Esther GAUDIN, la « fille aux planches » témoigne

« La Résistance, ce mot qu’on voudrait voir sombrer dans l’oubli, évoque pour moi un passé déjà lointain mais qui n’a pas commencé seulement aux heures sombres de 1940 et 1941. La participation de ma famille et notamment de mon père 1 à la lutte contre le fascisme dès 1934, me portait tout naturellement à prendre parti. Les plus fidèles souvenirs, ceux que ma mémoire a fixés comme déterminants: les paroles de Gabriel Péri lors d’un meeting à Nantes où il appelait au soutien total à l’Espagne républicaine. Ce soir là, je savais que si la République espagnole était vaincue, nous aurions la guerre ! Nous étions en 1938.

De la désobéissance…

En août 1940, les troupes allemandes faisaient leur entrée à Nantes, j’avais 14 ans. Je fréquentais à cette époque le collège Aristide Briand, place de la République à Nantes. S’il n’y avait pas eu les conversations de mes parents, certaines allées et venues dans la maison, une première perquisition de la police française, puis l’arrestation de mon père, la vie aurait peut-être continué pour moi comme pour beaucoup de mes camarades de classe.
Mais, lorsque le professeur de français nous pria, dans le cadre du cours, de rédiger une lettre que tous les collégiens français devaient adresser au Maréchal Pétain, d’un bond publiquement dans la classe, je refusai de faire ce « devoir ». C’était un acte de contestation rare à l’époque, dans une classe. A la demande d’explication du professeur, je répondis tout simplement que mon père venait d’être interné administratif2 par la police du Maréchal.
Le professeur me pria d’aller la voir après les cours, elle fut des plus compréhensives, regrettant toutefois que mon refus se soit manifesté publiquement. En mon for intérieur, je regrettais cette mise en cause de son autorité, mais je n’en laissais rien paraître. Une seule chose comptait, mon refus qui avait entraîné celui de toute la classe, et, à ma connaissance, aucun devoir ne fut remis, ni à ce moment-là, ni plus tard et les répercussions allèrent bien au-delà du simple refus de composer un devoir vénérant le fantoche de l’époque.

…aux débuts de la Résistance

Peu de temps après, je fus contactée par un étudiant parisien, dont je n’ai jamais connu l’exacte identité. J’acceptai de participer aux activités du Front National Universitaire. A partir de ce moment, régulièrement des tracts dénonçant le fascisme, étaient distribués au collège et au lycée Clemenceau.
La Résistance s’organisait, la lutte devenait plus dure, mon père interné à Châteaubriant nous parlait des camarades affectés à la baraque des otages. C’est là que furent choisis une grande partie des 27 de Châteaubriant. c’est parmi les meilleurs militants, les plus éprouvés que fut fait le choix de Pétain et de Pucheu, mon père fut épargné.
Quelques temps après, on me confia une mission : aller chercher, à Châteaubriant, le paquet de planches sur lesquelles les fusillés avaient écrit, en plus de leurs lettre, leurs dernières volontés. Les camarades les avaient détachées de la baraque et camouflées dans le camp. Elles en furent sorties par le camarade Roger Puybouffat2, dentiste à Châteaubriant, qui était admis au camp pour dispenser des soins dentaires aux intéressés. Inutile de préciser les risques pris par ce camarade.
Je pris le train de Nantes pour Châteaubriant et je me rendis directement chez le dentiste. Je ne pouvais y rester, les enfants étaient jeunes et bavards. Munie de mon lourd et précieux colis, je pris mon premier repas au restaurant de la gare, seule, en attendant le retour vers Nantes.
J’avais des consignes strictes en cas de fouille le train, mais fort heureusement tout se passa bien et les planches, cachées en lieu sûr, sont aujour-d’hui au Musée de l’Histoire vivante à Montreuil3. Pour moi, il reste le souvenir d’une certaine appréhension bien sûr, mais aussi d’une grande fierté. Ces hommes étaient morts, ils avaient tout donné, il fallait que le monde et la jeunesse sachent qui ils étaient et pourquoi ils étaient morts.
planche_guy_moquet.jpgPlanche gravée par Guy Môquet, aujourd’hui exposée au Musée d’Histoire vivante de Montreuil
Peu de temps après, mon père s’évadait du camp de Choisel4. Ce fut une période difficile, remplie d’inquiétude pour ma famille. Il était recherché et nous dûmes, maman et moi, nous cacher avant de quitter la région. J’avais quitté le collège avec chagrin, certaines de mes compagnes de classe me croyaient à Londres. D’autres savaient bien que je n’étais pas si loin. La Résistance avait fait son chemin.

Dans le maquis de Nort-sur-Erdreesther_gaudin200.jpg

A Paris, j’aidais maman dans son travail d’agent de liaison, je transportais des tracts, j’étudiais. Ces activités furent interrompues à l’arrestation de maman et pendant 12 à 15 mois, j’essayai d’apporter à mes parents un peu de réconfort et les colis dont ils avaient besoin en prison, pour survivre. Jusqu’au jour où, revenue illégalement à Nort-sur-Erdre, je repris contact avec les partisans (FTPF) du secteur.
Ce fut une courte, mais enthousiaste période. Nous assistions à l’effondrement des oppresseurs, qui battus, n’en demeuraient pas moins dangereux. Le drame du maquis de Saffré5 en est un terrible témoignage. Seuls nos camarades FTP avaient été clairvoyants; hélas, le courage des jeunes FFI n’a pas empêché le massacre.
J’entrai ensuite tout naturellement au 2ème bataillon et participai à la lutte. La Libération était proche, il subsistait encore quelques îlots de soldats allemands retranchés dans des « poches » dont celle où nous combattions, la « poche de Saint-Nazaire ».
Puis ce fut le premier contact avec Nantes après trois ans d’absence. Une distribution de vivres effectuée à Chantenay-les-Nantes libéré, boulevard de la fraternité, quelle joie débordante ! La population, privée de pain et de produits de première nécessité, nous accueillait à bras ouverts.
Des moments difficiles nous attendaient encore. A la joie de la Libération succédait l’anxiété pour tous ceux qui, déportés en Allemagne, ne donnaient aucune nouvelle. La guerre continuait, Hitler n’était pas encore vaincu. Mon bataillon cantonné à Guémené-Penfao participait à la bataille et a contribué à la défaite des forces allemandes demeurées dans le secteur. C’est là que, blessée dans un accident de moto, je quittai mes camarades pour un séjour de deux mois à l’hôpital.
Je fus juste rétablie pour participer avec le bataillon à la première commémoration des Fusillés de Châteaubriant. Rassemblement inoubliable par son ampleur et par la présence des représentants de toute la Résistance, mais aussi des armées alliées: Américains, Soviétiques, Anglais. Marcel Cachin sorti récemment de la clandestinité, malgré sa fatigue, était là pour saluer tous ceux qui à Châteaubriant et ailleurs avaient donné leur vie pour la France. Mais à côté de tous les grands noms de la Résistance, tout le peuple de Châteaubriant et des environs était venu.

Souvenons-nous de « Tante Madeleine »

J’ai essayé de rapporter fidèlement ce que fut ma contribution à la Résistance de notre peuple à l’occupation allemande. Je ne peux terminer sans évoquer le souvenir de celle qu’on a appelée Tante Madeleine et qui a été, pendant les années noires, celle qui a aidé de toutes les manières les combattants dans le secteur de Nort-sur-Erdre. C’est chez elle que, très naturellement, j’ai trouvé refuge. C’est chez elle que tous ceux qui se battaient faisaient halte pour y puiser le réconfort moral et matériel. Elle donnait tout ce qu’elle possédait et son commerce était le lieu de rencontre où se croisaient de nombreux résistants.
Elle a lutté jusqu’au bout. seule la certitude que son mari6, déporté en Allemagne, ne reviendrait pas, a eu raison de ses nerfs. Elle est morte sans qu’on ait pu lui témoigner comme il eût fallu notre reconnaissance et notre affection. On ne peut ignorer cette femme exemplaire: Madeleine Legoff.
Source
Amicale de Châteaubriant – Voves – Rouillé

