Comité Départemental du Souvenir des Fusillés de Châteaubriant de Nantes et de la Résistance en Loire-Inférieure

Intro de la page d’accueil

Calendrier des cérémonies 2024

81e anniversaire des procès des 42 et des 16 

Journée nationale de la Déportation
Dimanche 28 avril à 10h30 au cimetière de la Chauvinière à Nantes
Journée nationale de la Résistance
Lundi 27 mai
Indre – cérémonie et initiative avec les écoles

Hommage aux syndicalistes résistants

Jeudi 6 juin – à 12h à Nantes
Cérémonie aux plaques mémorielles à la Maison des syndicats

80e anniversaire de l’exécution de Jean de Neyman à Saint-Nazaire

Samedi 7 septembre à Heinlex

83e anniversaire de l’exécution des 50 Otages

Dimanche 13 octobre
Indre – hommage à Eugène et Léoncie Kérivel et aux résistants indrais

Vendredi 18 octobre à 17h45
Veillée du souvenir au Monument aux 50 Otages

Dimanche 20 octobre à Châteaubriant
La Blisière (Juigné-des-Moutiers) à 10h00
La carrière des fusillés à 13h30, rond-point Fernand Grenier

L’Histoire entre en scène

La pièce Les 50

à Saint – Etienne – de – Montluc

vendredi 19 janvier à 20h00                      

Espace Montluc, rue de la Guilletière               

LES 50
Théâtre d’ici ou d’ailleurs / Tout public

Tout le monde connaît la lettre de Guy Môquet, mais très peu connaissent l’histoire des 50 otages. Qui étaient ces 50 Otages fusillés à Châteaubriant et Nantes le 22 octobre 1941 ? Que s’est-il réellement passé, dans quelles circonstances ? Ces otages, d’où venaient-ils, pourquoi ont-ils été choisis par le gouvernement de Vichy et les Nazis en 1941?

Cette pièce de théâtre nous replonge dans la vie des 50 otages, tout en voyageant joyeusement dans le temps et dans les lieux. Le chant et la musique s’invitent librement au voyage dans un parti pris poétique très vivant. L’histoire de ces
résistants hommes et femmes nous émeut, nous bouleverse. Subissant la période très noire du nazisme, ces 48 fusillés n’ont pas baissé les bras. Ils aimaient la VIE.
Ce spectacle qui vient de faire un triomphe au Théâtre de la Belle Etoile à Saint-Denis (93) sera présenté par le Théâtre d’ici et d’ailleurs à Saint-Etienne-de-Montluc le 19 janvier à 20h

Tarif : Prévente 8€ / Sur place 10€ (plein), 8€ (réduit)
Réservations : site de la mairie. Onglet Mes loisirs/Vie culturelle/Billetterie  Prévente : 8 €, sur place 10€ Billets à retirer auprès de la bibliothèque de St Étienne de Montluc

Samedi 20 janvier à 9h30

Bibliothèque   3, rue de la Paix 44360 St Etienne de Montluc

Dédicace et rencontre

autour du livre En vie, en joue, enjeux

sur l’histoireet la mémoiredes 50 Otages

avec les auteurs Didier Guyvarc’h et Loïc Le Gac        

En vie. Guy Môquet a toujours 17 ans et Léon Jost  57. Leur vie et celle de leurs compagnons a été interrompue à Châteaubriant, à Nantes ou au Mont-Valérien le 22 octobre 1941, sous les balles de la Wehrmacht. Leur mort en a fait des héros. Qui étaient-ils ? Ce livre tente d’y répondre en croisant leurs parcours  et dessine un portrait de groupe.

En joue. Le 20 octobre 1941, Gilbert Brustlein, Spartaco  Guisco et Marcel Bourdarias, trois « courageux garçons » (Charles de Gaulle) en mission, abattent à Nantes le Feldkommandant Hotz. Aucun officier d’un grade aussi élevé n’a jusqu’alors été exécuté. Ils donnent ainsi le signal

de la lutte armée et « font entrer la Résistance intérieure dans la guerre » (Thomas Mann). En représailles, Hitler ordonne de fusiller cinquante otages.

Enjeux. Ces deux événements, dont l’écho est international, marquent un tournant. C’est le premier massacre de masse de civils à l’Ouest. Il atteste l’évolution de la politique de répression des Nazis, et en retour, des obstacles à la Collaboration « sincère et loyale » prônée par Vichy. Le massacre du 22 octobre 1941, retenu par le Tribunal international de Nuremberg, constitue un événement fondateur pour le droit international.

Quatre-vingts ans après, la mémoire de l’événement a évolué. Mais elle reste vive. Écrire l’histoire des trois journées de l’automne 1941, puis des quatre-vingts de leur mémoire, c’est aussi postuler que des vies ordinaires peuvent résister à l’oubli quand elles disent non.

Didier Guyvarc’h, historien, agrégé, maître de conférences honoraire en histoire contemporaine à l’IUFM, Université de Rennes 2 est l’auteur de nombreux ouvrages et articles.Loïc Le Gac,  enseignant puis proviseur, est l’un des animateurs du Comité du souvenir des fusillés de Châteaubriant, Nantes et de la Résistance en Loire-Inférieure et de son site www.resistance-44.fr

                                         

Commémorations du 82ème anniversaire

La flamme de la Résistance ne s’est pas éteinte.

               Nous étions près de 3 000.

Il y a 82 ans, 48 otages étaient fusillés par les nazis  à Châteaubriant, Nantes et au Mont-Valérien. Chaque année, des cérémonies leur rendent hommage. Il s’agit de la plus importante manifestation commémorative de la Résistance en France. Cette année encore, la mémoire est restée intacte, l’émotion toujours aussi grande.

INDRE

Le Comité local du Souvenir d’Indre a organisé sa cérémonie en mémoire d’Eugène et Léoncie Kerivel et de 2 résistants indrais le 15 octobre. Annoncée par des articles dans Presse-Océan et Ouest-France, la cérémonie a rassemblé 60 personnes en présence du maire d’Indre Anthony Berthelot et de la maire de Couëron Carole Grelaud, avec la participation des élèves de CM2 des écoles publiques d’Indre dont certains porte-drapeaux juniors. C’est sur le Môle près du marché que le rendez-vous a été donné à 8 h 45, avec un dépôt de fleurs sur le Palis d’ardoise peint aux visages d’Eugène et de Léoncie Kérivel. À 9 h, les musiciens de la fanfare de l’école de musique ont conduit les participants jusqu’au cimetière.  Le dépôt de gerbes au monument aux Morts a été suivi de la lecture par les petits-enfants de Thierry Diquelou du poème de Paul Éluard Liberté. Nouveauté cette année : l’allocution de Jean-Luc Le Drenn, président du Comité, a été accompagnée d’une évocation artistique de Claudine Merceron et de Pascal Gilet. Jean-Luc Le Drenn a notamment déclaré que «  la transmission des valeurs de la résistance auprès des jeunes générations est nécessaire dans un monde tourmenté confronté au fanatisme religieux, aux idées fascistes racistes communautaristes » avant de souligner l’aide précieuse de la municipalité indraise : « La mairie a commandé plusieurs drapeaux juniors pour les quatre enfants porte-drapeaux et un drapeau floqué “Comité local d’Indre“». La présence d’élèves a permis de mesurer le travail de mémoire réalisé par le Comité envers la jeunesse indraise.

NANTES                                                                                                                                                             Veillée du souvenir

La Veillée du souvenir a réuni près de 200 personnes, le vendredi 20 octobre, devant le Monument aux 50 Otages et à la Résistance. Le président du Comité départemental du souvenir Christian Retailleau a accueilli le préfet des Pays de la Loire et de Loire-Atlantique Fabrice Rigoulet-Roze, l’adjoint à la maire de Nantes Olivier Chateau, le député Mounir Belhamiti et les autorités civiles et militaires.

Puis le jeune maître de cérémonie Clément Leparoux a appelé, dans l’ordre protocolaire, au dépôt des gerbes, celle du Comité du souvenir et de l’Amicale déposée par Christian Retailleau et Maryse Veny-Timbaud, de nombreuses gerbes des organisations syndicales, des associations mémorielles et du PCF*, du député, de la municipalité et du préfet. Après l’appel aux morts, La Marseillaise, la minute de silence et le Chant des partisans, Catherine Tuchais a pris la parole au nom du Comité du souvenir.

« Aucun combat pour la liberté, le progrès et la paix n’est jamais vain »

Elle a retracé le contexte des fusillades d’otages du 22 octobre 1941 et présenté ces 48 hommes « épris de liberté, qui avaient choisi le combat contre l’oppression nazie » expliquant comment ce massacre « a marqué un tournant dans la résistance ». « Il faut sans cesse transmettre les valeurs de la Résistance aux jeunes générations, résister aux sirènes du repli sur soi et continuer à lutter encore et toujours contre la destruction des conquêtes sociales de la Libération » a-t-elle ajouté en évoquant la mobilisation récente contre la réforme des retraites. Elle a ensuite évoqué « le contexte international où règne la division et la terreur », mentionnant les guerres en Ukraine et au Proche-Orient avant de rendre hommage à Dominique Bernard l’enseignant d’Arras, « victime du fanatisme et du refus de l’émancipation par le savoir. »

L’évocation artistique était intitulée, 80e anniversaire oblige, Dans les coulisses du CNR. Ecrite par Claudine Merceron du Théâtre d’ici ou d’ailleurs et interprétée avec brio par Pascal Gillet, Michel Hermouet et les jeunes Lili et Manolo et l’autrice. Le texte était composé des dernières lettres de Jean-Pierre Timbaud et Michel Dabat, d’extraits du journal de Pierre Rigaud, retraçant la journée tragique dans le camp de Choisel, la mise en exergue de l’action des jeunes Michel Dabat et Christian de Mondragon le 11 novembre 1940 et celle des anciens combattants qui avaient mis en place des réseaux d’évasion des prisonniers de guerre. Autant de « graines de l’espoir » qui commencèrent à germer avec la création du CNR le 27 mai 1943, nouvel indice après Stalingrad en février que « Hitler n’est plus invincible ».

Lors de la réception à l’Hôtel de ville, Olivier Chateau a rappelé l’intérêt que porte la municipalité à l’activité du Comité du souvenir et à l’importance du travail de transmission de cette Histoire auprès des nouveaux Nantais et des jeunes générations. Christian Retailleau, dans ses remerciements, a assuré la municipalité de la détermination du Comité.

*Outre les gerbes déposées par le préfet, le député et celle de la municipalité, citons celles de la CGT : UD (Fabrice David),UL (Nelly Goyet), Fédération des industries chimiques (Christophe Janot), Municipaux ( Anita Gadet), FAPT, Cheminots ( Stéphane Godart), Airbus (Laurence Danet), Retraités 44 (Yannick colin), Retraités Nantes (Michel Charrier) ; FSU(Marie Raynaud), PCF 44 (Aymeric Seassau et Pédro Maia), PCF Nantes (Pascal Divay et Clotilde Mathieu), Mouvement de la JC ( Gabriel Augeat), ADIRP (Yveline Larzul-Durand et Noël Leprime)

Cérémonies officielles  

Le samedi 22 se sont déroulées à Nantes les cérémonies officielles. Au monument des 50 otages d’abord, la cérémonie – le protocole étant assuré par Xavier Trochu – était présidée par la sous-préfète Marie Argouarc’h et Bassem Asseh, premier adjoint représentant la maire de Nantes Johanna Rolland en présence des autorités civiles et militaires et des représentants des associations mémorielles. Une deuxième étape a conduit les participants au champ de tir du Bêle, lieu de l’exécution des 16 otages nantais. L’appel des fusillés a été confié aux comédiennes Claudine Merceron et Martine Ritz. La dernière lettre de Jean-Pierre Glou a été lue. Comme la veille, l’anniversaire de la création du CNR a été évoqué. L’intervention s’est conclue sur la chanson d’Henri Franceschi Merci Monsieur Croizat. A noter la présence du commandant Joel Beckner, attaché militaire de l’ambassade des Etats-Unis, qui a déposé une gerbe. Ce moment officiel s’est conclu, sous une pluie battante, au cimetière de La Chauvinière où reposent un certain nombre des fusillés. La municipalité nantaise fleurit le 1er novembre les tombes de ceux qui sont inhumés dans d’autres cimetières.

CHÂTEAUBRIANT

A Choisel puis au Château. Les cérémonies castelbriantaises ont commencé, sous la pluie et un vent violent, le samedi 21 octobre par un hommage à l’ensemble des internés sur le lieu même où se trouvait le camp de Choisel. Un monument et un panneau explicatif identifient aujourd’hui ce lieu de mémoire. Une centaine de personnes étaient présentes. En présence de Catherine Ciron, représentant le maire Xavier Hunault, qui a pris la parole, Carine Picard-Nilès, présidente de l’Amicale, Sylvie Rogé, secrétaire générale et Serge Adry, président du Comité local du souvenir, des maires du Castelbriantais, et de l’attaché parlementaire du député Jean-Claude Raux,  un émouvant hommage a été rendu par Jean-Jacques Catreux à Odette Nilès, la dernière survivante du camp qui nous a quittés le 27 mai dernier. Puis une deuxième étape du parcours mémoriel a conduit les commémorants dans la cour du château médiéval, là où dans la soirée du 22 octobre sanglant, les corps des martyrs avaient été déposés  dans l’attente de la fabrication par les entreprises de menuiserie Nourrisson et Maussion de 27 cercueils – sans noms – avant leur inhumation le lendemain dans 9 cimetières de la région.

