Nous vous invitons à l’inauguration du Boulevard Jean de Neyman[[Jean de Neyman, résistant fusillé le 2 septembre 1944.]] à Saint-Nazaire.
Samedi 28 Février à 11 Heures
En présence de membres de la Famille de Jean.
Allocutions du Maire de Saint-Nazaire et du Comité du souvenir.
Lecture de poèmes de la Résistance par des élèves du Lycée.
Interprétation du Chant des Partisans et de la Marseillaise par des élèves de l’école de musique.
Le lieu de l’inauguration se situe à hauteur du n°122 boulevard de l’ Hôpital (garage AD) à 150 mètres de la caserne des pompiers et à 50 mètres de l’ancien Hôpital) près du petit rond point de Villeneuve.
Carte pour s’y rendre :
Le boulevard est inauguré
Jean de Neyman est un Résistant communiste fusillé par les Allemands le 2 septembre 1944 à Saint-Nazaire.
Le collège Jean de Neyman fut fermé pour fusion avec le collège Manon Roland, au sein du collège Anita Conti, en septembre 2013. Et l’ancien hôpital va être démoli !
Voilà une occasion pour renommer le boulevard de l’Hôpital en lui attribuant le nom de ce Résistant !
À l’invitation du Comité du souvenir, Jean-Loup de Neyman avec son épouse et Dominique de Neyman avec sa famille, respectivement neveu et nièce de Jean ont honoré de leur présence l’inauguration de ce boulevard.
Le matin, dans l’intimité, ils se sont rendus devant la stèle de Jean à Heinlex, puis quelques pas plus loin devant le mur où il a été fusillé.
Dans l’intimité, Guy Texier et la famille de Neyman à Heinlex (St. Nazaire), devant la stèle de Jean.
La famille de Neyman : Pierre et Claire (Petit-fils et fille de Dominique), Dominique de Neyman (Nièce de Jean), Jean-Loup (Neveu de Jean) avec son épouse Sara.
Un mur chargé d’émotion devant lequel Jean fût exécuté.
Ensuite, c’est sur sa tombe, au cimetière de Toutes-Aides, qu’un bouquet de fleurs a été déposé par Pierre, le petit fils de Dominique.
C’est sous une pluie battante que la famille a retrouvé plus d’une centaine de personnes pour l’inauguration du boulevard Jean de Neyman.
Des élèves de la classe de première L1 du Lycée Aristide Briand, avec leur professeure, ont proposé au regard du visiteur et de la famille émue, une évocation graphique et littéraire sur la vie de Jean et des valeurs qu’il leur inspirait.
Le panneau bleu portant l’inscription « Boulevard Jean de Neyman, résistant fusillé le 2 septembre 1944 » a été dévoilé par David Samzun, maire de Saint-Nazaire et Claire, fille de Dominique, en présence Joël Busson, président, accompagné de Guy Texier et de plusieurs membres du Comité du souvenir de Loire-Atlantique et de nombreuses personnalités, Marie-Odile Bouillé : députée, Yannick Vaugrenard : sénateur, Gérard Mauduit et Annaig Cotonnec, conseillers généraux de St Nazaire, Roger David, conseiller général du canton de Montoir, Yvon Renévot, adjoint au maire et secrétaire de la section du PCF de Saint-Nazaire et de nombreux élus communistes, socialistes et verts, de représentants de la CGT dont Fabrice David secrétaire général de l’Union départementale, de la FSU, de la LDH, et des associations FNDIRP, ANACR, ARAC, AFMD ; du MRAP, du Mouvement de la Paix et de Femmes Solidaires…
Après la lecture de la dernière lettre de Jean par une élève du lycée, Guy Texier représentant le Comité du souvenir de Loire-Atlantique dans son allocution rappelait le combat de Jean et son sacrifice pour la France.
Puis le maire prit la parole évoquant sa satisfaction qu’un boulevard et une impasse prennent le nom de Jean de Neyman.
