À Sainte-Luce-sur-Loire, samedi 25 janvier en début d’après-midi, les hommages aux FTP des « procès » des 42 et des 16 se poursuivaient, après la cérémonie au terrain du Bêle le matin à Nantes.
Place Jean Losq, devant la statue érigée à la mémoire de Renée Losq, avait lieu un dépôt de gerbes et un recueillement, en présence de la famille, des autorités, de représentants du PCF et d’ associations mémorielles de la Résistance et de la Déportation, ainsi que de nombreux amis; le Chant des Partisans et la Marseillaise clôturaient cette première partie.
Le Maire, M. Anthony Descloziers, invitait ensuite les participants à se rendre salle Renée Losq pour l’hommage rendu à cette Résistante et son mari, fusillé au champ de tir du Bêle le 13 février 1943.
Déportée, Renée devait connaitre des forteresses en Allemagne avant les camps de Ravensbrück puis de Mauthausen.
Devant une centaine de personnes et au nom du Comité départemental du souvenir et de l’ARAC, Joël Busson a rendu hommage à la mémoire de Renée et Jean Losq. Puis M. le Maire évoquait la vie de la citoyenne de la commune pendant des décennies et son engagement.
Un moment convivial, offert par la municipalité, clôturait cette première journée.
Le dimanche 13 octobre s’est déroulé à Indre la commémoration en hommage à Eugène et Léoncie Kérivel, Lucien Leloir et Alphonse Guihot tous résistants indrais.
Après un moment de recueillement devant la stèle dédiée aux époux Kérivel quai Jean Bart, le cortège précédé par l’Harmonie municipale est parti en direction du Monument aux morts en traversant le célèbre marché d’Indre. Monsieur Anthony Berthelot maire d’Indre, Madame Carole Grelaud maire de Couëron, Monsieur Christian Retailleau président du Comité Départemental et Serge Adry président du Comité de Châteaubriant étaient présents ainsi que les corps constitués.
De nombreux élèves de CM2, d’enseignants, d’Indrais, de responsables d’associations indraises et d’adhérents du comité, au total près de 150 personnes, ont assisté à cette cérémonie.
Après les dépôts de gerbes au Monument aux morts, tout le monde s’est retrouvé sur le parvis de l’église.
Les petits enfants de Pascale et Thierry Diquelou ont lu le poème « Les fusillés de Châteaubriant » de René Guy Cadou.
Ensuite est venu le temps de l’évocation artistique interprétée par Claudine Merceron et Pascal Gillet. Qui ont lu les apologies des 3 résistants puis la lettre de Guy Môquet et un texte lié au droit de vote des femmes en 1946.
Le président du Comité du Souvenir d’Indre Jean-Luc Le Drenn a poursuivi avec l’allocution du Comité.
Pour terminer cette belle commémoration orchestrée par notre jeune maître de cérémonie Clément Leparoux, la chanson de Jacques Higelin « La croisade des enfants » a été interprétée par Claudine, Pascal et Jean-René Kirion.
80 000 personnes à Châteaubriant et autant à Nantes
Dès le soir de la fusillade, ce 22 octobre 1941, des Castelbriantais vont dans la carrière selon le témoignage de l’instituteur de Saint-Aubin-des-Châteaux Joseph Autret. A la Toussaint, de nombreux visiteurs s’y rendent, de même que les années suivantes, bravant l’Occupant : une photo de 1943 en témoigne.
Le dimanche 6 août 1944, deux jours après la Libération de la ville, une cérémonie d’hommage a lieu à la Carrière. Une foule nombreuse y assiste. Alors que la guerre n’est pas terminée, le 22 octobre 1944 a lieu une grandiose cérémonie dans ce lieu désormais nommé La Sablière. Une foule immense y participe : ils sont 80 000 selon la presse nantaise et L’Humanité.
Le matin à 9h, deux messes sont célébrées : l’abbé Gris en l’église Saint-Nicolas et le curé Moyon à Béré exaltent l’esprit de sacrifice des martyrs.