Au musée. A 17h, une centaine de personnes ont répondu, malgré la pluie et le froid, à l’invitation au vernissage de la nouvelle exposition temporaire consacrée au thème du Concours national de la Résistance et de la Déportation : «  Résister contre la Déporttation », dont la qualité a été saluée par tous. Le sous-préfet  Marc Makhlouf, Catherine Ciron, adjointe au maire et conseillère départementale ont pris la parole. Les Inspecteurs pédagogiques régionaux Michel Durif et Valérie Lejeune étaient présents. Gilles Bontemps, président des Amis du musée a rendu hommage à Jean-Paul Le Maguet, ancien conservateur du musée.

A La Blisière. Après le 22 octobre, « la liste tragique n’est pas close pour autant » comme l’avait écrit à sa femme Adrien Agnès. Le 15 décembre 1941, lui-même et huit autres internés ont été extraits de la baraque des otages. Cette fois les camions n’ont pas traversé la ville mais ont pris la direction de Soudan puis de Juigné-les-Moutiers. La fusillade a eu lieu en pleine forêt, au lieu-dit La Blisière. Claude Gaudin au nom du Comité départemental du souvenir a rappelé le contexte de cette exécution, et de celles qui se sont déroulées simultanément au Mont-Valérien (69 fusillés dont Gabriel Péri), à Caen (13 dont Lucien Sampaix), Fontrevaud (4). Après avoir évoqué chacun des fusillés, il a ajouté : « notre présence témoigne de notre volonté de préserver notre démocratie en péril. Honorer la mémoire des fusillés de La Blisière qui ont combattu la barbarie nazie au péril de leur vie, c’est permettre à tous de réfléchir et de tirer des enseignements de leur engagement et des valeurs qu’ils défendaient. »

Hommage à Odette Nilès. En fin de matinée, une réception à l’Hôtel de Ville a été l’occasion pour le maire Xavier Hunault de rendre un hommage émouvant à Odette Nilès.

Dans la carrière de la Sablière. Forte participation populaire pour ce 82ème anniversaire. Le soleil était au rendez-vous, il faisait aussi beau que le 22 octobre 1941. 2 500 personnes – beaucoup de jeunes – ont participé à cet hommage. Le cortège, parti du rond-point Fernand Grenier auquel Gwen Herbin a rendu hommage pour l’Amicale, a été emmené vers la carrière par l’harmonie municipale Les Baladins musiciens, au son du Chant des partisans, accompagnée d’une trentaine de  porte-drapeaux et de nombreux porteurs de gerbes. En ouverture de la cérémonie officielle, présidée par le préfet des Pays de la Loire et de Loire-Atlantique M. Fabrice Rigoulet-Roze, des jeunes scolaires ont procédé au dépôt de terres prélevées sur des lieux de résistance dans 5 des 183 alvéoles du sous-bassement du monument créé par Antoine Rohal en 1950.

Ce projet pédagogique piloté par Romain Barre a fait intervenir cette année les établissements suivants :              
– terre du Frontstalag 181 de Saumur collectée par le lycée Sadi Carnot – Jean Bertin de Saumur
– terre du Camp Tsigane de Montreuil-Bellay collectée par le lycée Sadi Carnot – Jean Bertin de Saumur
– terre de Brême en Allemagne collectée par le Berufsbildende Schulen de Verden (Lycée professionnel)
– terre de Terezin (République Tchèque) collectée par le collège Gaston Couté de Voves
– terre de Saint Etienne de Montluc (Loire – Atlantique) collectée par le collège Paul Gauguin de Cordemais
– terre du pont de Thouars (Deux-Sèvres) collectée par le lycée Henri Dunant d’Angers
– terre des Grands-Bas à Villevêque, lieu d’atterrissage (Maine et Loire) collectée par le lycée David d’Angers d’Angers                 

Après l’appel des noms des fusillés suivi du Chant des partisans, interprété par l’Harmonie, la voix d’Odette Nilès a résonné dans la carrière. Dans cet extrait d’un entretien d’Odette Nilès avec le journaliste Daniel Mermet en 2016, elle évoque, avec beaucoup d’émotion, sa réaction et celle des internés en ce début d’après-midi du 22 octobre 1941 au moment où les otages ont été extraits du camp.

De nombreuses personnalités étaient présentes*, invitées par le maître de cérémonie Claude Nilès à déposer des gerbes au pied des 27 poteaux supportant les portraits des fusillés. En plus de ces 27 gerbes de nombreuses autres ont été déposées au pied des stèles. La Marseillaise a retentit, suivie d’une minute de silence puis du Chant des marais tandis que les personnalités saluaient les 37 porte-drapeaux présents. Des extraits des dernières lettres de fusillés ont été diffusées pendant ce salut. Carine Picard-Nilès a ensuite pris la parole.La présidente de l’Amicale de Châteaubriant a déclaré à propos d’Odette Nilès: « Oui, nous continuerons à porter son œuvre de mémoire et celle de toutes ces femmes et de ces hommes morts pour que nous vivions libres, mais sans la déformer, sans la réécrire, sans la minorer ». Faisant écho au Chant des partisans, elle poursuit : «  Ami, entends-u les bruits sourds des peuples qui ouffent de la guerre à nos portes, en Ukraine, au Haut-Karabah en arménie, sur le continent africain, en Isrraël et Palestine sous le joug de dirigeants fascistes ou fanatiques ? » * Puis le secrétaire général du PCF, dont la plupart des fusillés étaient membres, s’est exprimé à son tour : « Le 22 octobre 1941, dans cette clairière, 27 hommes tombaient sous les balles allemandes. Ving-sept noms inscrits à jamais au Panthéon de la mémoire nationale. Vingt-sept vies volées par la barbarie et qui donnèrent à la Résistance française une irrésistible force populaire. Châteaubriant est un symbole. Symbole d’un crime devant l’Histoire,symbole d’un puple travailleur qui refusa l’occupation, animé ar sa soif de justice sociale et d’émancipation.(…) Se montrer dignes de [leur] héritage, c’est contribuer à le défendre et le faire vivre partout où il se trouve menacé ; c’est mettre l’être humain au cœur de tous nos choix, c’est continuer à défendre la paix(…) 82 ans après cette commémoration demeure d’une cruelle actualité,  l’heure où les fanatismes, les extrémismes, la barbarie s’en prennent aveuglément à des civils. »

©GwennHerbin

Le Théâtre d’ici et d’ailleurs, accompagné de comédiennes et comédiens amateurs et d’élèves de CM1/CM2 de l’école Jean Monnet d’Issé dirigés par Kristine Maerel et leurs enseignant.e.s Pascaline Labbé et David Vieau (commune dont était originaire Alexandre Fourny, otage fusillé à Nantes) ont alors pris possession du plateau et interprété Les graines de l’espoir, une création de Claudine Merceron. Cette lecture théâtralisée, lue, jouée et chantée a évoqué les événements de 1941 et de la création en 1943 du Conseil national de la Résistance. Interprétée avec talent, elle s’est achevée par la chanson fétiche de ce rendez-vous annuel dans la carrière des fusillés : L’Age d’or (Léo Ferré) interprétée avec fougue et émotion par la vingtaine d’artistes et reprise en chœur par la foule qui vibre toujours à cette chanson.

©Pascal Fournet



Il restait aux nombreux cars venus de différentes régions, aux centaines de voitures stationnées sur l’esplanade Ambroise Croizat à reprendre la route et rentrer à bon port, aux bénévoles à retrousser les manches pour ranger les 2 000 chaises, démonter les stands, comme à l’équipe des cégétistes de Mines-énergie qui ont assuré la restauration rapide sur le site.

Parmi les personnalités présentes, citons le Préfet des Pays de la Loire et de Loire-Atlantique M. Rigoulet-Roze, le sous-préfet de Châteaubriant M. Marc Makhlouf, M. Xavier Hunault, maire de Châteaubriant, son adjointe Mme Catherine Ciron, conseillère départementale et plusieurs maires du castelbriantais, Aymeric Seassau, représentant la maire de Nantes, xxx représntant la mairie de Paris, Lydie Mahé, adjointe au maire de Saint-Nazaire, le député Jean-Claude Raux, la sénatrice Karine Daniel, les sénateurs Gérard Lahellec et Philippe Grosvalet, Carine Picard-Nilès, présidente de l’Amicale, et Sylvie Rogé, secrétaire générale, Christian Retailleau, président du comité départemental du souvenir accompagné de Serge Adry du comité de Châteaubriant, Jean-Luc Le Drenn, du comité d’Indre, Fabien Roussel, secrétaire général du PCF, Fabrice David, secrétaire de l’UD CGT, Myriam Lebkiri, représentant Sophie Binet, secrétaire générale de la CGT, Robin Salecroix et Véronique Mahé, co-secrétaires départementaux du PCF 44, Anita Charrieau et Julien Delaporte PCF 85, Assan Lakehoul, secrétaire national du Mouvement de la jeunesse communiste et Léna Raud, secrétaire nationale de l’UEC, plusieurs secrétaires généraux de Fédérations de la CGT : FILPAC, Mine-Energie, Services publics, FAPT etc. , des secrétaires régionaux Pays de Loire, Picardie, Normandie, les représentants d’organisations mémorielles ARAC, ANACR, FNDIRP, Comité parisien de Libération, Familles de fusillés, du Mont Valérien, de Souge, Familles de fusillés et massacrés de la Résistance, AFMD, Lucienne Nayet, présidente du Musée de la Résistance nationale et Gilles Bontemps, musée de Châteaubriand, Nous avons noté parmi la foule la présence de Philippe Martinez et celle Chantal Trubert, dessinatrice des portraits des 48 fusillés (également présente à Nantes à la Veillée du souvenir)

POUR EN SAVOIR PLUS

https://resistance-44.fr/wp-content/uploads/2023/12/hommage-a-Odette-Niles-stele-camp-de-choisel-le-samedi-21-octobre-2023.pdf

https://resistance-44.fr/wp-content/uploads/2023/12/Carine-PIcard-Niles-Chateaubriant-22-10-23-5.pdf

https://resistance-44.fr/wp-content/uploads/2023/12/Fabien-Roussel_Discours_Chateaubriant_2023-1.pdf

Octobre 1941 – octobre 2023

Rassemblons-nous nombreux lors des cérémonies commémoratives à Châteaubriant, Nantes et Indre

Alors que les atteintes à la démocratie se multiplient, que les conquis de la Résistance – et dernièrement les retraites – sont systématiquement remis en cause, alors que les déformations de l’Histoire sont en vogue, que le fond de l’air est brun et que les bruits de bottes se font entendre encore aux portes de l’ Europe et ailleurs dans le monde, les rassemblements organisés à l’occasion du 82ème anniversaire de l’Octobre sanglant de 1941 ne constitueront pas seulement un hommage aux fusillés, mais aussi une réponse à cette dérive et une manifestation de notre conviction que « résister se conjugue au présent ».

Le programme des initiatives

L’Amicale Châteaubriant-Voves – Rouillé – Aincourt, organisatrice avec le Comité départemental du souvenir et ses comités locaux de Châteaubriant et d’Indre a conçu un programme comprenant de nombreuses initiatives.

14 octobreSaint-Herblain – 17h, bibliothèque Paul Eluard, avenue des Plantes rencontre avec l’historienne Dominique Comelli autour de la BD Immortels ! sur les 50 Otages

15 octobre – Indre – 8h45, place Odette Nilès (bord de Loire) puis au monument aux morts au cimetière. Hommage à Eugène et Léoncie Kérivel et aux résistants indrais.

Nantes.

Exposition des portraits des 48 otages, réalisés par l’artiste Chantal Trubert, le long du boulevard des 50 Otages

Vendredi 20 octobre – 17h45, Monument aux 50 Otages et à la Résistance Veillée du souvenir. Evocation artistique conçue par Claudine Merceron, Théâtre d’ici et d’ailleurs :  Dans les coulisses du C.N.R.  – Réception à l’Hôtel de Ville

Samedi 21 octobre – 10h, Cérémonies officielles devant le Monument aux 50 Otages et à la Résistance puis au champ de tir du Bêle et au cimetière de La Chauvinière (transport assuré par car entre ces lieux)

Châteaubriant.

Samedi 21 octobre – 14h30, rassemblement devant la stèle du camp de Choisel : hommage aux internés suivi dans la cour du Château d’un hommage aux fusillés.

17h, musée de la Résistance – vernissage de l’exposition temporaire 2023-2024 « Résister à la Déportation en France et en Europe », dans le cadre du Concours national de la Résistance et de la Déportation.      

Dimanche 22 octobre – 10h, La Blisière – Juigné-les-Moutiers. Hommage aux 9 fusillés du 15 décembre 1941  

13h30 – rassemblement au rond-point Fernand Grenier.                                                                       Hommage à Fernand Grenier puis départ en cortège vers la carrière de La Sablière derrière les porte-drapeaux et porteurs de gerbes. Cérémonie officielle, hommage à Odette Nilès, allocution de Monsieur Fabien Roussel, député, secrétaire national du PCF.

 Evocation théâtrale conçue par Claudine Merceron et Elodie Retière et le Théâtre d’ici et d’ailleurs.

Des stands de restauration rapide seront à disposition du public ainsi que des stands de littérature avec dédicaces d’auteurs.