Jean-Loup remercia les autorités et personnes présentes d’honorer son oncle et ses valeurs patriotiques qui l’animaient. Ainsi, il plaça Jean dans la devise de la France : Liberté, Égalité, Fraternité : « L’action de Jean s’inscrit dans cette trilogie : Liberté : La France n’est plus libre, Jean prend les armes ; Égalité : Ce jeune savant, descendant de la noblesse polonaise entre dans, ce qui était à son époque le grand parti majoritairement prolétarien ; Fraternité: Il se sacrifiera courageusement pour ses frères d’armes sans montrer la moindre haine pour ses bourreaux. Il est un exemple pour la jeunesse en quête d’idéal ». Ce ne fut pas sans faire le parallèle avec l’actualité d’aujourd’hui, pour mettre en relief la nécessité de défendre les valeurs que Jean nous a léguées.
Le verre de l’amitié offert par la mairie concluait cette émouvante inauguration à laquelle des riverains avaient tenu à participer . Il fut pris sous abris animé par cinq jeunes musiciens de Saint-Nazaire interprétant le « Chant des partisans » et « La Marseillaise » reprise par tous.
Jean-Casimir de Neyman est né à Paris (VIIe), le 2 août 1914, de parents polonais. Sous le gouvernement de Pétain et ses lois de Vichy, Jean quitte l’enseignement public et entre comme professeur au cours secondaire privé « Le Cid » à La Baule.
Carte d’abonnement SNCF.
Il ne supporte pas l’humiliant asservissement et ne reste pas le témoin docile de tant de monstruosités commises par le fascisme.
Il entre résolument dans la Résistance. Il a mesuré les risques de ce combat inégal et périlleux.
Il écrit à ses parents :
« Parmi tous les risques, j’ai l’intention de prendre mes responsabilités aussi clairement que ma conscience m’en donnera les moyens. Je voudrais que vous – (ceux qui survivront) – sachiez vous consoler de ma perte, car je me considère comme un élément, un petit chaînon dans l’évolution de notre monde, et puisque nous sommes dans la période du gros travail, et qu’il doit y avoir d’innombrables chaînons de brisés et d’usés, peu importe au total qu’ils le soient de façon rationnelle, individuelle… »
N’ayant pu trouver au début, le contact avec un groupe de résistants organisés, il mène une propagande intense contre l’occupant dans les milieux qu’il fréquente. Il devient un des animateurs de la Résistance dans la région.
Deux résistants ayant tiré sur des soldats allemands, la Kommandantur prend dix otages et annonce qu’ils seront fusillés dans les 48 heures si les coupables ne se dénoncent pas.
Jean apporte son aide aux deux résistants pour qu’ils puissent fuir et rédige une lettre de menace de la part d’un groupe de nombreux résistants, décidé à user de représailles. En cas d’assassinat des otages, le chef de la Kommandantur serait exécuté. Les résistants tireraient sur tout soldat sortant de la ville.
Monté sur un vélo militaire allemand, habillé en soldat allemand, il va lui-même porter cette lettre à la Kommandantur. Il parle parfaitement allemand. Il exige que le message, très urgent soit remis le soir même.
Le stratagème réussit, l’audace est récompensée, les otages libérés.
En mai 1944, il rentre dans la clandestinité et constitue une équipe dont le lieu de résidence sera la ferme de Joseph Gergaug à Kermichel à Saint-Molf.
Le débarquement allié au mois de juin et les lourdes défaites allemandes sur le front soviétique aiguisent les espoirs. La lutte s’intensifie.
Cette équipe comprend outre Jean et Joseph, Bernard Cabasson, Jean Mercy, Jean et Pierre Leguen et quelques autres, ainsi qu’un déserteur de nationalité tchèque, Gerhardt enrôlé dans la Wehrmacht.
L’activité du groupe est importante : actions de guérillas contre les éléments isolés, capture d’équipements et d’armes, coupures et ruptures de câbles électriques et téléphoniques, sabotages de transformateurs et d’ouvrages militaires, destruction et désamorçage de mines, chasse aux Géorgiens pilleurs de fermes, etc.
En plein jour ils attaquent le poste allemand de Pont d’Armes, un soldat est tué par Cabasson.
Début août, deux marins allemands déserteurs se joignent à eux et participent à quelques actions.