1- Pierre Gaudin – métallo, syndicaliste CGTU-CGT, militant communiste, résistant, déporté. Interné politique au Croisic, il est transféré dans le camp de Choisel à Châteaubriant d’où il s’évade le 24 novembre 1941. Il est arrêté le 3 septembre 194é2 et condamné par la section spéciale de la Cour d’appel de Paris, il est emprisonné à la Santé puis dans la centrale d’Eysses où il prend part à l’insurrection de février 1944. Il est alors déporté à Dachau, puis Mauthausen d’où il rentre à Nantes en juillet 1945 et reprend le combat.
2- Roger Puybouffat a joué un grand rôle dans l’aide aux internés de Choisel, pas seulement comme dentiste. Il a payé cher son engagement. Le 13 décembre 1941, il est arrêté par Touya, il comparaît devant le tribunal correctionnel de Châteaubriant et est acquitté faute de preuves. Néanmoins il n’est pas libéré mais interné dans le camp de Voves. Il est ensuite déporté vers Sarrebrück, Neuengamme, Mauthausen et enfin Loib-Pass. Rentré à Paris le 20 juin 1945, il est dans un état médicalement catastrophique. Il survivra pendant « 38 années volées aux nazis ». Il décède en décembre 1983.
3- BD Immortels ! Cette action est dessinée dans la Bande dessinée éditée par le Comité du souvenir, planches 25 et 26 puis 36 et 37.
4- Camp de Choisel – Situé à Châteaubriant, le camp interne d’abord des Roms et des droits communs. A la suite de la grande rafle d’octobre 194à , réalisée par la police française parmi les responsables communistes, élus, syndicalistes, les militants sont transférés à Choisel à partir de mai 1941, après un périple à travers plusieurs prisons (Clairvaux, Fontevrault etc)
5 – Maquis de Saffré – A l’été 1943, un maquis se forme au lieu-dit « La Maison Rouge » sur la commune des Touches, près de Nort-sur-Erdre (44). Des jeunes réfractaires au STO s’entraînent dans la forêt de Teillay. Décision est prise de regrouper les forces et de transférer le maquis en forêt de Saffré. Le 28 juin 1944, peu avant le lever du jour, 2 500 soldats allemands et miliciens « français » attaquent les maquisards. 13 maquisards meurent au combat, 27 sont faits prisonniers et sont fusillés le lendemain au château de la Bouvardière, à Saint-Herblain.
6 – Ernest Legoff, militant communiste et CGTU très actif à Saint-Nazaire, il s’installe à Nort-sur-Erdre comme gérant d’un magasin des Docks de l’Ouest. Arrêté par le SPAC le 12 août 1942, il est jugé avec 44 autres accusés en 1943 (Procès des 42), condamné, il est déporté et meurt le 15 mars 1944 à Dora.

Elsa Triolet dans la Résistance

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« La poésie prit le maquis » écrivit Paul Eluard, évoquant l’engagement dans la Résistance d’écrivains – beaucoup de poètes effectivement, qu’il publia dans la clandestinité: L’Honneur des poètes. Elsa Triolet fut l’une des rares écrivaines françaises célèbres qui ait participé à la Résistance à la fois par ses actes et par ses écrits.

L’entreprise était périlleuse: elle était d’origine étrangère (russe !), juive et mariée à un écrivain communiste, directeur d’un journal interdit Ce soir, surveillé par la police. Peu avant la fin de la guerre, pour la première fois depuis 1940, elle écrit le 1er février 1945 à sa sœur, Lili Brik, en Union soviétique: « Notre calvaire a commencé en 1939. Le 2 septembre Aragon a été mobilisé, le 3 octobre il y a eu chez mois une grandiose perquisition. Nous étions suivis par les flics. Quand Aragon en a eu assez, il a demandé à quitter son bataillon, en quelque sorte disciplinaire, pour le front. Il s’est retrouvé dans une division de blindés qui ne reculaient que sur ordre; fin mai, ils ont dû fuir par la mer, si tu te souviens de la retraite de Belgique, par Dunkerque, en Angleterre: de là ils sont allés à Brest et à travers toute la France sans cesser de se battre jusqu’à l’Armistice. Pendant ce temps, j’étais surveillée en permanence et on m’aurait sans doute arrêtée, si n’était intervenue la fuite générale de Paris… ». Un peu plus tard, dans une lettre à sa sœur, le 17 mai 1945, elle précise:  » en 39, (…) les gens passaient sur l’autre trottoir pour ne pas avoir à me serrer la main et la seule personne qui ne m’abandonnait pas était le flic qui me filait partout. » Son deuxième livre en français, sur Maïakovski est détruit par la police. Ce sera pire à la fin de la guerre quand le lieutenant SS Rothke du commandement de la Gestapo et de la SD en France demande au commandeur de la Gestapo de Marseille « d’arrêter immédiatement la juive Elsa Kagan, dite Triolet, maîtresse d’un nommé Aragon également juif. » A la chasse aux « judéo-bolchéviques » s’ajoute la propagande vichyste antiféministe qui stigmatise les femmes intellectuelles, les rendant en partie responsables de la défaite.

1940
Toutes les conditions étaient donc réunies pour qu’Elsa Triolet se taise; or elle ne s’est pas tue. De janvier à mai 1940, alors qu’Aragon est mobilisé, que se tient le procès des députés communistes, elle publie dans la NRF, dirigée par Jean Paulhan, quatre articles sous le titre « Souvenirs de la guerre de 1939 » jusqu’à ce que la revue, sous la pression de Drieu la Rochelle, mette fin à cette publication. Dans cette chronique, contrebalançant la propagande hitlérienne, elle s’attaque au racisme. En juin 1940, alors qu’Aragon est pris dans la « poche » de Dunkerque, la police interroge E. Triolet pour savoir où il est mobilisé. Elle quitte alors Paris pour tenter de le retrouver, ce qui se produit fin juin à Javerlhac, en Dordogne où il est démobilisé.
A partir de ce moment ses activités vont tantôt rejoindre celles d’Aragon, tantôt être menées de façon autonome. Après être passés en Corrèze chez Renaud de Jouvenel, ils se réfugient chez Pierre Seghers aux Angles, puis à Nice de la fin de 1940 au 11 novembre 1942. Auparavant, elle a participé avec Georges Sadoul, à Carcassonne à la création du réseau des « Etoiles » qui s’étendra progressivement sur 41 des 42 départements de la zone sud et regroupera des intellectuels de différentes branches. Elle décrit leur activité dans sa lettre à Lili Brik:  » Nous travaillons avec les intellectuels, Aragon avait la responsabilité de toute la zone libre. Nous sortons le journal Les Etoiles et avons monté une maison d’édition, La Bibliothèque française. Dans la clandestinité, bien sûr. Notre réseau à très vite couvert toutes les branches de la science, de l’art, environ 50 000 personnes ont rejoint l’organisation; dans toutes les villes ont commencé à sortir des journaux locaux des médecins, des juristes, des enseignants etc. Nous avions nos agents de liaison qui diffusaient la littérature, c’étaient comme des commis-voyageurs qui établissaient les contacts. Le principal adjoint d’Aragon était Georges Sadoul. » Le journal Les Etoiles paraîtra de février 1943 jusqu’à la Libération. E. Triolet agit donc en relation avec un ou plusieurs réseaux résistants, y compris la MOI.
Vivre en couple, avec un autre résistant, n’était pas sans danger et posait des problèmes de sécurité. E. Triolet ne voulant pas céder sur son engagement dans la Résistance, envisage plutôt de quitter Aragon, refusant le conseil de celui-ci, qui lui suggérait de se concentrer sur son travail littéraire. Bonne leçon de féminisme: « Elsa m’avait arraché mes lunettes masculines, ces préjugés de l’homme qui (…) confine sa femme à n’être que sa femme, son reflet ». Aragon la suit dans cette opposition et c’est peut-être le point de départ de sa réflexion féministe, qui va se développer dans ces années-là.