Transport gratuit par cars, organisés par les villes de Nantes et Saint-Nazaire       
Nantes
10H30 – Départ place du Vieux Doulon ( arrêt bus)                                                                  
10h40 – Boulevard de Sarrebrück (arrêt Haubans)                                                                        
10h50 – Place Pirmil ( station tram/bus)                                                                                           
11h00 – Chantiers navals (station tram/bus)   
11h05 – Place Zola (arrêt côté Renardières)                                                                                       
11h10 – Place des Châtaigniers  / Abel Durand (arrêt Massacre face à Carrefour)                        
11h 25 – Eglise du Pont du Cens (arrêt bus)   
11h30 – Le Cardo (station tram/bus)      
Saint-Nazaire
11h00 – départ parking du Théâtre, côté CIL  
11h15 – Trignac- Place de la Mairie                                                                                                   
11h40 – Montoir-de-Bretagne, place du marché                    
Inscriptions
Nantes – comitesouvenir@resistance-44.fr   ou 06.33.83.74.35                                              
 Saint-Nazaire – alain.trigodet@free.fr ou 06.95.70.63.96               
Restauration rapide sur le stand Mines-Energie CGT à l’entrée de la carrière ou pique-nique
Retour à l’issue de la cérémonie par le même itinéraire.
Invitations  de la bibliothèque Paul Eluard à une animation le 14 octobre autour de la BD Immortels !  

Le 22 octobre avant, pendant et après la cérémonie, la librairie de l’Amicale de Châteaubriant et le stand du Comité de Loire-Atlantique vous accueilleront et vous proposeront des livres sur la Résistance et notamment sur les fusillés de Châteaubriant et de Nantes. Vous pourrez obtenir des dédicaces des auteurs.

Outre la BD Immortels ! ci-dessus

sera proposé le livre

EN VIE, EN JOUE, ENJEUX. Les 50 Otages de Didier Guyvarc’h et Loïc Le Gac, préface de Thomas Fontaine

Ouvrage de référence sur la naissance de la résistance, le code des otages, l’internement administratif, les fusillades du 22 octobre 1941, le parcours des fusillés et la mémoire de cet évènement et ses évolutions au fil du temps.

aragon.jpg
Aragon. C’est en leur nom que je vous parle

Les circonstances dans lesquelles ce texte a été écrit sont maintenant connues: Dans les tout premiers jours de novembre 1941 , le jeune avocat Joë Nordmann eut un rendez-vous avec le docteur Bauer. Bauer était le messager de Jacques Duclos (alias Frédéric) demandant si Nordmann était prêt à se rendre en zone non occupée pour voir Louis Aragon et lui transmettre des documents. Prêt ? Nordmann l’était. Lors du rendez-vous suivant, Bauer lui remit une liasse de papiers pliés ou froissés: les documents sortis clandestinement du camp de Châteaubriant, rédigés par des témoins du drame. Accompagnant le tout, un billet très bref: « Fais de cela un monument ! Frédéric ».
Nordmann quittait Paris en janvier 1942, par le train, ayant roulé tant bien que mal les papiers dans la couture de son slip. Après un arrêt à Nevers, pour obtenir de faux papiers d’identité par une amie, il passe la ligne de démarcation et arrive à Nice à l’adresse indiquée, dans le Vieux Nice, quartier des « Ponchettes ». Aragon est bouleversé en découvrant les documents. Il offrit l’honneur de composer ce texte à d’autres écrivains présents à Nice. Mais Roger Martin du Gard, Georges Duhamel, André Malraux et André Gide se récusèrent. Et Aragon écrivit Les Martyrs par le Témoin des Martyrs. En quelques semaines le texte bouleversant d’Aragon était parvenu dans onze pays, alliés ou neutres, et il fut bientôt lu à la radio de Londres (apporté par E. d’Astier de la Vigerie), radio-Brazzaville, Radio Moscou, et à New York. (Témoignage de Joë Nordmann, Aux vents de l’Histoire, Actes Sud, 1996)

Châteaubriant
C’est en leur nom que je vous parle

Mots clés: Châteaubriant, Aragon, Guy Môquet

Je ne sais qui lira ce qui va suivre. Je m’adresse à tous les Français et aussi simplement à tous ceux qui, au-delà des limites de la France, ont quelques sentiments humains dans le cœur, quelles que soient leurs croyances, leur idéologie, leur nation. Peut-être seront-ils retenus de m’accorder créance, parce que je ne signerai pas. J’atteste qu’il n’est rien au monde que je voudrais autant pouvoir faire que d’avoir l’honneur de signer ceci. C’est la mesure de l’iniquité et de la barbarie qu’aujourd’hui nous ne puissions dire notre nom pour appuyer une cause aussi juste, aussi généralement considérée comme noble et élevée, qu’est la cause de la France. Ceux qui meurent pour elle dans notre pays meurent anonymes ; le plus souvent, on ne dit même pas qu’ils sont morts, et tout ce qu’on ose écrire, c’est qu’un individu a été exécuté. Je partage ici le glorieux anonymat de tant de morts que vous ne pouvez plus vous étonner de cet anonymat. Si j’élève une faible voix, c’est parce que certains des morts me l’ont demandé, c’est en leur nom que je vous parle. Ils sont tombés sous les balles allemandes. Ils sont morts pour la France.

Les faits sont simples et personne ne les nie. Le 22 octobre 1941, 27 hommes ont été exécutés par les Allemands à côté du camp de Châteaubriant (Loire-Inférieure) pour des faits datant de quelques jours, dont ils étaient notoirement ignorants, pour l’acte d’hommes qu’ils ne connaissaient pas, sans s’être solidarisés avec ces hommes, mais livrés à l’occupant afin d’être exécutés, et cela par le ministère de l’Intérieur d’un gouvernement qui se dit français, qui en avait lui-même dressé la liste. Pris dans le camp où ils étaient détenus par une simple suspicion ou passibles de toute façon de peines moindres, ils ont été passés par les armes sur l’avis de ceux qui prétendent assurer la police dans le pays, y donnant ainsi l’exemple révoltant du crime. On dira : c’étaient des communistes. Est-il possible que des Français, est-il possible que des hommes, unis à d’autres hommes, à d’autres femmes par les liens de la chair, de l’affection, de l’amitié, puissent se satisfaire d’une phrase pareille ? Tous ceux qui diront, croyant se débarrasser ainsi de la chose : c’étaient des communistes n’entendent-ils pas que cela n’excuse pas le crime allemand, mais que cela honore les communistes ? Ces hommes étaient prisonniers pour leurs idées, ils avaient défendu leurs croyances au mépris de leur liberté. Ils s’étaient refusé à suivre l’exemple de ceux qui, se reniant par lâcheté ou par intérêt, sont passés dans le camp de ceux qu’ils combattaient la veille. S’ils avaient voulu les imiter, ils auraient pu, comme certains, revêtir l’uniforme allemand et être libres, collaborer aux journaux, aux organisations que l’Allemagne contrôle, et être libres. Ils ne l’ont pas voulu. On les a envoyés à la mort. Il y a eu dans le monde des hommes comme ceux-là, et même ceux qui ne croient pas en Dieu, ceux qui haïssent l’Église dont ils sont martyrs ne sont jamais à ce point entraînés par la violence anticléricale qu’ils ne reconnaissent pas la grandeur, la noblesse, la beauté du sacrifice des chrétiens jetés aux bêtes, qui chantaient dans les supplices. Vous pouvez haïr le communisme, vous ne pouvez pas ne pas admirer ces hommes. Écoutez !

guy_moquet.jpg

Au camp de Châteaubriant, il y avait, en octobre 1941, un peu plus de quatre cents prisonniers. On sait ce qu’est la vie dans ces camps, on ne sait pas assez le courage qu’y déploient des hommes et des femmes démunis de tout, mais qui ne paraissent se préoccuper que de maintenir le moral de tous. À Châteaubriant, ils préparaient des divertissements communs, ils faisaient des cours pour mettre en commun le savoir particulier de chacun. Le 20 octobre, un lundi, on y apprend qu’un officier allemand vient d’être tué à Nantes. Vers une heure de l’après-midi, un officier de la Kommandantur confère avec les directeurs du camp. Il s’agit de désigner des otages. Deux cents dossiers environ sont remis par le camp au chef de cabinet du sous-préfet qui les portera à Paris, au ministère de l’Intérieur, où seront choisis les otages. On ne peut s’en tenir à l’exposé nu des faits. Depuis qu’il y a des guerres, les belligérants ont considéré comme otages des hommes, des notables désignés d’avance pour porter les conséquences des actes de leurs concitoyens contre l’ennemi. Ici, c’est après l’acte que sont choisis de prétendus otages et parmi les hommes qui ne peuvent matériellement en être solidaires. Quels hommes ? Des notables dont la perte aura un caractère retentissant ? Non ! Des hommes qui portent le poids de leurs idées, qui sont choisis par ceux-là qui prétendaient assurer l’ordre, leurs ennemis politiques qui y trouvent l’occasion de vengeances personnelles. Parmi eux, il y a des étudiants, des ouvrières. Quelques-uns sont presque des enfants. Ce n’est plus le bourgmestre qui répond de ses concitoyens comme jadis. «  Otages ? – Non. – Martyrs ? – Oui.  » Ce même 20 octobre, les troupes allemandes prennent la garde du camp, à la place des gardes mobiles français. Les prisonniers sont consignés dans les baraques jusqu’au lendemain 9 heures. Vers 9 heures du soir les sentinelles tirent dans le camp, croyant voir une ombre ; une balle entre dans la baraque 10 et siffle aux oreilles d’un prisonnier couché. Le lendemain, la garde allemande est relevée. Des rumeurs circulent. les prisonniers apprennent le départ pour Paris du chef de cabinet du sous-préfet avec les dossiers. On prétend que trente otages doivent être désignés dans le camp. Dans la baraque 19, il y a vingt et un hommes : une indiscrétion a fait savoir que c’est de cette baraque que viendra le gros du contingent exigé. Vers 9 heures du soir, les soldats allemands reprennent la garde (…) Voici les vingt-sept enfermés dans la baraque 6. Chacun reçoit une feuille et une enveloppe pour écrire ses dernières volontés. Kérivel est autorisé à faire ses adieux à sa femme internée dans le même camp. J’ai sous les yeux le récit des mêmes heures fait par un autre interné qui se trouvait dans la baraque 10. Il traduit aussi cette angoisse sourde et montante des deux journées, les bruits qui courent, encore incertains, les signes précis d’un événement qu’on croit deviner sans en être sûr. Puis l’arrivée de l’officier et des gendarmes. «  Quand s’ouvre la baraque 10, le sous-lieutenant Touya lance sans hésitation, avec un sourire pincé, un seul nom : Guy Môquet. Le nom est un couperet qui tombe sur chacun de nous, une balle qui perce chacune de nos poitrines. Il répond d’un seul : présent ! Et comme sans réfléchir, droit, plus grand que jamais, notre Guy s’avance d’un pas rapide et assuré, dix-sept ans, plein d’inconscience et de vie ! À peine éveillé aux premiers rêves de l’amour, il est parti, notre Guy, comme serait parti un peu de nous.  » On cherche à se persuader dans les baraques que la partie n’est pas jouée ; cependant, suivant un autre témoignage, les otages étaient si sûrs de leur sort que Timbaud avait décidé de liquider toutes ses provisions en un bon repas et demandé à deux de ses camarades d’écrire à sa femme et à sa fille s’il lui arrivait quelque chose. D’autres camarades faisaient remarquer à Pesqué qu’il serait prudent de fumer tout de suite ses trois paquets de tabac. Quant à Poulmarch, il se faisait disputer après le repas de midi pour ne pas avoir fait chauffer l’eau du thé : «  Dépêche-toi au lieu de dormir, nous n’aurons même pas le temps de boire le thé.  » En effet, l’eau du thé est restée sur le feu.

Maintenant, dans les baraques, on attend. Chaque porte, chaque fenêtre a été condamnée avec un lit dressé contre les parois. Ils voient le curé de Béré entrer dans le camp. Cela en dit long. Le curé de Châteaubriant s’est récusé. On voit passer Mme Kérivel, autorisée à voir son mari. L’espoir disparaît. C’est à 14 h 22 que le prêtre sort de la baraque 6. Cinq minutes plus tard, des camions allemands apparaissent sur la route. Alors, de la baraque, un chant monte : la Marseillaise. Tout le camp P1 reprend le chant à son tour. Oh ! les avez-vous jamais bien entendues, ces paroles françaises : «  Ils viennent jusque dans nos bras égorger nos fils, nos compagnes !  » À 15 heures, les camions sont rangés devant la baraque 6. Voici les termes mêmes du récit d’un des rescapés. «  Le lieutenant ouvre la porte et commence le dernier appel. À l’annonce de son nom, chacun d’eux se présente. Les gendarmes fouillent, vident toutes les poches et leur attachent les mains, puis les font monter dans les camions. Chaque camion prend neuf camarades, ceux-ci n’arrêtent pas de chanter et nous font des signes d’adieu, car ils nous voient à la fenêtre. Ténine interpelle l’officier allemand : “C’est un honneur pour nous, Français, de tomber sous les balles allemandes.” Puis, désignant le jeune Môquet qui n’a que dix-sept ans : “Mais c’est un crime de tuer un gosse…”.  »

Il faudrait tout citer, chaque récit, car ils s’éclairent l’un l’autre. Dans cet autre, il y a des larmes aux yeux de ceux qui assistent impuissants au drame. Le geste instinctif de se découvrir quand éclate la Marseillaise des condamnés. Ah ! Ce n’est pas César qui salue ceux qui vont mourir, mais la France, mais l’avenir du pays pour lequel ils meurent. Comme ils reconnaissent les voix lointaines, celles de Timbaud, de Môquet ! Après la Marseillaise, il y a le Chant du départ et comment lire, dans ce texte d’un homme simple, sans en avoir les yeux humides, cette remarque : «  Qu’ils sont beaux, ces vers : Un Français doit vivre pour elle ! Pour elle, un Français doit mourir.  » Puis vient l’Internationale. Et une voix seule, jeune, fraîche, entonne la Jeune Garde. C’est Môquet, pour sûr, le benjamin des otages. On ne peut pas couper ce récit-là. «  Par la fenêtre, nous voyons des ombres s’agiter à travers les interstices de la palissade. Nous devinons que nos camarades prennent place dans les camions. Nous nous massons aux fenêtres, côté nord, pour voir le départ de nos héros. Les gendarmes sont toujours là, impassibles, postés de dix mètres en dix mètres. Plus loin, sous le mirador, on distingue les silhouettes sombres des soldats allemands casqués et armés. Une voiture à cheval entre. Elle ne va pas loin. Un gendarme arrête le cheval par la bride et lui fait faire demi-tour. Le temps est superbe, le ciel d’une pureté exceptionnelle pour un 22 octobre. Pas une âme qui vive. La consigne est parfaitement respectée dans notre quartier. Seul Kiki, notre petit fox-terrier, se roule dans l’herbe, heureux de s’étirer et de s’ébattre au soleil. À côté de la 9e, des pas martèlent le plancher. Enfin la Marseillaise, une fois de plus, s’élève de l’autre côté des palissades. Les moteurs sont mis en marche. Les camions vont partir. La Marseillaise s’envole des camions, irrésistible, gagne tout le camp, baraque par baraque. Les gendarmes rendent les honneurs militaires à nos camarades quand ils montent dans les camions et au moment où ceux-ci s’ébranlent…  » Alors, mus par le chant qui les a gagnés, ceux dont les camarades viennent de partir pour le supplice, tous se trouvent soudain – hors des baraques. Ils sont quatre cents à chanter. Deux couplets, deux refrains de la Marseillaise.

