Le dimanche 13 octobre s’est déroulé à Indre la commémoration en hommage à Eugène et Léoncie Kérivel, Lucien Leloir et Alphonse Guihot tous résistants indrais.
Après un moment de recueillement devant la stèle dédiée aux époux Kérivel quai Jean Bart, le cortège précédé par l’Harmonie municipale est parti en direction du Monument aux morts en traversant le célèbre marché d’Indre. Monsieur Anthony Berthelot maire d’Indre, Madame Carole Grelaud maire de Couëron, Monsieur Christian Retailleau président du Comité Départemental et Serge Adry président du Comité de Châteaubriant étaient présents ainsi que les corps constitués.
De nombreux élèves de CM2, d’enseignants, d’Indrais, de responsables d’associations indraises et d’adhérents du comité, au total près de 150 personnes, ont assisté à cette cérémonie.
Après les dépôts de gerbes au Monument aux morts, tout le monde s’est retrouvé sur le parvis de l’église.
Les petits enfants de Pascale et Thierry Diquelou ont lu le poème « Les fusillés de Châteaubriant » de René Guy Cadou.
Ensuite est venu le temps de l’évocation artistique interprétée par Claudine Merceron et Pascal Gillet. Qui ont lu les apologies des 3 résistants puis la lettre de Guy Môquet et un texte lié au droit de vote des femmes en 1946.
Le président du Comité du Souvenir d’Indre Jean-Luc Le Drenn a poursuivi avec l’allocution du Comité.
https://resistance-44.fr/wp-content/uploads/2024/11/Allocution-Comite-Indre-13-Octobre-2024-1.pdf
Pour terminer cette belle commémoration orchestrée par notre jeune maître de cérémonie Clément Leparoux, la chanson de Jacques Higelin « La croisade des enfants » a été interprétée par Claudine, Pascal et Jean-René Kirion.
Dès le soir de la fusillade, ce 22 octobre 1941, des Castelbriantais vont dans la carrière selon le témoignage de l’instituteur de Saint-Aubin-des-Châteaux Joseph Autret. A la Toussaint, de nombreux visiteurs s’y rendent, de même que les années suivantes, bravant l’Occupant : une photo de 1943 en témoigne.
Le dimanche 6 août 1944, deux jours après la Libération de la ville, une cérémonie d’hommage a lieu à la Carrière. Une foule nombreuse y assiste. Alors que la guerre n’est pas terminée, le 22 octobre 1944 a lieu une grandiose cérémonie dans ce lieu désormais nommé La Sablière. Une foule immense y participe : ils sont 80 000 selon la presse nantaise et L’Humanité.
Le matin à 9h, deux messes sont célébrées : l’abbé Gris en l’église Saint-Nicolas et le curé Moyon à Béré exaltent l’esprit de sacrifice des martyrs.
A 11h, Paul Huard, président de la délégation municipale provisoire, accueille à la mairie Fernand Grenier, « qui fut le compagnon de captivité des fusillés » et les personnalités, avant d’inaugurer en présence d’un détachement de FFI (Forces françaises de l’Intérieur) la rue des 27-Otages et la rue Guy-Môquet.
A 14h30, un immense cortège part de la mairie et se rend à La Sablière où la foule est déjà rassemblée autour des familles des fusillés, devant les neuf po-teaux réunis par une longue banderole tricolore et autour du monument érigé au centre de la carrière, orné de l’emblème de la faucille et du marteau, sur lequel les noms des 27 martyrs sont gravés. Dans un silence impressionnant, l’appel des 27 noms est ponctué par le tragique « Mort pour la France ».
Puis vient le temps des discours, d’abord celui de Daniel Trellu pour les Jeunesses communistes, puis du colonel Robert Courtois, commandant des FFI, du capitaine Maurice Schumann, pour la France combattante, de Michel Debré, commissaire de la République, du député Fernand Grenier et pour conclure, de Marcel Cachin, sénateur et directeur de L’Humanité. Leur message commun : vaincre le nazisme – Hitler n’a pas encore capitulé, achever la libération de la France, et travailler à un avenir meilleur.
La Marseillaise est entonnée par 80 000 voix, suivie des hymnes américain et anglais interprétés par l’Harmonie municipale, puis de L’Internationale. Pour beaucoup, la Sablière devient « un lieu de pèlerinage » comme le proclame l’affiche éditée par le Comité parisien de Libération.
A Nantes aussi
L’hommage se tient sur le cours Saint-André autour d’un cénotaphe, après une messe suivie de quatre discours. Le représentant du général de Gaulle, chef du Gouvernement provisoire de la République Française (GPRF) est le ministre de l’Air Charles Tillon, l’ancien chef des FTP, (par ailleurs, ancien ouvrier aux Batignolles et syndicaliste CGTU). Il sera présent l’après-midi à Châteaubriant. Ce 22 octobre 1944, la délégation municipale provisoire dirigée par Clovis Constant prend la décision de faire construire un monument commémoratif aux otages fusillés et de dénommer un axe de la ville « cours des 50 otages ». Le monument conçu par Marcel Fradin avec des sculptures de Jean Mazuet sera inauguré en 1952.
et dans la région parisienne
Plusieurs manifestations ont lieu à Paris où 18 rues ou places reçoivent le nom d’un martyr de Châteaubriant et sept villes de banlieue rendent hommage à un élu ou un syndicaliste.
POUR EN SAVOIR PLUS
En vie, En joue, En jeux
Didier Guyvarc’h & Loïc Le Gac
Editions du CHT
Ces deux phrases ont beaucoup été entendues en juin 2024 entre les deux tours des élections législatives, convo-quées à la hâte après la dissolution de l’Assemblée nationale par le président de la République, Emmanuel Macron, à la suite de son double échec à l’élection européenne du 9 juin puis au premier tour de l’élection législative du 30 juin qui a vu la montée de l’extrême droite, la propulsant aux portes du pouvoir.
Ces deux phrases sont deux vers du poème sans strophe La Rose et le Réséda, écrit par Louis Aragon. Elles composent un sizain (groupe de six vers) avec les vers suivants : Quand les blés sont sous la grêle / Fou qui fait le délicat / Fou qui songe à ses querelles / Au cœur du commun combat et les deux autres vers qui reviennent sans cesse comme un refrain : Celui qui croyait au ciel / Celui qui n’y croyait pas.
