénéficiera d’une fin de carrière fulgurante : promu commandant supérieur des troupes en Tunisie en novembre 1945, général de division en 1946, commandant supérieur des troupes du Maroc en 1949, général de corps d’armée en 1951 et obtiendra la 5ème étoile en 1954.
6 – André Achiary (1909-1983), socialiste, commissaire de police d’Alger sous Vichy, il recourt à la torture dans la répression contre les communistes en 1940-42. Sentant le vent tourner, il prépare l’accueil des Américains lors du débarquement en novembre 1942 et devient sous-préfet de Guelma. Il est l’initiateur, en mai 1945, des massacres de Guelma, qui lui valent son surnom de « boucher de Guelma ». L’historien J-P Peyroutou révèle qu’il avait créé sa milice le 14 avril, donc trois semaines avant le 8 mai. Mouloud Feraoun fait un terrible portrait d’Achiary dans son Journal.
7 – Achiary rejoint les « ultras » de l’Algérie française en 1955-56. La terminologie des tribunaux spéciaux est reprise par les « comités de salut public » formés par l’Algérie française. Dans ses Mémoires, On chantait rouge (Robert Laffont, 1977), Charles Tillon explique qu’il n’a aucune responsabilité dans la répression de ces émeutes, et qu’elle fut une machination fomentée par des nostalgiques de Vichy. Il dit être persuadé que les Américains ont joué un rôle dans ce drame. Il met en cause un colonel d’aviation pétainiste qui sera plus tard un animateur du complot du « Comité de salut public » du 13 mai 1958, qui aboutira à la prise du pouvoir par le général de Gaulle et à l’avènement de la Ve République.
8 – Olivier Lecour Grandmaison, L’Humanité, 9 mai 2009
9 – Sylvie Thénaut, Histoire de la guerre d’indépendance algérienne, Flammarion, 2005
10 – Jean-Marc Todeschini, secrétaire d’Etat aux Anciens combattants et à la Mémoire, le 19 avril 2015 reprenant les termes choisis par le Président de la République, François Hollande, lors de sa visite officielle en Algérie en 2012.

La foule en liesse fête la victoire sur les Champs Elysées, à Paris
8 mai 1945

Armistice ou capitulation sans conditions ?

La date du 8 mai est souvent retenue comme un « armistice », sans doute par analogie avec le 11 novembre. Mais il s’agit d’un abus de langage. Un armistice est négocié. Or, lors des Conférences de Casablanca puis de Téhéran, durant l’année 1943, les Alliés ont rejeté toute idée de négociation. Ils ont convenu d’un principe : à la guerre totale prônée par l’Allemagne doit répondre une victoire totale, sans compromis. 

En janvier 1945, l’Allemagne ne s’avoue pas vaincue. Elle a lancé deux offensives dans les Ardennes et en Hongrie en décembre 1944 et compte sur de nouvelles armes : les fusées V1 et V2. Goebbels dit en mars :  » S’il est écrit que nous devons sombrer, le peuple allemand tout entier sombrera avec nous. »

Pourtant, en avril, l’Allemagne est aux abois. Le 24 avril 1945, Himmler prend contact avec le comte Bernadotte, président de la Croix rouge suédoise, pour transmettre aux occidentaux une proposition de paix séparée, en échange de quoi il regrouperait l’ensemble des forces armées allemandes sur le front de l’Est pour vaincre l’Union soviétique.

Le mardi 8 mai 1945, la Seconde Guerre mondiale s’achève en Europe par la victoire des Alliés et l’effondrement de l’Allemagne nazie, quand l’Italie fasciste était déjà défaite. Six années de guerre marquées par des atrocités inimaginables, 2077 jours de souffrances. Mais ce n’est pas la fin de la guerre mondiale, qui se poursuit en Asie.

Drapeau rouge sur le Reischstag – Photo d’Evgueni Khaldeï

La guerre en Europe se termine par la prise de Berlin, capitale et lieu de pouvoir des nazis dans laquelle Hitler avait décidé de revenir le 16 avril 1945. En mars, les troupes soviétiques des maréchaux Joukov, Koniev et Rokossovski se rejoignent et préparent l’assaut de la ville. A l’Ouest, les armées alliées encerclent la Ruhr : l’étau se resserre inexorablement. Le 21 avril, les chars soviétiques entrent dans la ville. L’appel pour défendre la ville, à la Volksturm, sorte d’armée fantoche d’enfants et de vieillards fanatisés ne change rien. Dans la nuit du 29 au 30 avril, Hitler se suicide. C’est la débâcle ! Une heure plus tôt, les soldats de Joukov ont entrepris la prise du Reichstag et le 1er mai, vers 3 h, le lieutenant Sorokine et son escouade hissent le drapeau rouge sur le toit (1). Goebbels tente alors de négocier mais Staline lui fait répondre que rien n’est négociable et exige la capitulation sans conditions, comme cela a été annoncé par les Alliés. Le 2 mai, le commandant de la place de Berlin, Weidling se rend.