Le 17 août, non loin de la ferme, les deux marins sont surpris par une patrouille allemande. L’un s’enfuit mais l’autre est capturé. Jean de Neyman essaie de le secourir en discutant avec les soldats mais il est arrêté à son tour.
Les deux hommes sont emmenés au château d’Heinlex à Saint-Nazaire.
Torturé avant d’être fusillé, le déserteur allemand Gerhart dénonce ceux qui l’ont accueilli.
A leur tour, Gergaud et Mercy sont arrêtés et la ferme de Kermichel est pillée. Ils rejoignent Jean à Heinlex où on les laisse trois jours sans manger avant de les transférer au camp Franco à Gron. Sont également arrêtés le Capitaine David et le premier maître Breton (gendarme maritime) soupçonnés d’avoir transporté des membres du groupe.
Jean réussit à innocenter ses camarades de lutte en prenant sur lui toutes les responsabilités.
Il est condamné à mort le 25 août 1944 au château d’Heinlex, après s’être défendu lui-même avec un courage et une noblesse qui impressionnèrent les Allemands eux-mêmes.
Il signe son pourvoi (qui est rejeté) auprès de l’officier allemand commandant la place de Saint-Nazaire.
Il sera fusillé le 2 septembre 1944 au château d’Heinlex ; le dernier de Loire-Inférieure, voire de France !
Jean et la politique
Il s’inscrit au Parti Communiste dès 1934 et dans les mouvements antifascistes. Il devient membre de la cellule de langue française du P.C.F. de Strasbourg. Les habitants de la région parlent alsacien sauf dans la vallée de la Bruche où l’on parle français. Avec ses camarades, Jean rédige « Le prolo de la Bruche ». Chaque dimanche, il part à vélo pour les vendre. De porte à porte il fait de la propagande. Il ne rentre que tard le soir, sa lampe électrique sur son vélo.
Au début de l’année scolaire 1938-1939 est créée une Union des étudiants communistes de France (UEC), organisation autonome, affiliée à la Fédération des jeunesses communistes.
La jeune organisation tint sa première conférence nationale constitutive les 1er et 2 avril 1939.
Des sections existent dans les principales villes universitaires dont Strasbourg. Jean de Neyman y aura des responsabilités.
Jean militaire
Mobilisé en 1939, il est affecté, étant très myope, dans un laboratoire à Paris où l’on vérifie la nourriture pour l’armée.
Jean, soldat, et son bracelet d’identité militaire
Il est destitué en 1940 sous le gouvernement de Vichy, parce que fils d’étranger. Le laboratoire est transféré en zone libre.
Jean, chercheur jusqu’au bout !
Ainsi, avec douze autres, en prison, pendant les quelques jours qui ont précédé son exécution, Jean de Neyman écrit un article de physique. Par une méthode ingénieuse de théorie cinétique classique, l’auteur calcule la probabilité pour que l’une des deux molécules supposées élastiques et sphériques qui se heurtent, prenne après le choc une vitesse supérieure à celle de la plus rapide avant le choc.
Son œuvre scientifique et pédagogique aura donc été tragiquement interrompue aussitôt que commencée.
Un décret du 24 avril 1946, publié au journal officiel en date du 17 mai 1946 attribue à Jean, à titre posthume, la Médaille de la Résistance avec « Rosette ».
Commémoration par le Comité du souvenir de Loire-Atlantique et le Parti communiste français de Saint-Nazaire à l’emplacement de la stèle de Jean. (Photo Morel P.)
Tous les ans, autour de la date du 2 septembre, sa mémoire est honorée devant la stèle érigée en son honneur à l’endroit où il a été fusillé.
Nous voici donc en septembre, au début de la sixième année de ce cauchemar, qui semble heureusement ne plus devoir être bien long à se dissiper. Déjà, pour vous vont disparaître les angoisses de cette sorte de siège par la famine dont Paris souffre depuis si longtemps. Mais je sais que ce n’est rien devant l’immense soulagement moral de penser à la fin de l’infernale époque que nous vivons encore. Et les perspectives d’avenir, encore qu’incertaines, n’en sont pas moins lumineuses.