A 11h, Paul Huard, président de la délégation municipale provisoire, accueille à la mairie Fernand Grenier, « qui fut le compagnon de captivité des fusillés » et les personnalités, avant d’inaugurer en présence d’un détachement de FFI (Forces françaises de l’Intérieur) la rue des 27-Otages et la rue Guy-Môquet.
A 14h30, un immense cortège part de la mairie et se rend à La Sablière où la foule est déjà rassemblée autour des familles des fusillés, devant les neuf po-teaux réunis par une longue banderole tricolore et autour du monument érigé au centre de la carrière, orné de l’emblème de la faucille et du marteau, sur lequel les noms des 27 martyrs sont gravés. Dans un silence impressionnant, l’appel des 27 noms est ponctué par le tragique « Mort pour la France ».
Puis vient le temps des discours, d’abord celui de Daniel Trellu pour les Jeunesses communistes, puis du colonel Robert Courtois, commandant des FFI, du capitaine Maurice Schumann, pour la France combattante, de Michel Debré, commissaire de la République, du député Fernand Grenier et pour conclure, de Marcel Cachin, sénateur et directeur de L’Humanité. Leur message commun : vaincre le nazisme – Hitler n’a pas encore capitulé, achever la libération de la France, et travailler à un avenir meilleur.
La Marseillaise est entonnée par 80 000 voix, suivie des hymnes américain et anglais interprétés par l’Harmonie municipale, puis de L’Internationale. Pour beaucoup, la Sablière devient « un lieu de pèlerinage » comme le proclame l’affiche éditée par le Comité parisien de Libération.
A Nantes aussi
L’hommage se tient sur le cours Saint-André autour d’un cénotaphe, après une messe suivie de quatre discours. Le représentant du général de Gaulle, chef du Gouvernement provisoire de la République Française (GPRF) est le ministre de l’Air Charles Tillon, l’ancien chef des FTP, (par ailleurs, ancien ouvrier aux Batignolles et syndicaliste CGTU). Il sera présent l’après-midi à Châteaubriant. Ce 22 octobre 1944, la délégation municipale provisoire dirigée par Clovis Constant prend la décision de faire construire un monument commémoratif aux otages fusillés et de dénommer un axe de la ville « cours des 50 otages ». Le monument conçu par Marcel Fradin avec des sculptures de Jean Mazuet sera inauguré en 1952.
Plusieurs manifestations ont lieu à Paris où 18 rues ou places reçoivent le nom d’un martyr de Châteaubriant et sept villes de banlieue rendent hommage à un élu ou un syndicaliste.
Ces deux phrases ont beaucoup été entendues en juin 2024 entre les deux tours des élections législatives, convo-quées à la hâte après la dissolution de l’Assemblée nationale par le président de la République, Emmanuel Macron, à la suite de son double échec à l’élection européenne du 9 juin puis au premier tour de l’élection législative du 30 juin qui a vu la montée de l’extrême droite, la propulsant aux portes du pouvoir.
Ces deux phrases sont deux vers du poème sans strophe La Rose et le Réséda, écrit par Louis Aragon. Elles composent un sizain (groupe de six vers) avec les vers suivants : Quand les blés sont sous la grêle / Fou qui fait le délicat / Fou qui songe à ses querelles / Au cœur du commun combat et les deux autres vers qui reviennent sans cesse comme un refrain : Celui qui croyait au ciel / Celui qui n’y croyait pas.
Le poème célèbre le courage des hommes qui dépassèrent leurs croyances et convictions personnelles pour se rassembler et œuvrer ensemble à la libération de la France pendant l’Occupation allemande durant la Seconde guerre mondiale. Communistes et catholiques, en particulier, les deux grandes familles de la Résistance, se retrouvèrent pour com-battre ensemble, au péril de leur vie, dans l’espoir de « jours heureux ».
La «rose» c’est le rouge qui symbolise le communisme, le «réséda» c’est le blanc qui symbolise le catholicisme. Rien à voir avec la botanique dans ce poème.