Le lieutenant Touya, qui tout à l’heure serrait les mains de l’officier allemand qui venait prendre livraison des vingt-sept martyrs, est bien embarrassé, mais il montre aux détenus la sentinelle allemande, et déjà il siffle. Eux, les détenus, sur un mot d’ordre qui circule parmi eux, se taisent et le silence tombe sur les bourreaux. Il faudra bien que le lieutenant consente quelques renseignements. De groupe en groupe, on se les passe, ainsi que la liste des otages. Touya leur a déclaré qu’ils seront fusillés dans une heure, à 16 h 15. Aussitôt, on décide de se rassembler à cette minute-là. L’heure est lente et lourde à passer dans les baraques. C’est pendant cette heure-là que, pieusement, dans la baraque numéro 6, certains vont recopier les instructions laissées par les condamnés. Les planches où ils ont marché, qu’ils ont touchées, sont découpées et mises à l’abri comme des reliques. À 16 h 15, les voilà tous rassemblés comme pour l’appel, tête nue, en silence, trois cents hommes réunis par camp. Dans chaque camp, l’appel est fait. Au nom des fusillés, un camarade répond : «  Fusillé !  » Une minute de silence. Cérémonial simple, sobre, spontané. Ils l’ont naturellement inventé. Et peut-être inaugureront-ils, pour la suite des temps, la commémoration qui fera du 22 octobre de chaque année un anniversaire pour tous les Français, le deuil, l’orgueil aussi, parce que vingt-sept Français sont morts comme on sait mourir chez nous. De la soirée qui suit, que rapporter ? Seulement le courage de Mme Kérivel. Cette femme admirable, quand elle est venue à la cellule des condamnés embrasser son mari, prise de pitié à la vue du jeune Guy Môquet, a proposé aux officiers de prendre sa place. On le lui a refusé. Maintenant, son calme fait l’admiration de tous. Elle se promène sur la piste avec ses amis. «  Pourquoi se frapper ? Nous ne sommes pas ici pour cueillir des fleurs, la vie continue.  » Et elle dit aux femmes : «  Surtout, faites votre fête dimanche, rien n’est changé !  » Elle tiendra ainsi toute la soirée, ce n’est que dans sa baraque que la fièvre s’emparera d’elle. Mais le lendemain la retrouvera debout, courageuse.

C’est le lendemain que l’on apprend les détails de l’hécatombe. C’est dans une carrière de sable, à deux kilomètres de Châteaubriant, qu’ils ont été fusillés. Ils avaient traversé la ville en chantant la Marseillaise dans les camions. Les gens se découvraient sur leur passage. On imagine l’émotion qui régnait dans la ville. À la ferme voisine de la carrière, les paysans étaient consignés par les Allemands, portes et volets clos, une mitrailleuse braquée sur leurs portes. Par un raffinement singulier, l’exécution a eu lieu en trois fournées. Il y avait trois rangées de neuf poteaux dans la carrière. Les exécutions ont été faites en trois salves : à 15 h 55, à 16 heures et à 16 h 10. Les vingt-sept condamnés ont voulu aller à la mort les yeux non bandés et les mains libres. Ces hommes, en tombant, ont étonné leurs bourreaux, ils ont chanté jusqu’à la dernière minute. Ils criaient : «  Vive la France ! Vive l’URSS ! Vive le Parti communiste !  » Le docteur Ténine a dit à l’officier allemand qui commandait le peloton : «  Vous allez voir comment meurt un officier français !  » Et le métallurgiste Timbaud, avec cette décision qu’il a toujours montrée dans la vie, a choisi pour sa dernière parole un cri bien particulier qui risque de rester comme un souvenir dans le cœur des hommes qui ont tiré sur lui, Français : «  Vive le Parti communiste allemand !  » Il avait demandé du feu à un gendarme pour fumer une dernière cigarette. Au départ, dans le camion, il a dit quelques mots sévères au lieutenant Touya. Il est mort comme il a vécu. C’est une image qui restera de l’ouvrier français, notre frère. Les gendarmes ont rapporté la montre de l’un, une lettre de l’autre, l’alliance d’un autre. Ils ont dit aux détenus ce qui se disait dehors. Eux-mêmes partagent l’émotion du camp et de la ville. La municipalité a refusé d’enfermer les corps dans les cercueils ignobles que les autorités allemandes avaient apportés. Les corps ont passé la soirée au château de la ville. On les dispersera le lendemain dans les divers cimetières de la région. Les familles pourront y aller, mais elles ne sauront pas quelle tombe est la leur, car les cercueils ne porteront pas de noms, mais un numéro correspondant à un registre, pour plus tard… et c’est tout. À la carrière, les gens du pays se sont rendus nombreux en pèlerinage ; on voyait encore les poteaux, le sang sur le sable. On sait maintenant que le même jour, à Nantes, vingt et un otages étaient tombés dans des conditions semblables. Quarante-huit en tout pour la journée du 22 octobre. Le dimanche suivant, plus de 5 000 personnes ont défilé dans la carrière, et déposé des fleurs.
C’est d’un garde mobile que l’on tient les détails de l’exécution. Cet homme déclare que les vingt-sept victimes lui ont donné une leçon de courage ineffaçable. Guy Môquet, qui avait eu une faiblesse au départ, mais dont le courage avait été égal à celui des autres en chemin, s’est évanoui dans la carrière. Il a été fusillé évanoui. Dans le pays, on se répète les mots des martyrs. Le jour de la Toussaint, les défilés ont recommencé, une gerbe de fleurs a été déposée à l’emplacement de chaque poteau dans la carrière tragique, des bouquets ont été portés dans les cimetières. Les autorités allemandes ont interdit les défilés et ont fait une enquête pour rechercher «  les coupables  » qui avaient apporté des fleurs. Un détail terrible : lors de la mise en bière, l’un des cadavres (on frémit de le reconnaître) était trop grand pour la caisse. Un Allemand prit une barre de fer pour l’y faire entrer. Comme le fossoyeur municipal qui était présent protestait, l’autre cria : «  Kommunist, pas Français !  » Ce mot-là, oui, il faudra qu’aucun Français ne l’oublie. Les brutes qui sont venues chez nous, jusque dans la mort, disposer de la nationalité des nôtres, d’un enfant de dix-sept ans, nous apprennent par là même ce qui nous unit contre eux. Il est seulement étrange et monstrueux que le mot de cette brute, il puisse se trouver parmi nous des gens pour le reprendre. Nous n’oublierons pas qui a envoyé au poteau cet enfant et ses vingt-six camarades, qui tranquillement, d’un bureau d’un de nos ministères, a jeté aux balles allemandes ceux qui devaient mourir la Marseillaise à la bouche et la France au cœur, parce qu’il pensait, comme les bourreaux : «  Communistes, pas Français !  » (1).
Il faudrait parler de ces vingt-sept hommes. Comment ne pas marquer à leur tête le député Michels qui portait, aux yeux des autorités françaises, le seul crime d’avoir voté contre la guerre, contre cette guerre à l’Allemagne : voici qu’il est tombé sous les balles allemandes, désigné par les autorités françaises. Il laisse une femme et deux enfants. À côté de lui, Poulmarc’h, secrétaire de syndicat à Ivry ; sa femme reste avec un enfant de six ans et deux personnes à sa charge. Voici le métallurgiste parisien Timbaud qui laisse une femme avec un enfant de treize ans, et deux jours de travail par semaine. Voici Vercruysse, de Paris, mutilé de la face de l’autre guerre, qui laisse une femme sans ressources avec un enfant de huit ans. Les soldats du Kaiser n’avaient pu que le défigurer, ceux de Hitler lui ont donné le coup de grâce. Voici Granet, de Vitry ; sa femme fait des ménages pour élever un enfant de onze ans. Barthélémy, de Tours, retraité des chemins de fer, cinquante-sept ans, dont le fils est marié, mais la femme de ce fils a été emprisonnée à Niort. Bartoli, qui avait cinquante-trois ans, une femme et un enfant. Bastard, d’Angers, lui, n’avait que vingt et un ans ; une mère le pleure. Bourhis, dont l’ordre de libération est arrivé le soir même de l’exécution, instituteur à Saint-Brieuc ; il laisse une femme institutrice et un enfant de six ans. Laforge, instituteur, devait comme lui être libéré. Il laisse une femme, professeur de lycée, et un enfant de dix-sept ans. C’est Lalet, étudiant de vingt et un ans, déjà marié, dont la libération est arrivée pendant qu’il écrivait ses dernières volontés ; cela ne l’a pas sauvé du poteau. Lefevre, d’Athis-Mons, nous laisse une femme et quatre enfants. Le Panse, de Nantes, laisse une femme malade avec deux enfants de cinq et trois ans. Môquet, notre Guy, comme disaient les camarades, le martyr de dix-sept ans, avait à sa charge sa mère et son jeune frère de dix ans, son père étant lui aussi emprisonné. Pesqué, docteur à Aubervilliers, cinquante-six ans, laisse un enfant. Pourchasse, trente-trois ans, laisse une femme sans ressources avec deux enfants de dix et quatre ans ; sa sœur a été arrêtée. Renelle, ingénieur de Paris, laisse une fille de vingt ans qui devra faire vivre sa grand-mère. L’artisan imprimeur Tellier, d’Armilly (Loiret), quarante-quatre ans, veuf. Le docteur Ténine, trente-cinq ans, celui qui dit : «  Vous allez voir comment meurt un officier français !  », médecin à Antony, fils d’un chauffeur de taxi qui, sans travail, était à sa charge, venait de perdre son fils de huit ans, quelques jours plus tôt ; on dit que sa femme, apprenant l’exécution quelques jours après ce terrible deuil, s’est tuée volontairement (2). Voici Kérivel, dont la femme eut le triste privilège, prisonnière à Châteaubriant, de l’embrasser à la dernière heure. Voici Delavacquerie qui avait dix-neuf ans et en paraissait quinze. Huynh Khuong An, Annamite, dont le pays a été livré aux Japonais tandis que lui était livré aux Allemands et que sa femme était jetée en prison à Rennes. Voici David, Grandel, Guéguin, Gardette… Tous des gens pauvres qui vivaient de leur travail.

Est-ce bien la France, direz-vous, où se passent des choses pareilles ? Oui, c’est la France, soyez-en sûrs. Car ces vingt-sept hommes représentent la France mieux que ceux qui les ont désignés aux bourreaux allemands. Leur sang n’aura pas coulé en vain : il restera comme une tache indélébile au visage de l’envahisseur. Ce sang précieux, c’est le rouge de notre drapeau qu’il a reteint et qui, mieux que jamais, se marie au blanc et au bleu de la France pour marquer l’unité de notre pays contre l’ennemi installé sur notre terre et la poignée de traîtres pourvoyeurs de ces bourreaux.