Le poème célèbre le courage des hommes qui dépassèrent leurs croyances et convictions personnelles pour se rassembler et œuvrer ensemble à la libération de la France pendant l’Occupation allemande durant la Seconde guerre mondiale. Communistes et catholiques, en particulier, les deux grandes familles de la Résistance, se retrouvèrent pour com-battre ensemble, au péril de leur vie, dans l’espoir de « jours heureux ».
La «rose» c’est le rouge qui symbolise le communisme, le «réséda» c’est le blanc qui symbolise le catholicisme. Rien à voir avec la botanique dans ce poème.
Ecrit en 1942, il a d’abord paru le 11 mars 1943, dans la page littéraire que Stanislas Fumet dirigeait dans le journal Le Mot d’ Ordre, à Marseille, puis dans le numéro spécial de Messages que Jean Lescure publia à Genève sous le titre Domaine français. Il fut de nouveau publié en 1944 dans le recueil La Diane Française avec une dédicace « A Gabriel Péri et d‘Estienne d’Orves comme à Gilbert Dru et Guy Môquet »*. Appel à s’unir, le poème rend hommage à ces quatre hommes, deux communistes et deux catholiques, dont les noms sont croisés dans la dédicace, fusillés par les nazis avec la complicité du régime de Pétain.
Appel à l’union pour la liberté, il est aussi porteur d’espoir.
Le poème est construit sur une double lecture du texte. En apparence, il évoque un conte médiéval. Une histoire de preux chevaliers : deux hommes viennent libérer une «belle / Prisonnière » en « haut de la citadelle ». Il fait aussi penser à un contre populaire à la Charles Perrault.
Après la défaite de 1940, Louis Aragon puise dans les poèmes médiévaux évoquant la Table ronde et ses chevaliers pour réactiver un modèle héroïque de nature à incarner la Résistance face au nazisme. Les raisons de ce parti pris sont à la fois littéraires et politiques. Dans les poèmes qui composent Brocéliande déjà, Aragon a remis le mythe arthurien sur pieds pour faire rêver, mais surtout pour faire agir et donner à l’action cohérence et unité.
Incidemment cette référence a pu servir à brouiller les pistes et tromper la vigilance de la censure. Aragon, résistant de la première heure était clandestin et recherché. Mais il faut lire entre lignes : il ne s’agit ni d’un conte, ni du Moyen Age mais de la France occupée. C’est un « poème de contrebande», un appel à l’unité de la Résistance au-delà des différences religieuses, philosophiques ou politiques de celles et ceux qui ont dit non. Un appel à trouver ce que les uns et les autres ont en commun plutôt que ce qui les divise.
On notera que cette stratégie, déjà à l’œuvre avec l’appel dès 1941 à la création d’un Front national de lutte pour la liberté et l’indépendance de la France, est à la base de la création du Conseil national de la Résistance en 1943.
En fait, les chevaliers sont des résistants et la belle à libérer est la France prisonnière des Allemands. Les quatre hommes de la dédicace ont pour point commun la lutte pour la liberté de leur pays. Outre le refrain qui présente un duo, le texte com-prend de nombreuses indications de la communauté de combat de ces hommes. Le poème multiplie les formulations com-me «Tous deux », «Tous les deux », «aucun des deux ». L’auteur les montre indissociables : «lequel», «l’un», «l’autre»
Le poème évoque également les affres de la guerre : « Quand les blés sont sous la grêle », les terribles conditions de déten-tion des résistants arrêtés : grabat, rats, gèle. Et les fusillades : « La sentinelle tira/Par deux fois et l’un chancelle/ L’autre tombe qui mourra ».
Le poème porte aussi l’espoir de jours meilleurs : les résistants morts sont des graines. Leur sang « se mêle / A la terre / pour qu’à la saison nouvelle / Mûrisse un raisin muscat » La joie reviendra, on dégustera des « framboises » et des « mirabelles ». Le « grillon» qui symbolise la paix « rechantera ». Ce qui rappelle le slogan « Pour des lendemains qui chantent » souvent mentionné par les fusillés dans leurs dernières lettres.
Aragon lui-même parle de ce poème comme d’une «chanson ». C’est en apparence un poème «facile» avec son mètre régulier. On est d’emblée frappé par la répétition du distique : « Celui qui croyait au ciel / Celui qui n’y croyait pas », qui constitue une sorte de refrain. Le fait qu’un poème donne l’impression d’être une chanson s’inscrit dans la tradition. Les premiers poètes dans l’Antiquité puis les troubadours au Moyen Age s’accompagnaient d’instruments de musique.
Le poème contient lui-même une musicalité. Non seulement par le refrain mais par sa forme : rimes en el et a, vers réguliers (heptasyllabes), effets de sonorité multiples avec les allitérations, les anaphores (répétition d’un même mot ou groupe de mots). Cette musicalité facilite la mémorisation et la diffusion.
« La poésie a pris le maquis » a écrit Paul Eluard. Aragon est l’un de ces poètes qui eurent les mots pour armes, rassemblés dans L’Honneur des poètes, titre d’un recueil préparé par Pierre Seghers, Paul Eluard et Jean Lescure, publié en 1943 par les éditions de Minuit clandestines. Cette publication réunit 22 poètes.** Le 1er mai 1944, un second ouvrage fut publié sous le titre L’Honneur des poètes II, aux éditions de Minuit. En 1974, Pierre Seghers a publié un ouvrage plus complet, réédité en 2022 : La Résistance et ses poètes (2 tomes : récit & anthologie).
En 1947, un court métrage intitulé La Rose et le Réséda a été réalisé, à l’initiative du CNR, par André Michel, musique de Georges Auric dans lequel Jean-Louis Barrault interprète le poème d’Aragon. Conservé par l’INA, on le trouve sur internet. On y trouve aussi une lecture par Aragon lui-même en 1943.
Des chanteurs ont interprété le poème : Marc Ogeret, Juliette Gréco, Bernard Lavilliers, le groupe La Tordue
** L’ouvrage a été réédité en 2014 par Le temps des Cerises
POUR ALLER PLUS LOIN
D’Aragon, poète de la Résistance, on lira :
Le Crève-cœur
Les Yeux d’Elsa
La Diane Française
Œuvres poétiques complètes, Gallimard, La Pléiade
A Gabriel Péri et d’Estienne d’Orves comme à Guy Môquet et Gilbert Dru.