1941
Fin juin 1941, après l’arrestation de Gabriel Péri en mai, elle se rend à Paris avec Georges Dudach, leur agent de liaison pour la zone occupée. Ils sont arrêtés après avoir franchi la ligne de démarcation et emprisonnés trois semaines à Tours. E. Triolet a l’idée d’un subterfuge: dire qu’ils arrivaient de Paris et que, pris de peur au moment de franchir la ligne, ils revenaient sur leurs pas. Le 15 juillet, ils sont relâchés et refoulés sur…Paris où ils rencontrent Georges Politzer, sa femme Maïe et Danièle Casanova. C’était le but de leur voyage ! Ils convainquent Politzer de la possibilité de faire paraître légalement une littérature de contrebande, préparent le n°2 de La Pensée libre et organisent avec J. Paulhan et Jacques Decour un groupement d’écrivains préfigurant le Comité national des écrivains. Dans sa Préface au désenchantement, E. Triolet raconte les péripéties de cette création du CNE: « Aragon et Paulhan décidèrent de tâter le terrain en premier auprès de Georges Duhamel et s’en furent chez lui, dans sa maison de campagne ».
C’est également au cours de ce séjour qu’ils préparent avec Jacques Decour le projet de publication des Lettres françaises. Puis ils rentrent en zone sud. A l’automne 1941, va paraître dans L’université libre un Manifeste des intellectuels de la zone occupée dont la rédaction est probablement due à Aragon, E. Triolet, P. Seghers et Andrée Viollis. Durant cette période E. Triolet écrit, pour la revue de P. Seghers Poésie 41, une série d’articles intitulés Fantômes 41 puis Fantômes et monstres 42, série qui s’achève en mars 1942. Elle y évoque l’atmosphère trouble et sombre de cette période et y définit à mots couverts, en mars 1941, ce que l’on a appelé « la contrebande ». Elle y évoque aussi les Juifs pourchassés par les nazis et par Vichy.
En ce temps là, « c’était dur et pénible ». Pour survivre, elle écrit des nouvelles : La Belle épicière, Le Destin personnel, Henri Castellat, Mille regrets pour dire: « Ne croyez pas que personne n’ose désobéir »

1942
A Villeneuve-lès-Avignon elle écrit aussi Clair de lune, le premier texte qui contienne une évocation des camps de concentration. A Nice leur sont parvenues de Suisse, par l’intermédiaire de Bernard Anthonioz les premières images des camps allemands. L’écriture de cette nouvelle coïncide avec la venue en France, à la fin juin 1942, d’Eichmann qui transmet l’ordre de Himmler de déporter tous les Juifs de France sans distinction, ni considération de leur citoyenneté française. A Nice, Aragon avait reçu la visite de Joë Nordmann qui lui a remis de la part de Frédéric (Jacques Duclos) les témoignages et lettres des fusillés de Châteaubriant à partir desquels il écrira Les Martyrs par Le Témoin des Martyrs.
E. Triolet avait commencé un roman Le Cheval blanc, qu’elle achèvera à Villeneuve-lès-Avignon en novembre 1942. A l’époque, face à la récupération par les nazis de mythes comme celui de Tristan, Aragon avait entrepris de revenir à la culture française du Moyen âge, à la littérature de chevalerie. E. Triolet pensait que cela ne pouvait toucher la jeunesse et elle crée le personnage de Michel Vigaud, « ce héros est de la même espèce que ces centaines de milliers de héros anonymes qui peuplent aujourd’hui la France » (Les Lettres françaises). La censure n’a coupé qu’une phrase. Le roman paraît le 10 juin 1943.
C’est à Nice que leur parvient la nouvelle des arrestations de G et M. Politzer, de D. Casanova et G. Dudach qui sera fusillé avec Politzer le 30 mai 1942. Les Italiens entrent à Nice le 11 novembre, il est temps pour eux de quitter la ville, ce qu’ils font le jour même pour se réfugier au-dessus de Dieulefit, dans la Drôme dans une ferme isolée, abandonnée – « Le Ciel » – où logent deux antifascistes allemands, Ella Rumpf et Hermann Nuding. Il leur faut de nouveaux faux-papiers qu’E. Triolet ira chercher à Lyon auprès de Pascal Pia et Albert Camus qui appartiennent au mouvement Combat. Ils y retourneront, nouveau refuge, le 31 décembre chez René Tavernier.

1943
A Lyon elle rédige Les Amants d’Avignon, nouvelle qu’elle a conçue à Dieulefit et qui paraîtra illégalement en octobre aux Editions de Minuit (clandestines), sous le pseudonyme de Laurent Daniel, choisi en hommage à Laurent et Danièle Casanova. Cette nouvelle, qui a pour décor Avignon met en scène une jeune femme ordinaire, Juliette Noël, amenée à se comporter héroïquement, poussée par les circonstances. Elle est une des premières écrivaines, sinon la première, à mettre en scène le rôle des femmes dans la Résistance.
Mais l’action continue. En avril, elle se rend à Paris avec Aragon qui veux reprendre contact avec Paul Eluard pour réunir les deux parties du CNE, zone sud et zone nord pour une meilleure efficacité. A Lyon , elle participe activement aux activités du CNE – sud, mais l’arrestation de Jean Moulin le 21 juin fait de Lyon une ville trop dangereuse et elle se réfugie avec Aragon à Saint-Donat qui est le siège du commandement FFI de la Drôme-nord. Elle a de nouveau changé de nom et s’appelle désormais Elizabeth Andrieux. Ils y sont restés jusqu’à la Libération, faisant des déplacements fréquents à Valence, Lyon, Paris. C’est au cours d’un voyage à Paris qu’ils manquent d’être arrêtés dans le train, avec des papiers compromettants : un texte de Gabriel Péri et le manuscrit du Musée Grévin de… François la colère, l’un des pseudonymes littéraires d’Aragon.
En 1943, à l’initiative du CNE, E. Triolet se rend dans le Lot pour un reportage sur les maquis. Avec Jean Marcenac, ils parcourent toute la zone sud, « passant souvent au ras de la catastrophe » dit-il. Elsa impressionne son compagnon: « Le courage intellectuel d’E. Triolet se doublait d’un courage physique, d’une fermeté combattante qui m’a émerveillé dans les années de la Résistance. » Cette expérience est relatée dans la nouvelle Cahiers enterrés sous un pêcher tandis qu’un reportage publié dans Les Lettres françaises évoque des soldats russes évadés de camps allemands et réfugiés dans les maquis.
Réel et fiction s’entremêlent, ainsi dans une nouvelle elle insère le collage d’un tract reproduisant une vue du camp d’Auschwitz, un autre texte évoque l’exécution de Bertie Albrecht. Il est clair qu’évoquer Auschwitz au moment où les Allemands ont décidé de s’occuper eux-mêmes des arrestations et des déportations en zone sud constitue un acte de résistance courageux.

1944
Mise à part la nouvelle Yvette, récit de 1943, publiée clandestinement en mai, l’année 1944 est consacrée à l’activité résistante et journalistique. Aragon et elle-même rédigent et impriment des tracts sur une presse à bras récupérée par G. Sadoul. Les Etoiles continuent de paraître, feuille recto/verso dactylographiée et reproduite avec un carbone jusqu’au n° 9, puis imprimée à partir du n°10, avec une périodicité mensuelle à partir de janvier 1944. En juin 1944, elle fonde avec Aragon un nouveau journal La Drôme en armes qu’elle écrit d’abord entièrement à la main, il est ensuite ronéoté puis imprimé à Romans, et des gens courageux le cachaient dans des cageots de pêches ou d’abricots et le distribuaient à travers la Drôme, à la barbe des Allemands. Ils y donnent des nouvelles de la région, relatent les combats des FFI, l’arrivée de l’armée américaine.
Le 14 juin, elle avait participé à la réception d’un parachutage d’armes près de Saint-Donat, épisode qu’elle raconte dans la nouvelle Le premier accroc coûte deux cents francs (phrase codée qui annonçait le débarquement en Provence). Des représailles sanglantes suivirent le 15 juin ce parachutage et ils réussirent de justesse à échapper aux Allemands.

En septembre, après une étape à Lyon où ils rencontrent le général De Gaulle, ils rentrent à Paris le 25 et retrouvent leur appartement « sens dessus dessous », perquisitionné plusieurs fois par la Gestapo et la police française. Son livre de nouvelles Le premier accroc coûte deux cents francs » dont elle écrit à sa sœur qu' »il sortira dès qu’il y aura du papier », reçoit le Prix Goncourt au titre de l’année 1944, première femme à recevoir ce Prix.

***

Elsa Triolet sera décorée de la médaille de la Résistance par décret du 11 mars 1947. Elle a fait preuve d’un immense courage, accompagné d’une forte lucidité et d’une grande modestie. Comme beaucoup de Résistantes, elle a transporté des tracts, des brochures et a joué parfois le rôle d’agent de liaison. Elle a travaillé avec de nombreux autres résistants appartenant à différents réseaux: FTP, FTP-MOI, Combat, groupe Morhange etc.

Son activité essentielle a consisté à informer par des reportages, des articles, des tracts, des textes écrits à la main, ou tapés à la machine, ronéotés ou imprimés et transportés et diffusés au risque de sa vie. De tout ceci est né une œuvre personnelle, écrite parfois en dialogue avec Camus, avec Aragon et en inventant des formes d’expression nouvelles, correspondant à l’époque qu’elle traversait. « La littérature de la Résistance, écrit-elle en 1964, aura été une littérature dictée par l’obsession et non par une décision froide. Elle était le contraire de ce qu’on décrit habituellement par le terme d’engagement, elle était la libre et difficile expression d’un seul et unique souci: se libérer d’un intolérable état de choses. » Plus tard elle assistera au Tribunal de Nuremberg, où le massacre de Saint-Donat sera à l’ordre du jour de la séance du 31 janvier 1946. Son action résistante et ses écrits ont contribué à la reconnaissance du rôle des femmes dans la Résistance et dans la société en général.