L’HUMANITE, 21 octobre 2011
Copyright Jean Ristat

(1) On sait aujourd’hui que Pucheu, de qui à Alger justice devait être faite, était avant guerre l’homme qui pour les trusts remettait à Doriot l’argent de la trahison de classe et de la trahison nationale. 
Cette même main qui payait la provocation livra les patriotes aux balles allemandes. Comment aujourd’hui s’étonner des journaux que payent en France les patrons sains et saufs de Pucheu, et du travail qu’ils font, du langage de Goebbels par eux repris ?
(2) Heureusement inexact. Ce bruit m’était arrivé d’une source dont 
je n’avais pas de raison de douter : quelques mois plus tard, Mme  Ténine nous rendait visite à Nice, dans cette petite pièce où j’avais écrit 
les Martyrs.
NDLR : Le lieutenant Touya, placé en résidence surveillée à Saintes, à la Libération, fut libéré, puis promu capitaine et décoré de la Légion d’honneur.
Louis Aragon

* Cet épisode de la mission de Joë Nordmann et de sa rencontre avec Aragon est dessiné dans la BD Immortels!, publiée par le Comité du Souvenir

Adrien AGNES (1899-1941) est un ingénieur agronome, chef de service à la mairie de Stains (93) où une rue porte son nom. II était domicilié à Aubervilliers. Le quai le long du canal Saint-Denis porte son nom. « La liste tragique n’est pas close » écrit-il : il a été fusillé à La Blisière, en Forêt de Juigné-les-Moutiers le 15 décembre 1941.
Le 22 octobre 1941 à Châteaubriant,             minute par minute

consigné dans une lettre d’Adrien AGNES

Dans une lettre adressée sa femme, Adrien Agnès, relate, minute par minute les événements des 20 au 22 octobre 1941 dans le camp de Choisel. Sa lettre a été publiée ensuite sous forme d’un tract de 4 pages, intégralement reproduit dans le livre En vie, en joue, enjeux de Didier Guyvarc’h et Loïc Le Gac, préface de Thomas Fontaine, édité aux éditions du CHT.

Châteaubriant, Choisel.

Ma chère femme,

Maintenant que le désastre est accompli je veux que tu puisses réaliser le drame dans toute son horreur. Aussi je vais te le relater depuis son origine, minute par minute.

Lundi 20 octobre, nous apprenons au camp vers dix heures qu’un officier allemand vient d’être assassiné à Nantes. Je me trouvais au bureau du lieutenant, attendant d’être reçu par lui, car je venais réclamer contre la retenue faite sur mon mandat d’une façon arbitraire. On ne m’a pas reçu mais au contraire on nous a renvoyés à nos baraques respectives, en nous indiquant que nous ne serions reçus ni ce jour, ni les suivants.

A 11 heures, l’officier de la Kommandantur vient conférer avec la direction du camp. Il faut désigner des otages. Les dossiers sont remis au nombre de 200 environ au chef de cabinet du sous-préfet. Celui-ci se rend à Paris au ministère de l’Intérieur et là on choisit les otages.

Ce même jour, les troupes allemandes gardent le camp. Il nous est signifié à nous et surtout à la baraque 19 de ne sortir sous aucun prétexte après la nuit jusqu’au matin neuf heures.

Vers vingt et une heures, trois coups de fusil sont tirés, simultanément, d’un mirador. Les sentinelles ont aperçu des ombres dans le camp. Une balle traverse le toit de la baraque 10 et ricoche pour venir traverser une vitre à hauteur du lit d’un camarade qui était couché.

Mardi 21 octobre. La garde du camp par les Allemands est relevée à neuf heures du matin. Toute la journée se passe dans une atmosphère lourde de menaces. On pense qu’il doit être désigné des otages parmi les internés. Le soir à vingt et une heures, les Allemands reprennent la garde.

Avant cela, nous avons confirmation que Monsieur Poli, le chef de Cabinet du Sous-Préfet, est parti pour Paris au ministère de l’Intérieur avec la liste des détenus et que parmi ceux-là trente des nôtres doivent être désignés. Nous savons que c’est notre baraque qui doit fournir le contingent exigé. Nous en déduisons qu’étant vingt et un dans ce local, neuf des autres baraques devront compléter cette liste.

Nous discutons cette nuit-là assez tard, et nul ne se fait d’illusions sur le sort qui nous attend : c’est une veillée funèbre, néanmoins aucun de nous ne manifeste d’angoisse ni de crainte. Sans crânerie chacun attend la suite du drame et la seule appréhension que l’on puisse avoir et dont on discute c’est : serons-nous guillotinés ou fusillés ?

Dans la nuit, un nouveau coup de feu est tiré sur une ombre imaginaire. Cela nous rappelle la façon dont nous sommes gardés et l’interdiction de sortir qui nous a été faite.

Chacun de nous va se coucher et cherche à dormir, ce qui nous est bien difficile. Nous avons discuté le soir sur le sort qui nous attend, Granet, Timbaud, Michels, Grandel, Auffret, Bartoli, Barthélémy sont assis sur mon lit et chacun dit son mot ou son appréciation sur la situation.

Mercredi 22 octobre. Le réveil est plus sombre qu’à l’ordinaire ; chacun sent la menace sur le camp. A 9 heures, nous allons chercher le café.

Vers dix heures, le sous-préfet, le lieutenant Moreau et le lieutenant Touya passent devant la baraque et vont examiner la porte du camp qui donne sur la route de Fercé. Examinent-ils la possibilité de faire passer la voiture par cette porte ? C’est possible comme nous le comprendrons plus tard.

Quelques instants après, le lieutenant Touya réunit ses gendarmes pour passer les consignes nouvelles. Tous sont consignés au camp et la brigade qui avait été relevée a été ramenée, d’après un ordre reçu en cours de route. La plupart de nous font des déplacements au camp P 1 et beaucoup, c’est pour revoir une dernière fois les camarades.

Midi. Nous nous mettons à table et nos camarades aidés de Michels font cuire du poisson que nous avons reçu.

A 13 heures, le repas terminé, beaucoup se mettent à écrire à leurs familles. Que raconter à celles-ci, sinon des faits sans importance et qui sont loin de notre pensée.

Maurice, Victor et Jacq se promènent ensemble, Timbaud et Granet se promènent avec Poulmarc’h. De ma fenêtre on a vue sur tout le camp P 2. Barthélémy, qui partage la même table que moi, et qui est en train d’écrire à sa femme détenue à la prison de Niort, pousse une exclamation d’étonnement.

Il est 13h30. Les gendarmes viennent en ordre et au pas de marche se ranger vers la porte qui ouvre sur notre camp. L’adjudant de gendarmerie poste les hommes à l’intérieur du P 2 tout le long des barbelés à raison d’un homme tous les 10 mètres.

A ce moment les Allemands apparaissent, suivis du lieutenant Touya. Un seul mot dans la baraque : « Ça y est, c’est pour nous, ils viennent nous chercher. » Les lettres sont interrompues ainsi que les promenades. Tous se précipitent aux fenêtres pour voir ce qui se prépare.

Les Allemands installent un fusil mitrailleur au milieu de la cour du camp P2 face à la baraque centrale n°6. Tous les prisonniers sont enfermés dans leurs baraques respectives avec un gendarme en faction à chaque porte.

Le lieutenant Touya suivi de l’officier allemand et de nombreux gendarmes, ouvre la porte qui commande l’entrée de notre camp et cette troupe se dirige vers notre baraque. Les cœurs sont serrés, mais aucune peur, aucun malaise parmi les vingt présents à la baraque.

Le lieutenant ouvre la porte, salue cérémonieusement. Il entre, suivi de l’officier allemand. Il prononce ces mots : « Salut messieurs, préparez-vous à sortir à l’appel de votre nom. » Nous sommes tous prêts, massés devant mon lit qui est le premier à gauche en entrant.

Le lieutenant appelle alors : Michels, Poulmarc’h, Granet… et au fur et à mesure de l’appel  les désignés sortent et chacun attend  l‘appel de son nom. Après en avoir appelé seize de notre baraque, on appelle alors Delavacquerie. Le docteur Jacq répond que c’est au camp P 1. Aussitôt le lieutenant se retire en fermant la porte, et les camarades sont entraînés au camp P 2 dans la baraque 6.

Les six qui restons non appelés nous nous regardons avec stupeur, nous n’avons eu peur ni les uns ni les autres et la seule impression qui nous domine en ce moment tragique, c’est l’étonnement d’être encore ici et de n’avoir pas été désignés, mais la liste tragique n’est pas close pour cela.

Dans le même apparat, les autorités se dirigent vers le camp P 1 et à la baraque 1, elles appellent Kérivel, à la 3 David, Bastard et Le Panse, à la 4 Delavacquerie et Lefebvre, à la 8 Tellier et Lalet, à la 9 Pourchasse et Vercruysse, enfin à la 10, Môquet.

Tous ces camarades sont emmenés à leur tour au camp P2 et au passage on prend Gardette à l’infirmerie. Les 27 camarades sont enfermés dans la baraque 6. On permet à Kérivel de faire ses adieux à sa femme, qui est dans le camp, internée comme lui. A chaque otage on remet alors une feuille de papier et une enveloppe pour que chacun écrive ses dernières volontés.

Il était 13h50 quand les gendarmes se sont dirigés vers notre baraque. A 14 heures, tous les condamnés sont enfermés dans la baraque 6 entourés de gendarmes et des autorités. Chaque fenêtre et chaque porte ont été condamnées avec les lits dressés contre la paroi.

Nous suivons la course des minutes sur la montre et tu dois comprendre dans quel état d’esprit et dans quelle angoisse nos voyons arriver le curé qui a été mandé par les autorités.

Aucun condamné n’accepte son ministère, mais plusieurs d’entre eux lui ont confié de leurs objets ou correspondance. Il serait intéressant de savoir qu’elles ont été les paroles confiées à cet homme et son impression sur l’attitude et la valeur de nos malheureux camarades. Il ne sortira de la baraque que quelques minutes avant l’expiration du délai qui leur été accordé, c’est-à-dire 14 h25.

A 14h30, nous voyons arriver sur la route des camions allemands qui doivent emmener nos malheureux camarades. A ce moment nous entendons chanter La Marseillaise par les condamnés. Les camarades du camp P 1 reprennent le chant à leur tour.

A 15 heures précises, les camions sont venus se ranger devant la baraque 6. Le lieutenant ouvre la porte et commence le dernier appel. A l’annonce de son nom chacun se présente. Les gendarmes fouillent et vident toutes les poches, ils attachent les mains de nos amis et les font monter dans le camion.

Chaque camion prend neuf camarades. Ceux-ci n’arrêtent pas de chanter La Marseillaise et nous font des dignes d’adieu car ils nous voient de la fenêtre.

Ténine interpelle l’officier allemand et dit d’abord : « C’est un honneur pour un Français de tomber sous les balles allemandes. » Puis, désignant Môquet qui n’a que dix-sept ans, il dit que c’est un crime de tuer un gosse. Môquet répond : « Laisse Ténine, je suis autant communiste que toi. »

Timbaud s’adresse au lieutenant Touya, mais on ne distingue pas ce qu’il dit. Michels, parlementaire déchu pour avoir désapprouvé la guerre à l’Allemagne, est fusillé par les Allemands.

A 15h15, tous les camions sont prêts. Les gendarmes se figent au garde-à-vous, et tous pleurent devant l’attitude héroïque de nos amis. Les camions s’ébranlent et quelques minutes après ils passent sur la route qui longe le camp et les voix de nos frères qui chantent toujours s’entendent encore.

Nous sommes avisés qu’ils vont être fusillés à seize heures quinze. Nous ne saurons que plus tard que le lieu d’exécution est une carrière de sable à deux kilomètres de Châteaubriant.

Tout le monde sort des baraques et nous nous rendons aussitôt vers la baraque 6. Sur les parois nos camarades ont inscrit leurs derniers espoirs et c’est d’une main ferme qu’ils ont tracé là leurs suprêmes espérances et leur confiance inébranlable dans l’avenir.

A 16 h 15 exactement, chaque camp se réunit et appelle chaque victime. Un autre répond : Fusillé. Un silence absolu règne dans le camp. Nos amis ne sont plus. Ils sont tombés 9 à la fois et les 3 salves se sont succédées et ont été entendues à 15h50, 16 heures et 16h10.

Le soir arrive. Nous avons les premiers échos de l’acte dernier de la tragédie. Les camarades ont traversé Châteaubriant sans cesser de chanter La Marseillaise. Les gens sur leur passage se découvraient respectueusement. L’émotion dans la ville est à son comble. A côté de la carrière, les gens de la ferme avaient été enfermés chez eux et consignés.

L’angoisse est toujours dans le camp car il faut encore 52 otages dont la moitié doit être prélevée au camp.

Jeudi 23 octobre. – Le matin est toujours aussi chargé de menaces. Pourtant vers midi, l’officier de la Kommandantur vient informer le lieutenant Touya que l’on ne prendra plus d’otages dans le camp, la conduite de nos amis a été si héroïque que l’officier allemand dit : « Les communistes français sont des braves et ne ressemblent pas aux communistes allemands. »

Notre appréhension s’efface peu à peu mais la douleur d’avoir perdu de tels camarades se fait ressentir maintenant plus fortement que la veille. Malgré les affirmations qui viennent de nous être faites nous nous estimons toujours sous le coup d’une menace.

Nous apprenons dans quelles conditions nos camarades ont été exécutés. La carrière de sable qui a été utilisée porte encore les traces des poteaux contre lesquels furent collées les victimes. Pour chaque homme il y avait un peloton de 10 soldats.

Les corps furent mis dans les camions et transportés au château. La terre est pleine de sang. On nous dit que beaucoup de gens du pays se sont rendus à la carrière et ont contemplé les traces de cette tragédie.

Vendredi 24 octobre – Les corps de nos camarades auraient été mis dans des bières de chêne. Les cercueils ont été dirigés par dans neuf communes différentes et nos amis reposent maintenant en cette terre bretonne qu’aucun de nous n’avait considérée comme devant recevoir son sang et d’une façon aussi barbare.

Cette page d’histoire restera la flétrissure indélébile de ceux qui l’ont ordonnée.