Celui qui croyait au ciel
Celui qui n’y croyait pas
Tous deux adoraient la belle
Prisonnière des soldats
Lequel montait à l’échelle
Et lequel guettait en bas
Celui qui croyait au ciel
Celui qui n’y croyait pas
Qu’importe comment s’appelle
Cette clarté sur leur pas
Que l’un fût de la chapelle
Et l’autre s’y dérobât
Celui qui croyait au ciel
Celui qui n’y croyait pas
Tous les deux étaient fidèles
Des lèvres du coeur des bras
Et tous les deux disaient qu’elle
Vive et qui vivra verra
Celui qui croyait au ciel
Celui qui n’y croyait pas
Quand les blés sont sous la grêle
Fou qui fait le délicat
Fou qui songe à ses querelles
Au cœur du commun combat
Celui qui croyait au ciel
Celui qui n’y croyait pas
Du haut de la citadelle
La sentinelle tira
Par deux fois et l’un chancelle
L’autre tombe qui mourra
Celui qui croyait au ciel
Celui qui n’y croyait pas
Ils sont en prison Lequel
A le plus triste grabat
Lequel plus que l’autre gèle
Lequel préfèrent les rats
Celui qui croyait au ciel
Celui qui n’y croyait pas
Un rebelle est un rebelle
Nos sanglots font un seul glas
Et quand vient l’aube cruelle
Passent de vie à trépas
Celui qui croyait au ciel
Celui qui n’y croyait pas
Répétant le nom de celle
Qu’aucun des deux ne trompa
Et leur sang rouge ruisselle
Même couleur même éclat
Celui qui croyait au ciel
Celui qui n’y croyait pas
Il coule il coule il se mêle
A la terre qu’il aima
Pour qu’à la saison nouvelle
Mûrisse un raisin muscat
Celui qui croyait au ciel
Celui qui n’y croyait pas
L’un court et l’autre a des ailes
De Bretagne ou du Jura
Et framboise ou mirabelle
Le grillon rechantera
Dites flûte ou violoncelle
Le double amour qui brûla
L’alouette et l’hirondelle
La rose et le réséda
Gabriel PERI, né en 1902, journaliste à L’Humanité et député communiste, fusillé le 15 décembre 1941 avec 94 autres otages au Mont-Valérien, à Caen et à La Blisière près de Châteaubriant.
Henri HONORE D’ESTIENNE D’ORVES, né en 1901, officier de marine, a répondu à l’Appel du 18 juin et rallié Londres. Il a réalisé, depuis Nantes, la première liaison radio avec Londres. Fusillé sur dénonciation le 29 août 1941.
Guy MÖQUET, militant des Jeunesses communistes, interné dans le camp de Choisel, fusillé le 22 octobre 1941 avec 26 autres Otages à Châteaubriant, 16 à Nantes et 5 au Mont-Valérien : « Les 50 Otages ». Il avait 17 ans.
Gilbert DRU, né en 1920, militant de la Jeunesse étudiante chrétienne à Lyon, fusillé le 27 juillet 1944 à Lyon. Sa fiancée a confié à Aragon, qu’il avait dans sa poche le poème Brocéliande lors de son arrestation.
Par une heureuse coïncidence, l’hommage rendu chaque année aux syndicalistes victimes de la barbarie nazie a été fixé cette année au 6 juin. Une cinquantaine de militants se sont rassemblés à midi à Nantes dans le hall de la Maison des syndicats, dans l’ancienne gare de l’Etat, face aux plaques mémorielles.
Etaient également présents Stéphane Carreca, secrétaire de l’UL CGT, organisatrice, Céline Pella, co-secrétaire départementale de la FSU, Christian Retailleau, président du Comité départemental du souvenir – Résistance 44 et Robin Salecroix, élu représentant la maire de Nantes. Les porte-drapeaux du Comité du souvenir, Christophe André et de l’ADIRP, Yves Bourbigot encadraient les plaques au pied desquelles des gerbes ont été déposées au nom de la FSU (par Annabel Cattoni), du Comité du souvenir, de la CGT (Nelly Goyet et Chrystelle Savatier), et de la municipalité. Jacqueline Gouillard et Fabien Laidin ont rendu à deux voix un émouvant hommage aux 181 syndicalistes dont les noms sont gravés dans le marbre en présence des petits-fils de Philippe Huchet et Vincent Mazan.
La date imposait le rappel qu’ « il y a 80 ans jour pour jour, les forces alliées débarquaient sur les plages de Normandie entamant la libération de l’Europe de l’ouest. Quelques semaines plus tard, le 22 juin sur le front de l’Est, l’armée soviétique engageait l’opération Bagration qui devait conduire l’Armée rouge jusqu’à Berlin, entraînant la capitulation de l’Allemagne nazie le 8 mai 1945. » Les hommes dont les noms figurent sur ces plaques ont fait le choix du refus de l’occupation, de l’asservissement, celui « de lutter pour l’émancipation du genre humain et pour un avenir meilleur. »
Cette année, le choix a été fait de mettre en lumière l’un des 181 : Alex Auvinet, jeune ajusteur-fraiseur à la SNCAO de Château-Bougon (ancêtre de l’Aérospatiale). Appartenant au groupe de Francs-Tireurs et Partisans (FTP) dirigé par Jean Fraix, il a participé à de nombreuses actions contre l’occupant. Refusant d’aller travailler en Allemagne et contraint d’entrer dans la clandestinité, dénoncé, il est arrêté et exécuté le 1er juin 1943 au Mans avec 10 autres FTP. Il avait 22 ans. Jacqueline Gouillard a lu sa dernière lettre avec beaucoup de force et de sensibilité.(lire ci-après).