Ecrit en 1942, il a d’abord paru le 11 mars 1943, dans la page littéraire que Stanislas Fumet dirigeait dans le journal Le Mot d’ Ordre, à Marseille, puis dans le numéro spécial de Messages que Jean Lescure publia à Genève sous le titre Domaine français. Il fut de nouveau publié en 1944 dans le recueil La Diane Française avec une dédicace « A Gabriel Péri et d‘Estienne d’Orves comme à Gilbert Dru et Guy Môquet »*. Appel à s’unir, le poème rend hommage à ces quatre hommes, deux communistes et deux catholiques, dont les noms sont croisés dans la dédicace, fusillés par les nazis avec la complicité du régime de Pétain.
Appel à l’union pour la liberté, il est aussi porteur d’espoir.
Le poème est construit sur une double lecture du texte. En apparence, il évoque un conte médiéval. Une histoire de preux chevaliers : deux hommes viennent libérer une «belle / Prisonnière » en « haut de la citadelle ». Il fait aussi penser à un contre populaire à la Charles Perrault.
Après la défaite de 1940, Louis Aragon puise dans les poèmes médiévaux évoquant la Table ronde et ses chevaliers pour réactiver un modèle héroïque de nature à incarner la Résistance face au nazisme. Les raisons de ce parti pris sont à la fois littéraires et politiques. Dans les poèmes qui composent Brocéliande déjà, Aragon a remis le mythe arthurien sur pieds pour faire rêver, mais surtout pour faire agir et donner à l’action cohérence et unité.
Incidemment cette référence a pu servir à brouiller les pistes et tromper la vigilance de la censure. Aragon, résistant de la première heure était clandestin et recherché. Mais il faut lire entre lignes : il ne s’agit ni d’un conte, ni du Moyen Age mais de la France occupée. C’est un « poème de contrebande», un appel à l’unité de la Résistance au-delà des différences religieuses, philosophiques ou politiques de celles et ceux qui ont dit non. Un appel à trouver ce que les uns et les autres ont en commun plutôt que ce qui les divise.
On notera que cette stratégie, déjà à l’œuvre avec l’appel dès 1941 à la création d’un Front national de lutte pour la liberté et l’indépendance de la France, est à la base de la création du Conseil national de la Résistance en 1943.
En fait, les chevaliers sont des résistants et la belle à libérer est la France prisonnière des Allemands. Les quatre hommes de la dédicace ont pour point commun la lutte pour la liberté de leur pays. Outre le refrain qui présente un duo, le texte com-prend de nombreuses indications de la communauté de combat de ces hommes. Le poème multiplie les formulations com-me «Tous deux », «Tous les deux », «aucun des deux ». L’auteur les montre indissociables : «lequel», «l’un», «l’autre»
Le poème évoque également les affres de la guerre : « Quand les blés sont sous la grêle », les terribles conditions de déten-tion des résistants arrêtés : grabat, rats, gèle. Et les fusillades : « La sentinelle tira/Par deux fois et l’un chancelle/ L’autre tombe qui mourra ».
Le poème porte aussi l’espoir de jours meilleurs : les résistants morts sont des graines. Leur sang « se mêle / A la terre / pour qu’à la saison nouvelle / Mûrisse un raisin muscat » La joie reviendra, on dégustera des « framboises » et des « mirabelles ». Le « grillon» qui symbolise la paix « rechantera ». Ce qui rappelle le slogan « Pour des lendemains qui chantent » souvent mentionné par les fusillés dans leurs dernières lettres.
Aragon lui-même parle de ce poème comme d’une «chanson ». C’est en apparence un poème «facile» avec son mètre régulier. On est d’emblée frappé par la répétition du distique : « Celui qui croyait au ciel / Celui qui n’y croyait pas », qui constitue une sorte de refrain. Le fait qu’un poème donne l’impression d’être une chanson s’inscrit dans la tradition. Les premiers poètes dans l’Antiquité puis les troubadours au Moyen Age s’accompagnaient d’instruments de musique.