D’autres détails ne sont pas moins terribles. Ténine venait de perdre son gosse qu’il adorait. Huynk-Khuong avait sa compagne à la prison de Rennes, condamnée à vingt ans de travaux forcés. Barthélémy dont la femme est en prison à Niort, était passé au juge d’instruction le vendredi précédent et il devait partir le 22 au matin en jugement à Bressuire. Lalet, jeune étudiant de vingt ans, marié depuis un an, dont la libération est arrivée à Châteaubriant le jour de sa mort. Bourhis, de Trégunc, dont la libération est arrivée en même temps. Môquet qui n’a dû son exécution qu’à son nom. Son père, député communistes, est à la prison d’Alger.

Voilà, ma chérie, les heures tragiques que nous avons vécues. Les six survivants de la baraque ne pourront jamais oublier ces instants qui nous privent d’un capital si pur et si grand, car on a pris à notre affection l’élite du camp.

Si la France était pourvue de traitres, elle a prouvé qu’il y a encore des héros d’une bravoure exemplaire, dont le souvenir restera un symbole de foi, de loyauté, de patriotisme.

Leur exemple ne sera pas vain.

Je termine en te disant confiance, toujours confiance.

Le camp de Choisel – Châteaubriant

le_camp_d_internement_de_choisel.jpg
Le camp d’internement de Choisel

L’existence des camps français entre 1938 et 1946 est peu connue. Des camps sont ouverts par le gouvernement Daladier pour regrouper les réfugiés espagnols fuyant le franquisme. Le décret-loi du 12 novembre 1938 prévoit l’internement des «étrangers indésirables». Il est élargi par la loi du 18 novembre 1939 qui permet l’internement « de tout individu, Français ou étranger, considéré comme dangereux pour la défense nationale ou la sécurité publique ».

Choisel est d’abord un camp de prisonniers de guerre, à partir de la débâcle de juin 1940. Il s’agit du camp C du Frontstalag 183 A, installé sur le champ de courses de Choisel. Situé aux abords de Châteaubriant, (Loire-Inférieure), il s’étend sur 5 hectares. La ville – une sous-préfecture – compte de 8 à 9 000 habitants. Le 17 juin, les Allemands y font leur entrée, le soir à la radio, Pétain « le cœur serré », appelle à « cesser le combat ». Le 19 juin 1940, dès leur entrée dans Nantes, les Allemands font de très nombreux prisonniers parmi les soldats français, britanniques et belges qui s’y trouvent, poussés par leur avance. Ils les regroupent dans les casernes nantaises, Cambronne et Richemont, sans se préoccuper de leur ravitaillement. Le Comité d’entente des anciens combattants, alerté par cette situation, propose son aide, comme il le fait pour les réfugiés qui affluent également. Le 30 juin 1940, son Bureau apprend par le président des prisonniers de guerre, Me Alexandre Fourny, que la situation est plus catastrophique encore à Châteaubriant, où les Allemands sont là depuis deux jours. Plus de 45 000 prisonniers y sont répartis dans plusieurs camps. C’est cinq fois la population de la ville. Outre Choisel, trois autres camps existaient : au moulin Roul, à la Courbetière et au stade de la Ville-en-bois. Installés dans une totale improvisation, ces camps, sont sommaires. Des prisonniers dorment à la belle étoile. La nourriture est parcimonieuse. Les cas de maladie se multiplient. Le Comité d’entente décide de mettre tous ses fonds disponibles à la disposition des prisonniers. Il s’agit d’une activité légale, soutenue par les autorités : préfet, maire, Croix-Rouge française, chambre de commerce etc. A la fin de son activité, en décembre 1940, 197 tonnes de denrées ont été distribuées.1 Les derniers soldats prisonniers sont transférés en Allemagne, vers les stalags et oflags, le 14 janvier 1941, mais la Kreiskommandantur de Châteaubriant conserve les installations en vue d’une éventuelle réutilisation. Ce qui ne tarde pas.

En février 1941 et jusqu’en mai 1942, le camp de Choisel est dédié à l’internement2. C’est l’un des 200 sites de « la France des camps », « ces lieux où se retrouve toute personne enfermée par mesure administrative (par un préfet en général) et non dans le cadre d’une procédure judiciaire »3. Pour l’historien Denis Peschanski, et pour la période qui nous concerne, deux logiques cohabitent : l’internement-exclusion contre les Juifs, les étrangers, les Tsiganes et l’internement-persécution contre les communistes. Des populations diverses y cohabitent : des « indésirables » (Réfugiés espagnols, droits communs – proxénètes, prostituées -, trafiquants du marché noir etc.) ; des Tsiganes, nomades et forains et surtout des internés politiques, majoritairement des communistes et des syndicalistes. Tous les internés ont été arrêtés par la police française, parfois sur ordre des autorités d’Occupation.

Choisel est représentatif de la diversité de l’internement. A partir de la mi-avril 1941, des internés politiques y sont transférés. Ils arrivent de Centres d’internement de l’Ouest, (Le Croisic, Ile d’Yeu etc.) et plus tard de la région parisienne via différents camps ou prisons. Nombreux parmi eux sont les élus déchus de leur mandat par Vichy, et les dirigeants syndicaux. La plupart sont des ouvriers : 71 % (42% d’ouvriers d’usine) selon D. Peschanski. Mais on compte aussi des enseignants, des ingénieurs, des médecins. La répartition par âge met en évidence la forte proportion (41 %) d’internés nés entre 1900 et 1909.

Beaucoup parmi les politiques transitent par le camp d’Aincourt, les prisons de la Santé, Fresnes, puis sont transférés dans les maisons centrales sordides de Poissy, Fontevrault et Clairvaux, Le 18 juin, quatorze gaullistes arrivent. Léon Mauvais a donné son accord au chef de camp pour les accueillir dans le quartier des communistes. « Dans la lutte menée par notre peuple pour sa libération, il y a place pour tous les patriotes. […] Nous devons les accueillir comme des frères de combat », dit-il à ses camarades. Mais les gaullistes refusent et demandent à être logés avec les détenus pour marché noir. Ils seront rapidement libérés.4 Un interné « atypique » séjourne à Choisel : le président Paul Didier, le seul magistrat qui refuse de prêter serment au maréchal Pétain. A l’automne 1941, les politiques sont plus de 600. L’effectif maximal des « indésirables » est de 196. Le nombre des nomades est relativement constant : environ 350. L’effectif total le plus élevé est atteint en septembre 1941 avec 907 internés.

Le camp a un double statut : Centre de séjour surveillé pour indésirables et Camp de concentration. Ces deux intitulés figurent sur les documents officiels du camp. Pour autant, on est loin de la logique concentrationnaire allemande. La direction des camps est transférée au Ministère de l’Intérieur en novembre 1940, la responsabilité repose sur les préfets et sous-préfets. Les autorités d’Occupation supervisent. A Châteaubriant, le sous-préfet est Bernard Lecornu. Il est l’interlocuteur direct du chef du camp et du Kreiskommandant Kristukat.

Jusqu’au 24 juin 1941, le chef de camp est le capitaine Louis Leclerc, un ancien militaire de la Coloniale. Rendu responsable de l’évasion de quatre dirigeants communistes le 19 juin 1941, il est relevé de ses fonctions. En fait, selon le sous-préfet « il y avait eu 17 évasions entre le 29 mars et le 25 juin ». Leclerc s’engage alors dans la Légion des volontaires français contre le bolchévisme et rejoint le front de l’Est. Son successeur, Charles Moreau, est également un ancien militaire. La surveillance est assurée par un détachement de gendarmerie longtemps commandé par le sous-lieutenant Lucien Touya. De 21 à l’ouverture du camp, les gendarmes sont 85 en novembre 1941 après les fusillades. La crainte des évasions est la hantise de la direction des camps, renforcée après l’évasion de juin 1940 quand Fernand Grenier5, Eugène Hénaff,6, Léon Mauvais7 et Henri Raynaud8 prennent la clef des champs.

Choisel-Plage ?

A la réouverture du camp en février 1941, les autorités récupèrent 32 baraquements en bois recouverts de tôle ondulée, dont seuls 20 sont immédiatement réutilisables. Chacun héberge entre 40 et 50 individus. Les internés y prennent leurs repas : quatre tables de douze places sont installées dans l’allée centrale. En septembre, le camp est divisé en plusieurs sections, elles-mêmes séparées par des barbelés, qui isolent les politiques, les nomades, les détenus de droit commun ou du marché noir.
plan_du_camp_de_choisel.jpg

Les historiens J.-M. Berlière et F. Liaigre, reprennent l’expression « Choisel – Plage ». Cette version idyllique ne convainc pas, l’expression est extraite d’une lettre d’Antoine Pesqué à sa femme. Mais il l’emploie de manière ironique. Une caractéristique des lettres adressées par les internés à leurs familles est en effet qu’ils ne veulent pas les inquiéter et préfèrent donner des nouvelles rassurantes. La valeur du témoignage est liée à la nature du témoin. Ainsi Fernand Grenier ne manque pas de noter qu’à leur arrivée à Châteaubriant, « dans une prairie verdoyante, avec des pommiers en fleurs », « l’impression est plutôt favorable ».9 Mais les internés arrivent de maisons centrales où ils ont connu des cellules humides et sales, contraints de porter la tenue des bagnards.

Le ravitaillement est un problème constant. La nourriture est la première préoccupation. Les rations sont maigres, F. Grenier parle « d’une lutte quotidienne contre la faim ». René Sentuc écrit : « Grâce aux internés qui entretiennent un potager, les repas sont améliorés : salade, haricots, tomates ».10

Le capitaine Leclerc constate que les vêtements « commencent à tomber en lambeaux ». Les conditions d’hygiène sont rudimentaires. Les baraques sont des fournaises l’été, des glacières l’hiver. Le camp est particulièrement boueux. Des photographies montrent la pose de planches sur le sol, sorte de « caillebotis » traçant un chemin pour se déplacer.
pose_de_planches_sur_le_sol.jpg
La vie derrière les barbelés

L’emploi du temps est réglé très précisément. Réveil à 7 h, toilette jusqu’à 7 h 45, distribution du « café ». Nettoyage de la baraque jusqu’à 8 h 30, heure de l’appel. Répartition des tâches, repas à midi. A 14 h, second appel et reprise des activités (dont les cours) jusqu’à 18 h. Repas du soir à 18 h 45. Extinction des feux et silence absolu à 21 h. Après les évasions de juin, un troisième appel est instauré à 20 h. Le dimanche, l’après-midi est consacré aux loisirs.

Les internés politiques n’acceptent que les travaux qui améliorent leurs conditions de vie et les organisent eux-mêmes: isolation des baraques, fosse septique, douches et lavabos, cuisines, salle de réunion, jardins potagers, parterres de fleurs, chambre d’hôte pour les visiteurs, ratissage des allées, enfouissement des déchets, installation de caillebotis, installations sportives : tout est l’œuvre des internés. Mais le projet d’ouverture d’une classe pour les enfants des nomades leur est refusé.

Un Comité de direction réunit un délégué par baraque. Les demandes des internés sont ainsi relayées, le Comité en débat, représente les internés auprès du chef de camp, gère la part d’autonomie qui leur est laissée et – dans la plus grande discrétion – assure les liaisons avec l’extérieur. Ils obtiennent ainsi d’instaurer les cours et divertissements de leur choix. Un interné peut se rende en ville pour acheter un peu de nourriture supplémentaire, sans être escorté par des gendarmes. En mai – juin 1941, le capitaine Leclerc, débordé, se repose sur les internés eux-mêmes pour organiser leurs visites. F. Grenier est chargé d’établir le «tour de visites ». « Il y eut dans chaque camp une participation à la gestion du système et des formes plus ou moins élaborées de subversion, jusqu’à la résistance. »11

Une grande solidarité, matérielle et morale, s’exerce entre les politiques. Ils partagent des convictions communes. Ces actes de solidarité créent une réelle cohésion, facteur de stabilité. Néanmoins, Leclerc s’en méfie dans son rapport d’avril 1941 : « Il est certain qu’une solidarité profonde, une réelle discipline de parti existent et qu’ils sont absolument convaincus de la légitimité de leurs aspirations […] En résumé, la plus grande prudence est indispensable en ce qui les concerne ». 12
guy_moquet_recoit_la_visite_de_sa_mere_et_de_son_jeune_frere.jpg

L’université de Choisel

L’inactivité pèse sur le moral. Les internés mettent en place de nombreuses activités intellectuelles et sportives. Il s’agit de rester actif et de tirer parti de ce « temps perdu ». C’est aussi une forme de résistance à l’internement administratif. Les internés sont invités à « retourner à l’école ». La plupart ont été contraints de quitter l’école très jeunes, bien avant le Certificat d’études primaires. « Certains, illettrés à leur arrivée, repartent de Choisel en sachant lire, écrire, compter ».13 Leclerc, qui lit les lettres des internés, est surpris de leur faible niveau scolaire. 14

Le « recteur » de cette Université est Pierre Rigaud. Il existe des cours de différents niveaux en français, mathématiques, langues (allemand, anglais ,espagnol, russe, breton) et d’économie politique, philosophie, littérature, histoire et géographie, musique, poésie ainsi qu’hygiène et secourisme et d’électricité. Odette Nilès apprend la sténo puis l’enseigne à ses camarades. Pour la période du 17 août au 14 septembre, « Le total des assistants et des heures de présence est impressionnant : 536 assistants, 3859 heures dans 36 cours traitant de 13 matières ».15 70 à 80 % des internés suivent un ou plusieurs cours. La bibliothèque du camp a compté jusqu’à 820 livres en octobre 1941. Les corps sont mis à rude épreuve par les privations. Les activités physiques sont mises en place sous la direction d’Auguste Delaune, secrétaire général de la FSGT (Fédération sportive et gymnique du travail). Il fait aménager une piste de course à pied et un terrain de volley-ball. Il organise des séances de culture physique tous les matins et des jeux sportifs. Des équipes de football et de volley-ball sont constituées, tandis que certains s’adonnent à la boxe.