Les racines de l’engagement dans la Résistance de ces syndicalistes, souvent très jeunes, ont été rappelées. Elles plongent dans les luttes sociales des Batignolles, de Château-Bougon, de l’arsenal d’Indret, des chantiers navals et usines de Chantenay, de Rezé. « Ils étaient engagés lors des grèves de 1936 alors que les patrons criaient « Mieux vaut Hitler que le Front populaire ». Engagement aussi dans les luttes antifascistes. «L’engagement dans la Résistance fut précoce : le cheminot Marin Poirier, dont le nom figure sur ces plaques, fut le premier fusillé nantais le 30 août 1941. »
Après avoir rappelé l’aide active apportée par la Collaboration et le gouvernement de Pétain à la répression contre les Résistants, Jacqueline Gouillard s’écrie : « N’oublions jamais que l’extrême droite a bel et bien été au pouvoir en France entre 1940 et 1944. Ne laissons pas l’histoire se répéter. » Fabien Laidin évoque alors le combat des FTP et la terrible répression de 1943 à la suite des procès des 42 et des 16 « Avec 331 fusillés et près de 900 déportés politiques, la Loire-Atlantique a payé un lourd tribut. » Pour autant, poursuit-il « leur lutte et leur sacrifice n’ont pas été vains » citant la création du CNR, l’adoption de son programme, les conquêtes de la Libération. Jacqueline Gouillard fustige la destruction méthodique de ces conquis sociaux et élargit la focale aux conflits dans le monde et aux luttes des peuples de l’Ukraine à la Palestine et ailleurs. La Marseillaise et Le Chant des partisans – dans la puissante interprétation des Stentors – concluent cette émouvante cérémonie.
Annexe
Dernière lettre d’Alex AUVINET
Chère maman,
Je viens ici te causer une grande peine en t’annonçant que je vais être fusillé demain, mais si tu peux, au contraire, être fier de ton fils qui tombe sous les balles allemandes, les balles fascistes, c’est-à-dire sous les balles des capitalistes … Ceci ne me fait pas de peine de mourir et, console-toi, maman chérie, en te disant que c’est pour la bonne cause, pour délivrer le genre humain que notre sang va couler. Je serai probablement enterré dans la région du mans. Si, après guerre, il est possible de me faire transporter à Montaigu, sans occasionner trop de frais, cela me ferait bien plaisir.
Voilà la nuit qui entre dans ma cellule et je n’y vois plus. Il n’est pourtant que 7 h. Dans 12 heures, je ne serai probablement plus de ce monde, mais je ne regrette rien de la vie. Si ce n’est vous tous que j’aime, et que j’embrasse bien fort, ma petite sœur, Robert, Michelle, et toi maman chérie.
Je meurs pour que vive la France. Vive le Parti communiste. Vive l’URSS.
Alex
82e anniversaire des « procès » des 42 et des 16
Samedi 25 janvier à 11h00 au terrain du Bêle à Nantes
Samedi 25 janvier à 14h30 à Sainte-Luce-sur-Loire : hommage à Jean et Renée Losq
Dimanche 26 janvier à 11h00 à La Chapelle-Basse-Mer (Divatte-sur-Loire) : hommage aux
Républicains espagnols
Dimanche 23 février à 10h30 à Rezé : hommage aux fusillés rezéens
Hommage aux syndicalistes résistants
Jeudi 6 février à 12h00 devant les plaques mémorielles à la Maison des syndicats à Nantes :
83e anniversaire de l’exécution de Pierre Semard
Vendredi 7 mars à 11h00 à la gare SNCF de Nantes
80e anniversaire de la libération du camp de Buchenwald
Vendredi 11 avril à 17h00 au cimetière de la Chauvinière
Journée nationale de la Déportation
Dimanche 27 avril à Nantes, Rezé, Sainte-Luce-sur-Loire
Journée nationale de la Résistance
Mardi 27 mai à Nantes, Châteaubriant, Indre, Saint-Nazaire, Trignac
Hommage à Jean de Neyman
Samedi 30 août à 16h00 (à confirmer) à Saint-Nazaire
84e anniversaire de l’exécution des 50 Otages
Dimanche 12 octobre à 9h45 à Indre : hommage à Eugène et Léoncie Kérivel
Vendredi 17 octobre à 18h45 à Nantes : Veillée du Souvenir au Monument aux 50 Otages
Samedi 18 octobre à 14h30 à Châteaubriant : cérémonies à la stèle de Choisel et au château
Dimanche 19 octobre
La Blisière à 10h00 : hommage aux 9 fusillés du 15 décembre 1941
La Sablière à 13h30 : hommage aux 27 fusillés
Mercredi 22 octobre à 10h00 à Nantes : cérémonies officielles au Monument aux 50 Otages,
au terrain du Bêle et au cimetière de la Chauvinière
Ancenis libérée le 5 août 1944, Nantes le 12 août 1944, Saint-Nazaire et Pornic le 11 mai 1945…
Le mot Libération s’est imposé dans les grands repères mémoriaux français. L’hésitation sur la date confirme son statut de lieu de mémoire. De la Libération, on retient des images : jeunes filles souriant aux Américains, juchées sur un tank, objet éminemment symbolique, jeunes hommes ayant peint sur leurs tractions Citroën leur appartenance aux héros du jour, les FFI. Mais l’image peut se ternir avec les femmes tondues, réputées « collaboratrices horizontales ».
Relent d’un temps où les Français ne s’aimaient pas, la Libération est un révélateur des clivages nés de la guerre, et aussi des espoirs mûris dans la clandestinité. La revendication du droit aux jours heureux est le produit de l’expérience de ces Français qui ont été prisonniers, évacués, réfugiés, déportés, sinistrés, « empochés ». Ces longues années d’épreuves, de sang, de larmes, parfois d’inhumanité, fondent les aspirations à changer la vie.
La Libération est un épisode de l’histoire de la France et de ses Alliés, elle est aussi et surtout ce moment particulier où le « faire nation » à la française s’interroge sur sa régénération.
L’horizon d’attente des Français se construit autour de l’idée de débarquement mise en œuvre par les Anglo-américains le 8 novembre 1942 en Afrique du Nord. Deux fois par jour, Radio Londres émet Les Français parlent aux Français et permet de suivre l’évolution des fronts. Mais cette guerre des ondes – attestée par la rengaine Radio Paris ment, Radio Paris est allemand– se retourne partiellement contre l’émetteur et l’auditoire qui par la force de la répétition sont convaincus de l’imminence d’un débarquement en Europe. Observant l’état de l’opinion publique, le commissaire des Renseignements généraux de Nantes estime le 29 juin 1943 que « beaucoup dans cette région craignent une attaque des côtes atlantiques » ; trois mois plus tard, il réitère son jugement : « Quant au débarquement sur les côtes françaises, qui il y a deux mois paraissait être sorti des préoccupations de l’opinion publique, il est de nouveau envisagé avec de plus en plus d’acuité ». Cette versatilité apparente de l’opinion traduit son anxiété et la lecture difficile de situations contradictoires : redouter ou espérer le débarquement ? Le doute et l’incertitude incitent à l’attentisme.