Le poème contient lui-même une musicalité. Non seulement par le refrain mais par sa forme : rimes en el et a, vers réguliers (heptasyllabes), effets de sonorité multiples avec les allitérations, les anaphores (répétition d’un même mot ou groupe de mots). Cette musicalité facilite la mémorisation et la diffusion.
« La poésie a pris le maquis » a écrit Paul Eluard. Aragon est l’un de ces poètes qui eurent les mots pour armes, rassemblés dans L’Honneur des poètes, titre d’un recueil préparé par Pierre Seghers, Paul Eluard et Jean Lescure, publié en 1943 par les éditions de Minuit clandestines. Cette publication réunit 22 poètes.** Le 1er mai 1944, un second ouvrage fut publié sous le titre L’Honneur des poètes II, aux éditions de Minuit. En 1974, Pierre Seghers a publié un ouvrage plus complet, réédité en 2022 : La Résistance et ses poètes (2 tomes : récit & anthologie).
En 1947, un court métrage intitulé La Rose et le Réséda a été réalisé, à l’initiative du CNR, par André Michel, musique de Georges Auric dans lequel Jean-Louis Barrault interprète le poème d’Aragon. Conservé par l’INA, on le trouve sur internet. On y trouve aussi une lecture par Aragon lui-même en 1943.
Des chanteurs ont interprété le poème : Marc Ogeret, Juliette Gréco, Bernard Lavilliers, le groupe La Tordue
** L’ouvrage a été réédité en 2014 par Le temps des Cerises
POUR ALLER PLUS LOIN
D’Aragon, poète de la Résistance, on lira :
Le Crève-cœur
Les Yeux d’Elsa
La Diane Française
Œuvres poétiques complètes, Gallimard, La Pléiade
La Rose et le Réséda
A Gabriel Péri et d’Estienne d’Orves comme à Guy Môquet et Gilbert Dru.
Celui qui croyait au ciel Celui qui n’y croyait pas Tous deux adoraient la belle Prisonnière des soldats Lequel montait à l’échelle Et lequel guettait en bas Celui qui croyait au ciel Celui qui n’y croyait pas Qu’importe comment s’appelle Cette clarté sur leur pas Que l’un fût de la chapelle Et l’autre s’y dérobât Celui qui croyait au ciel Celui qui n’y croyait pas Tous les deux étaient fidèles Des lèvres du coeur des bras Et tous les deux disaient qu’elle Vive et qui vivra verra Celui qui croyait au ciel Celui qui n’y croyait pas Quand les blés sont sous la grêle Fou qui fait le délicat Fou qui songe à ses querelles Au cœur du commun combat Celui qui croyait au ciel Celui qui n’y croyait pas Du haut de la citadelle La sentinelle tira Par deux fois et l’un chancelle L’autre tombe qui mourra Celui qui croyait au ciel Celui qui n’y croyait pas Ils sont en prison Lequel A le plus triste grabat
Lequel plus que l’autre gèle Lequel préfèrent les rats Celui qui croyait au ciel Celui qui n’y croyait pas Un rebelle est un rebelle Nos sanglots font un seul glas Et quand vient l’aube cruelle Passent de vie à trépas Celui qui croyait au ciel Celui qui n’y croyait pas Répétant le nom de celle Qu’aucun des deux ne trompa Et leur sang rouge ruisselle Même couleur même éclat Celui qui croyait au ciel Celui qui n’y croyait pas Il coule il coule il se mêle A la terre qu’il aima Pour qu’à la saison nouvelle Mûrisse un raisin muscat Celui qui croyait au ciel Celui qui n’y croyait pas L’un court et l’autre a des ailes De Bretagne ou du Jura Et framboise ou mirabelle Le grillon rechantera Dites flûte ou violoncelle Le double amour qui brûla L’alouette et l’hirondelle La rose et le réséda
Biographies
Gabriel PERI, né en 1902, journaliste à L’Humanité et député communiste, fusillé le 15 décembre 1941 avec 94 autres otages au Mont-Valérien, à Caen et à La Blisière près de Châteaubriant.
