Histoire du convoi du 6 juillet 1942, dit convoi des 45000

Pour plus de 1 000 d’entre eux, ce sont des hommes animés par un idéal d’émancipation humaine, internationalistes et patriotes.

Engagés contre le fascisme qui menaçait l’Europe, ils avaient, dans les années 30, anticipé les combats des années 40. Certains s’engageant dans les Brigades Internationales contre Franco en Espagne.

Ils sont arrêtés pour des actes de refus d’une soumission à l’occupant et de la collaboration. Ils s’efforçaient de dresser la population contre Vichy et les nazis.

Ils rédigent, impriment, distribuent tracts et journaux clandestins.

Ils prennent part à des grèves malgré leur interdiction – certains cachent des armes ou participent à des sabotages.

Dès 1940, le 30 septembre, un télégramme à Berlin du chef de la Gestapo de Paris ordonne « tous les chefs communistes, dont on peut s’attendre directement ou indirectement qu’ils puissent rédiger, distribuer des tracts ou être actifs de façon ou d’une autre, doivent être arrêtés et internés ». Réponse le 3 octobre 1940 du chef de la Gestapo de Berlin : « Hitler donne son accord à condition qu’on épargne nos indicateurs, que les listes des arrêtés soient obtenues et que tout ceci reste discret « .

C’est dans ce cadre qu’est effectuée une grande rafle de militants communistes, syndicalistes, élus, arrêtés notamment le 5 octobre, dans la région parisienne et ailleurs. Ceux-ci seront internés dans divers camps ou prisons puis rejoindront le camp de Choisel à Châteaubriant.

Mais en dépit de la chasse aux militants politiques et syndicalistes à laquelle collaborent Gestapo et police française, les antifascistes s’efforcent de renouer les contacts, de structurer leurs organisations clandestines et d’agir sur leur terrain traditionnel.

Le 1er mai 1941 annoncera un puissant mouvement de grèves à caractère d’opposition à l’occupant. 100 000 mineurs y participeront en mai – juin. Le 15 mai, un appel à constituer un Front de lutte pour l’indépendance sera lancé.

D’inspiration communiste, de caractère national, auquel adhèreront des personnes de sensibilités diverses tels Aragon, François Mauriac ou le gaulliste J. Debû – Bridel, ce mouvement de résistance (Front National), préfigurera les Francs Tireurs et Partisans qui en seront la branche armée.

Ils allaient bénéficier du contexte mondial bouleversé à partir du 21 juin 1941 avec l’entrée en guerre contre l’Allemagne de l’Union Soviétique envahie par les armées hitlériennes.

Mesurant le danger que représentait la lutte armée de partisans sur le sol de France, les nazis répondirent (en vain) par des fusillades massives afin de réduire toute opposition. Comme celles de Châteaubriant, de Nantes et du Mont Valérien le 22 octobre 1941, immédiatement suivies de celles de Souge, près de Bordeaux.

Au contraire, sabotages et attentats contre les officiers et soldats allemands se multiplièrent.

Durant la période évoquée, depuis la défaite, de petits groupes de patriotes anglophiles ou gaullistes, s’efforçaient de renseigner les Anglais restés seuls dans la guerre et répondaient à l’appel lancé par le Général de Gaulle, notamment afin d’exprimer leur condamnation des fusillades de Châteaubriant, Nantes et Bordeaux.

Le seuil de la seule répression anticommuniste était franchi. Ces exécutions symboliseront une forme d’union face à la répression.

Pour créer un nouvel effet de terreur, Hitler décide la déportation des otages vers l’Est. Les autorités allemandes vont faire leur choix dans des listes établies par les autorités de Vichy. Destination Auschwitz via Compiègne.

Le 6 juillet 1942, le premier convoi de Résistants quitte ce camp d’internement de la Werhmacht.

De Choisel et Nantes à Auschwitz

1175 hommes dont 90 % de communistes ou sympathisants, 50 juifs dont certains sont résistants, et en moindre proportion des gaullistes. Parmi eux, neuf internés du camp de Choisel, près de Châteaubriant : Joseph Biffe, Edouard Bonnet, Louis Brenner, Paul Caille, André Gaullier, Louis Goudailler, Maurice Graffin, Maurice Guy, Marcel Gouillard, et Roger Pinault.

Dix autres internés de Compiègne participent à ce convoi. Il s’agit de résistants arrêtés à la suite des rafles opérées le 23 juin puis le 9 juillet 1941dans l’agglomération nantaise par la police militaire allemande (GFP). A la demande celle-ci, le commissaire central de la police nantaise avait donné une liste de neuf « ex-militants communistes ». Internés au Champ de mars, ils sont transférés à Compiègne le 12 juillet 1941 et partiront le 6 juillet 1942 à l’aube vers Auschwitz, où ils arriveront le 8. Les dix de Loire-Inférieure sont : Alphonse Braud, Eugène Charles, Victor Dieulesaint, Paul Filoleau, André Forget, Louis Jouvin, André Lermite, Antoine Molinié, Gustave Raballand, et Jean Raynaud. Seuls deux sont revenus: E. Charles et G. Raballand.

Marguerite Joubert-Lermite, l’épouse d’André Lermite a été arrêtée le 5 juillet 1942 à Mouzeil, elle sera internée dans diverses prisons avant d’être transférée au fort de Romainville, puis d’être déportée à Auschwitz par un autre convoi atypique, celui du 24 janvier 1943. Elle mourra à Auschwitz le 18 mas 1943.