Moi-même, je suis heureux doublement, et pour mon compte personnel, et pour la joie de tant d’êtres qui en sont heureux. Pourtant, à cette atmosphère radieuse, il faut que j’apporte un nuage : il m’est arrivé ces derniers temps une rencontre fâcheuse qui va retarder peut-être longtemps le plaisir de nous voir.
Voici l’histoire en gros (vous aurez des détails ensuite).
Vers le 10 août, un jeune marin allemand, qui avait déserté, cherchait asile dans les parages de la ferme où j’avais élu domicile principal, depuis un mois à peu près. C’est moi qui le rencontrai d’abord, et, après une longue conversation, considérais que c’était un bon type qu’il serait inhumain de laisser reprendre et fusiller par les autorités militaires allemandes. Aussi je le vêtis en civil et demandais au fermier, Joseph Jergaud, de bien vouloir le nourrir à mes frais, pendant le temps (que nous supposions court) où les Américains ne seraient pas encore venus. Le gars se sentant en danger malgré tout, je lui donnais même un vieux revolver que j’avais trouvé dans la cave de ma maison en voulant enterrer mon poste radio. Tout se passa bien quelques jours, et j’eus même le plaisir de faire de bonnes parties d’échecs avec mon Fritz, ou plutôt Gerhardt, comme il se prénommait.
Par malheur, les américains ne venant pas, Gerhardt s’ennuyait et se montrait imprudent circulant autour de la ferme. Si bien qu’il fut pris par une patrouille avec son revolver en poche, et que je fus arrêté, ainsi que peu après tous les adultes de la ferme (Mme et M Jergaud, et un aide Jean Mercy que j’avais d’ailleurs comme à La Baule, alors que, mécanicien il prenait des leçons de sciences pour passer un concours naval). Nous fumes donc Gerhardt et moi d’abord en voiture à cheval, puis les autres en camion, conduit dans un camp entre Saint-Nazaire et Montoir, pour y être interrogés. Mme Jergaud fut relâchée, mais au bout de 8 jours, le 25 août.
Gerhardt, Jergaud et moi, nous passions devant un conseil de guerre, siégeant au camp de la marine Endras (entre Saint-Nazaire et La Baule). Comme je n’avais jamais voulu éviter mes responsabilités, et encore moins les rejeter sur le pauvre fermier, c’est évidemment moi qui fus condamné au maximum, et, tandis que Jergaud s’en tirait avec 2 ans de prison, je fut condamné comme Gerhardt. Il me restait encore une chance : le jugement devait être confirmé par le commandant de Saint-Nazaire, de sorte qu’au lieu d’être fusillé tout de suite, je fus conduit, à coté du tribunal, dans un pavillon ou j’ai attendu jusqu’à ce matin des nouvelles d’une sorte de pourvoi que j’avais formulé.
Voilà donc en résumé les événements, assez bêtes à certains points de vue, qui vont, je ne le crains que trop, vous faire tant de peine. Comme disait Heine :
Das ist das Los, das Menschenlos
Was schön sind gross, das nimmt’ein schlechtes Ende[[Traduction donnée dans livre « Lettres de fusillés » : Traduction légèrement altérée de « Es kommt der Tod », poème de Heinrich Heine (Nachgelesene Gedichte 1845-1856) : « C’est le destin, le destin de l’homme : ce qui est beau et grand doit connaître une triste fin. »]] !
Maintenant, mes chéris, ne croyez pas que j’en suis bien affligé. Ah, pour ça, par exemple, il en faut davantage pour me faire perdre ma bonne humeur, et ces dernières semaines ont été bien agréables pour moi.
D’abord, il y a la joie d’avoir fait mon devoir ou, ce qui est la même chose, ce que je considérais comme mon devoir, envers et contre tous. Comme je l’ai expliqué aux juges, si le hasard met à côté de moi quelqu’un qui se noie, je ne me demande pas, en me jetant à l’eau, depuis combien de temps j’ai déjeuné.