L’idée de « régénération », dans ses références à la première année révolutionnaire de 1789, peut être utilisée pour approfondir le sens de l’engagement, l’émergence de propositions pour l’avenir. Ainsi, le 15 mars 1944, le programme du CNR est publié. Ce texte fondateur revendique un rôle matriciel pour le futur régime politique français. Cinq années de violences, de prises de risques seraient-elles les fondements de l’État-providence ?
La régénération du Parti communiste à partir de 1941 lui permet de sortir de l’isolement. L’attaque allemande de juin 1941 sur l’URSS change le programme du Parti : il abandonne l’idée de guerre impérialiste, prend un tournant plus patriotique, ce qui contribue au rapprochement des communistes avec le chef de la France Libre. Quelques jours après l’exécution des 50 Otages, De Gaulle s’adresse, sans les nommer, aux militants communistes, « ces Français, écartés de la Nation par l’injustice qui les révoltait et l’erreur qui les dévoyait » ; il leur propose d’utiliser cette occasion pour « rentrer dans l’unité nationale ». L’historien Pierre Nora évoque « ce moment de gaullo-communisme ».
Les FTP pratiquent, malgré les réticences du Parti et de l’Internationale, l’attentat individuel. L’année 1942 est de ce point de vue la plus intense en Loire-Inférieure : 83 attentats commis contre des lieux ou des personnes, trois exécutions de militaires allemands, trois exécutions de collaborateurs. L’année 1943 est plus calme, tout comme 1944. L’explication tient à l’ampleur des pertes subies par les jeunes résistants communistes nantais face à la milice de Darnand et à la police allemande.
Les Nantais, informés par la TSF et les journaux collabos, surveillés par la police des RG, vivent une tension contradictoire. Ils espèrent un débarquement sur les côtes normandes ou bretonnes, mais redoutent « l’anéantissement pur et simple de tout ce qui se trouve devant eux ».
Le 13 janvier 1943, Hitler proclame la « guerre totale ». La Loire-Inférieure subit déjà la prédation allemande comme les autres territoires occupés. Le pillage n’est pas estimé suffisant et le Service du Travail Obligatoire est créé. En Loire-Inférieure les réfractaires se regroupent dès janvier 1943 à Bouvron, Blain, Campbon. Le chef du groupe du maquis de Bouvron est l’abbé Henri Ploquin, vicaire. Les jeunes qui cherchent soit à « se planquer », soit à se battre, sont formés par les aînés. En mai 1944, ils mènent des expéditions contre les collaborateurs, des sabotages. Dans ses Souvenirs, l’abbé Ploquin note : « Et voici le débarquement allié dans le Calvados le 6 juin 1944. Nous attendions des ordres de mission que nous ne recevons pas. » La Libération de la France est entamée, les Alliés ont débarqué en Normandie, selon De Gaulle « la bataille suprême est engagée ». Ceux du maquis de Bouvron gagnent Saffré. Le 28 juin 1944, ils sont attaqués par les Allemands ; le rapport de force est très inégal : « 300 maquisards, mal armés, désorganisés, ne connaissant pas le responsable du maquis, s’affrontent à 2500 Allemands ». 35 sont arrêtés, transférés à la prison La Fayette à Nantes, jugés, 30 sont condamnés à mort, 27 fusillés à La Bouvardière. La condamnation à mort de l’abbé Ploquin est commuée en travaux forcés à perpétuité. Déporté, il est libéré en avril 1945.
Après Le jour le plus long, la plupart des soldats américains font route au plus vite vers le Rhin et le Reich. Cependant, après la percée d’Avranches, l’armée du général Patton se dirige vers l’ouest et libère les villes bretonnes, sauf Lorient et Saint-Nazaire : de part et d’autre de l’estuaire, jusqu’à La Roche-Bernard, jusqu’à Pornic se constitue une zone de résistance allemande pour empêcher les Alliés
d’utiliser le port : près de 130 000 civils sont « empochés ».
Nantes est libérée dans le calme par les Américains le 12 août avec l’aide des FFI : les Allemands avaient quitté la ville. L’accueil réservé aux GI aurait été moins chaleureux que celui reçu par les Sammies en 1917. On peut penser que les Forteresses volantes américaines qui ont lâché près d’un millier de bombes les 16 et 23 septembre 1943, détruisant le centre-ville de Nantes et tuant 1500 Nantais, ont marqué durablement l’opinion.
La reddition de la poche de Saint-Nazaire a lieu le 8 mai 1945, jour de la capitulation de l’Allemagne nazie. La signature se déroule à l’hippodrome de Bouvron le 11.
Il y a plusieurs façons de sortir de guerre.
Uniformes, gants blancs, serrements de mains… : le 11 mai 1945, la capitulation prend l’allure d’un rituel très ancien.
Auguste Pageot, maire de Nantes de 1935 à 1940, a exprimé, lui, dès le 13 août 1944, son agacement et sa frustration devant « cette amazone lyonnaise qui apporte les ukases d’Alger » : Lucie Aubrac participait à l’installation à Nantes du CDL.
L’évêque Villepelet rappelle à son clergé le 23 septembre 1944 : « Il n’y a plus à tenir compte de l’obligation imposée depuis 1942 aux paroisses de ne plus délivrer des actes de baptêmes antérieurs à 1900 ».
*Didier Guyvarc’h est Maitre de conférences honoraire d’histoire contemporaine à l’Université de Rennes 2 Il est l’auteur de plusieurs ouvrages sur l’histoire de Nantes, de la Bretagne et notamment de plusieurs notices du Dictionnaire de Nantes, PUR également publiées sur le site Nantes Patrimonia. Il est le co-auteur de En vie, En joue, Enjeux – Les 50 Otages, éditions du CHT
par Julie Blondel*
Au cours du mois de juin 1944, l’Allemagne fait face à une vaste offensive alliée coordonnée à l’Ouest, avec le débarquement en Normandie le 6 juin 1944 (opération Overlord), et à l’Est, avec la percée soviétique lors de l’opération Bagration le 22 juin 1944. Avec ces deux opérations décidées lors de la conférence de Téhéran (1943), les Alliés mobilisent près de cinq millions de soldats pour prendre l’Allemagne en étau et accélérer la libération de l’Europe.