Ce convoi sera le seul à destination définitive d’Auschwitz-Birkenau, avec le convoi des femmes résistantes dit « des 31 000 » du 24 janvier 1943, celles qui sont entrées dans le camp en entonnant La Marseillaise.

Un autre convoi de déportés de répression arrive le 30 avril 1944 à Auschwitz, mais quittera le camp pour Buchenwald au bout de 12 jours. Ils prendront le nom de « tatoués ». Ce convoi comprenait notamment Marcel Paul.

Le long séjour des « 45 000 » à Auschwitz-Birkenau aura fait d’eux des témoins de l’enfer organisé par les SS : l’extermination de Tziganes, de milliers de prisonniers de guerre soviétiques, de patriotes polonais, de résistants de toute l’Europe et du génocide des juifs.

Ce sont les matricules reçus à l’enregistrement qui feront d’eux les « 45 000 ». Ils seront séparés en deux groupes quelques jours après leur arrivée, l’un à Auschwitz, l’autre à Birkenau.

Après 7 mois, plus de 1 000 auront disparu. Leur taux de mortalité fût de 80 % à Auschwitz et de 96 % à Birkenau.

Seuls 119 reverront la France en 1945.

Sources
CARDON-HARMET Claudine, Triangles rouges à Auschwitz, éditions Autrement, 2015
et son blog: https://politique-auschwitz.blogspot.com
DELBO Charlotte, Le convoi du 24 janvier 1943, Editions de Minuit, 1966

Témoignage de Jules BUSSON

Arrivés de la prison de Châlons-sur-Marne, le 24 avril 1944, nous quittâmes Compiègne le 11 mai. Depuis la veille, nous étions groupés dans un petit camp et nous fûmes rassemblés sur la grande place pour être comptés et fouillés.
Mon camarade Adrien BERSELLI, après avoir vu sa nationalité française radiée par le tribunal spécial de Rennes, avait retrouvé sa qualité de citoyen italien. De ce fait, les Allemands ne l’avaient pas couché sur la liste des partants. Au petit jour nous l’aperçûmes, furtivement, alors qu’il nous saluait le poing tendu. Nous ne le revîmes jamais ; notre camarade devant disparaître dans la baie de Lübeck aux dernières heures de la guerre.
Nous traversâmes la ville de Compiègne, déserte. Nous sentions, derrière les volets, la présence des habitants angoissés en entendant le passage d’un nouveau convoi de patriotes déportés vers l’Allemagne. J’aperçus le visage d’une femme âgée qui nous regardait tristement. Cela m’émut profondément. Elle me rappelait ma vieille maman.

Le camp de Compiègne

le_camp_de_compiegne.jpgArrivés sur le pont qui enjambe l’Oise, un groupe de femmes appelèrent, en pleurant, leurs maris ou leurs fils. Elles furent repoussées violemment par les soldats qui nous encadraient, fusils aux poings.
Puis ce fût la gare, avec son long train de wagons de marchandises. Groupés par paquets de cent, nous fûmes entassés dans les wagons. La porte se referma. Seules deux petites lucarnes garnies de barbelés enchevêtrés éclairaient le wagon. Impossible de s’asseoir. Et l’attente commença.
Rapidement la chaleur fut intolérable. L’énervement gagnait les prisonniers. Des discussions, puis des cris, des bousculades eurent lieu. Alors nos responsables, je ne me rappelle plus ceux qui étaient montés dans mon wagon, prirent des initiatives. La moitié des détenus devaient rester debout pendant que l’autre moitié des occupants s’asseyait, les jambes écartées, les uns dans les autres. Tous les quarts d’heure la relève était faite. Cette manœuvre fût suivie sans discussions et soulagea la fatigue de tous.
Le voyage se poursuivait. La chaleur était insoutenable. Les évanouissements se multipliaient. Alors on se passait, à bouts de bras, le camarade pour le faire respirer à la lucarne. Ensuite un tour de rôle fût organisé pour que chacun vienne respirer de temps à autre. Mais un groupe de droits communs s’emparèrent de force d’une lucarne et ce fût impossible, sans risquer de provoquer de sérieuses bagarres qui auraient entraîné l’anéantissement des plus faibles, de les déloger.
Le voyage devait durer quatre jours et trois nuits. Il y avait longtemps que le morceau de pain avait été avalé provoquant, d’ailleurs, une soif plus intense. Certains avaient commencé, malgré les recommandations, à boire leur urine. Cela leur donnait encore plus soif et les rendait pratiquement fous. Des hurlements remplissaient le wagon et il fallut toute l’autorité de nos responsables, toute la discipline des « politiques » pour rétablir un certain ordre.
Pour ma part, assoiffé comme tous, je léchais au petit matin les montures en acier du wagon là où la sueur, s’étant distillée, formait une sorte de rosée. Ma langue était pleine de rouille mais j’avais l’illusion d’avoir avalé un peu d’eau.
Il fût question de tenter l’évasion. C’est l’ordre que nous avions reçu de nos responsables avant de quitter Compiègne. J’avais avec moi mon camarade Louis GRAVOUIL. Avec quelques jeunes, âgés comme nous d’une vingtaine d’années et originaires de Bretagne, nous prîmes contact avec un capitaine F.T.P. Nous lui fîmes part de notre intention de nous évader.
« Attendez, nous dit-il, le travail est commencé. J’ai un homme qui a creusé la porte du wagon. Il reste une mince pellicule de bois. Au moment voulu, à la tombée de la nuit, avant d’être en Allemagne, il va faire sauter cette dernière partie puis il ouvrira la porte qui est fixée par un crochet et attachée avec un fil de fer et nous sauterons. Cela fait la deuxième fois qu’il est dans un wagon partant pour l’Allemagne. La première fois il s’est évadé de cette façon. Faites-nous confiance. »
Alors des voix s’élevèrent : «Vous êtes fous de vouloir vous évader. Les Allemands nous ont dit à Compiègne que toute tentative serait punie par un tir nourri à travers les wagons. Nous ne voulons pas mourir. Au prochain arrêt nous allons prévenir les Allemands. »
Alors le capitaine F.T.P. s’avança vers celui des droits communs qui dirigeait les paniquards. Sortant un long couteau – où l’avait-il caché ? – il le piqua sur la gorge de celui-ci et il lui dit fermement : « Un mot de ta part et avant que les Allemands aient ouvert la porte tu es un homme mort. » Lâchement celui-ci se tût.