Ensuite, il y a l’immense plaisir d’avoir pu, jusqu’au bout, faire du bien autour de moi. Passons sur Gerhardt. Ma connaissance de l’allemand m’a maintes fois permis d’être utile au 1er camp. J’ai également pu, et, c’est le principal, obtenir à peu près justice en ce qui concerne ceux qui n’avaient rien à voir dans l’affaire, Mercy et Jergaud. Sans parler du bien que j’ai pu faire en montrant une fois de plus aux Allemands que les Français ont le sens de l’honneur. Et mille détails qui me font penser aux vers de Kipling, traduits par moi-même pour compléter Maurois à la fin de son célèbre poème « Si… » :
Si tu peux, lorsque vient l’instant désespéré
De tout ce qu’il contient, tirer pourtant la somme,
Alors à toi, mon fils, est la Terre entière, et,
Bien plus, tu es un Homme ![[Vers du poème « If » de Rudyard Kipling (1910). André Maurois en avait donné une traduction en 1918(source : livre « Lettres de fusillés ».]]
Et puis, il faut que je l’avoue aussi, je suis heureux et fier du succès d’estime que j’ai remporté pendant mon jugement. Quand le président m’a demandé pourquoi j’avais recueilli Gerhard, et si je ne savais pas que c’était interdit, et que j’ai répondu : « pour un Français c’est une question d’honneur d’aider celui qui demande de l’aide, et l’honneur est d’autant plus grand que l’on risque d’avantage » – quand, après le réquisitoire qui demandait la mort pour Jergaud et moi, et après la plaidoirie qui nous confondait aussi, on m’a demandé si j’avais quelque chose à ajouter et j’ai dit : « Je précise bien que, désirant dès le début conserver l’entière responsabilité de mon acte, je n’ai jamais dit à la ferme (où l’on ignore l’allemand) ce qu’était au juste Gerhart, de sorte que je suis seul responsable. » , – à ces moments il y a eu des murmures dans la salle et ce n’était pas de la moquerie. Et là où, je dois le dire, j’ai éprouvé l’une des plus puissantes impressions de bonheur de ma vie, ce fut, tout de suite après le jugement, quand j’ai entendu discuter sur moi les hommes de garde devant le couloir de ma cellule, Si vous aviez pu les entendre, mes chéris mon cœur eut éclaté de fierté joyeuse.
En plus de cela, il y a eu une foule de petits à cotés agréables, une foule étonnamment nombreuse de réjouissances secondaires, qui me donnent l’occasion de vous donner une vue de quelques détails.
Le seul ennui que j’ai eu, c’est que, le jour où l’on m’a arrêté, on m’a pris mes si utiles lunettes et, que depuis, personnes n’a jamais pu savoir ce qu’elles sont devenues. Personnellement je n’ai jamais pu comprendre pourquoi ; quelqu’un de vous comprendra peut-être, à la longue, quoique, maintenant que nous ne nous verrons plus, cela n’ait vraiment plus beaucoup d’importance… !
Un premier incident que nous avons eu en route mérite d’être signalé, il constitue vraiment un petit fait comique. Comme nous voyagions sur notre carriole, où nous étions attachés fort discrètement, tirés par mon excellent cheval vers une destination hélas triste, un passant rentrait du travail à pied nous demanda naïvement : « Il n’y a pas une place pour moi ? »
Je n’avais pas ri avant mais, à partir de ce moment, je perdis toute mauvaise humeur ou dépit de mon arrestation. Et depuis, j’ai toujours eu des occasions agréables ou divertissantes. C’est ainsi que j’ai pu couper dans ma planche, obligeamment prêtée, d’une part un échiquier percé de trous où s’infiltraient les tiges des pièces, découpées d’autres part. De cette façon j’ai pu jouer en paix sans que les voisins puissent brouiller le jeu, quelle que fut leur turbulence juvénile. Fallait voir ce jeu fait de fil de fer et de bois, signé Jean, reconnaissable à 100 mètres !
Il fallait aussi voir les Allemands s’empresser à jouer avec moi (qui ne pouvais causer aux autres prisonniers) comme s’ils désiraient tous me consoler, et prouver par leur amabilité qu’ils déploraient ma situation et qu’ils auraient bien voulu faire quelque chose – mais quoi ? – pour ne pas me voir fusiller (on s’y attendait dès le début).