Henri HONORE D’ESTIENNE D’ORVES, né en 1901, officier de marine, a répondu à l’Appel du 18 juin et rallié Londres. Il a réalisé, depuis Nantes, la première liaison radio avec Londres. Fusillé sur dénonciation le 29 août 1941.
Guy MÖQUET, militant des Jeunesses communistes, interné dans le camp de Choisel, fusillé le 22 octobre 1941 avec 26 autres Otages à Châteaubriant, 16 à Nantes et 5 au Mont-Valérien : « Les 50 Otages ». Il avait 17 ans.
Gilbert DRU, né en 1920, militant de la Jeunesse étudiante chrétienne à Lyon, fusillé le 27 juillet 1944 à Lyon. Sa fiancée a confié à Aragon, qu’il avait dans sa poche le poème Brocéliande lors de son arrestation.
Par une heureuse coïncidence, l’hommage rendu chaque année aux syndicalistes victimes de la barbarie nazie a été fixé cette année au 6 juin. Une cinquantaine de militants se sont rassemblés à midi à Nantes dans le hall de la Maison des syndicats, dans l’ancienne gare de l’Etat, face aux plaques mémorielles.
Etaient également présents Stéphane Carreca, secrétaire de l’UL CGT, organisatrice, Céline Pella, co-secrétaire départementale de la FSU, Christian Retailleau, président du Comité départemental du souvenir – Résistance 44 et Robin Salecroix, élu représentant la maire de Nantes. Les porte-drapeaux du Comité du souvenir, Christophe André et de l’ADIRP, Yves Bourbigot encadraient les plaques au pied desquelles des gerbes ont été déposées au nom de la FSU (par Annabel Cattoni), du Comité du souvenir, de la CGT (Nelly Goyet et Chrystelle Savatier), et de la municipalité. Jacqueline Gouillard et Fabien Laidin ont rendu à deux voix un émouvant hommage aux 181 syndicalistes dont les noms sont gravés dans le marbre en présence des petits-fils de Philippe Huchet et Vincent Mazan.
La date imposait le rappel qu’ « il y a 80 ans jour pour jour, les forces alliées débarquaient sur les plages de Normandie entamant la libération de l’Europe de l’ouest. Quelques semaines plus tard, le 22 juin sur le front de l’Est, l’armée soviétique engageait l’opération Bagration qui devait conduire l’Armée rouge jusqu’à Berlin, entraînant la capitulation de l’Allemagne nazie le 8 mai 1945. » Les hommes dont les noms figurent sur ces plaques ont fait le choix du refus de l’occupation, de l’asservissement, celui « de lutter pour l’émancipation du genre humain et pour un avenir meilleur. »
Cette année, le choix a été fait de mettre en lumière l’un des 181 : Alex Auvinet, jeune ajusteur-fraiseur à la SNCAO de Château-Bougon (ancêtre de l’Aérospatiale). Appartenant au groupe de Francs-Tireurs et Partisans (FTP) dirigé par Jean Fraix, il a participé à de nombreuses actions contre l’occupant. Refusant d’aller travailler en Allemagne et contraint d’entrer dans la clandestinité, dénoncé, il est arrêté et exécuté le 1er juin 1943 au Mans avec 10 autres FTP. Il avait 22 ans. Jacqueline Gouillard a lu sa dernière lettre avec beaucoup de force et de sensibilité.(lire ci-après).