Source
Elsa Triolet dans la Résistance: l’écriture et la vie par Marianne Delranc-Gaudric –
Version longue (avec abondance de notes) sur le site de l’ERITA www.louisaragon-elsatriolet.org

Lire Elsa Triolet
Personnalité hors du commun, Elsa Triolet est une écrivaine injustement méconnue. Si ses livres sont rarement sur les rayons des librairies, ils ne sont pourtant pas épuisés. Ils peuvent donc être commandés.
Nous pouvons conseiller aux jeunes qui n’ont pas connu les années noires évoquées ci-dessus et ceux, déjà plus âgés qui commencent à les oublier plusieurs livres:

Mille regrets Folio 6,90 € , Nouvelles écrites à Nice pendant l’Occupation, au début de 1941
Le Cheval blanc Folio 8,50 €, roman écrit à Nice en 1941-42
Le Premier accroc coûte deux cents francs -Folio 9,70 € Nouvelles – Prix Goncourt
dont Les Amants d’Avignon Folio 2€ (tiré à part)
Le destin personnel & La belle épicière Folio 2€

Plutôt qu’Amazon, nous vous conseillons de les commander en ligne sur le site de libraires indépendants, qui en assureront la livraison en toute sécurité en ces temps de confinement.

La dignité de la femme
A l’occasion de la Journée internationale de lutte pour les droits des femmes du 8 mars 1948, elle publie un texte dans Les Lettres françaises sur « la dignité de la femme ». Elle y reprend une réflexion commencée dans les années 20 sur le sexisme du langage et fait remarquer que « le même mot accolé au mot femme ou au mot homme prend une signification différente. Un homme honnête est celui qui ne vole pas, une femme honnête est celle qui n’a pas d’amant. Or, « la dignité de l’homme n’est pas autre chose que la dignité de l’être humain, être-homme ou être-femme. Les femmes se sont battues dans cette guerre pour la dignité de l’homme, pour ne pas vivre à genoux, pour que l’homme n’ait pas à essuyer des crachats sur son visage, dans ce combat elles ont subi la prison, le martyre, la mort ». Elle poursuit, avançant des idées et des revendications progressistes et féministes et ajoute: « la ‘dignité de l’homme’ chez la femme, la dignité de l’être humain est, comme pour l’homme, dans sa liberté, son indépendance, son droit au travail, ses droits et devoirs de citoyenne. Croyez-vous que j’enfonce des portes ouvertes? Que je prêche devant des convaincus ? A l’usage, ces convictions ne sont chez les hommes que des faux-semblants. La dignité de la femme en tant qu’être humain demande en premier lieu que la poussière des siècles soit enlevée de la tête des hommes ».

Ce texte peut être retrouvé dans l’Anthologie des Lettres françaises qui vient d’être publiée aux éditions Herman

Le droit de vote des femmes est conquis en 1944. Merci qui ?

Les Français votent depuis deux siècles, mais les Françaises n’ont conquis ce droit que beaucoup plus récemment. C’était le 21 avril 1944. Les femmes devenaient électrices et éligibles. Comme les hommes ! Un an plus tard, elles votaient pour la première fois. Récit.
Au sein de la Résistance, se déroule entre 1942 et 1944 un débat entre ses différentes composantes – mouvements, syndicats, partis -. En 1942, après avoir reçu à Londres pour la première fois un représentant de la Résistance intérieure, le général De Gaulle propose une première ébauche de projet politique. Dans ce texte du 23 juin 1942, connu sous le nom de « Déclaration aux journaux clandestins », il évoque le droit de vote des femmes, mais de façon encore floue : « Dès l’ennemi chassé du territoire, les hommes et les femmes de chez nous éliront l’Assemblée nationale qui décidera souverainement des destinées de la Nation ». Au sein du Conseil National de la Résistance (CNR), l’opposition du représentant des radicaux, Paul Bastid, empêche une prise de décision. Le CNR fonctionne en effet, selon la règle de l’unanimité de ses membres.

A l’Assemblée consultative provisoire (ACP) à Alger, le 22 mars 1944, le syndicaliste chrétien Robert Prigent, de l’OCM (Organisation civile et militaire – proche des démocrates chrétiens) a fait admettre le principe du vote des Françaises. Deux jours plus tard, le 24 mars la Commission de réforme de l’Etat présidée par le sénateur radical Giaccobi, chargée de préparer le rétablissement des pouvoirs publics à la Libération, au terme d’une discussion « courtoise mais passionnée » selon F. Grenier, adopte par 51 voix contre 16, un amendement du député communiste Fernand Grenier (un évadé de Châteaubriant), instituant le droit de vote des femmes : « Les femmes sont électrices et éligibles aux mêmes conditions que les hommes ». L’adoption de cet amendement « clair et net » a mis fin « à toutes les subtilités » de ceux qui ne voulaient pas du droit de vote, de ceux qui ne l’accordaient que pour les législatives, ou uniquement pour les élections locales ou encore tel le sénateur Giaccobi, qui ne laissaient subsister que l’éligibilité, soit le droit pour la femme d’être élue sans être elle-même électrice.
Le 21 avril 1944, lors de la session de l’ACP, l’article 17 de l’ordonnance portant organisation des pouvoirs publics en France après la Libération reprend les termes exacts de l’amendement Grenier.
Le Comité Français de la Libération Nationale (CFLN) valide l’ordonnance. Puis le Gouvernement provisoire de la République Française (GPRF), qui remplace le CFLN à partir du 3 juin 1944, présidé par le général De Gaulle, le reprend dans son ordonnance du 5 octobre.
A l’ACP d’Alger, deux arguments ont emporté l’adhésion de la majorité : il faut rendre hommage à la résistance féminine et mettre la France au diapason des Etats démocratiques.

En effet les femmes n’ont pas seulement lutté pour leurs droits spécifiques, elles ont été nombreuses à s’engager dans les luttes pour le progrès social et les combats de la Résistance face à l’occupant allemand et au gouvernement de Vichy. Le colonel Rol-Tanguy leur a rendu hommage, déclarant en 1944 : « Sans les femmes, la moitié de notre travail aurait été impossible. Leur tâche a été dure, surtout dans les dernières années de la clandestinité. Le poste de commandement régional de Paris fonctionnait dès le 12 août en bonne partie grâce aux femmes ».
Et Gilberte Brossolette de préciser : « On a dit que c’est le général de Gaulle qui a donné le droit de vote aux femmes, c’est inexact. C’est la Résistance. Vous savez que les femmes se sont magnifiquement conduites pendant la Résistance. Elle se sont acharnées, elles ont travaillé dans l’ombre des hommes… »
Le premier vote légal des femmes aura lieu à l’occasion de l’élection municipale des 29 avril et 13 mai 1945. On estime à 3% le nombre de conseillères municipales, généralement élues sur des listes issues de la Résistance et du PCF. Dans notre région Odette Roux, à 28 ans, pour la liste Union pour la Résistance antifasciste est élue maire des Sables-d’Olonne et devient la première femme à administrer une ville de sous-préfecture. Puis la même année, le 21 octobre 1945, les femmes participent aux premiers scrutins nationaux : le référendum et les législatives. Trente-cinq femmes sont élues députées : dix-sept communistes, neuf MRP, huit socialistes et une PRL. La première femme élue vice-présidente de l’Assemblée Nationale est Madeleine Braun, en 1946.
Déjà des femmes se sont présentées à des élections antérieures. Ainsi en 1925 aux élections municipales, souvent sur des listes communistes. Et plusieurs ont été élues (une dizaine, selon Marcel Cachin (L’Humanité du 11.5.1925). Le 3 mai 1925, Douarnenez, au pays des sardinières, est le théâtre d’un événement inédit. Pour la première fois en France, une femme – Joséphine Pencalet – est élue conseillère municipale. Joséphine Pencalet était une penn sardin, l’une des ouvrières des conserveries qui venaient de mener plusieurs grandes grèves. Elle siège pendant plusieurs mois, jusqu’à ce que le Conseil d’Etat rejette son recours : elle contestait l’arrêté préfectoral d’annulation de son élection.
Précisons, que des femmes ont siégé dans certains conseils municipaux dès 1944. Il s’agissait des « délégations spéciales ». Leurs membres n’étaient pas élus, mais nommés à titre provisoire par les préfets sur avis des Comités départementaux de Libération (CDL). Ainsi la délégation spéciale nommée le 28 août 1944 à Nantes, présidée par Clovis Constant, comprenait quatre femmes : Emilienne Bagrin, adjointe spéciale de Chantenay, Ursule Chevalier, Alexandrine Moysan et Anne-Marie Turbaux.