Le 7 mai à Reims, 2 h 41

Le 3 mai, Doenitz, désigné par Hitler comme son successeur, envoie le général Alfred Jodl, chef d’état-major de la Wehrmacht, au quartier général d’Eisenhower à Reims, muni des pleins pouvoirs pour signer la reddition générale des forces allemandes. Il y arrive le 6. La veille, les troupes du général Leclerc se sont emparées du « Nid d’aigle » de Berchtesgaden. Jodl est contraint d’accepter un texte du commandement allié soumis par le général américain Walter B. Smith (2). La capitulation est signée dans la nuit, le 7 mai à 2 h 41. De Gaulle et Staline sont furieux, ils ont le sentiment que la France et l’URSS ont été tenus à l’écart, en dépit de la présence à Reims du général Sousloparov et du général François Sevez, à titre de témoin.

Jodl signe l’acte de reddition à Reims
Keitel signe l’acte de capitulation à Berlin

Le 8 mai à Berlin, 23 h 01

La « cérémonie » de signature doit être répétée à Berlin le 8 mai, au quartier général de l’Armée rouge. Il est certain que le symbole est plus fort. L’Allemagne y est représentée par le maréchal Keitel. En entrant dans la salle, il salue de son bâton de maréchal. Joukov qui préside, reste assis et impassible : Keitel vient de comprendre qu’il est un vaincu auxquels les honneurs ne seront pas rendus (3). La signature des neuf exemplaires intervient à 23 h 01 à Berlin (4), soit 1 h 01 à Moscou le 9 mai (5). Le drapeau français a été ajouté à la hâte, la France est représentée par le général de Lattre de Tassigny, ce qui a provoqué les sarcasmes de Keitel :  » Les Français, ici » (6). Pour la France, être admise parmi les vainqueurs n’a été possible que grâce à la mobilisation de la Résistance tout au long de la guerre et dans les combats de la libération. Le texte signé à Reims le 7 mai est un « acte de reddition », celui du 8 mai, signé à Berlin est un « acte de capitulation militaire », qui implique le dépôt des armes et pas seulement la fin des combats.

Le 9 mai à 15 h, le général de Gaulle fait un discours à la radio, tandis que les cloches de toutes les églises françaises sonnent à la volée puis il se rend à l’Etoile. Au même moment, Churchill à Londres et Truman à Washington s’expriment également. La fin de la guerre est vécue dans la liesse populaire, malgré l’angoisse de celles et ceux qui attendent le retour d’un prisonnier ou

d’un déporté. Au lourd bilan humain (58 millions de morts civils et militaires, 10 millions de morts dans les camps nazis), s’ajoutent des économies en ruines, des drames personnels, le traumatisme de la révélation des horreurs du système nazi.

Le 11 mai à Bouvron (Loire-Inférieure)

Toutefois, le territoire n’est pas libéré en totalité le 8 mai. Il reste, sur la façade atlantique, des poches toujours occupées par l’armée allemande. C’est le cas en Loire-Inférieure où les combats se sont poursuivis, après la libération de Nantes, dans la Poche de Saint-Nazaire. Un autre acte de reddition intervient le 11 mai à Bouvron.

Le général de la Wehrmacht Junck remet son revolver au général américain Kramer, accompagné du général français Chomel. « En remettant mon arme, je vous remets la reddition de toutes les troupes allemandes de la forteresse de Saint-Nazaire leur déclare-t-il. L’armée allemande se rend, de même que dans les autres forteresses nazies protégées par le Mur de l’Atlantique.  

Le général de la Wehrmacht Junck remet son revolver au général américain Kramer

L’autre 8 mai : Sétif*

Le 8 mai, la foule en liesse ignore que ce jour devra s’écrire au pluriel. Il y a eu des 8 mai. Au moment où cette foule célébrait la victoire, l’armée française tirait à Sétif et à Guelma sur des manifestants algériens qui exprimaient des sentiments nationaux, mais aussi des revendications démocratiques largement inspirés par les idéaux de la Résistance.