Les racines de l’engagement dans la Résistance de ces syndicalistes, souvent très jeunes, ont été rappelées. Elles plongent dans les luttes sociales des Batignolles, de Château-Bougon, de l’arsenal d’Indret, des chantiers navals et usines de Chantenay, de Rezé. « Ils étaient engagés lors des grèves de 1936 alors que les patrons criaient « Mieux vaut Hitler que le Front populaire ». Engagement aussi dans les luttes antifascistes. «L’engagement dans la Résistance fut précoce : le cheminot Marin Poirier, dont le nom figure sur ces plaques, fut le premier fusillé nantais le 30 août 1941. »
Après avoir rappelé l’aide active apportée par la Collaboration et le gouvernement de Pétain à la répression contre les Résistants, Jacqueline Gouillard s’écrie : « N’oublions jamais que l’extrême droite a bel et bien été au pouvoir en France entre 1940 et 1944. Ne laissons pas l’histoire se répéter. » Fabien Laidin évoque alors le combat des FTP et la terrible répression de 1943 à la suite des procès des 42 et des 16 « Avec 331 fusillés et près de 900 déportés politiques, la Loire-Atlantique a payé un lourd tribut. » Pour autant, poursuit-il « leur lutte et leur sacrifice n’ont pas été vains » citant la création du CNR, l’adoption de son programme, les conquêtes de la Libération. Jacqueline Gouillard fustige la destruction méthodique de ces conquis sociaux et élargit la focale aux conflits dans le monde et aux luttes des peuples de l’Ukraine à la Palestine et ailleurs. La Marseillaise et Le Chant des partisans – dans la puissante interprétation des Stentors – concluent cette émouvante cérémonie.
Annexe
Dernière lettre d’Alex AUVINET
Chère maman,
Je viens ici te causer une grande peine en t’annonçant que je vais être fusillé demain, mais si tu peux, au contraire, être fier de ton fils qui tombe sous les balles allemandes, les balles fascistes, c’est-à-dire sous les balles des capitalistes … Ceci ne me fait pas de peine de mourir et, console-toi, maman chérie, en te disant que c’est pour la bonne cause, pour délivrer le genre humain que notre sang va couler. Je serai probablement enterré dans la région du mans. Si, après guerre, il est possible de me faire transporter à Montaigu, sans occasionner trop de frais, cela me ferait bien plaisir.
Voilà la nuit qui entre dans ma cellule et je n’y vois plus. Il n’est pourtant que 7 h. Dans 12 heures, je ne serai probablement plus de ce monde, mais je ne regrette rien de la vie. Si ce n’est vous tous que j’aime, et que j’embrasse bien fort, ma petite sœur, Robert, Michelle, et toi maman chérie.
Je meurs pour que vive la France. Vive le Parti communiste. Vive l’URSS.
82e anniversaire des « procès » des 42 et des 16 Samedi 25 janvier à 11h00 au terrain du Bêle à Nantes Samedi 25 janvier à 14h30 à Sainte-Luce-sur-Loire : hommage à Jean et Renée Losq Dimanche 26 janvier à 11h00 à La Chapelle-Basse-Mer (Divatte-sur-Loire) : hommage aux Républicains espagnols Dimanche 23 février à 10h30 à Rezé : hommage aux fusillés rezéens Hommage aux syndicalistes résistants Jeudi 6 février à 12h00 devant les plaques mémorielles à la Maison des syndicats à Nantes : 83e anniversaire de l’exécution de Pierre Semard Vendredi 7 mars à 11h00 à la gare SNCF de Nantes 80e anniversaire de la libération du camp de Buchenwald Vendredi 11 avril à 17h00 au cimetière de la Chauvinière Journée nationale de la Déportation Dimanche 27 avril à Nantes, Rezé, Sainte-Luce-sur-Loire Journée nationale de la Résistance Mardi 27 mai à Nantes, Châteaubriant, Indre, Saint-Nazaire, Trignac Hommage à Jean de Neyman Samedi 30 août à 16h00 (à confirmer) à Saint-Nazaire 84e anniversaire de l’exécution des 50 Otages Dimanche 12 octobre à 9h45 à Indre : hommage à Eugène et Léoncie Kérivel Vendredi 17 octobre à 18h45 à Nantes : Veillée du Souvenir au Monument aux 50 Otages Samedi 18 octobre à 14h30 à Châteaubriant : cérémonies à la stèle de Choisel et au château Dimanche 19 octobre La Blisière à 10h00 : hommage aux 9 fusillés du 15 décembre 1941 La Sablière à 13h30 : hommage aux 27 fusillés Mercredi 22 octobre à 10h00 à Nantes : cérémonies officielles au Monument aux 50 Otages, au terrain du Bêle et au cimetière de la Chauvinière
Ancenis libérée le 5 août 1944, Nantes le 12 août 1944, Saint-Nazaire et Pornic le 11 mai 1945…
Le mot Libération s’est imposé dans les grands repères mémoriaux français. L’hésitation sur la date confirme son statut de lieu de mémoire. De la Libération, on retient des images : jeunes filles souriant aux Américains, juchées sur un tank, objet éminemment symbolique, jeunes hommes ayant peint sur leurs tractions Citroën leur appartenance aux héros du jour, les FFI. Mais l’image peut se ternir avec les femmes tondues, réputées « collaboratrices horizontales ».