wagon_compiegne_buchenwald1.jpgNous nous préparions à cette évasion tant espérée. La peur, je n’ai pas honte de le dire, m’étreignait quelque peu. Je ne pouvais m’empêcher de penser aux petits piquets qui soutiennent les câbles tout le long des voies et je souhaitais ne pas m’empaler dessus. Au dernier moment me disais-je, j’enroulerai mon blouson de cuir autour de ma tête, cela me protègera.
Mais notre fol espoir ne se réalisa pas. Brusquement le train s’arrêta. Puis nous entendîmes des coups de feu, des cris. Notre porte fut ouverte et, tout à coup, j’étouffais, littéralement écrasé contre la paroi du wagon par mes camarades qui reculaient en criant. Puis la pression se relâcha. J’étais dans le brouillard, presque inconscient.
Un violent coup de cravache ou de bâton, je n’eus pas le temps de le voir venir, en pleine figure me réveilla et je me retrouvais cette fois au premier rang, dans la partie opposée du wagon. Les SS nous avaient comptés en tassant les cent hommes dans une moitié de wagon. Les Allemands avaient tué sur le ballast mon camarade BENITE avec quelques autres détenus qui avaient tenté l’évasion. Cela je le sus, une fois arrivé à Buchenwald.
BENITE, un Lorrain, avait quelques jours auparavant fièrement chanté devant l’état-major du camp de Compiègne, lors d’une petite fête que nous avions organisée : « Vous n’aurez pas l’Alsace et la Lorraine », provoquant ainsi la colère de nos geôliers. À Poissy, il avait commencé à m’apprendre le solfège et la sténo. Bien que communiste, passionné de chorales, il chantait m’avait-il dit dans les églises, lors des cérémonies, pour le plaisir uniquement. Je l’aimais beaucoup mais, sur le moment, je ne l’avais pas compris.
La nuit tomba, alors les Allemands allumèrent des projecteurs et, perchés dans des guérites, ils balayaient le train en permanence. L’évasion s’avéra impossible sans certitude d’échec.
Au petit jour nous étions, je le pense, en Alsace. Tout au moins il y avait des petites montagnes au bas desquelles couraient de petits torrents. De voir cette eau, sans pouvoir l’atteindre, accentuait encore notre terrible soif.
L’air était lourd, vicié par nos respirations. Nous nous étions déshabillés complètement pour avoir moins chaud ; la sueur ruisselait sur nos corps. Avec nous il y avait deux prêtres, ils avaient, par pudeur, gardé quelques vêtements.
Vainement, alors que c’était mon tour d’être près de la lucarne, j’essayais avec ma ceinture d’attraper des branches d’arbre pour les sucer, pour en mâcher les feuilles. Un camarade eut l’idée de mettre un carton à l’extérieur du wagon et il l’attacha de façon à former un écran qui rabattait un air frais dans le wagon. Cela fut légèrement bénéfique.
Des prisonniers devenaient fous par la soif. Certains parlaient, ni plus ni moins, de tuer leurs co-détenus pour boire leur sang. Il fallut les assommer pour les neutraliser et les désarmer.
Puis, en plein midi, le convoi s’arrêta, de longues heures m’a-t-il semblé, dans une gare, entre deux trains à gauche et à droite. Ce fût épouvantable. Pour ma part, je tombais quatre ou cinq fois évanoui. Les camarades me ramenaient à moi par de fortes gifles. J’étouffais, ma gorge était emplie de peaux que j’essayais d’arracher avec les doigts. Mon urine était toute rouge, certains disaient : « On pisse notre graisse ».
Je ne me rappelle plus la dernière partie du voyage, je l’ai vécue inconsciemment. Toutefois, après avoir passé une ville qui devait être Weimar et où, sur le quai, des gens riaient et nous insultaient en nous traitant de bandits, de terroristes, nous attaquâmes la montée vers Buchenwald.
Le train avançait au pas ; j’ai su ensuite que les convois qui nous avaient précédés débarquaient les détenus à Weimar et ceux-ci, épuisés, à demi-morts, devaient faire la route, pieds nus la plupart du temps, sous les coups des « Kapos » et des SS jusqu’au camp. Beaucoup mouraient ou étaient abattus par les gardiens.