La fête du dimanche est l’occasion d’organiser des divertissements : pièces de théâtre, bigophones, chanteurs, chorales, cirque. Les jeux de cartes sont prisés et plus encore les échecs. Des internés sculptent le bois, réalisent de petits coffrets, des objets montés en pendentifs.

L’information est importante mais partielle et partiale. Jusqu’en octobre 1941, la presse est autorisée mais c’est la presse aux ordres : Paris-Soir, Le Phare de la Loire et Ouest-Eclair. Jusqu’en juin les internés peuvent écouter la radio du poste de garde. Ils apprennent l’entrée en guerre de l’Allemagne contre l’URSS. Mais ils décident d’avoir leur propre radio. Apporté par la femme d’un interné, le poste est caché dans le lavoir. Les préposés à l’écoute notent et communiquent les informations quotidiennes aux autres.

Une évidence s’impose : le camp ne peut fonctionner sans l’aide des internés. D’où l’obligation dans laquelle se trouve Leclerc de composer. Les choses se gâtent après l’arrivée du nouveau chef de camp, le commandant Moreau, lieutenant d’artillerie, 34 ans. Il est rigide, manifestement très autoritaire et manque de psychologie avec les internés. En fait, le durcissement est dicté par Lecornu lui-même. Il n’est plus question de laisser les internés prendre des initiatives. Ceux-ci se rebellent face à l’arbitraire des autorités et à l’injustice de certaines mesures. Vercruysse parle de « régime féroce », après le refus qui lui a été opposé d’aller voir son enfant qui vient de naître. Des incidents assez fréquents témoignent de tensions entre internés et gardiens. Il s’agit souvent d’insultes. Les restrictions concernant les visites, le courrier, l’interdiction par le sous-préfet de l’envoi de colis alimentaires, au motif que « des papiers pourraient [y] être facilement glissés », provoquent un fort mécontentement. Dans leurs souvenirs, les internés ont surtout retenu le comportement brutal du « sinistre Touya ». Il se vante d’avoir maté les Espagnols rouges dans les camps d’Argelès et de Gurs. Il ordonne régulièrement des fouilles et utilise fréquemment l’envoi au « mitard » de ceux qui lui tiennent tête. Il tire la nuit sur les baraquements. Il est vraisemblable qu’il a réussi à s’attacher les services de quelques mouchards. S’il a des « adeptes » parmi les gendarmes, F. Grenier note que certains ont fini par ressentir de la sympathie pour les internés. Ils se mettent au garde à vous lorsque les otages partent dans les camions vers les lieux de leur supplice le 22 octobre et des témoins rapportent que certains pleurent.

La clef des champs

Une dizaine d’internés, pour être libérés, adhèrent au POPF, le parti ouvrier et paysan français, créé par l’ancien communiste Marcel Gitton, devenu un anticommuniste virulent, utilisé par Pucheu. L’opération Gitton est montée avec l’aide du Sipo-SD16. Selon le rapport mensuel du chef de camp, cela concerne une dizaine d’internés en juillet 1941.17

D’autres déclinent les offres de libération : Victor Renelle refuse de faire allégeance au maréchal Pétain et Henri Barthélémy répond qu’« entré ici la tête haute et qu’il en sortira la tête haute ».

Les rapports du chef de camp font état de nombreuses évasions ou tentatives d’évasions parmi les nomades ou les droits communs. Pour les politiques, l’évasion est une forme de subversion. L’enjeu est de prendre part au combat pour libérer le pays. Les évasions ne relèvent pas de décisions individuelles, elles répondent à des ordres extérieurs. Elles impliquent une préparation minutieuse : une bonne forme physique, le repérage des heures de ronde et de relève des gendarmes, des rendez vous avec des personnes de confiance à l’extérieur, l’acheminement des évadés vers les planques successives, des moyens pour leur ravitaillement donc tout un réseau. Elles nécessitent également, à l’intérieur, des « évadeurs » qui font preuve d’une réelle abnégation, car eux restent dans le camp. E. Hénaff et L. Mauvais prennent la clef des champs en tirant parti du mode de gestion des visites et sortent du camp le 19 juin 1941en se faisant passer pour des visiteurs en fin de visite. En représailles, les visites sont suspendues pendant l’été. Elles le sont à nouveau à la suite des fusillades du 22 octobre 1941, pour empêcher les internés de faire le récit de cet événement.

A l’extérieur, « l’évadeur en chef » est Henri Janin, maire de Villeneuve-Saint-Georges. Il s’est évadé lors de son transfert de la prison de la Santé vers Bordeaux. Il est affecté à l’organisation de la résistance armée en Bretagne, à partir de juin 1941 et contribue aux évasions de Châteaubriant en relation avec Venise Gosnat, un élu d’Ivry-sur-seine, où il est trop repéré et qui a été désigné responsable interrégional en Bretagne en décembre 1940.

« C’est au moment des premières « belles » que le ministère envisagea le transport en Afrique du nord des communistes et indésirables considérés comme les plus dangereux : ils seraient occupés à la construction du Transsaharien » 18

Le ressenti de l’internement varie selon les catégories d’internés, leur parcours, la situation de leur famille depuis leur arrestation. Il y avait à l’évidence une culture différente de l’internement.

Pour les politiques, être inactif est difficile à supporter. Ils ne sont jamais passés en jugement. Le sentiment d’injustice atteint fortement leur moral. Les médecins diagnostiquent parfois des états dépressifs. De surcroît, parmi les internés se trouvent des blessés de la guerre 14 -18, des malades chroniques, des tuberculeux. D’autres ont subi des mauvais traitements après leur arrestation.

Les relations avec les Castelbriantais.

Les internés bénéficient de la solidarité des Castelbriantais. Des habitants viennent « se promener » aux abords du camp, occasion de parler aux internés par-dessus les barbelés, de faire passer des journaux. Le capitaine Leclerc prétend que la nouvelle de l’attaque allemande contre l’URSS le 22 juin 1941 aurait été apprise par la radio à tue-tête d’une ferme voisine. Le dentiste Puybouffat récupère des lettres qu’il poste secrètement, leur évitant la censure. Des paysans préservent du beurre ou du gibier et les offrent aux internés. Certains, comme le cheminot Jean Le Gouhir qui anime un groupe de résistants, le boulanger de Treffieux, Jean Trovalet ou les instituteurs Joseph Autret et Marcel Viaud aident aux évasions. Et malgré les risques, dès les jours suivants les fusillades, le dimanche 26 octobre et à la Toussaint de nombreux Castelbriantais se rendent à la carrière pour se recueillir et déposer des fleurs. Les répercussions des fusillades du 22 octobre au sein de la population du castelbriantais sont considérables, mais elles sont loin du résultat attendu, car plutôt que la peur, elles génèrent surtout une volonté de vengeance et un engagement fort dans la Résistance.
le_dimanche_suivant_la_fusillade_les_castelbriantais_vont_deposer_des_fleurs.jpg

La baraque 19

Pour les Allemands, rappelons-le, la priorité est d’assurer la sécurité de leurs troupes en laissant la responsabilité de l’administration des camps à Vichy, et « on aurait tort de négliger [l]a capacité autonome de radicalisation [de Vichy]» note Denis PESCHANSKI. Pour autant, les Allemands exercent une réelle supervision. Le 8 juillet, sur instruction de Darlan, Ingrand, délégué du ministre de l’Intérieur dans les territoires occupés, demande au préfet Dupard, d’établir la liste des 100 internés « les plus dangereux » pour les transférer en Algérie. A l’automne, les attentats se multiplient et les Allemands interdisent ces transferts qui les priveraient d’otages. Décision est prise d’isoler les « meneurs » dans une baraque spéciale. En septembre, deux officiers allemands viennent inspecter l’installation d’un réseau de barbelés autour d’une baraque, la 19. Les internés observent également des incursions fréquentes dans le camp, d’officiers allemands : le 18 septembre, puis les 2, 3, 9, 10 – le 10 octobre, la Wehrmacht exige du chef de camp une copie du registre des entrées – et 12 octobre, un dimanche. « Je revis encore Chassagne le 13 octobre, il était venu avec M. Dupard pour l’installation du nouveau conseil municipal ; mais son déplacement avait un autre but, plus important pour lui : dans l’après-midi, il participa à une visite du camp avec le préfet, le commandant de gendarmerie, M. Robin, commissaire de police principal à Nantes, M. Le Du, commissaire à Châteaubriant, et moi-même »21

Elles sont précédées, le 16 septembre, d’une visite du préfet Dupard, du sous-préfet Lecornu accompagnés d’un homme que certains internés reconnaissent : Chassagne ! Un ex- communiste qui a rompu 1931, puis s’est rapproché de Belin, n° 2 de la CGT, devenu secrétaire d’Etat dans le gouvernement de Vichy. Chassagne est missionné par Pucheu pour opérer une sélection. Il dresse une liste d’une vingtaine d’internés, dirigeants ou élus du P.C. et de responsables de la CGT et le 23 septembre à l’appel du matin, Touya annoncent à ceux-ci qu’ils doivent déménager à la baraque 19, une enclave étriquée ceinte de fils de fers barbelés bientôt surnommée « baraque des otages ». Il s’agit de Timbaud, Grandel, Ténine, Renelle, Michels, Agnès, Laforge, Jacq, Pesqué, Bartoli, Huynh Khuong, Guéguin, Bourhis, Baroux, Auffret, Babin, Barthélémy, Gardette. Ils sont 18. Le 13 octobre, lors d’une nouvelle visite avec le préfet et le sous-préfet, il demande de transférer deux syndicalistes à la 19 : J. Poulmarc’h et D. Granet, ses « amis », auxquels il a promis le 16 septembre : « Vous aurez de mes nouvelles, je vais m’occuper de vous ».

Châteaubriant est ainsi le théâtre de l’un des épisodes les plus tragiques des années noires. 27 otages sont choisis parmi les internés du camp de Choisel.

1-BLOYET Dominique et GASCHE Etienne, Les 50 otages, Ed. CMD, Montreuil-Bellay, 1999, p. 11-15.
2 -MECHAUSSIE Gaëlle, Les détenus des camps d’internement français – L’exemple du camp de Choisel, Université Paris IV-Sorbonne, 2009
3 – PESCHANKI Denis, La France des camps, Paris, Gallimard, 2002
4 – GRENIER Fernand, Ceux de Châteaubriant, Editions sociales, Paris, 1971, p. 30.
5 – Fernand Grenier est délégué par le PC auprès du général de Gaulle en 1943, commissaire de l’Air à Alger dans le gouvernement provisoire (GRPF). On lui doit d’avoir fait adopter le droit de vote des femmes.
6 – Eugène Hénaff, est , après son évasion, chargé es rapports entre l’OS (Organisation spéciale) et le PC, puis adjoint de Charles Tillon aux FTP.
7 – Après son évasion, Léon Mauvais a été chargé de reconstituer le triangle de direction du PC dans la zone sud
8 – Henri Raynaud est chargé d’impulser l’activité syndicale, de travailler après Raymond Sémat à l’unification de la CGT (Accord du Perreux, 1943) et à la Libération il est un acteur majeur de la mise en place des caisses de Sécurité sociale.
9 – GRENIER Fernand, Ceux de Châteaubriant, ouv. cit., p.27.
10 – SENTUC René, Journal, cité par MECHAUSSIE Gaëlle, Les détenus des camps d’internement, ouv.cit.
11 – PECHANSKI Denis, ouv. cit. , p. 419.
12- PESCHANSKI Denis, ouv. cit. , p. 401.
13- NILES Odette, Mon amour de jeunesse, L’Archipel, Paris, 2008, p.57
14 – ADLA, 1694W39, compte-rendu du chef de camp au préfet, mai 1941
15 – RIGAUD Pierre, Journal, MRN, Champigny-sur-Marne, p. 22.
16 – Sicherheitspolizei (police secrète) et le Sicherheitsdienst (service de sécurité de la SS) regroupe la Gestapo et la Kripo (police criminelle)
17 – ADLA 1694 W 39
17 – ADLA 1694 W 39
18. LECORNU, Un préfet sous l’occupation allemande, op.cit., p. 46.

LES 50 OTAGES

Ceux de Nantes

©Comité du souvenir. Chaque année le vendredi le plus proche du 22 octobre, une Veillée du souvenir se tient devant le Monument

Le 23 octobre 1941, en ouvrant leur journal quotidien, validé par la Propaganda Staffel, les Nantais découvrent l’avis publié par le Militärbefehlshaber  Otto von Stülpnagel. Le commandant des troupes allemandes annonce l’exécution la veille de 48 otages en représailles à la mort du Feldkommandant Hotz, abattu le 20 octobre.

Plus tard dans la journée, une affiche recouvre les murs de la ville.

La liste (ci-dessous dans L’OEuvre) comprend 19 noms d’otages « de Nantes », 1 de Saint-Nazaire, 1 de Saint-Herblain. La veille en fin d’après-midi, 16 ont été fusillés au champ de tir du Bêle, 5 au Mont-Valérien près de Paris et 27 dans la carrière de La Sablière à Châteaubriant soit 48 noms au total.

Ceux de Nantes, qui sont-ils ?