Relent d’un temps où les Français ne s’aimaient pas, la Libération est un révélateur des clivages nés de la guerre, et aussi des espoirs mûris dans la clandestinité. La revendication du droit aux jours heureux est le produit de l’expérience de ces Français qui ont été prisonniers, évacués, réfugiés, déportés, sinistrés, « empochés ». Ces longues années d’épreuves, de sang, de larmes, parfois d’inhumanité, fondent les aspirations à changer la vie.
La Libération est un épisode de l’histoire de la France et de ses Alliés, elle est aussi et surtout ce moment particulier où le « faire nation » à la française s’interroge sur sa régénération.
L’horizon d’attente des Français se construit autour de l’idée de débarquement mise en œuvre par les Anglo-américains le 8 novembre 1942 en Afrique du Nord. Deux fois par jour, Radio Londres émet Les Français parlent aux Français et permet de suivre l’évolution des fronts. Mais cette guerre des ondes – attestée par la rengaine Radio Paris ment, Radio Paris est allemand– se retourne partiellement contre l’émetteur et l’auditoire qui par la force de la répétition sont convaincus de l’imminence d’un débarquement en Europe. Observant l’état de l’opinion publique, le commissaire des Renseignements généraux de Nantes estime le 29 juin 1943 que « beaucoup dans cette région craignent une attaque des côtes atlantiques » ; trois mois plus tard, il réitère son jugement : « Quant au débarquement sur les côtes françaises, qui il y a deux mois paraissait être sorti des préoccupations de l’opinion publique, il est de nouveau envisagé avec de plus en plus d’acuité ». Cette versatilité apparente de l’opinion traduit son anxiété et la lecture difficile de situations contradictoires : redouter ou espérer le débarquement ? Le doute et l’incertitude incitent à l’attentisme.
L’idée de « régénération », dans ses références à la première année révolutionnaire de 1789, peut être utilisée pour approfondir le sens de l’engagement, l’émergence de propositions pour l’avenir. Ainsi, le 15 mars 1944, le programme du CNR est publié. Ce texte fondateur revendique un rôle matriciel pour le futur régime politique français. Cinq années de violences, de prises de risques seraient-elles les fondements de l’État-providence ?
La régénération du Parti communiste à partir de 1941 lui permet de sortir de l’isolement. L’attaque allemande de juin 1941 sur l’URSS change le programme du Parti : il abandonne l’idée de guerre impérialiste, prend un tournant plus patriotique, ce qui contribue au rapprochement des communistes avec le chef de la France Libre. Quelques jours après l’exécution des 50 Otages, De Gaulle s’adresse, sans les nommer, aux militants communistes, « ces Français, écartés de la Nation par l’injustice qui les révoltait et l’erreur qui les dévoyait » ; il leur propose d’utiliser cette occasion pour « rentrer dans l’unité nationale ». L’historien Pierre Nora évoque « ce moment de gaullo-communisme ».
Les FTP pratiquent, malgré les réticences du Parti et de l’Internationale, l’attentat individuel. L’année 1942 est de ce point de vue la plus intense en Loire-Inférieure : 83 attentats commis contre des lieux ou des personnes, trois exécutions de militaires allemands, trois exécutions de collaborateurs. L’année 1943 est plus calme, tout comme 1944. L’explication tient à l’ampleur des pertes subies par les jeunes résistants communistes nantais face à la milice de Darnand et à la police allemande.