L’arrivée à Buchenwald

arrivee_a_buchenwald1.jpgCette route qui fut construite par les déportés coûta beaucoup de vies humaines, on l’appelle présentement « La Route du Sang ».
J’étais à demi-inconscient ; j’entendais la prière des morts et je crus que ceux qui la disaient marchaient dehors, le long de la voie. C’était sinistre. Puis je réalisais que quelques détenus avaient entamé cette prière dans le wagon même où tous étaient prostrés à terre, pêle-mêle, les uns sur les autres. Seuls quelques-uns étaient encore debout.
Enfin le convoi s’arrêta dans une courbe au milieu d’une grande clairière. Après un long moment je vis des wagons s’ouvrir et des hommes se jeter dehors, sur le ballast, poursuivis et frappés à coups de crosse par les soldats.
Brusquement, la porte s’ouvrit. Nous étions littéralement aveuglés. Il fallut rapidement réagir et sauter nous aussi de notre wagon. Les traînards étaient sauvagement battus, jetés dehors brutalement, tombant lourdement par terre sur les cailloux, souvent la tête la première.
J’attrapais mon pantalon et mon blouson que j’avais gardés. Nu, je courus vers un groupe qui se formait par cinq et par vingt rangs de cinq. Nous faisions l’apprentissage des « Fünf » (par cinq) et des « Hundert » (par cent). Je m’habillais à la hâte, me protégeant des coups comme je le pouvais.
Au-dessus de nos têtes les arbres me paraissaient immenses. J’avais l’impression de faire partie d’un troupeau que l’on menait à l’abattoir. Je ne savais pas si bien prévoir ce qui allait suivre. Puis, notre pitoyable cortège s’ébranla. J’avais pris Louis par le bras ; il ne réalisait pas où il était, ses yeux étaient dans le vague, il me faisait peur, je le secouais vainement ; il prononçait des mots sans signification.
Une poterne nous apparut. Sur un poteau sculpté, des effigies en bois (un prêtre, un Juif, un terroriste, un bourgeois) – j’eus le détail plus tard – indiquaient la direction du camp, des soldats, celle des casernes SS.
Puis ce fut une allée bordée de baraques peintes en vert avec quelques fleurs devant. Aux fenêtres, des femmes se moquaient de notre déchéance et s’esclaffaient en voyant des hommes nus bousculés par les bourreaux ; les chiens, tenus en laisse par les SS, aboyaient furieusement. Certains détenus furent mordus cruellement.
photographie_de_l_arrivee_des_detenus_au_camp_c_afbdk.jpg Photographie de l’arrivée des détenus au camp©AFBDK

Brusquement une porte avec une grosse grille en fer forgé, des SS nous comptaient au passage, il nous fallait marcher au pas ; fièrement nous redressions au moins la tête. Il ne serait pas dit que des Français, des patriotes, s’inclineraient devant l’ennemi. On ignorait vraiment encore tout de la barbarie nazie mais jamais nous n’avons plié.
Une immense place au fond de laquelle des groupes d’hommes maigres en tenue rayée. Où étions-nous ? Nous bifurquâmes sur la droite, des baquets étaient là plein d’eau déjà boueuse ; tout le monde plongeait la tête dedans et buvait, buvait… Certains utilisaient un chapeau, voire une chaussure pour, enfin, se désaltérer. Nous étions littéralement déshydratés.
Après avoir bu longuement je pensais à Louis qui, à côté de moi, restait impassible, dans le vague. Je lui disais : « Mais bois donc, Louis ». Je pris un chapeau qui traînait et, après l’avoir rempli d’eau, le lui ai mis sur la tête à plusieurs reprises ; il réagit enfin…
Nous avons été dirigés vers un bâtiment, une salle de douches. Épuisés, nous nous couchâmes à même le ciment ; nous continuions à boire, quelques camarades nous conseillèrent d’arrêter si nous ne voulions pas être malades.
Par petits groupes, les arrivants se dirigeaient vers une autre salle. Nous y sommes allés, nous aussi, vers l’inconnu… Nous fûmes d’abord interrogés par des détenus habillés en tenue rayée : « Nom ? prénom ? adresse ? profession ? puis le motif de notre arrestation ? »
Je répondis que j’avais été arrêté pour avoir distribué des tracts communistes contre les occupants. Et là, stupeur ! « Très bien » me répondit le préposé aux écritures.
Je n’en revenais pas ; arriver dans un camp de concentration après de si longs mois de prison en France et s’entendre dire que c’était très bien d’avoir appelé à la lutte contre les nazis ; je ne savais plus si je rêvais ou non. J’appris par la suite que les « Rouges » avaient chassé les « Verts » de l’administration interne du camp. Nul doute que je venais d’être interrogé par un combattant antifasciste.
Il fallut nous déshabiller complètement ; on passa dans une salle et là, à nouveau, stupeur ! Des rayés, munis de tondeuses électriques, rasaient de la tête aux pieds les camarades qui nous avaient précédés. Nous passâmes à ce genre d’exercice et nus comme des vers, c’est vraiment le cas de le dire, nous dûmes plonger, l’un après l’autre, dans un bac en ciment rempli d’un liquide qui piquait les yeux. Mieux valait enfoncer soi-même sa tête dans l’eau semi-boueuse…
Enfin nous nous trouvâmes sous la douche ce qui me délassa quelque peu. Après être passés dans un couloir chauffé faisant office de séchoir, des vêtements rayés nous furent octroyés. Les magasiniers ne regardaient pas à la taille. Une veste, un pantalon, un béret, une chemise, une paire de claquettes en bois, deux numéros à coudre (avec quoi !) sur le pantalon et sur la veste, avec deux lettres F sur un triangle rouge, nous étions drôlement affublés.
Pour certains, les jambes du pantalon arrivaient à mi-mollet, d’autres marchaient dessus ; quelques échanges eurent lieu mais, bousculés par les « Kapos » qui nous avaient pris en charge, cela n’était pas facile.
Au petit jour du 15 mai, nous descendions la montagne, trébuchant à chaque pas sur les cailloux, perdant nos claquettes de bois dans la boue. Des détenus, maigres à faire peur, allaient dans le sens contraire, vers la place d’appel que nous avions vue à notre arrivée. Ils parlaient dans toutes les langues.
Nous entendîmes parler français. 
« Où sommes-nous ? » 
« À Buchenwald ! »
Texte publié en janvier-février 1979 dans Le Serment N° 126, journal de l’association française Buchenwald – Dora et Kommandos