Le 8 mai appartient à ces dates clefs de l’époque contemporaine – « Une des plus grandes dates de l’Histoire universelle » (7) – celles qui commémorent les fins de conflits meurtriers marqués par des atrocités innommables, celles qui fondent pour partie l’identité des vivants sur le souvenir des morts. Le sens du 8 mai, c’est la victoire de la démocratie sur la barbarie nazie, sur le fascisme. Comme le note l’historien Serge Wolikow : « L’esprit né de la victoire sur l’hitlérisme a encore une grande résonance dans le monde d’aujourd’hui, qu’il s’agisse des principes démocratiques, des solidarités internationales ou de la manière de vivre ensemble ».

* Pour en savoir plus, voir notre article L’autre 8 mai : Sétif

L’autre 8 mai 1945: les massacres coloniaux de Sétif, Guelma, Kherrata

 Source

* Ian Kershaw, La Fin. Allemagne 1944 – 1945, Seuil, 2012

* Serge Wolikow, Antifascisme et nation, EUD, 1998

*Jean Lopez (dir), La Wehrmacht, La fin d’un mythe, Perrin, 2019

Notes

1 – Officiellement, c’est le lieutenant Sorokine et son escouade qui ont hissé le drapeau sur le toit du Reichstag. Mais, en raison de l’obscurité l’événement n’a pas pu être photographié. La photo mythique de Evguéni Khaldéï a été prise le lendemain.

2 – La séance est présidée par le général Bedell Smith, chef d’état-major d’Eisenhower qui signe l’acte pour les Occidentaux, puis l’acte est signé par le général Souslopalov, pour l’Union soviétique et par le général Sevez, sous-chef d’état-major, pour la France (Le maréhal Juin est à San Francisco où se déroule la Conférence des Nations-Unies)

3 – Témoignage du commandant René Bondoux, présent aux côtés du général de Lattre, Le Figaro, 8 mai 2015.

4 – La séance est présidée par le maréchal Joukov qui signe pour l’URSS, les Occidentaux ont une double représentation, le général Tedder signe pour la Grande-Bretagne et le général Spaatz pour les Etats-Unis.  L’acte est signé pour la France par le général de Lattre de Tassigny au titre de témoin.

5 – Ce qui explique que le « 8 mai » est commémoré le 9 en Russie.

6 – Il y a plusieurs variantes selon les traductions :  » Les Français ici » ou « Les Français aussi »

7 – Marcel Cachin, L’Humanité, 9 mai 1945

« Les femmes seront électrices et éligibles dans les mêmes conditions que les hommes. »