Ce sont des anciens combattants de la guerre 1914-1918, regroupés derrière Léon Jost, président-fondateur du comité d’entente des associations d’anciens combattants créé en 1932, fort de 60 000 adhérents, unis par le serment de Verdun pour « travailler à la paix des vivants ». Le 19 juin 1940, Nantes, déclarée « ville ouverte » par les autorités locales, tombe aux mains des Allemands. Ceux-ci regroupent les nombreux soldats français, britanniques, belges présents en ville. Dès le 19 au soir, ils sont 2 500 entassés sans eau, ni pain, dans la caserne Cambronne et au quartier Richemont.

L’oeuvre. 23 octobre 1941

De l’aide aux prisonniers de guerre…

 Le 28 juin, alertés par Paul Birien, plusieurs responsables Fernand Ridel, Léon Jost, Alexandre Fourny se réunissent dans un café de la route de Paris et décident d’une intervention auprès des autorités allemandes afin d’améliorer la situation des prisonniers de guerre retenus à Nantes. Dès le lendemain, ils obtiennent l’autorisation de ravitailler les prisonniers et livrent 125 kg de pain et de charcuterie. Le 30 juin, le bureau du Comité d’entente, réuni à son siège 10, rue de L’Arche-Sèche, apprend que 35 000 prisonniers dont 20 000 de la région nantaise sont répartis dans plusieurs camps à Châteaubriant, ville occupée depuis le 17 juin,

 dans un complet dénuement. Un autre camp est ouvert à Savenay et comprend 16 000 hommes et un autre encore à Ancenis. Afin de légaliser son activité, le Comté d’entente crée un Comité d’aide aux prisonniers et obtient le soutien des autorités – préfet, maire etc. – de la Croix rouge, de la Chambre de commerce.

…au réseau d’évasion

Dans l’ombre, se développe une autre activité, illégale celle-ci, d’aide à l’évasion de prisonniers dirigée par Auguste Bouvron. Le plus souvent, ces évasions ont lieu à l’occasion de corvées effectuées à l’extérieur des camps. Les prisonniers se cachent et sont reconduits à Nantes dans les camions de ravitaillement qui ne repartent donc pas à vide. Dans les bureaux du Comité, 18 rue Saint-Léonard, les évadés reçoivent des faux papiers, des fiches de démobilisation, des cartes d’alimentation, un peu d’argent et des vêtements civils. Epaulé par un cheminot, Marin Poirier, Auguste Bouvron constitue un réseau de passeurs en Charente pour franchir la ligne de démarcation ou dans le Finistère, en direction de l’Angleterre. Les Allemands constatent des évasions sans en connaître le nombre exact et soupçonnent le Comité d’entente qu’ils mettent sous surveillance. Le 15 juin, les hommes de la Geheime feldpolizei (GFP), la police militaire secrète se rend rue Saint-Léonard et arrêtent Paul Birien, Auguste Blot et les 2 secrétaires Mme Lemeute et Mlle Litoux. Puis ils se rendent à l’usine LU dont Léon Jost est directeur de la production et du personnel et l’arrêtent. Le circuit se poursuit, Alexandre Fourny est arrêté dans son cabinet d’avocat. Le soir ils sont écroués à la prison militaire des Rochettes, accompagnés dès le lendemain par Me Ridel. Le 20 janvier, trois autres anciens combattants rejoignent le groupe : Auguste Blouin, Pierre Roger et Marin Poirier. Informé de ces arrestations, Auguste Bouvron reste caché à Clisson où il se trouve.

Les détenus sont jugés mais, faute de preuves, les juges du tribunal militaire allemand, qui siège 4 rue Sully, délivrent un non-lieu. Cependant, 48 heures plus tard, ils sont de nouveau arrêtés et Léon Jost l’est à son tour le 3 mars. Le 22 avril 1941, le groupe des anciens combattants est une nouvelle fois convoqué au tribunal, mais après deux renvois successifs au 6 puis au 30 mai l’audience n’a finalement lieu que le 15 juillet. Ils sont accusés d’avoir favorisé 900 évasions de prisonniers de guerre. Interrogés un à un, tous nient les faits, à l’exception de Pierre Roger qui charge ses « camarades ». Il est relaxé. Jost, Fourny, Ridel, Blot et Blouin sont condamnés à 3 ans de prison, Mlle Litoux à 6 mois et Marin Poirier à 4ans et demi. Ils déposent un pourvoi en appel. Le 27 août, les sentences tombent : le tribunal confirme les peines sauf pour Mlle Litoux dont la peine passe de 6 mois à 3 ans de prison tandis que Marin Poirier est condamné à mort. Le Feldkommandant Hotz rejette le recours en grâce rédigé par les avocats. Le 30 août, l’abbé Fontaine, aumônier de la prison Lafayette, l’assiste jusqu’au champ de tir du Bêle. Selon son témoignage, Marin Poirier refuse que ses bourreaux lui bandent les yeux. Il refuse la main que lui tend l’officier allemand. « Je ne me suis jamais sali. Faites votre devoir » lui rétorque-t-il.

Marin Poirier est ainsi le premier fusillé nantais.  Il est enterré sur place avant d’être transféré à Saint-Julien-de-Concelles le 8 novembre 1941, puis ses obsèques solennelles se déroulent le 13 novembre 1945 à Nantes en même temps que celles de tous les fusillés. La veille, le lieutenant de vaisseau Henri Honoré d’Estienne d’Orves et ses compagnons Yann Doornick et Maurice Barlier avaient été fusillés au Mont-Valérien.

11 novembre 1940 : les étudiants manifestent à l’Etoile et à Nantes aussi.

L’entrée des Allemands dans Nantes le 19 juin 1940, produit un nouvel effet de sidération après celui de la débâcle. Si la plupart des Nantais choisissent de ne pas choisir, quelques actes de refus de l’Occupation se produisent peu à peu, spontanément : inscriptions à la craie sur les murs, refus de descendre du trottoir pour laisser le passage aux militaires allemands, papillons (on ne disait pas encore flyers), sabotage de lignes téléphoniques ou de câbles électriques etc.

Un coup d’éclat survient à l’occasion du 11 novembre 1940, le premier depuis l’Occupation. La marche à l’Etoile des étudiants et lycéens parisiens est bien connue. A Nantes aussi, à l’appel d’étudiants de Clemenceau, des lycéens et étudiants bravant l’interdiction, célèbrent la victoire de 1918. Plusieurs dizaines se rassemblent dans le Jardin des Plantes, puis pénètrent dans la cour d’honneur du lycée Clemenceau et déposent une gerbe devant le monument aux Morts. Ils défilent ensuite en ville et le cortège grossit d’élèves du lycée de jeunes filles, de l’école professionnelle Launay, de Livet et d’autres établissements. Le groupe remonte vers le monument aux morts de la ville. La police allemande procède à des arrestations, mais cette première manifestation publique a encouragé un certain nombre de jeunes à aller plus loin.

Le drapeau français flotte au sommet de la cathédrale.

L’impact de cette journée est d’autant plus fort qu’une surprise attend les Nantais au saut du lit. Des passants constatent que le drapeau français, interdit, flotte au sommet de la cathédrale Saint-Pierre au cœur de Nantes. Initiative de l’évêque Mgr Villepelet ? Peu probable. Le bouche à oreille provoque bientôt un attroupement. L’évêché alerte la Kommandantur qui envoie ses Feldgendarmes pour tenter de disperser la foule. Un soldat est missionné pour grimper et arracher le drapeau, mais ne parvient qu’à déchirer la partie rouge. Il faut faire appel aux pompiers et à la grande échelle qui parviennent à décrocher le drapeau seulement à … 11h30. Toute la matinée, les Nantais ont apprécié le spectacle. Les auteurs de cet acte de résistance seront connus plus tard. Il s’agit de Michel Dabat, 19 ans, étudiant aux Beaux-Arts et son ami Christian de Mondragon, lycéen de 16 ans qui ont entrepris de hisser le drapeau tricolore sur l’une des tours de la cathédrale au nez et à la barbe des patrouilles allemandes et en défi au couvre-feu.

De premiers réseaux se constituent

Après la manifestation étudiante, plusieurs jeunes rencontrent un cheminot, Marcel Hévin qui cherche des bonnes volontés « pour faire quelque chose ». Un groupe se forme autour de lui pour venir en aide aux personnes qui souhaitent gagner la Grande Bretagne et collecter des renseignements stratégiques en vue de les transmettre à Londres. Il y a là notamment Henri Vandernotte, employé des magasins Decré, Hubert Caldecott, un pharmacien nazairien, Frédéric Creusé, un ancien de l’école Livet, Jean Grolleau et Jean-Pierre Glou, étudiants de l’Institut polytechnique de l’Ouest (future Ecole centrale), Philippe Labrousse, un ancien du lycée Clemenceau, qui après des études de droit est maintenant directeur du contentieux aux chantiers de Penhoët à Saint-Nazaire.

Le démantèlement d’un autre réseau de renseignements, le réseau Nemrod, constitué par le lieutenant de vaisseau Henri Honoré d’Estienne d’Orves provoque des arrestations en chaîne. L’étau se resserre autour de Marcel Hévin, dénoncé, et il est arrêté de même que Michel Dabat puis Frédéric Creusé, Christian de Mondragon, Philippe Labrousse, Jean Grolleau et Jean-Pierre Glou. Au siège de la Gestapo, les coups pleuvent pour faire avouer les accusés. Car l’aveu est la reine des preuves et justement les preuves manquent. Au point que les juges allemands sont contraints de prononcer un non-lieu à l’encontre de Hévin, Labrousse et Caldecott le 19 juillet 1941. Le 8 août, Dabat est condamné à 4 mois, Glou écope de 6 semaines, et Grolleau de 15 jours de prison, Creusé est acquitté. Néanmoins ils sont maintenus en détention à l’exception de Christian de Mondragon, libéré en raison de son jeune âge. Ce qui motive l’interrogation de Frédéric Creusé dans une lettre à ses parents : « Sommes-nous pris comme otages ? ». Le 30 septembre, Hevin, Caldecott et Labrousse sont conduits au Fort de Romainville, près de Paris où sont déjà détenus Charles Ribourdouille, 33 ans et Victor Saunier, 28 ans.

La composition de la liste Le 20 octobre, Hitler exige 100 ou 150 otages pour venger la mort du Feldkommandant Karl Hotz, abattu à Nantes par un groupe de jeunes résistants communistes.

Puis les modalités se précisent : 50 immédiatement et 50 autres si les coupables ne sont pas arrêtés avant le 23 octobre à minuit. Des primes mirobolantes sont offertes aux délateurs. A Paris, le Commandant militaire de la Wehrmacht, Otto von Stülpnagel et le ministre de l’intérieur Pucheu, arrivé de Vichy se concertent. Pucheu a fait dresser une liste de 200 noms, réduite à 61, choisis parmi les communistes internés dans le camp de Choisel à Châteaubriant. Pucheu voudrait faire exécuter uniquement des communistes et des cégétistes qu’il exècre. Les Allemands tiennent à appliquer strictement le Code des otages promulgué il y a

peu à la demande d’Hitler. Il s’agit d’établir une liste d’hommes aux profils variés, d’âges variés et des Nantais puisque c’est à Nantes que le Feldkommandant a été abattu. Or, il y a dans les prisons de Nantes des prisonniers qui ont agi contre les Allemands et sont donc considérés comme otages. Il faut aussi puiser dans ce vivier. D’autant qu’il y a parmi eux des communistes comme René Carrel, ancien des Brigades internationales en Espagne, José Gil, ouvrier de la navale, Léon Ignasiak, ouvrier des Forges de Basse-Indre, Robert Grassineau, Maurice Allano, André Le Moal, jeune nazairien de 17 ans.

Chaque année, le 22 octobre un hommage officiel est rendu au champ de tir du Bêle

La liste des otages est ainsi arrêtée : 27 internés du camp de Choisel, élus communistes, dirigeants de la CGT seront fusillés à Châteaubriant, 16 otages emprisonnés à Nantes (13 à Lafayette, 3 aux Rochettes) seront fusillés au champ de tir du Bêle et 5 internés au Fort de Romainville seront fusillés au Mont-Valérien.

 De même qu’à Châteaubriant où les corps des fusillés sont inhumés anonymement dans 9 communes du Castelbriantais, ceux de Nantes seront enterrés dans le vignoble à Basse-Goulaine, Haute-Goulaine et Saint-Julien-de-Concelles. Les fusillés du Mont-Valérien seront inhumés au cimetière parisien d’Ivry.

Pour mémoire

Le 22 octobre 1944, le boulevard des 50 Otages, tracé sur l’ancien cours de l’Erdre, est inauguré en présence de 100 000 personnes. L’après-midi une foule immense se rassemble dans la carrière des fusillés à Châteaubriant, en présence notamment du ministre de l’Air Charles Tillon – ancien chef des FTP, Marcel Cachin, directeur de L’Humanité, Michel Debré, commissaire de la République.

Le 14 janvier 1945, le général de Gaulle vient remettre à Clovis Constant, chef de la délégation municipale (maire provisoire en attendant les élections) la Croix de Compagnon de la Libération, décernée à la ville de Nantes le 11 novembre 1941. Le 9 juin 1945, les corps des fusillés, exhumés des différents cimetières sont amenés au Musée des Beaux-Arts où est dressée une chapelle ardente avant les obsèques solennelles qui réunissent une foule considérable.

Le 22 octobre 1952 est inauguré le monument aux 50 Otages et à la Résistance, conçu par Marcel Fradin avec le concours de Jean Mazuet pour les statues.

Sources

*Didier GUYVARC’H et Loïc LE GAC, préface de Thomas FONTAINE, En vie, en joue, enjeux. Editions du CHT *Dominique BLOYET, Etienne GASCHE Nantes, Les 50 Otages, Editions CMD