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Des Femmes dans La Résistance Nantaise

Héroïnes des Cités en bois
(Texte extrait de l’exposition « Saint Jo, la Révolution, les guerres »,
organisée par la Commune Libre de Saint Joseph de Porterie en 1997)
Voir l’ouvrage de Louis LE BAIL  » St Jo et les Batignolles : histoire d’un quartier nantais »

Pour l’exposition « Saint Jo, la Révolution, les guerres », nous en avons rencontré trois, seulement trois : il aurait fallu commencer l’enquête plus tôt. Elles ont bien voulu parler de cette période terrible, mais, chacune, à une condition : « qu’on parle aussi des autres camarades ».
Ce sont aujourd’hui (1997) des grands-mères, des arrière-grands-mères, très dignes, très discrètes, très seules aussi, souvent. Plusieurs ont dépassé 80 ans. Elles avaient de 18 à 35 ans, pendant l’occupation. Les injustices de la société les indignent toujours autant qu’autrefois ; l’indignation, c’est un signe de jeunesse, a dit un philosophe.
Elles ont toutes trois un autre point commun : elles ont habité la Halvêque, les « cités en bois » des Batignolles, car leurs maris étaient ouvriers à la grande usine.

Souvenirs de Madame Marcelle BARON
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Dès 1940, des réseaux de résistance s’organisent à Nantes, les femmes y participent activement. Madame BARON est l’une d’elles. Elle travaille alors chez Brissonneau. Le 4 novembre 1941, lorsque le jeune Christian de MONDRAGON hisse le drapeau français sur une des tours de la cathédrale, à la barbe de l’occupant, elle participe à la manifestation, place Saint Pierre. Son domicile, rue de Pressensé, sert de cache à de nombreux résistants :
Fernand GRENIER, avant son départ pour Londres, qui faisait la liaison entre le P.C.F. et le général de Gaulle ;
Gaston TURPIN, F.T.P.F., qui sera fusillé au Bèle ;
Georges GOASNAT, responsable de la résistance communiste pour la Bretagne ….

MMmes René JACQUET (l’épouse du secrétaire départemental de la C.G.T.), Zabeth LE GUYADER et Marcelle BARON deviennent responsables du mouvement des femmes communistes en Loire-Inférieure. Elles organisent la collecte de secours pour les familles de prisonniers, de déportés, de résistants. Mme BARON devient l’adjointe de Venise GOSNAT, lorsqu’elle est arrêtée.

Elle passe dans les caves de la Gestapo, place Louis XVI, où elle est tabassée, torturée. Comme la Gestapo ne peut rien obtenir d’elle (son opiniâtreté arrive même à provoquer une certaine admiration chez ses bourreaux), elle est déportée. A Ravensbrück, elle fait la connaissance de Geneviève de Gaulle, la nièce du général. Elle est envoyée dans un camp près de Karlovy Vary (Karlsbad), dans les Sudètes (Tchécoslovaquie), où les prisonniers doivent participer à la construction de fusées : le sabotage des pièces va bon train !

Au bout d’un an, c’est la libération, elle est ramenée en France, à bout de force. Elle retrouve sa famille, son mari Alfred BARON qui travaille aux Batignolles où il est responsable syndical. Ils viennent s’installer dans la cité en bois de la Halvêque, où ils resteront jusqu’en 1960.

« Surtout, dit Madame BARON (Ginette, dans la Résistance), n’oubliez pas de parler des autres camarades : Mme VAILLANT, Mme CHAUVIN, Mme LOSQ, Margot RIVET ! » (dont le fils a été déporté avec elle).

Souvenirs de Madame Renée LOSQ
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Madame Renée LOSQ : une alerte dame de 84 ans. Qu’a-t-elle fait, pendant la guerre ? Elle habitait la Halvêque. « On a constitué très tôt des réseaux autour des Batignolles. Et pour cause : le P.C.F. était déjà hors-la-loi avant le début de la guerre. Je cachais des copains F.T.P. dans l’illégalité, des gens de passage, le plus souvent inconnus. Je distribuais des tracts, je procurais des tickets de ravitaillement (volés) aux familles des copains en difficulté. »

« Nous formions des petits groupes très cloisonnés, question de sécurité. J’ai pourtant eu des contacts avec Raymond HERVE, avec TOUSSAINT …. » (Ce dernier, condamné à la prison dès avant la guerre pour avoir distribué des tracts anti-allemands).