M. le Président. – Je donne lecture de l’article 16 : « Les femmes seront éligibles dans les mêmes conditions que les hommes ».
J’ai été saisi d’un amendement de M. Grenier ainsi conçu : « Les femmes seront électrices et éligibles dans les mêmes conditions que les hommes ».
M. Grenier. – Je ne reviendrai pas pour défendre mon amendement sur ce que j’ai déjà dit au sujet du vote des femmes. Ce sont les mêmes considérations qui m’ont inspiré. Je pense que l’amendement de M. Prigent ayant été adopté par l’Assemblée, les femmes doivent voter, non seulement aux élections qui aboutiront à la Constituante, mais également à toutes les élections qui auront lieu dès la libération.
M. le Président de la Commission. – Je dois rappeler que c’est à l’unanimité moins une voix que la Commission avait adopté le principe du vote des femmes, et que c’est à l’unanimité qu’elle avait estimé que les femmes ne voteraient pas aux élections provisoires qui auraient lieu en cours de libération.
Il ne s’agit pas d’apprécier les capacités, les mérites et les droits de la femme à voter, mais uniquement d’examiner les conditions de fait dans lesquelles elle va être amenée à exercer ce droit pour la première fois. N’oubliez pas que le délai de trois mois que nous avons prévu pour la reconstitution des listes électorales est extrêmement court, même pour des élections ordinaires. Or, le travail sera encore compliqué par l’absence des réfugiés, prisonniers et déportés. Si l’on doit ajouter les femmes sur ces listes les difficultés seront encore accrues. D’autre part, il est établi qu’en temps normal les femmes sont déjà plus nombreuses que les hommes. Que sera-ce à un moment où prisonniers et déportés ne seront pas encore rentrés ? Quels que soient les mérites des femmes, est-il bien indiqué de remplacer le suffrage universel masculin par le suffrage universel féminin ?
Enfin, je pense que la confection matérielle des listes électorales où, pour la première fois, figureront les femmes, donc des listes nouvelles, demandera beaucoup de temps. Si donc l’on admet les femmes à voter aux premières élections qui suivront la libération, on ouvre la porte à toutes sortes de fraudes et d’irrégularités dans cette période incertaine qui accompagnera les premières consultations populaires. Autant je considère que l’amendement de M. Prigent était fondé, autant j’estime qu’il n’y a pas lieu de retenir celui de M. Grenier. La Commission en demande donc le rejet.
M. Antier. – Je ne partage pas l’avis de la Commission. Je considère que la France, hommes et femmes réunis, résiste dans son ensemble. Il serait donc injuste d’écarter les femmes des premières élections, d’autant plus que ces élections se dérouleront à l’échelon communal et départemental. La confection des listes est donc possible.
M. Poimbœuf. – J’avais, à la Commission, soutenu le vote des femmes dès les premières élections, et c’est uniquement parce qu’il apparaissait pratiquement impossible de dresser les listes dans le délai légal de trois mois que, par la suite, je m’y étais opposé. J’insiste sur le terme « pratiquement ». On pourrait donc, peut-être, envisager une prorogation de ce délai de trois mois, ce qui permettrait de concilier tous les points de vue.
M. Grenier. – Je dois avouer qu’aucun des arguments exposés ne m’a convaincu. L’éloignement de leurs foyers de nombreux prisonniers et déportés qui ont été remplacés dans leurs tâches par leurs femmes, confère à ces dernières un droit encore plus fort de voter dès les premières élections. Quant à la confection matérielle des listes électorales, j’estime qu’il s’agit d’une question de bonne volonté et d’organisation dans chaque mairie. Il suffirait d’y employer un personnel suffisamment nombreux. On l’a bien fait pour les cartes de vêtements ou d’alimentation.
Je ne comprends pas non plus qu’on puisse supposer que nous demandons le vote féminin dès les premières élections pour faciliter je ne sais quelles irrégularités. Nous demandons simplement que toute la Nation soit appelée à se prononcer sur ceux qui la dirigeront, que ce soit à l’échelon municipal, départemental ou national.
Je dois d’ailleurs vous mettre en garde contre une réaction éventuelle de l’opinion publique. À la suite de nos derniers débats, le presse et la radio ont annoncé que le suffrage des femmes était décidé, et l’on n’a pas précisé s’il s’agissait d’élections suivant immédiatement la libération ou plus tardives. Si mon amendement n’est pas retenu, nous donnerons l’impression de nous être déjugés. (Applaudissements)
M. Hauriou. – C’est le groupe des indépendants de la Résistance qui a proposé d’ajouter à l’article 1er du projet d’ordonnance sur les élections à l’Assemblée constituante, une disposition prévoyant le vote des femmes. Nous ne pouvons donc être suspectés d’hostilité à cet égard. Je voudrais cependant présenter quelques observations.
En premier lieu, je dois souligner que sous le biais des élections municipales, c’est en réalité tout le problème des élections provisoires qui suivront que nous abordons. Car si nous admettons les femmes à voter aux premières élections qui suivront la libération, il sera impossible de ne pas les admettre aux élections pour l’Assemblée nationale provisoire. Il faut bien savoir dans quelle voie nous nous engageons. Le groupe des résistants indépendants a admis que, s’agissant d’élections pour une représentation provisoire, il ne saurait être question de faire voter les femmes, car ceci ne manquerait pas de provoquer un déséquilibre dans le corps électoral.