Tolstoï écrivait dans Guerre et Paix (tome 1, chapitre XVII) « Le prince Bagration atteignit le point culminant de notre aile droite et redescendit vers la plaine, où continuait le bruit de la fusillade et où l’action se dérobait derrière l’épaisse fumée qui l’enveloppait, lui et sa suite. Ils ne voyaient rien encore distinctement, mais à chaque pas en avant ils sentaient de plus en plus vivement que la vraie bataille était proche. » Cet épisode s’est soldé par la déroute des forces napoléoniennes (1812) face aux troupes du tsar, Alexandre Ier de Russie. Staline, en faisant le choix du nom de Bagration pour la dernière grande offensive de la guerre, rappelle ses propres origines géorgiennes et salue la force de l’armée russe devenue soviétique.
Trois ans jour pour jour après l’opération allemande Barbarossa, Staline tient sa revanche. Cette offensive soviétique s’inscrit dans un triptyque gagnant pour l’armée rouge. La bataille de Stalingrad, qui a vu l’armée allemande du général Paulus capituler le 2 février 1943, est un tournant psychologique, la Wehrmacht n’est pas invincible. La Bataille de Koursk en juillet 1943 est un tournant stratégique, les Allemands passent définitivement sur un mode défensif. Et enfin, l’opération Bagration, tournant militaire, sonne la première vraie victoire soviétique, l’armée allemande ne pourra plus compenser ses pertes.
Avant l’offensive, les services secrets de Staline ont astucieusement manipulé le renseignement allemand : certain que la prochaine grande offensive soviétique aurait lieu au Sud, Hitler avait dégarni le front du groupe d’armées « Centre » en transférant le gros de ses blindés vers l’Ukraine, au Sud.
L’opération Bagration, supervisée par le maréchal Joukov, a pour objectif de détruire le groupe d’armées Centre de la Wehrmacht, commandé par le maréchal Ernst Busch, stationnée en Biélorussie. Les Soviétiques déploient ainsi une force considérable : 2,3 millions d’hommes contre 800 000 du côté ennemi, 4 000 blindés contre 500, 6 500 avions contre 800 et 24 000 canons contre 8 500.L’Armée rouge avance sur plus de 1 000 kilomètres, développant quatre fronts simultanés.
Le groupe d’armées Centre est très rapidement submergé. Dès le 26 juin 1944, Vitebsk est encerclée et, le 3 juillet suivant, Minsk est prise par les troupes soviétiques. En trois semaines, 28 divisions allemandes sont mises hors de combat, 31 des 47 généraux de division ou du corps d’armée du groupe Centre sont tués ou faits prisonniers. Et le 17 juillet 1944, Staline organise à Moscou un défilé de 57 000 prisonniers de guerre allemands.
Ernst Busch est alors remplacé par Walter Model, surnommé le « pompier d’Hitler », qui parvient à ralentir l’avancée soviétique. Mais en faisant monter des divisions de Panzer sur le territoire biélorusse, il dégarnit le front Sud et permet à la Stavka , l’état-major de l’Armée rouge, de lancer le 13 juillet l’opération Lvov-Sandomir et l’opération Kovel-Lublin quatre jours plus tard.
Le 24 juillet 1944, les Soviétiques occupent Lublin, en Pologne. Le 1er août, Sandomir tombe à son tour. Staline souhaite faire de Lublin le siège du gouvernement polonais pro-soviétique pour la Pologne libérée. Pourtant, lorsque Varsovie se soulève le 1er août à l’approche de ses chars, Staline fait stopper Bagrationdans les faubourgs même de la capitale polonaise. En effet, il ne souhaite pas tant libérer la Pologne que se débarrasser de la résistance indépendantiste par le biais des Allemands. Malgré 63 jours de combats dans Varsovie, pas un seul obus ne sort du canon des chars soviétiques, stationnés de l’autre côté du fleuve, et l’insurrection est écrasée par les Allemands.
La Wehrmacht reprend donc la capitale polonaise mais cette petite victoire ne changera pas le cours de la guerre et la défaite allemande se rapproche.
À la mi-août, l’Armée rouge atteint les bords de la Vistule et la Biélorussie est totalement libérée.
Achevée le 19 août 1944, après deux mois d’intenses combats, l’opération Bagration constitue un très grand succès pour l’Armée rouge : elle a progressé de plus de 600 kilomètres, parvenant presque à libérer le territoire de l’URSS antérieur à l’invasion allemande de 1941. Les troupes soviétiques ont ainsi repris la Biélorussie, une partie de la Pologne et les pays Baltes. Elles stationnent désormais à la frontière du Grand Reich, ouvrant la voie de l’Allemagne et de Berlin.
L’opération Bagration a joué un rôle décisif dans la fin de la seconde guerre mondiale mais s’apparente également à « la première passe d’armes de la guerre froide » comme l’écrit Jean Lopez dans son livre Opération Bagration, La revanche de Staline (été 44). En cet été 1944, le but des Alliés n’est pas seulement de vaincre Hitler, il est aussi de préparer la reconfiguration de l’Europe au lendemain de la guerre.
*Julie BLONDEL professeure d’histoire-géographie
Près de La Baule le 02 septembre 1944
Mes chéris,
Nous voici donc en septembre, au début de la sixième année de ce cauchemar, qui semble heureusement ne plus devoir être bien long à se dissiper. Déjà, pour vous vont disparaître les angoisses de cette sorte de siège par la famine dont Paris souffre depuis si longtemps. Mais je sais que ce n’est rien devant l’immense soulagement moral de penser à la fin de l’infernale époque que nous vivons encore. Et les perspectives d’avenir, encore qu’incertaines, n’en sont pas moins lumineuses.
Moi-même, je suis heureux doublement, et pour mon compte personnel, et pour la joie de tant d’êtres qui en sont heureux. Pourtant, à cette atmosphère radieuse, il faut que j’apporte un nuage : il m’est arrivé ces derniers temps une rencontre fâcheuse qui va retarder peut-être longtemps le plaisir de nous voir.
Voici l’histoire en gros (vous aurez des détails ensuite).