Aussi n’est-ce pas sans laisser presque des amis que j’ai quitté le camp : à peu près tous ceux avec qui j’avais parlé un peu s’en faut. Naturellement j’ai du y laisser aussi, aussi avec quelque regret, le plus beau de mon équipement ; c’est-à-dire mon jeu d’échecs-, quand je serais ministre, je changerai le texte du règlement rigoureux dont je fut victime… !
Or, depuis le jugement, les doubles rations (pour le moins) de tout ce qui est comestible ou favorable, dont je suis favorisé ; auraient enthousiasmé ceux qui s’imaginent que «Jean bon » ne peut vivre sous autre orthographe (si j’ose ce déplorable calembour). Au début je crus à un cuisinier fantaisiste qui aurait voulu terminer peut être une époque de son service par un festin capable de faire sensation, et je m’attendais à retourner à mon ordinaire modeste, en homme de bon sens que je suis. Mais comme mon ahurissante abondance continuait à régner de plus en plus belle, ce qui de l’extérieur ou de l’intérieur toutes sortes de friandises ne cessaient d’affluer, la seule explication valable, à laquelle je dû me rendre, était une bienveillance collective touchante chacun, se demandant si cela finira bien mal pour moi, concluait que le mieux devait être de participer par tous les moyens à me rendre « succulentes » les heures dont j’étais encore maître, en attendant qu’on sut si mon pourvoi, soutenu par mon avocat, arriverait à être rejeté ou non. Et, de la part des officiers aussi, une amabilité trop franche et personnelle pour N’être que de la propagande, venait satisfaire tous mes désirs. Ainsi, en l’absence de mes lunettes on a réussi à me faire voir clair en mobilisant les lunettes d’essais de l’oculiste militaire ! Et une chambre étant plus lumineuse, on a même été jusqu’à m’autoriser à sortir dans le plus éclairé de tous les couloirs d’ici, avec tout mon matériel. Car le plus beau, c’est qu’on m’a pourvu d’un matériel comme je n’en eu pas souvent : table, sous-main, papier à volonté, crayon chimique, gomme, règle, couteau. (Et tout pour Jean ! comme disait ma petite sœur autrefois)- et par-dessus le marché, l’autorisation de travailler à tout ce que je voulais laisser après moi qui me paraît pouvoir être utile aux générations futures, pour parler modestement !
C’est ainsi qu’en plus de cette lettre vous récupérerez de moi presque un volume de remarques et réflexions plus ou moins scientifiques et pédagogiques. J’espère qu’elles intéresseront Papa et peut-être un professeur curieux de points de vue non classiques.
Je m’en vais donc disparaître dans les meilleures conditions possibles, après avoir passé mes dernières semaines de condamné plus confortablement que bien d’autres semaines, sans avoir subi aucun mauvais traitement – après avoir eu la chance de voir le sinistre tableau du monde de 1939 remplacé par les claires perspectives de 1944, et la nouvelle chance que ma condamnation me donne le droit de penser que je n’y suis pas complètement étranger – après avoir dégusté l’amusante et flatteuse ironie du sort qui me fait l’un des derniers fusillés français de cette guerre[[Les troupes allemandes de Bretagne s’étaient repliées autour de Saint-Nazaire en août 1944. La poche, assiégée par les français et les américains, capitula le 11 mai 1945 (source : livre « Lettres de fusillés » ).]] – avec l’agréable sensation d’avoir laissé par écrit le meilleur de moi-même, en plus de ce que j’ai pu laisser comme influence durable dans la vie de ceux que j’ai connus.
Et comme dans les conditions où elle se produit, ma disparition peut avoir autant d’effet que le bien que j’aurais pu faire en un peu de vie supplémentaire, mon seul regret est le chagrin qu’elle ne peut hélas manquer de vous causer.