Par contre nous ne formulons aucune réserve au suffrage féminin quand les conditions seront redevenues normales.
Il y a dans notre position une seconde raison. Nous souhaitons que le vote féminin réussisse. Or, si nous suivions M. Grenier dans son amendement, il serait à redouter que les femmes n’encourent des responsabilités et des reproches immérités, dans une consultation populaire où elles auraient eu la majorité. Nous estimons que le premier essai de vote des femmes doit avoir lieu dans des conditions normales, et c’est pourquoi nous voterons contre l’amendement de M. Grenier.
M. Antier. – La participation des femmes au suffrage universel est un droit qui n’est pas discutable.
M. le Président de la Commission. – Je voudrais répondre d’un mot à M. Grenier quant aux irrégularités et aux fraudes qui risquent de se produire si les femmes sont admises à voter tout de suite. Il sera matériellement et techniquement impossible, étant donnés les délais restreints, de procéder à une constitution régulière des listes électorales. J’insiste donc pour le rejet de l’amendement.
M. Ribière. – Au point de vue de la constitution de listes, je ne vois vraiment pas d’obstacles sérieux à l’admission des femmes. Notre collègue Grenier a judicieusement fait observer qu’il avait été possible, sans grandes difficultés, d’établir les cartes d’alimentation.
D’autre part, il faut reconnaître que les femmes qui sont en France et dont les maris sont prisonniers en Allemagne voteront dans le même esprit qu’auraient voté leurs maris. Refuser le droit de vote aux femmes pour ce premier suffrage serait à mon avis une injure pour les femmes.
M. Grenier. – Il semble que l’argument décisif contre mon amendement soit celui de la difficulté d’établir des listes électorales complètes. Je fais observer que, même pour les électeurs masculins, il sera impossible d’obtenir des listes complètes. Si l’on annonçait dans les communes que toutes les femmes doivent se présenter à la mairie, munies de leurs pièces d’identité, les femmes se feraient elles-mêmes inscrire. Si certaines ne se dérangent pas, tant pis pour elles, elles ne voteront pas. De toute façon, j’estime qu’il vaut mieux une participation des femmes à 80 ou 90 % que pas de participation du tout. Il faut qu’ici chacun se prononce par oui ou par non.
M. Vallon. – Je retrouve dans ce débat les traditions de l’ancien Parlement français dans ce qu’elles avaient de plus détestable. À maintes reprises, le Parlement s’est prononcé à la quasi-unanimité pour le principe du vote des femmes, mais, chaque fois, l’on s’est arrangé par des arguments de procédure pour que la réforme n’aboutisse pas. Ces petits subterfuges doivent cesser (Applaudissements) ; il faut parfois savoir prendre des risques.
M. Bissagnet. – L’amendement Grenier amènera un déséquilibre très net, car il y aura deux fois plus de femmes que d’hommes qui prendront part au vote. Aurons-nous donc une image vraie de l’idée du pays ? En raison de ce déséquilibre, je préfère que le suffrage des femmes soit ajourné jusqu’à ce que tous les hommes soient rentrés dans leurs foyers, et c’est pourquoi je voterai contre l’amendement.
M. Charles Laurent. – Je tiens à préciser que ce n’est pas du tout la question des difficultés d’établissement des listes électorales, qui m’a amené à voter contre l’amendement, à la Commission. Le véritable argument est celui tiré du déséquilibre auquel M. Bissagnet vient de faire allusion.
Au moment où la population sera appelée à aller aux urnes, il y aura cinq millions d’absents, et les femmes seront, en France, deux fois et demi plus nombreuses que les hommes. Il est impossible d’envisager le suffrage dans ces conditions. Aussi voterai-je dans le sens demandé par la Commission.
M. Darnal. – Je m’étonne pour ma part qu’on ait soulevé cet argument de déséquilibre. Est-ce à dire que les femmes françaises sont des déséquilibrées ? S’il peut y avoir déséquilibre, pourquoi alors a-t-on admis le vote des femmes lorsqu’il s’agit de questions aussi importantes que celles qui feront l’objet des élections à l’Assemblée nationale ? Devons-nous oui ou non légiférer pour sortir la France du marasme et de sa misère présente, et devons-nous nous attacher à des questions de procédure ?
La Résistance a dit, par la voix de M. Prigent, que nous avions résisté avec nos femmes et nos filles. Pourquoi alors les femmes n’apporteraient-elles pas leur concours intellectuel comme elles ont donné leur concours physique ?
M. Valentino. – Jusqu’à présent, on a semblé approuver l’octroi du vote aux femmes au moment des élections à l’Assemblée constituante et refusé ce même droit lors des élections municipales provisoires.
J’ai voté en faveur du vote des femmes à l’Assemblée constituante, je voterai cependant contre l’amendement de M. Grenier. Il n’y a pas contradiction dans mon attitude car je suis pour le respect de la légalité républicaine.
Pour la Constituante, il s’agit de fixer de nouvelles règles pour la Constitution de la France, et les femmes doivent participer au vote.