Sources:
BUGNON Fanny – De l’usine au Conseil d’Etat, Vingtième siècle -revue de Sciences Po, 2015
Joséphine Pencalet, Dictionnaire Le Maitron
GRENIER Fernand – C’était ainsi, Editions sociales, 1959
GUERAICHE William – Le 24 mars 1944, Clio 1, 1995
KIRSCHEN Marie – Est-ce De Gaulle qui a donné le droit de vote aux femmes ? Libération 29 avril 2015

Un long chemin vers le droit de vote des femmes : d’Olympe de Gouges à Fernand Grenier

En France, les femmes ont obtenu le droit de vote presque un siècle après les hommes. Elles ont dû lutter durement pour obtenir le droit d’être citoyennes, qui ne leur a été ni donné, ni accordé, ni octroyé : elles l’ont conquis !
Selon l’historien William GUERAICHE : « Le débat du 24 mars 1944 (voir l’article « Les femmes sont électrices et éligibles … ») peut s’interpréter comme l’achèvement d’une lutte qui remonte aux premières heures de la Révolution et comme l’aboutissement d’un processus législatif de courte durée ».
Des femmes ont voté aux Etats-Généraux de 1789. Olympe de Gouges publie sa Déclaration des droits de la femme et de la citoyenne en 1791. « La femme a le droit de monter sur l’échafaud, elle doit avoir également le droit de monter à la tribune » dit-elle. L’année précédente, Condorcet avait souligné que la différence des sexes n’est pas pertinente sur le plan politique. Il s’opposait ainsi au discours de l’abbé Sieyès qui, le 21 juillet 1789, distinguait les citoyens « actifs » et « passifs », et classait les femmes dans la deuxième catégorie. L’inégalité est alors justifiée au nom de la « nature », qui a fait des femmes des êtres faibles.
Les femmes sont ainsi exclues du droit de vote par l’Assemblée nationale le 22 décembre 1789, exclusion confirmée par la Constitution de 1791 puis par un vote de la Convention le 24 juillet 1793.
En 1848, la IIème République ne prend pas même le soin de préciser que le suffrage prétendument « universel » est exclusivement masculin. En 1849, Jeanne Deroin mène campagne et tente de se présenter aux élections législatives, mais sa candidature n’est pas acceptée.
Le droit de vote ne devient une priorité féministe qu’à la fin du 19ème siècle. Hubertine Auclert (1848 – 1914) fait figure de pionnière. Son nom est méconnu du grand public. Mais les féministes d’hier et d’aujourd’hui savent ce que les femmes doivent à son combat. Elle fonde, en 1876, le premier groupe suffragiste français, la société « Le Droit des femmes ». Elle est la première Française à se reconnaître dans le projet politique qu’est le féminisme. Au IIIème Congrès ouvrier socialiste à Marseille, elle ne mâche pas ses mots, s’adressant à ses camarades en ces termes, le 22 octobre 1879 :  » Si vous, prolétaires, vous voulez aussi conserver des privilèges, les privilèges de sexe, je vous le demande, quelle autorité avez-vous pour protester contre les privilèges de classe ? »
Au début du 20ème siècle, l’idée suffragiste s’étend. Louise Weiss, dans les années 1930, multiplie les actions, à l’instar des suffragettes anglo-saxonnes.
C’est en 1901 qu’est déposée la première proposition de loi sur le vote des femmes. Le député Paul Dussaussoy en dépose une autre en 1906 en faveur du vote aux seules élections locales. En 1909, Ferdinand Buisson, l’un des fondateurs de la Ligue des Droits de l’Homme (LDH) dépose un rapport parlementaire, favorable à la réforme du droit de vote. En 1910, lors de la IIème Conférence internationale des femmes socialistes à Copenhague, Clara Zetkin propose la création de la Journée internationale des femmes, journée de manifestation annuelle afin de militer pour le droit de vote, l’égalité et le socialisme. Cette initiative est à l’origine du 8 mars.
Au sortir de Première Guerre mondiale, après avoir durement travaillé pour remplacer les hommes partis au front, et après des années d’actions, de débats, alors que 138 millions de femmes votent déjà dans 24 pays, les femmes obtiennent un vote favorable au suffrage féminin intégral, le 20 mai 1919 à la Chambre des députés par 344 voix contre 97 (proposition F. Buisson). Mais le Sénat s’y oppose trois ans plus tard, le 21 novembre 1922 (156 voix contre 134), comme il le fera à nouveau en 1925, 1932 et 1935. La même année 1919, le 15 juillet, le pape Benoît XV se prononce pour le droit des femmes.
En 1925, la question des droits politiques des femmes revient à l’agenda politique à l’occasion de la préparation des élections municipales : trois propositions de loi sont déposées successivement par le communiste Marcel Cachin d’abord (26 juin 1924), puis le conservateur mais suffragiste Louis Marin (16 décembre 1924) et enfin, par le socialiste Henry Fontanier (28 janvier 1925). Cette dernière proposition est reprise par le rapporteur de la Commission du suffrage universel, Pierre-Etienne Flandin, député de centre droit. Le 7 avril 1925, par 390 voix contre 183, la Chambre adopte ce texte, mais – empruntant à la proposition Marin – réduit le droit de vote aux seules élections locales, contrairement à la proposition Cachin qui incluait tous les types d’élections.
Encouragées par ce vote, des femmes sont candidates aux municipales de 1925, en position éligible.
Le 12 juillet 1927, La Chambre des députés adopte une résolution – par 396 voix contre 94 –  » invitant le gouvernement à hâter, devant le Sénat, la discussion du projet de loi voté par la Chambre des députés concernant le suffrage des femmes aux élections municipales ». Cette résolution est confirmée par un nouveau vote de la Chambre le 13 décembre 1928.
Par trois fois, les 19 juin 1928, 21 mars 1929, et 26 juin 1931, le Sénat refuse d’inscrire la question à son ordre du jour.
Arrive 1936, le Front Populaire. En juillet, pour la sixième fois, les députés se prononcent. Ils votent à l’unanimité pour le suffrage des femmes (475 voix contre 0), mais le gouvernement s’abstient ! Et le Sénat persiste à ne pas inscrire le texte à l’ordre du jour.
Trois femmes sont nommées sous-secrétaires d’Etat : Cécile Brunschwig (Education nationale), Irène Joliot-Curie (Recherche scientifique) et Suzanne Lacore (Petite Enfance). Bonnes pour faire des ministres, les femmes n’étaient pas jugées aptes à être des citoyennes.
Pourquoi une telle obstination de la part du Sénat ? Il est dominé par les radicaux, lesquels émettent des doutes sur l’autonomie des femmes vis à vis de l’Eglise. Perçues comme des individus sous influence, dévotes, elles seraient susceptibles de voter selon les consignes de leur curé. La prise de position du Pape renforce leur hostilité. Et la crise de février 1934 les conforte dans l’idée que la République étant fragile, le statu-quo s’impose.
La Seconde Guerre mondiale constitue une accélération de la réflexion sur le suffrage des femmes. Au sein de la Résistance française se déroule, entre 1942 et 1944, un débat entre ses différentes composantes – mouvements, syndicats, partis. En 1942, le général De Gaulle dans une adresse aux mouvements de la Résistance intérieure évoque le droit de vote des femmes, mais en termes encore flous. En mars 1944, à l’Assemblée consultative provisoire d’Alger, seule l’éligibilité est envisagée par la Commission de réforme de l’Etat. C’est un amendement du député communiste Fernand Grenier qui introduit le droit de vote dans la discussion. Mais on est encore loin du consensus ! Deux arguments toutefois emportent l’adhésion de la majorité : rendre hommage à la résistance féminine et permettre à la France de rattraper son (grand) retard. L’amendement Grenier est adopté par 51 voix contre 16. Le 21 avril 1944, le général de Gaulle signe l’ordonnance, incluant l’amendement Grenier, pour le Comité Français de la Libération nationale (CFLN), puis le 5 octobre, le Gouvernement provisoire de la République Française (GPRF) incorpore cet amendement à l’ordonnance pour la réorganisation des services publics à la Libération.
Sources:
BARD Christine – Les Filles de Marianne, Fayard,1995
HUARD Raymond – Le suffrage universel, L’Humanité, 4 novembre 2011
KACI Mina – Hubertine Auclert, L’Humanité 2 août 2017
www.assemblee-nationale.fr

Nous refusons les restrictions d’accès aux archives

Déclaration de Christian RETAILLEAU,
président du Comité départemental du Souvenir des fusillés de Châteaubriant et Nantes et de la Résistance en Loire-Inférieure

Le Comité départemental du Souvenir des fusillés de Châteaubriant et Nantes et de la Résistance en Loire-Inférieure partage l’inquiétude des historiennes et historiens face aux restrictions sans précédent de l’accès aux archives publiques, notamment celles du ministère de la Défense pour la période 1940 – 1969. Elles sont devenues, de fait, inaccessibles.