Ainsi, si vous voulez me faire rétrospectivement plaisir, ne soyez pas trop malheureux. Je vous ai assez aimés pendant ces dernières 20 années pour que vous ne m’en vouliez pas de vous laisser seuls ensuite. Ne soyez pas égoïstes. Vivez pour continuer à faire progresser le monde, comme vous-mêmes me l’avez appris à le faire.
J’ai conscience encore plus aujourd’hui, combien tout ce que j’ai fait est au fond votre œuvre et je vous prie de faire quelqu’un de bien de chacun de vos petits-enfants actuels et futurs – car je compte sur vous pour que les enfants de Nénette[[Nénette est le surnom de donné à Marie sa sœur. Son entourage la surnommait Marinette (Source Dominique de Neyman)]] soient aussi dépourvus de toute illusion religieuse que moi, et que ce soit en pleine conscience qu’ils sachent faire leur devoir d’homme.
A propos d’enfants, si vous le pouvez, intéressez vous au second fils de Jergaud, un bébé de 5 ans, mais qui a du bon ; vous me ferez plaisir en le faisant ; c’est une dette de reconnaissance. Vous pourriez avoir chez lui divers objets m’appartenant. Voici son adresse : Ker Michel en Saint- Molf par Guérande (Loire Inférieure).
Pour finir par une plaisanterie, Papa y trouvera la solution du problème des 2 ampèremètres dont l’un marque 6 ampères pendant que le premier n’en marque que 3…
En vous embrassant, mes chéris, je vous écris la conclusion de ma vie, entre les 2 morales célèbres : – il n’est pas besoin d’espérer pour entreprendre, ni de réussir pour persévérer – et : toute la sagesse humaine tient dans 2 mots : attendre et espérer, il y a de la place pour ma synthèse : – tout le bonheur de l’homme tient dans ce devoir « Agir et espérer ».
Jean.
P.S. Naturellement saluez tous ceux qui me sont chers.
DE L’ASSOCIATION FRANÇAISE BUCHENWALD-DORA
ET KOMMANDOS
Une association d’anciens déportés comme l’Association française Buchenwald-Dora et Kommandos a tout lieu de manifester son indignation après le massacre d’une partie de l’équipe de Charlie hebdo et, parmi elle, des amis proches.
Il est l’aboutissement de la radicalisation des pensées, de l’instrumentalisation des croyances, des intégrismes religieux, des politiques d’Etat, de l’exploitation des fragilités qui exacerbent la montée des violences et conduisent des individus à tuer.
Nous savons depuis longtemps, 70 ans après la fin du second conflit mondial, qu’il n’existe pas de recettes éprouvées, malgré les serments et les espoirs nés de la libération des jougs fascistes, pour éviter les guerres, les tensions, combattre les extrémismes les plus rétrogrades.
C’est pourquoi nous restons déterminés à combattre sans relâche les négationnismes, l’intolérance, les fanatismes nationalistes et religieux et le racisme, ces éléments qui menacent le droit à l’altérité et conduisent inéluctablement aux drames qui, tel celui qui vient d’endeuiller la France, ensanglantent l’humanité.
Le 7 janvier 2014
A Nantes, à l’initiative du Club de la presse Nantes Atlantique, un rassemblement est appelé ce mercredi 7 janvier à 18h place Royale.
La Ligue des droits de l’Homme appelle à se joindre à ce rassemblement. Ci-dessous le communiqué national de la Ligue des droits de l’Homme.
Communiqué LDH : « La République blessée »
Communiqué Ligue des droits de l’Homme
Paris, le 7 janvier 2015
La République blessée
La Ligue des droits de l’Homme condamne avec la plus grande force l’assassinat de douze personnes dans les locaux de Charlie Hebdo.
Rien ne peut justifier une telle violence.
La LDH condamne avec la même fermeté la volonté d’intimider un organe de presse. C’est la liberté de la presse tout entière qui est ainsi atteinte. C’est la République qui est, elle-même, blessée.
La LDH exprime sa solidarité à la rédaction de Charlie Hebdo et aux blessés, et exprime ses condoléances aux familles des victimes.
… /…
Face à une telle barbarie, c’est en se retrouvant autour des principes de la démocratie et de l’Etat de droit que nous pourrons y faire échec.