Mais nous ne sommes pas une Assemblée législative, nous ne pouvons bousculer la légalité républicaine.
Notre rôle consiste à réparer les lézardes que Vichy a pu créer et les conséquences des défaillances humaines. Ce qui est indispensable c’est de renouveler l’Administration municipale en restant fidèle aux règles.
M. Costa. – Après les arguments qui ont été présentés, je déclare que je voterai pour le vote « immédiat » des femmes.
M. Poimbœuf. – L’observation que je vais faire semblera remettre en discussion, contrairement à toutes les règles de procédure, l’article 15 qui a déjà été adopté (*) ; en réalité elle ne fera qu’apporter une précision.
J’estime, eu égard aux arguments invoqués, que le délai imparti risque d’être trop court, et je demande que l’on ajoute à l’article 15 qui parle « d’un délai de trois mois » la disposition suivante : « sous réserve de la constitution des listes électorales ». (Mouvements divers). Cette réserve ne constitue pas un « torpillage » du projet ; j’admets que les élections devront avoir lieu dans un délai de trois mois, et que les femmes y seront appelées. Ce n’est que si le délai s’avère trop court qu’il y aura lieu de le proroger. Les élections ne seront reculées que dans le cas où les listes électorales ne pourraient pas être établies à temps (Mouvements divers). Je déclare, en tout cas, que je voterai pour la participation immédiate des femmes aux premiers votes.
M. Duclos. – J’appartiens à un département, le Var, qui a connu un sénateur qui a lutté pendant de nombreuses années en faveur du vote des femmes. Aussi je saisis l’occasion qui m’est offerte de faire triompher la proposition, étant certain d’autre part d’exprimer le vœu des conseillers généraux. Les arguments présentés contre le vote des femmes ne me semblent pas pertinents. Les femmes des prisonniers et de ceux qui sont morts pour la Patrie remplaceront leurs maris. Quant à l’équilibre électoral, il est aisé de répondre que l’équilibre de la Nation a été rétabli par les sacrifices et le courage des femmes.
On a soulevé les difficultés d’ordre pratique qui ne manqueraient pas d’apparaître lors de l’établissement des listes électorales. Ces difficultés sont exagérées ; il sera très facile de se référer en la matière aux cartes d’alimentation. On me dira peut-être que les résultats numériques que fourniront ces cartes ne seront pas parfaits. Peut-être en effet, y aura-t-il quelques fraudes, mais les listes électorales d’antan étaient-elles parfaites ? Je prétends qu’il est possible de réduire considérablement les tripotages. Par un travail consciencieux et un contrôle sévère on aboutira à un double résultat heureux : réprimer les fraudes et rendre possible le vote des femmes.
M. le Président de la Commission. – Je n’aurais pas repris la parole si l’intervention de M. Poimbœuf n’avait pas remis en question l’article 15 précédemment voté. Nous constatons les inconvénients que peuvent présenter les amendements soulevés au cours des débats. Ils sèment la confusion dans la discussion.
Quant à l’amendement Grenier, s’il était adopté, il aboutirait en fait à retarder les élections (Mouvements). Je n’ai aucun amour-propre à défendre, j’ai voté au sein de la Commission en faveur du vote des femmes et j’ai accepté au nom de la Commission l’amendement Prigent, mais il me semble impossible de constituer les listes électorales dans les délais impartis.
Pour les hommes, il sera possible de retrouver les listes de recrutement. Cet élément n’existe pas pour les femmes.
On vous a parlé des cartes d’alimentation. Mais M. Duclos a admis que les listes établies sur cette base pourraient ne pas être très régulières, et en dépit de ses espoirs je crains que des tripotages ne puissent être évités. C’est pour écarter ce grave problème d’irrégularité que je propose de réserver le vote des femmes pour les élections subsidiaires.
SCRUTIN
L’amendement Grenier est mis aux voix par scrutin public.
A la majorité de 51 voix contre 16 sur 67 votants, l’amendement est adopté.
Ont voté pour : MM. Antier, d’Astier de la Vigerie, Aubrac, Aurange, Auriol, Billoux, Blanc, Bonte, Bourgoin, Bouzanquet, Buisson, R. P. Carrière, Claudius, Costa, Croizat, Cuttoli, Darnal, Debiesse, Duclos, Evrard, Fayet, Ferrière, Froment, Gazier, Gervolino, Giovoni, Girot, Grenier, Marty, Mayoux, Mercier, Mistral, Moch, Muselli, Parent, Poimbœuf, Prigent, Pourtalet, Rencurel, Ribière, Tubert, Vallon, de Villèle.
Bulletins 4, 6, 7, 9, 11, 13, 14, 15.
Ont voté contre : MM. Astier, Azaïs, Bosman, Cassin, Dumesnil de Gramont, Francke, Gandelin, Giacobbi, Hauriou, Jean-Jacques, Laurent, Maillot, Rucart, Valentino, Viard.
Bulletin 3.
En congé ou excusés : MM. Boillot, Ely Manel Fall, Seignon, Zivarattinam.
N’ont pas pris part au scrutin : MM. Bendjelloul, Bissagnet, de Boissoudy, Cot, Guérin, Guillery, Lapie, Morandat, Serda et M. Félix Gouin qui présidait la séance.
(*) Article 15 : « Dès que dans un département l’établissement des listes électorales sera terminé, et au plus tard dans les trois mois suivant la libération de ce département, le Préfet sera tenu de convoquer le Collège électoral pour procéder à l’élection des municipalités et d’un conseil général provisoire. »
Source :
Supplément au Journal Officiel de la République française du 30 mars 1944, pp. 2-3 et 8 (scrutin).