Cette situation découle d’une décision administrative récente, en contradiction avec la loi de 2008 sur l’ouverture des archives. Elle impose, notamment au personnel du Service historique de la défense (SHD) de vérifier pour chaque document s’il a fait l’objet d’une procédure de classement au titre du secret-défense. Or les faibles moyens humains dont dispose le SHD, au regard des kilomètres de linéaires archivés, rendent cette tâche titanesque impossible. Notre expérience nous permet de témoigner de la durée déjà excessivement longue des délais de communication. Au-delà du SHD, toutes les archives publiques sont concernées. La période 1940 – 45 est particulièrement visée. Ces restrictions ne permettront pas aux chercheurs de progresser dans la connaissance de cette période fondatrice de notre société contemporaine.
C’est le travail des historiennes et historiens, ainsi que celui des archivistes, qui est remis en cause. De même que le droit des citoyens à connaître leur Histoire. Notre Comité considère que le travail de mémoire doit reposer avant tout sur un travail d’histoire, c’est pourquoi il s’associe aux démarches* engagées par les professionnels pour faire annuler cette décision administrative totalement abusive. Sans cette annulation, il existerait une impossibilité d’accéder à des archives pourtant communicables de plein droit.
Nantes, le 22 février 2020

https://www.change.org/p/emmanuel-macron-nous-d%C3%A9non%C3%A7ons-une-restriction-sans-pr%C3%A9c%C3%A9dent-de-l-acc%C3%A8s-aux-archives-contemporaines

Sion-les-Mines

La pluie ne cesse de tomber ce 8 février 2020 sur les 150 personnes présentes à l’inauguration de la pose de la plaque des trois fusillés, de Châteaubriant du 22 octobre 1941, enterrés en première inhumation à Sion-les-Mines (44) :

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Plaque mémorielle (Crédit © Patrice Morel)

• Claude Lalet, 21 ans, de Paris, dirigeant de l’Union des étudiants communistes à la Sorbonne ;
• Maurice Gardette, 49 ans de Paris, artisan tourneur, conseiller municipal communiste de Paris XIe arrondissement ;
• Charles Michels, 38 ans de Paris, ouvrier dans la chaussure, député communiste de Paris XVe, secrétaire de la Fédération CGT des cuirs et peaux.

« La Saint Melaine », fanfare locale, ouvre la cérémonie.

Puis une évocation artistique, avec lecture des dernières lettres de ces compagnons, a été jouée par le groupe théâtral de Châteaubriant : « Les gars à la remorque ».

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(Crédit © Patrice Morel)

Bruno Debray, Maire de la ville, « comme beaucoup d’entre nous ici présents, (n’a) pas connu cette période mais (donne lecture) d’un extrait de l’ouvrage écrit par le Docteur Roger Daguin, ancien maire de Sion-les-Mines qui a vécu au plus près ces événements ». Le témoignage est poignant. ( Allocution 20200208_ceremonie_plaque_sion_les_mines_allocution_bruno_debray_maire.pdf )

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(Crédit © Patrice Morel)

Serge Adry, Président du Souvenir des Héros de Châteaubriant, à l’initiative du rassemblement, rappelle la démarche d’apposer une plaque aux neufs cimetières qui ont vus les 27 fusillés du 22 octobre 1941 à Châteaubriant, enterrés en première inhumation, par groupes de trois ; « il est essentiel de se souvenir et de transmettre aux jeunes générations cette mémoire ». ( Allocution 20200208_ceremonie_plaque_sion_les_mines_allocution_serge_adry_comite_chateaubriant.pdf )

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(Crédit © Patrice Morel)

Pierre Chauleur, Sous-Préfet de Châteaubriant-Ancenis, en réserve au regard des élections qui se profilent, dans son allocution brève, indiquera qu’« au delà d’un « devoir de mémoire », c’est une « dette de mémoire » que nous devons à ceux qui ont été massacrés en représailles, en tant qu’otages, ce 22 octobre 1941 ». ( Allocution 20200208_ceremonie_plaque_sion_les_mines_allocution_pierre_chauleur_sous_prefet_chateaubriant.pdf)

Cette cérémonie s’est déroulée en présence d’élus des communes du Pays Castelbriantais, de l’Amicale de Châteaubriant-Voves-Rouillé-Aincourt, des familles des Fusillés, du Comité Départemental du Souvenir des Fusillés de Châteaubriant et Nantes et de la Résistance en Loire-Inférieure. Elle est parrainée par : la Communauté de communes Châteaubriant-Derval, le Conseil Régional des Pays-de-la-Loire, le Conseil Départemental de Loire-Atlantique, L’ Union Nationale des Combattants de Loire-Atlantique.

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Dévoilement de la plaque. (Crédit © Patrice Morel)

C’est en recueillement, que les gerbes furent posées.

La chorale locale « Si’on chantait » entonne « Le chant des partisans » puis il est temps de se mettre à l’abri à l’invitation de Monsieur le Maire pour un pot de l’amitié.

Auschwitz

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L’avis de décès de Marie-Thérèse Fleury, résistante parisienne, transmis par télégramme à son mari le 20 avril 1943 permet d’alerter la Résistance sur la présence à Auschwitz du « convoi des femmes » du 24 janvier 1943. La nouvelle est transmise à Londres et la BBC l’annonce. A l’été 1943, Aragon apprend également que Danièle Casanova et Maï Politzer y sont mortes: Maï, le 6 mars 1943, Danièle le 9 mai et que Marie-Claude Vaillant-Couturier y est déportée.
Aragon écrit le poème ci-dessous dans Le Musée Grévin, premier poème français à citer Auschwitz.
Dans le convoi du 24 janvier 1943, dont le récit a été écrit par Charlotte Delbo, figurait une jeune résistante communiste nantaise, Marguerite Joubert, dont le mari André Lermite avait été déporté par le convoi du 6 juillet 1942 (mort à Birkenau le 7 août 1942) et leur ami Alphonse Braud (mort le 17 septembre 1942). Marguerite Joubert – Lermite est morte à Birkenau le 18 mars 1943.
En hommage, nous publions le poème d’Aragon

Louis Aragon – (1897-1982)
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À Auschwitz

Moi si je veux parler c’est afin que la haine
Ait le tambour des sons pour scander ses leçons
Aux confins de Pologne existe une géhenne
Dont le nom siffle et souffle une affreuse chanson

À Auschwitz À Auschwitz Ô syllabes sanglantes
Ici l’on vit ici ici l’on meurt à petit feu
On appelle cela l’exécution lente
Une part de nos cœurs y périt peu à peu

Limites de la fin limites de la force
Ni le Christ n’a tenu ce terrible chemin
Ni cet interminable et déchirant divorce
De l’âme humaine avec l’univers inhumain

Ce sont ici des Olympiques de souffrances
Où l’épouvante bat la mort à tous les coups
Et nous avons ici notre équipe de France
Et nous avons ici cent femmes de chez nous

Puisque je ne pourrais ici tous les redire
Ces cent noms doux aux fils aux frères aux maris
C’est vous que je salue en cette heure la pire
Marie-Claude en disant Je vous salue Marie

Et celle qui partit dans la nuit la première
Comme à la Liberté monte le premier cri
Marie-Louise Fleury rendue à la lumière
Au-delà du tombeau Je vous salue Marie

Hélas les terribles semailles
Ensanglantent ce long été
Cela dure trop Ecoutez
On dit que Danielle et que Maï…

Ah! Déferont-ils maille à maille
Notre douce France emportée ?
Ce qu’on dit rend l’ombre plus noire
Sur la misère de nos chants

Les mots sont nuls et peu touchants
Maï et Danielle Y puis-je croire ?
Comment achever cette histoire
Qui coupe le cœur et le chant

Je vous salue Marie de France aux cents visages
Et celles parmi vous qui portent à jamais
La gloire inexpiable aux assassins d’otages
Seulement de survivre à ceux qu’elles aimaient

Lorsque vous reviendrez car il faut revenir
Il y aura des fleurs tant que vous en voudrez
Il y aura des fleurs couleur de l’avenir
Il y aura des fleurs lorsque vous reviendrez

Vous prendrez votre place où les clartés sont douces
Les enfants baiseront vos mains martyrisées
Et tout à vos pieds las redeviendra de mousse
Musique à votre cœur calme où vous reposer

Haleine des jardins lorsque la nuit va naître
Feuillages de l’été profondeur des prairies
L’hirondelle tantôt qui vint sur la fenêtre
Disait me semble-t-il Je vous salue Marie

Octobre 1943 – Le Musée Grévin

Hommages aux résistants nantais fusillés à l’issue des « procès » des 42 et des 16 (1943)

Il y a 77 ans, en janvier 1943, un tribunal militaire allemand juge 45 résistants Francs-Tireurs et Partisans (dont 2 femmes) au Palais de justice de Nantes.