Vers le 10 août, un jeune marin allemand, qui avait déserté, cherchait asile dans les parages de la ferme où j’avais élu domicile principal, depuis un mois à peu près. C’est moi qui le rencontrai d’abord, et, après une longue conversation, considérais que c’était un bon type qu’il serait inhumain de laisser reprendre et fusiller par les autorités militaires allemandes. Aussi je le vêtis en civil et demandais au fermier, Joseph Jergaud, de bien vouloir le nourrir à mes frais, pendant le temps (que nous supposions court) où les Américains ne seraient pas encore venus. Le gars se sentant en danger malgré tout, je lui donnais même un vieux revolver que j’avais trouvé dans la cave de ma maison en voulant enterrer mon poste radio. Tout se passa bien quelques jours, et j’eus même le plaisir de faire de bonnes parties d’échecs avec mon Fritz, ou plutôt Gerhardt, comme il se prénommait.
Par malheur, les américains ne venant pas, Gerhardt s’ennuyait et se montrait imprudent circulant autour de la ferme. Si bien qu’il fut pris par une patrouille avec son revolver en poche, et que je fus arrêté, ainsi que peu après tous les adultes de la ferme (Mme et M Jergaud, et un aide Jean Mercy que j’avais d’ailleurs comme à La Baule, alors que, mécanicien il prenait des leçons de sciences pour passer un concours naval). Nous fumes donc Gerhardt et moi d’abord en voiture à cheval, puis les autres en camion, conduit dans un camp entre Saint-Nazaire et Montoir, pour y être interrogés. Mme Jergaud fut relâchée, mais au bout de 8 jours, le 25 août.
Gerhardt, Jergaud et moi, nous passions devant un conseil de guerre, siégeant au camp de la marine Endras (entre Saint-Nazaire et La Baule). Comme je n’avais jamais voulu éviter mes responsabilités, et encore moins les rejeter sur le pauvre fermier, c’est évidemment moi qui fus condamné au maximum, et, tandis que Jergaud s’en tirait avec 2 ans de prison, je fut condamné comme Gerhardt. Il me restait encore une chance : le jugement devait être confirmé par le commandant de Saint-Nazaire, de sorte qu’au lieu d’être fusillé tout de suite, je fus conduit, à coté du tribunal, dans un pavillon ou j’ai attendu jusqu’à ce matin des nouvelles d’une sorte de pourvoi que j’avais formulé.
Voilà donc en résumé les événements, assez bêtes à certains points de vue, qui vont, je ne le crains que trop, vous faire tant de peine. Comme disait Heine :
Das ist das Los, das Menschenlos
Was schön sind gross, das nimmt’ein schlechtes Ende !
Maintenant, mes chéris, ne croyez pas que j’en suis bien affligé. Ah, pour ça, par exemple, il en faut davantage pour me faire perdre ma bonne humeur, et ces dernières semaines ont été bien agréables pour moi.
D’abord, il y a la joie d’avoir fait mon devoir ou, ce qui est la même chose, ce que je considérais comme mon devoir, envers et contre tous. Comme je l’ai expliqué aux juges, si le hasard met à côté de moi quelqu’un qui se noie, je ne me demande pas, en me jetant à l’eau, depuis combien de temps j’ai déjeuné.
Ensuite, il y a l’immense plaisir d’avoir pu, jusqu’au bout, faire du bien autour de moi. Passons sur Gerhardt. Ma connaissance de l’allemand m’a maintes fois permis d’être utile au 1er camp. J’ai également pu, et, c’est le principal, obtenir à peu près justice en ce qui concerne ceux qui n’avaient rien à voir dans l’affaire, Mercy et Jergaud. Sans parler du bien que j’ai pu faire en montrant une fois de plus aux Allemands que les Français ont le sens de l’honneur. Et mille détails qui me font penser aux vers de Kipling, traduits par moi-même pour compléter Maurois à la fin de son célèbre poème « Si… » :
Si tu peux, lorsque vient l’instant désespéré
De tout ce qu’il contient, tirer pourtant la somme,
Alors à toi, mon fils, est la Terre entière, et,
Bien plus, tu es un Homme !
Et puis, il faut que je l’avoue aussi, je suis heureux et fier du succès d’estime que j’ai remporté pendant mon jugement. Quand le président m’a demandé pourquoi j’avais recueilli Gerhardt, et si je ne savais pas que c’était interdit, et que j’ai répondu : « pour un Français c’est une question d’honneur d’aider celui qui demande de l’aide, et l’honneur est d’autant plus grand que l’on risque d’avantage » – quand, après le réquisitoire qui demandait la mort pour Jergaud et moi, et après la plaidoirie qui nous confondait aussi, on m’a demandé si j’avais quelque chose à ajouter et j’ai dit : « Je précise bien que, désirant dès le début conserver l’entière responsabilité de mon acte, je n’ai jamais dit à la ferme (où l’on ignore l’allemand) ce qu’était au juste Gerhart, de sorte que je suis seul responsable. » , – à ces moments il y a eu des murmures dans la salle et ce n’était pas de la moquerie. Et là où, je dois le dire, j’ai éprouvé l’une des plus puissantes impressions de bonheur de ma vie, ce fut, tout de suite après le jugement, quand j’ai entendu discuter sur moi les hommes de garde devant le couloir de ma cellule, Si vous aviez pu les entendre, mes chéris mon cœur eut éclaté de fierté joyeuse.
En plus de cela, il y a eu une foule de petits à cotés agréables, une foule étonnamment nombreuse de réjouissances secondaires, qui me donnent l’occasion de vous donner une vue de quelques détails.
Le seul ennui que j’ai eu, c’est que, le jour où l’on m’a arrêté, on m’a pris mes si utiles lunettes et, que depuis, personnes n’a jamais pu savoir ce qu’elles sont devenues. Personnellement je n’ai jamais pu comprendre pourquoi ; quelqu’un de vous comprendra peut-être, à la longue, quoique, maintenant que nous ne nous verrons plus, cela n’ait vraiment plus beaucoup d’importance… !