LE TEMOIGNAGE DE FERNAND GRENIER

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Un long chemin vers le droit de vote des femmes : d’Olympe de Gouges à Fernand Grenier

Les camps d’internement de Châteaubriant, Choisel et Moisdon-la-Rivière

Mardi 2 avril 2024 de 18h00 à 19h30 à Nantes                  

Archives de Loire-Atlantique 6, rue de Bouillé 44000 Nantes

Samedi 6 avril à 15h à Châteaubriant

Médiathèque 6 place de Saint-Nicolas

Conférence par Louis Poulhès, agrégé et docteur en histoire, ancien directeur régional des Affaires culturelles de Bourgogne.

Les otages exécutés par les Allemands en 1941 à Châteaubriant sont bien connus. Tel n’est pas le cas de l’histoire du camp de Choisel où ils étaient internés, encore moins celle du camp de Moisdon-la-Rivière affecté aux nomades. C’est l’objet du livre, récemment publié, que son auteur présente aujourd’hui.

Entrée libre

 Nous reproduisons ci-dessous un entretien avec l’auteur, publié dans UN AUTOMNE 41, bulletin du Comité départemental du souvenir des fusillés de Châteaubriant et Nantes et de la Résistance en Loire-Inférieure.

A l’occasion de la parution de l’ouvrage de  Louis Poulhès, Les camps d’internement de Châteaubriant. Choisel et Moisdon-la-Rivière, Atlande

nous avons posé quelques questions à Louis Poulhès, déjà auteur des livres : Un camp d’internement en plein Paris. Les Tourelles 1940-1945 et L’Etat contre les communistes 1938-1944 parus en 2019 et 2021 chez le même éditeur.

  • Pourquoi un tel ouvrage ?

Le camp est connu pour les internés qui y ont été fusillés comme otages, notamment Guy Môquet, Jean-Pierre Timbaud, Charles Michels. Paradoxalement, l’histoire du camp a été assez peu étudiée. La mémoire des fusillés a contribué à la reléguer un peu dans l’ombre. Le livre ne porte pas seulement sur Choisel, mais aussi sur Moisdon-la-Rivière, un camp ouvert en novembre 1940 pour des nomades, transférés ensuite à Choisel fin février début-mars 1941, puis renvoyés à Moisdon début septembre 1941. Les deux camps ont fait l’objet d’une gestion commune jusqu’au transfert de tous les internés dans d’autres camps de la zone occupée dans la première quinzaine de mai 1942. Sous l’Occupation, le camp de Moisdon-la-Rivière a donc fonctionné de novembre 1940 à février 1941, puis de septembre 1941 à mai 1942, celui de Choisel de mars 1941 à mai 1942. Leur histoire ne doit pas être dissociée.

  • Comment avez-vous travaillé ?

Comme pour tout travail historique de fond, le recours aux archives est indispensable. La plupart des documents sont conservés aux archives départementales de Loire-Atlantique, mais aussi aux archives de la préfecture de police à Paris, aux archives départementales d’Eure-et-Loir et du Maine-et-Loire et d’autres encore. J’ai croisé ces documents avec les informations issues des internés eux-mêmes : journaux des internés, correspondances avec leurs familles, témoignages et mémoires.

  • Votre éditeur précise que vous avez conçu votre ouvrage « en dehors de tout esprit polémique et d’idéalisation ». Pourquoi ce commentaire ?