Août – septembre 1942 – La résistance à l’occupant se développe, la répression aussi. Raymond HERVE est arrêté et comparaît devant le juge LE BRAS. Un commando pénètre dans le palais de justice pour le délivrer. Mme LOSQ est dans le jardin du palais pour protéger la fuite de ses camarades. Que s’est-il passé dans le bureau ?

« Ils m’ont raconté que le juge avait ouvert un tiroir, peut-être pour sortir une arme ? Un résistant a tiré, abattant le juge. Lequel ? Je ne l’ai pas su, sûrement pas HERVE, il n’était pas armé. »

Madame LOSQ accompagne P. HERVE à Concarneau où elle se fait arrêter, tandis que HERVE est repris à Lanester. Elle est envoyée en prison en Allemagne (Aix-la-Chapelle, Breslau, Cologne), condamnée à 12 ans de travaux forcés. Elle connaît les camps : Ravensbrück en Allemagne de l’Est, Mauthausen en Autriche….

Au bout de trois ans, c’est la Libération, elle rentre en France. Pendant ce temps, M. LOSQ, ouvrier aux Batignolles, a été arrêté, condamné à mort, fusillé au Bèle. Leur beau-frère Jacques GUILLOU, ouvrier aux Batignolles lui aussi, a été aussi fusillé au Bèle : on avait trouvé chez lui des tickets de pain volés….

Souvenirs de Madame Paule VAILLANT

Madame Paule VAILLANT est la fille de Marguerite RIVET, dite « Margot », pontonnière aux Batignolles (elle conduisait ces énormes ponts roulants que l’on aperçoit de la route de Paris), et la sœur de René RIVET dont on parlera plus loin.

En 1941, elle a 18 ans, elle est mariée, elle a un enfant. Elle participe au groupe de femmes résistantes de la Halvêque avec Marie CHAUVIN, Renée LOSQ …. Les réunions du groupe se tiennent en plein air, chemin du Perray, près d’une tenue maraîchère (magasin Décathlon actuel). C’est Madame BARON qui anime ces réunions.

On distribuait des tracts dans les files d’attente, en particulier chez L.U., rue Boileau, à l’angle de la rue du Chapeau Rouge. Au retour, on se regroupait dans les jardins du Palais de Justice. On distribuait aussi des tracts et on collait des affiches dans les trois cités en bois (Halvêque, Baratte, Ranzay).

« Un de nos exploits, c’est d’avoir réussi à coller une affiche sur le portail de l’usine Brandt, malgré les rondes de la garde allemande ». L’usine Brandt, aujourd’hui Saulnier-Duval, fabriquait des armes. « Une autre nuit, nous faisions une distribution de tracts dans la cité Baratte. Les chiens n’arrêtaient pas d’aboyer, à la Halvêque. C’est cette nuit-là que la Gestapo est venue arrêter Renée LOSQ, son mari et Jacques GUILLOU. »

Le groupe de Madame VAILLANT militait avec le Front National, organisation de la Résistance n’ayant pas la moindre ressemblance avec le parti qui porte ce nom aujourd’hui. Le responsable était le jeune Libertaire RUTIGLIANO, fils d’un émigré italien, qui mourut en déportation.

« Mon frère René RIVET était lui aussi membre du Front National. Ayant été dénoncé, il a été arrêté en avril 1944 à Trans sur Erdre, emprisonné à Lafayette, torturé place Louis XVI. Il a eu 20 ans en prison. Déporté à Buchenwald, il a été délivré par les Américains. Rapatrié sanitaire, il est décédé à l’Hôpital Bichat en juin 1945. Il avait 21 ans. »

« Nous organisions la solidarité : tous les mois, nous versions une certaine somme, suivant nos disponibilités, pour aider les familles des camarades en prison ou en fuite. »

Une anecdote parmi tant d’autres : « Marie CHAUVIN, qui était enceinte, a obtenu de se marier, à la prison Lafayette, avec Auguste CHAUVIN qui a été fusillé peu après. Courage ou inconscience du danger ? Margot RIVET, ma mère, et moi-même avons été témoins du mariage. Nous sommes allées à la prison avec ma petite fille Denise qui avait alors 2 ans, début septembre 1942. Jean CHAUVIN est né à la fin de septembre. »Ceci n’est qu’un trop rapide aperçu de la Résistance dans le quartier. Seulement trois femmes ont témoigné pour l’exposition ; il y en a eu tant d’autres !

Il y a eu les hommes : quelques-uns ont leur nom sur la plaque des fusillés, à l’ancien stand de tir du Bèle. Mesdames BARON, LOSQ et VAILLANT nous en ont cité quelques-uns : MM. BOURSIER, MAISONNEUVE, LE PRIM, RAYNAUD, Ange VAILLANT, Marius HONNET, Rémy GACHE, Henri LEFIEVRE …, M. ASTIC qui tenait la droguerie près de la Poste des Batignolles….

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Gisèle Giraudeau: la fille à la chaussette

J’étais : la fille à la chaussette

Gisèle Giraudeau est née à St Vincent des Landes en 1923, il n’y est restée que 4 ans, rejoignant son père à la gare de Treillières où il travaillait. Elle se souvient très bien de la déclaration de guerre, des Allemands contournant la ligne Maginot, des réfugiés du Nord qu’il fallait loger à la gare. Elle se souvient des impatiences de son frère, Joseph Fraud, son aïné de trois ans, qui voulait partir en Angleterre, par l’Espagne. Avec lui, elle a quitté la maison, à vélo, mais les deux jeunes gens ont été stoppés à la ligne de démarcation à Eymoutiers à une cinquantaine de kilomètres au sud-est de Limoges. « Après l’armistice du 22 juin 1940, nous sommes donc revenus à Treillières, très déçus ».