Les Nantais, informés par la TSF et les journaux collabos, surveillés par la police des RG, vivent une tension contradictoire. Ils espèrent un débarquement sur les côtes normandes ou bretonnes, mais redoutent « l’anéantissement pur et simple de tout ce qui se trouve devant eux ».
Le 13 janvier 1943, Hitler proclame la « guerre totale ». La Loire-Inférieure subit déjà la prédation allemande comme les autres territoires occupés. Le pillage n’est pas estimé suffisant et le Service du Travail Obligatoire est créé. En Loire-Inférieure les réfractaires se regroupent dès janvier 1943 à Bouvron, Blain, Campbon. Le chef du groupe du maquis de Bouvron est l’abbé Henri Ploquin, vicaire. Les jeunes qui cherchent soit à « se planquer », soit à se battre, sont formés par les aînés. En mai 1944, ils mènent des expéditions contre les collaborateurs, des sabotages. Dans ses Souvenirs, l’abbé Ploquin note : « Et voici le débarquement allié dans le Calvados le 6 juin 1944. Nous attendions des ordres de mission que nous ne recevons pas. » La Libération de la France est entamée, les Alliés ont débarqué en Normandie, selon De Gaulle « la bataille suprême est engagée ». Ceux du maquis de Bouvron gagnent Saffré. Le 28 juin 1944, ils sont attaqués par les Allemands ; le rapport de force est très inégal : « 300 maquisards, mal armés, désorganisés, ne connaissant pas le responsable du maquis, s’affrontent à 2500 Allemands ». 35 sont arrêtés, transférés à la prison La Fayette à Nantes, jugés, 30 sont condamnés à mort, 27 fusillés à La Bouvardière. La condamnation à mort de l’abbé Ploquin est commuée en travaux forcés à perpétuité. Déporté, il est libéré en avril 1945.
Après Le jour le plus long, la plupart des soldats américains font route au plus vite vers le Rhin et le Reich. Cependant, après la percée d’Avranches, l’armée du général Patton se dirige vers l’ouest et libère les villes bretonnes, sauf Lorient et Saint-Nazaire : de part et d’autre de l’estuaire, jusqu’à La Roche-Bernard, jusqu’à Pornic se constitue une zone de résistance allemande pour empêcher les Alliés
d’utiliser le port : près de 130 000 civils sont « empochés ».
Nantes est libérée dans le calme par les Américains le 12 août avec l’aide des FFI : les Allemands avaient quitté la ville. L’accueil réservé aux GI aurait été moins chaleureux que celui reçu par les Sammies en 1917. On peut penser que les Forteresses volantes américaines qui ont lâché près d’un millier de bombes les 16 et 23 septembre 1943, détruisant le centre-ville de Nantes et tuant 1500 Nantais, ont marqué durablement l’opinion.
La reddition de la poche de Saint-Nazaire a lieu le 8 mai 1945, jour de la capitulation de l’Allemagne nazie. La signature se déroule à l’hippodrome de Bouvron le 11.
Uniformes, gants blancs, serrements de mains… : le 11 mai 1945, la capitulation prend l’allure d’un rituel très ancien.
Auguste Pageot, maire de Nantes de 1935 à 1940, a exprimé, lui, dès le 13 août 1944, son agacement et sa frustration devant « cette amazone lyonnaise qui apporte les ukases d’Alger » : Lucie Aubrac participait à l’installation à Nantes du CDL.
L’évêque Villepelet rappelle à son clergé le 23 septembre 1944 : « Il n’y a plus à tenir compte de l’obligation imposée depuis 1942 aux paroisses de ne plus délivrer des actes de baptêmes antérieurs à 1900 ».
*Didier Guyvarc’h est Maitre de conférences honoraire d’histoire contemporaine à l’Université de Rennes 2 Il est l’auteur de plusieurs ouvrages sur l’histoire de Nantes, de la Bretagne et notamment de plusieurs notices du Dictionnaire de Nantes, PUR également publiées sur le site Nantes Patrimonia. Il est le co-auteur de En vie, En joue, Enjeux – Les 50 Otages, éditions du CHT