Il s’agit simplement d’indiquer que ce travail se veut distancié par rapport à son objet, même si je reste très ému du sort de ces hommes, de ces femmes et de ces enfants privés de leur liberté pour nombre d’entre eux durant des années, au-delà des seuls fusillés. En particulier, j’ai pris soin de prendre en compte les internés autres que politiques, la mémoire commune réduisant souvent le camp aux seuls politiques. La mémoire de ces camps, qui fait partie de leur histoire, a fait aussi l’objet d’un chapitre du livre.

  • Qu’est-ce qu’un camp d’internement ?

C’est un camp est destiné à enfermer des individus selon une procédure tout à fait particulière : l’internement administratif. En ce qui concerne les politiques (principalement des communistes et des syndicalistes), les internés n’ont commis aucune infraction, mais ils sont seulement suspectés de pouvoir en commettre. Ils peuvent aussi ne pas avoir libérés après avoir purgé une peine ou après avoir été absous par un juge. La décision d’internement est prise par le ministre de l’intérieur ou les préfets (autorité administrative) et non par un juge (autorité judiciaire). La durée de privation de liberté n’est pas limitée dans la très grande majorité des cas, arrestations et libérations étant totalement aux mains de l’administration. Les internés administratifs ne sont donc pas des « prisonniers » comme les autres, prévenus ou condamnés, détenus en vertu d’une procédure judiciaire. La procédure de l’internement n’a été inventée par le gouvernement de Vichy, qui a seulement élargi les publics visés à tous ceux qu’il a considéré comme « indésirables », mais par le gouvernement Daladier sous la IIIe République.

  • Combien y-a-il eu de camps d’internement sous l’Occupation allemande ?

Leur nombre a varié fortement dans le temps. Certains ont été très éphémères (quelques semaines) et leur taille extrêmement variée. On peut les estimer à moins d’une trentaine pour l’ensemble de la période de l’Occupation. Dans la zone non occupée, on distingue principalement des camps pour les étrangers (les plus grands avec jusqu’à plusieurs milliers d’internés) et des camps pour les Français (nettement plus petits avec de quelques dizaines d’internés à plusieurs centaines). Dans la zone occupée, le gouvernement de Vichy est soumis à l’autorisation des Allemands. Le premier camp est celui d’Aincourt en Seine-et-Oise créé début octobre 1940 pour les politiques, les Allemands ayant également enjoint Vichy d’interner les nomades dès octobre-novembre 1940. L’internement des Juifs commence principalement en mai 1941. Tous ces camps sont gérés et gardés par des Français sous l’autorité du gouvernement de Vichy. Rares sont les camps allemands (Compiègne, Romainville ou Drancy après juillet 1943).

  • Combien de personnes ont été internées à Châteaubriant ?

Dans les deux camps de Moisdon et Choisel, 1601 personnes au total ont été enregistrées. Les politiques sont au nombre de 682, soit un peu plus des deux cinquièmes (42,3% du total). Ils sont entrés à Choisel à partir d’avril 1941, puis surtout en mai et à l’été 1941. Les nomades sont 544, soit un peu plus du tiers (34,2 %) et les « indésirables », qui regroupent les autres catégories d’internés 375, soit un peu moins du quart avec 23,5 %. Le maximum des internés présents à Choisel est d’environ 860 personnes à la fin août 1941. Une des originalités de l’ouvrage est de produire la liste complète de tous les internés, par dates d’entrée, avec leurs noms, prénoms, dates de naissance, catégorie d’internement.

  • Qu’est-ce qui a conduit à la fermeture du camp en mai 1942 ?

Les différentes catégories d’internés ont été transférés dans des camps spécialisés dans la première quinzaine de mai 1942 : Voves pour les politiques, Mulsanne pour les nomades, Aincourt pour les femmes (politiques et « indésirables »), Rouillé pour les repris de justice, Gaillon pour les « marché noir », Pithiviers pour les juifs. Le camp de Choisel a sans doute été considéré par les Allemands comme trop connu. Les exécutions d’otages ont en effet profondément bouleversé les Français. Vichy et les Allemands souhaitent également spécialiser les camps. A la différence de Moisdon, définitivement fermé, Choisel a été réouvert en septembre 1944 jusqu’en décembre 1945 pour les collaborateurs, puis transformé en annexe de la prison de Fontevrault jusqu’en décembre 1946. Le camp a ensuite été détruit.

Fête de l’Humanité / dimanche 12 septembre /Louis Poulhes