Un premier incident que nous avons eu en route mérite d’être signalé, il constitue vraiment un petit fait comique. Comme nous voyagions sur notre carriole, où nous étions attachés fort discrètement, tirés par mon excellent cheval vers une destination hélas triste, un passant rentrait du travail à pied nous demanda naïvement : « Il n’y a pas une place pour moi ? »
Je n’avais pas ri avant mais, à partir de ce moment, je perdis toute mauvaise humeur ou dépit de mon arrestation. Et depuis, j’ai toujours eu des occasions agréables ou divertissantes. C’est ainsi que j’ai pu couper dans ma planche, obligeamment prêtée, d’une part un échiquier percé de trous où s’infiltraient les tiges des pièces, découpées d’autres part. De cette façon j’ai pu jouer en paix sans que les voisins puissent brouiller le jeu, quelle que fut leur turbulence juvénile. Fallait voir ce jeu fait de fil de fer et de bois, signé Jean, reconnaissable à 100 mètres !
Il fallait aussi voir les Allemands s’empresser à jouer avec moi (qui ne pouvais causer aux autres prisonniers) comme s’ils désiraient tous me consoler, et prouver par leur amabilité qu’ils déploraient ma situation et qu’ils auraient bien voulu faire quelque chose – mais quoi ? – pour ne pas me voir fusiller (on s’y attendait dès le début).Aussi n’est-ce pas sans laisser presque des amis que j’ai quitté le camp : à peu près tous ceux avec qui j’avais parlé un peu s’en faut. Naturellement j’ai du y laisser aussi, aussi avec quelque regret, le plus beau de mon équipement ; c’est-à-dire mon jeu d’échecs-, quand je serais ministre, je changerai le texte du règlement rigoureux dont je fut victime… !
Or, depuis le jugement, les doubles rations (pour le moins) de tout ce qui est comestible ou favorable, dont je suis favorisé ; auraient enthousiasmé ceux qui s’imaginent que « Jean bon » ne peut vivre sous autre orthographe (si j’ose ce déplorable calembour). Au début je crus à un cuisinier fantaisiste qui aurait voulu terminer peut être une époque de son service par un festin capable de faire sensation, et je m’attendais à retourner à mon ordinaire modeste, en homme de bon sens que je suis. Mais comme mon ahurissante abondance continuait à régner de plus en plus belle, ce qui de l’extérieur ou de l’intérieur toutes sortes de friandises ne cessaient d’affluer, la seule explication valable, à laquelle je dû me rendre, était une bienveillance collective touchante chacun, se demandant si cela finira bien mal pour moi, concluait que le mieux devait être de participer par tous les moyens à me rendre « succulentes » les heures dont j’étais encore maître, en attendant qu’on sut si mon pourvoi, soutenu par mon avocat, arriverait à être rejeté ou non. Et, de la part des officiers aussi, une amabilité trop franche et personnelle pour n’être que de la propagande, venait satisfaire tous mes désirs. Ainsi, en l’absence de mes lunettes on a réussi à me faire voir clair en mobilisant les lunettes d’essais de l’oculiste militaire ! Et une chambre étant plus lumineuse, on a même été jusqu’à m’autoriser à sortir dans le plus éclairé de tous les couloirs d’ici, avec tout mon matériel. Car le plus beau, c’est qu’on m’a pourvu d’un matériel comme je n’en eu pas souvent : table, sous-main, papier à volonté, crayon chimique, gomme, règle, couteau. (Et tout pour Jean ! comme disait ma petite sœur autrefois) – et par-dessus le marché, l’autorisation de travailler à tout ce que je voulais laisser après moi qui me paraît pouvoir être utile aux générations futures, pour parler modestement !
C’est ainsi qu’en plus de cette lettre vous récupérerez de moi presque un volume de remarques et réflexions plus ou moins scientifiques et pédagogiques. J’espère qu’elles intéresseront Papa et peut-être un professeur curieux de points de vue non classiques.
Je m’en vais donc disparaître dans les meilleures conditions possibles, après avoir passé mes dernières semaines de condamné plus confortablement que bien d’autres semaines, sans avoir subi aucun mauvais traitement – après avoir eu la chance de voir le sinistre tableau du monde de 1939 remplacé par les claires perspectives de 1944, et la nouvelle chance que ma condamnation me donne le droit de penser que je n’y suis pas complètement étranger – après avoir dégusté l’amusante et flatteuse ironie du sort qui me fait l’un des derniers fusillés français de cette guerre – avec l’agréable sensation d’avoir laissé par écrit le meilleur de moi-même, en plus de ce que j’ai pu laisser comme influence durable dans la vie de ceux que j’ai connus.
Et comme dans les conditions où elle se produit, ma disparition peut avoir autant d’effet que le bien que j’aurais pu faire en un peu de vie supplémentaire, mon seul regret est le chagrin qu’elle ne peut hélas manquer de vous causer.
Ainsi, si vous voulez me faire rétrospectivement plaisir, ne soyez pas trop malheureux. Je vous ai assez aimés pendant ces dernières 20 années pour que vous ne m’en vouliez pas de vous laisser seuls ensuite. Ne soyez pas égoïstes. Vivez pour continuer à faire progresser le monde, comme vous-mêmes me l’avez appris à le faire.
J’ai conscience encore plus aujourd’hui, combien tout ce que j’ai fait est au fond votre œuvre et je vous prie de faire quelqu’un de bien de chacun de vos petits-enfants actuels et futurs – car je compte sur vous pour que les enfants de Nénette soient aussi dépourvus de toute illusion religieuse que moi, et que ce soit en pleine conscience qu’ils sachent faire leur devoir d’homme.
A propos d’enfants, si vous le pouvez, intéressez vous au second fils de Jergaud, un bébé de 5 ans, mais qui a du bon ; vous me ferez plaisir en le faisant ; c’est une dette de reconnaissance. Vous pourriez avoir chez lui divers objets m’appartenant. Voici son adresse : Ker Michel en Saint- Molf par Guérande (Loire Inférieure).
Pour finir par une plaisanterie, Papa y trouvera la solution du problème des 2 ampèremètres dont l’un marque 6 ampères pendant que le premier n’en marque que 3…
En vous embrassant, mes chéris, je vous écris la conclusion de ma vie, entre les 2 morales célèbres : – il n’est pas besoin d’espérer pour entreprendre, ni de réussir pour persévérer – et : toute la sagesse humaine tient dans 2 mots : attendre et espérer, il y a de la place pour ma synthèse : – tout le bonheur de l’homme tient dans ce devoir « Agir et espérer ».
Jean.
P.S. Naturellement saluez tous ceux qui me sont chers.