Février 1943, Joseph Fraud, refusant le STO (service du Travail Obligatoire), est caché en gare par des cheminots avant de pouvoir participer de façon plus active. C’est alors qu’il fait la connaissance de Libertaire Rutigliano et entre au Front National de la Résistance et de la Libération de la France.

« Moi je travaillais au service régional des assurances sociales à Nantes. Et, le week-end, à la demande de mon frère, je frappais les stencils servant à imprimer des journaux clandestins : Le Front des Ouvriers, le Front des Paysans, le Front des Universitaires, etc. Les journaux étaient cachés dans un cabanon au fond du jardin de Rutigliano et des camarades venaient les chercher pour les distribuer. Je m’occupais aussi de trouver des chambres pour les maquisards »

Le frère de Gisèle lui avait dit : « tu ne parles de rien à personne ». « J’ai respecté la consigne mais, au boulot, on en parlait beaucoup de ces journaux. Un jour, en mars 1944, un paquet de journaux a été trouvé aux Chantiers de Bretagne. La police est remontée jusqu’à l’ouvrier qui l’avait apporté, et plus haut dans la filière, c’est ainsi qu’ils ont arrêté mes amies, Jeannette Alain et Marcelle Baron à l’usine métallurgique Brissonneau ».

Gisèle s’interroge alors : partir ? « Mais si je partais, mes parents trinqueraient. Je suis restée. Cette fois-là, ce n’est pas moi qu’on cherchait. On cherchait DUHART, c’était le nom de guerre de mon frère ».

Le 3 avril 1944, Gisèle est arrêtée à son tour. « La Gestapo m’a emmenée dans ses locaux, rue du Maréchal Joffre. J’y ai retrouvé une amie qui m’a seulement dit en m’embrassant : je n’ai pas pu tenir. Le soldat de la Gestapo m’a flanqué une violente claque, je suis tombée et j’ai été emmenée dans les caves. J’ai été questionnée, torturée pour que je dise où était Duhart mais je n’ai rien dit. Dans les cellules voisines j’entendais les plaintes d’autres personnes. J’avais peur. Dans des situations comme cela, on implore le ciel, on essaie de répondre n’importe quoi, j’ai tenu »

Le 8 avril 1944, la Gestapo emmène Gisèle sur le quai de la gare de Nantes : elle doit servir d’appât pour arrêter d’autres résistants. La gestapo veille à proximité. « Ma sœur, 16 ans, est sortie du train avec un ami. Quand elle est passée à côté de moi, elle m’a dit discrètement « il est à l’abri ». En effet, Joseph, prévenu, était descendu du train à Nantes, par les voies et, équipé d’un vélo, avait filé vers Treillières.

Gisèle est alors emmenée par les Allemands jusqu’à Treillières. « Par la fenêtre, j’aperçois mon frère à l’étage. Les Allemands n’avaient rien vu. Moi je me disais : le sort est contre nous ». En entrant dans la maison de ses parents, Gisèle prend quelques secondes pour cajoler son chat venu lui faire fête : ce court laps de temps permet au jeune homme de descendre se cacher dans la cave. La porte de celle-ci, bien dissimulée, n’est pas repérée par les Allemands. « Le temps qu’ils interrogent mes parents, j’ai pu me faufiler jusqu’à l’étage et cacher la valise de mon frère sous le lit. Dans ses papiers, il y avait des caricatures d’Hitler ». C’était la veille de Pâques, ce 8 avril 1944. Les Allemands n’ont pas fouillé beaucoup. Joseph n’a pas été trouvé mais Gisèle a été emmenée en prison à Nantes jusqu’au 21 avril. « Votre fille, elle va partir pour l’Allemagne, pour éplucher des pommes de terre » disent les Allemands.

21 avril 1944 : un convoi quitte Nantes, avec 57 hommes dirigés vers Compiègne, un Juif dirigé vers Drancy et deux femmes, Marcelle Baron et Gisèle Fraud, dirigées vers le fort de Romainville, un ancien bastion de type Vauban, construit au XIXe siècle, surveillé par des miradors, ceinturé de grillages déroulés tout au long du chemin de ronde qui serpente sur les hauts murs. Romainville : antichambre des camps nazis.

13 mai 1944, il fait beau, très chaud même. Un colis de la Croix Rouge est remis aux 705 détenues que les Allemands font entrer dans le train à Pontoise. Des wagons à bestiaux avec une étroite ouverture grillagée. « Nous y sommes restées toute la journée, sous le soleil brûlant, nous avions soif. Les cheminots, dans la gare, avaient des bouteilles d’eau mais un cordon d’Allemands empếchait tout contact. Nous ne sommes parties que le soir, celles qui l’ont pu ont écrit de brefs messages jetés sur la voie, acheminés ensuite par ceux qui les trouvaient : c’est ainsi que j’ai pu faire dire à mes parents que je partais pour l’Est ».

Dans le train, les femmes sont anxieuses : pour l’Est ? Pour l’Allemagne ? « Nous sommes entassées dans ce wagon, le colis de la Croix Rouge est terminé. La « tinette » déborde, nauséabonde. Nous avons soif, le matin je passe ma main à travers le vasistas pour recueillir quelques gouttes de rosée sur le toit ».