Le « procès » des 42 est le plus important procès en zone occupée. Il dure deux semaines du 15 au 28 janvier. Les drapeaux nazis flottent à l’intérieur de la salle d’audience. Celle-ci se déroule à huis clos, en allemand. Seule la presse collaborationniste est admise. Les accusés n’ont pas pu choisir leurs avocats et n’ont pas eu le temps de les rencontrer. Le commissaire Fourcade du SPAC de Nantes, le Service (vichyste) de police anti-communiste est le principal accusateur.

Après cette parodie de justice le verdict tombe: 37 sont condamnés à mort, 3 à la prison à vie, 3 sont « acquittés » (mais immédiatement arrêtés puis déportés). Parmi les accusés figurent 5 Républicains espagnols, « étrangers et nos frères pourtant », inhumés à La Chapelle-Basse-Mer.

Avant l’expiration du délai de recours, 9 condamnés sont fusillés dès le lendemain, le 29 janvier au champ de tir du Bêle à Nantes, 25 autres seront exécutés le 13 février, puis 3 le 7mai. Le « procès » (en fait, un simulacre) des 42 a eu un retentissement important. Mais au lieu de faire peur à la population, c’est l’inverse qui s’est produit. Au point qu’un autre « procès » dit « des 16 « , à l’été 43 s’est déroulé dans la plus grande discrétion. Il s’est traduit par l’exécution au Bêle de 13 FTP, le 20 août 1943.

Pour en savoir plus :

Guy HAUDEBOURG NANTES 43. Fusillés pour l’exemple. préface de Johanna Rolland. Geste éditions.

Carlos FERNANDEZ De la Guerre d’Espagne à la Résistance. Comité du Souvenir

Marc GRANGIENS Le procès des 42. Documentaire réalisé avec les étudiants (BTS audiovisuel) du Lycée Léonard de Vinci de Montaigu – 85

Jean CHAUVIN Auguste Chauvin. Lettres d’un héros ordinaire. L’Oribus

Allocution de Christian Retailleau; Président du Comité départemental du Souvenir des fusillés de Châteaubriant et Nantes et de la Résistance en Loire Inférieure.
Cimetière de La Chapelle Basse Mer Carré des Républicains Espagnols. Dimanche 16 février 2020.

Mesdames et messieurs les conseillères et conseillers municipaux de Divatte-sur-Loire
Mesdames et Messieurs les élu-e-s, les représentants des associations patriotiques, des associations locales, des organisations syndicales et politiques,
Messieurs les porte-drapeaux,
Mesdames, Messieurs,
Cher-e-s ami-e-s,
C’est toujours une très grande émotion de se retrouver, accueillis par la municipalité de Divatte-sur-Loire, au Carré des Républicains espagnols en ce cimetière de La Chapelle-Basse-Mer où sont inhumés depuis 77 ans Benedicto Blanco Dobarro, Basilio Blasco Martin, Alfredo Gomez Ollero, Ernesto Prieto Hidalgo, Miguel Sanchez Tolosa, Républicains espagnols à qui nous rendons hommage ce matin.
Qui étaient ces hommes, qui s’engagèrent dans la Résistance à l’occupation nazie ? D’où venaient-ils pour se battre pour notre pays ?
Benedicto Blanco Dobarro est né en 1917 en Galice. Quand éclate le putsch fasciste le 13 juillet 1936, il s’engage dans un bataillon des milices galiciennes créé pour la défense armée de la République, rattaché en 1937 à la 11ème compagnie dirigée par Lister.
Il y rencontre un autre galicien, Alfredo Gomez Ollero avec qui il participera à de nombreuses batailles dont celle de la défense de Madrid. Après la défaite des armées républicaines, et « La Retirada » en France, il est interné au camp de concentration d’Argelès puis dans celui de Barcarès. Là, il est enrôlé dans une Compagnie de Travailleurs Etrangers, se retrouve à Nantes où il renoue contact avec Gomez Ollero, qui l’intègre dans l’organisation clandestine du Parti communiste espagnol. Dans la région de Blain, avec quelques compatriotes, il distribue des tracts en langue maternelle. Puis, il forme un « Grupo Especial » formé de guérilleros armés. Il est arrêté le 17 septembre 1942 à Saint-Nazaire, transféré à Nantes où il est torturé par les hommes du SPAC. Lors du « procès des 42 », la peine demandée est : la mort, pour avoir formé un groupe à Blain, répandu des tracts, été dans l’Armée rouge et placé des bombes.
Basilio Blasco Martin est né le 15 avril 1920 dans un petit village situé au nord de Teruel, province d’Aragon. C’est au moment où se déroule la bataille décisive de Teruel, une des plus importantes de la guerre d’Espagne, que Basilio s’engage à l’âge de 16 ans dans le corps d’élite des carabiniers, resté fidèle à la République. Lors de la Retirada, il est interné dans les camps de concentration d’Argelès, puis de Barcarès. Il est enrôlé lui-aussi dans une Compagnie de Travailleurs Etrangers, puis prend la direction de Nantes et de Blain, où il intègre un « Grupo Especial » sous la responsabilité de Benedicto Blanco Dobarro.
Arrêté en même temps que celui-ci, lors du « procès des 42 » le verdict du tribunal de guerre allemand est implacable : la mort comme membre du groupe de francs-tireurs, pour avoir reçu des tracts et placé des bombes.
Alfredo Gomez Ollero est né le 9 septembre 1905 dans la provine d’Orense, au sud de la Galice. Cordier de profession, il rejoint les milices populaires peu de temps après le putsch, est rapidement promu capitaine d’infanterie, puis est incorporé dans la 11èm compagnie. Alfredo est gravement blessé d’une balle en pleine poitrine lors de la bataille de Madrid. Suite à l’avancée des troupes franquistes, il fait partie de ces commandos d’élite chargés de s’approcher des troupes ennemies pour détruire les installations stratégiques. La défaite et l’exil se traduisent par l’internement sur les plages d’Argelès et de Barcarès. Le 16 novembre 1939, il écrit à sa femme « je me trouve prisonnier au milieu de ces sables maudits ». Il est enrôlé en 1940 dans la 178ème Compagnie des Travailleurs Etrangers, basée au Vieux Doulon à Nantes où il travaille à la construction de la gare de triage du Grand Blottereau. Il loge dans un meublé, chemin du Brûlis. Les CTE deviennent de véritables pépinières pour le Parti communiste espagnol clandestin. Alfredo s’emploie à recruter et entre en contact avec Albert Brégeon qui le présente à Claude Millot de la direction régionale du PCF.
Formateur pour des résistants français novices dans la lutte armée, il devient un des principaux artisans de l’appareil clandestin du PCE dans le département.
Il se déplace à Trignac pour coordonner l’organisation embryonnaire du « camp Franco » situé à Gron sur la commune de Montoir. Puis il diligente à Blain Benedicto Blanco Dobarro, qu’il a connu sur le front de Madrid, pour élargir le recrutement. C’est aussi Alfredo qui est chargé de constituer des groupes de guérilleros armés dits « Grupo Especial » ou « G. E » fin 1941 – début 1942. A son apogée, l’organisation clandestine atteindra le nombre de 80 membres dont 16 « G.E ». Les arrestations débutent à Nantes le 27 juin 1942. Début juillet, il entre dans l’illégalité et se réfugie à Trentemoult chez Marcel Boissard. Puis muni d’une fausse carte d’identité au nom de Bastiani que lui remet Claude Millot, il se met à l’abri à Nozay où l’instituteur Marcel Viaud lui trouve un emploi dans une ferme. C’est là qu’il est arrêté le 16 septembre par le SPAC, qui lui fera subir les pires tortures.
Le réquisitoire lors du « procès des 42 » indique : « … il était dans l’état-major du parti illégal. Comme tel, il a été convoqué à la conférence de Nantes pour délivrer Hervé. Peine demandée : la mort ».
Ernesto Prieto Hidalgo est né le 14 novembre 1918, dans la province de Cordoue en Andalousie, dans une famille de mineurs. Après le décès du père, la famille s’installe en Catalogne intérieure, sur un autre site minier. Son parcours pendant la guerre d’Espagne n’est pas connu. Lors de « La Retirada », il est lui aussi interné dans les camps d’Argelès et de Barcarès. Fin 1939, il est intégré dans la 114ème CTE cantonnée à proximité d’Evreux, qui participe à la construction d’une usine d’avions. Lors de la débâcle, la compagnie est évacuée en Haute-Vienne pour des travaux forestiers. Par la suite, Ernesto se retrouve à Nantes qu’il quitte pour Blain le 1er avril 1942 où il occupe un emploi de ferrailleur dans une entreprise de boulonnerie. Contacté par Benedicto Blanco Dobarro, il entre au PCE clandestin où il est chargé de distribuer des tracts. En mai, il entre dans le « Grupo Especial ». Arrêté le 17 septembre, en même temps que 3 autres membres de sa « cellule clandestine » le jugement lors du « procès des 42 » est implacable : « Sanchez et Prieto : du même groupe des francs-tireurs, cela suffit à justifier. Peine demandée : la mort ».
Miguel Sanchez Tolosa est né le 27 décembre 1920 à Albacete, capitale de la province du même nom. Cette ville est réputée pour sa fidélité à la République. Pendant la guerre y siège le Quartier Général des Brigades internationales et de la Force aérienne républicaine. En juillet 1938, au moment où s’engage la bataille décisive de l’Ebre, il est fait appel à la « Quinta del biberon » (la Classe Biberon). Ainsi sont appelées les jeunes recrues qui ont moins de 18 ans, ce qui est le cas de Miguel Sanchez. Inexpérimentés, beaucoup laisseront leur vie dans cette dernière grande offensive du camp républicain qui durera plus de 3 mois. Les Républicains sont défaits et devant l’inexorable avancée des troupes franquistes, la famille Sanchez Tolosa se réfugie à Valence par peur des représailles. De la bataille de Teruel à son arrivée à Nantes, nous perdons toute trace de Miguel. Son itinéraire fut probablement le même que celui de ses compatriotes réfugiés à Blain, où il arrive début 1942 pour être employé comme terrassier. Il entre dans la structure clandestine du PCE, commençant par la distribution de tracts puis ce sera la collecte d’argent pour l’organisation. Il rejoint ensuite le « Grupo Especial ». Arrêté le 18 septembre 1942, transféré à Nantes où il subit de nombreux sévices par les hommes du SPAC, il est écroué à la prison Lafayette, dans la même cellule qu’Auguste Chauvin, un des activistes de l’OS à Nantes qui sera exécuté en même temps qu’eux, qui dans un courrier clandestin à son épouse Marie écrit fin décembre 1942 : »il y a un espagnol de Saragosse 22 ans, d’Andalousie 23, d’Albacete 22 et ‘autre sur la frontière du Portugal 25 … ils ont un moral admirable … ». Dans un autre courrier en date du 25 janvier 1943 : « les quatre camarades espagnols vont signer leur nom. Ils vous souhaitent d’être heureux dans le futur régime. Blanco Benedicto, Prieto Hidalgo, Basilio Blasco Martin, Miguel Sanchez … ». Lors du « procès des 42 », le verdit du tribunal de guerre allemand est implacable : « Sanchez et Prieto : du même groupe des francs-tireurs, cela suffit à justifier. Peine demandée : la mort ».
Ces hommes, aux destins similaires, méritent que l’on rappelle qui ils étaient, d’où ils venaient et pourquoi ils se battaient.
Ces hommes, originaires de toutes les régions d’Espagne sont ainsi unis par leurs idéaux de bonheur et de justice sociale, par leurs combats pour défendre la République espagnole, par leur volonté de lutter contre les nazis et enfin par la mort aux côtés de leurs camarades de résistance.
Ils furent d’abord engagés entre 1936 et 1939 dans les combats militaires contre les troupes rebelles fascistes soutenues par Hitler et Mussolini, la République espagnole étant abandonnée à son sort par la France et la Grande-Bretagne sous le prétexte de non intervention.
Après la défaite de l’Ebre et la prise de Barcelone, c’est La retirada, terme qui ne décrit pas ce qu’ont enduré les Républicains espagnols durant leur « retraite ». Début février 1939, près d’un demi-million de personnes traînant une simple valise ou un pauvre baluchon se jetèrent sur les routes et les chemins, traversant les Pyrénées, parfois à dos de mulet, dans la neige et le froid pour se retrouver dans des camps de concentration dont le premier à Argelès-sur-Mer où 77 000 réfugiés sont internés dans des conditions épouvantables, dont un grand nombre de volontaires des Brigades internationales.
Puis, après avoir subi le travail forcé, c’est la résistance comme on a vu en Loire-Inférieure, au contact des groupes de l’OS puis des FTP.
Leur sort sera scellé lors d’un procès inique qui se déroula à partir du 15 janvier 1943 au tribunal de Nantes, où 45 résistants communistes, dont 2 femmes, étaient condamné par l’occupant avec la complicité active de la police de Vichy.
Rappelant l’attitude des 50 otages à Châteaubriant, à Nantes et au Mont Valérien, le courage et la dignité des résistants furent magnifiques.
Renée Losq, revenue de l’enfer des camps de concentration, se souvenait de ce moment : « lorsque les sentences sont tombées tous les gars se sont levés et ils ont chanté la Marseillaise, ils étaient enchaînés ».
A la suite du jugement le 28 janvier, sans attendre les recours, 9 des 37 condamnés à mort sont exécutés au champ de tir du Bêle dès le 29 janvier, 25 autres le seront le 13 février dont les 5 Républicains espagnols et 3 le 7 mai. 4 dont les 2 femmes seront déportés.
Contrairement à ce qu’ils espéraient, les tortionnaires et les tueurs nazis et vichystes ne sortirent pas vainqueurs de cette parodie de justice.
Ce bilan humain terrible, largement médiatisé par l’occupant, renforça en effet le sentiment anti allemand qui avait germé le 22 octobre 1941.
Les premiers mois de 1943 qui virent les victoires de l’Armée Rouge à Stalingrad en février et des forces anglo-américaines et françaises en Afrique du Nord en mai mirent fin au mythe de l’invincibilité des armées allemandes.
Le « procès » dit des 16 en août 1943, tenu dans un relatif anonymat, allongea la liste tragique : 11 FTP furent fusillés au champ de tir du Bêle le 25 août et 2 autres furent décapités le 20 novembre en Allemagne à Tübingen.
Tous ces hommes et ces femmes doivent être associés dans l’hommage que nous rendons aujourd’hui à La Chapelle-Basse-Mer, après ceux ayant eu lieu hier au Monument au Bêle et à Sainte-Luce-sur-Loire, avant celui de Rezé dimanche prochain.
Entretenir le souvenir des résistants, des internés, des déportés et transmettre la mémoire de la Résistance sont indissociables, quand les témoins directs disparaissent et que les tentatives de réécriture de l’Histoire se multiplient.
N’est-ce pas le cas lorsque certains de nos gouvernants se croient autorisés à se réclamer du Conseil National de la Résistance alors que l’entreprise de dynamitage de la Sécurité sociale est en cours ?
Les résistants, qu’ils soient français ou étrangers comme ceux que nous honorons aujourd’hui ou ceux de l’Affiche rouge, si divers dans leurs opinions et leurs croyances nous ont légué un bien précieux, fruit du combat de toute la Résistance : la Liberté et un modèle social unique issu du programme du CNR, au nom porteur d’espoir « les jours heureux ».
Vouloir sauvegarder et améliorer cet héritage solidaire et le transmettre aux générations futures s’inscrit, il faut le rappeler avec force, dans le combat de la Résistance pour la dignité humaine et le bien-être de tous.
Notre société, fragilisée par toujours plus de violence sociale, par des inégalités sociales en hausse, par des droits sociaux et démocratiques en recul, par la pauvreté qui progresse pendant qu’une minorité s’enrichit est à la merci de pouvoirs ou de pratiques autoritaires aux relents racistes et xénophobes, intolérants et répressifs.
La bête immonde n’est-elle pas déjà à l’œuvre, tapie sous nos pieds ?
Nous devons être collectivement vigilants : la démocratie, notre capacité à vivre ensemble, à savoir accueillir l’autre sont fragiles et peuvent être remises en cause à tout moment.
Il nous incombe, plus que jamais, d’être des passeurs de mémoire, pour transmettre et défendre les valeurs républicaines de la Résistance.
Il nous importe de toujours mieux associer la jeunesse de notre pays à cette connaissance de la Résistance en mettant à sa disposition des outils historiques, pédagogiques et ludiques de qualité.
C’est à ce prix que nous resterons dignes de nos camarades Républicains espagnols comme de toutes celles et tous ceux qui ont combattu pour notre liberté et notre bonheur.
Je vous remercie de votre attention.