A la frontière allemande, la Croix Rouge peut offrir un quart de soupe bienvenu. A Berlin, sous les bombardements, le train est bloqué une journée, puis le voyage reprend, il durera en tout cinq jours et quatre nuits. A l’arrivée les femmes sont en mauvais état, épuisées.

Gare de Fürstenberg à 80 km au nord de Berlin. « Nous avions encore nos montres. Il est deux heures du matin. Des projecteurs nous aveuglent. Chiens. Des ordres sont hurlés en allemand : se ranger en colonnes par 5. Celles qui, parmi nous, connaissent cette langue, nous transmettent les ordres. Chercher nos valises. Schnell ! Aider les plus faibles à descendre. Schnell ! Relever celles qui sont tombées. Schnell ! Schnell ! Nous ne sommes pas sur le quai de la gare mais sur les voies et c’est encore plus difficile de descendre ».

Les 705 femmes, en colonne, marchent sur 2-3 km, en direction de Ravensbrück. Elles traversent un bois, cela sentait bon la verdure. Puis elles parcourent une allée bordée de belles maisons, avec des fleurs aux balcons. Timidement l’espoir renaît. Les femmes apprendront vite que ce sont les maisons des gardiens du camp.

Pour elles, voici un immense portail avec des murs de 5 mètres de haut. Et des barbelés. Et toujours les projecteurs et les chiens. « On nous a fait nous ranger dans un coin de la cour et nous mettre par ordre alphabétique : chacune demandait le nom de ses voisines : Une belle pagaille ! Mais enfin ça y est, nous sommes rangées »gisele_giraugeau200.jpg

Quatre heures du matin, le jour se lève, « Nous apercevons quelques prisonnières qui nous font de grands signes. Nous finissons par comprendre qu’il faut manger tout ce qui reste dans nos bagages. Nous ne les croyons pas. Nous essayons de leur envoyer quelque chose et nous récoltons des coups de nos gardiens. L’inquiétude nous étreint. Vers 5 heures, le camp s’éveille, des femmes vont chercher des bidons de café. D’autres convergent vers la place d’appel ».

« Nous, on nous fait entrer dans les bureaux : nom, adresse, bijoux, argent. Nos objets précieux sont mis dans une enveloppe qu’on a promis de nous rendre. [Mais nous n’avons rien récupéré !] »

Puis c’est le rituel habituel : déshabillage total, désinfection au grésil (ça pique !). « On nous entasse alors dans une salle, les portes sont fermées. C’est la salle de douche, une douche qui nous fait grand bien après notre voyage. Mais l’alternance du chaud et du froid nous met mal à l’aise. Nous avons la peur au ventre ».

Au sortir de la douche, chacune reçoit un paquetage : robe légère, culotte, chaussures à semelles de bois. « Nous recevons aussi une bande à coudre sur notre robe, avec notre numéro matricule. Et un triangle rouge, car je suis Résistante. Coudre ? Avec quoi ? Nous n’avons rien, mais il faut se débrouiller et surtout retenir ce satané numéro, en allemand. Pour moi : 38 854 »

« Je ne suis plus qu’un numéro : 38854 : achtunddreißigtausendachthundertvierundfünfzig »

Quarantaine

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Les 705 femmes sont alors entassées dans une baraque prévue pour 350. Elles se partagent les châlits superposés. Promiscuité. Pas le droit de parler avec des personnes de l’extérieur. C’est la période de quarantaine, 40 jours sans sortir, même pour l’appel. « Ce système d’appel que nous pouvons observer, avec le comptage et le recomptage, les longues séances debout, les chiens, cela ne nous dit rien de bon. Nous avons quand même appris le débarquement du 6 juin 44 car des femmes sont passées en criant le long de notre baraque : le débarquement est fait ». Dans la baraque, les femmes fredonnent La Marseillaise.

« Au dehors, nous apercevons les enfants, en haillons. Ils n’ont rien à manger, ils n’ont même pas de gamelles, rien que des boites de conserve. Ils sont avides de cette nourriture infecte que, au début, nous refusons. Je comprends que c’est l’enfer ». A Ravensbrûck, les femmes qui arrivaient enceintes accouchaient et retournaient très vite au travail. Aucun supplément de nourriture. Les femmes qui pouvaient voler (on disait « organiser ») des gants en caoutchouc en faisaient des biberons de fortune. Seuls trois enfants revinrent de Ravensbrück. « Nous avions des piqûres tous les 2-3 jours, je n’ai jamais su pourquoi. Celle qui demandait recevait une paire de claques. J’ai toujours pensé que ces piqûres provoquaient une modification hormonale car, nous les femmes, nous n’avions plus nos règles »
Zwodau

Gisèle n’est pas restée au camp de Ravensbrück, elle a été dirigée vers le Kommando de Zwodau, dans les Sudètes, qui, au début, dépendait de Ravensbrück. « Trois jours de voyage. L’horizon verdoyant nous a apporté un peu de réconfort. Pas longtemps ».

« A Zwodau, on a demandé des volontaires pour travailler à l’usine Siemens qui fabriquait des pièces pour l’aviation. Personne n’a répondu. Nous avons alors appris qu’il nous faudrait ramasser du charbon dans la mine voisine, à ciel ouvert, pour chauffer les maisons de gardiens et les blocks du camp. Ou travailler à la réfection des routes ou faire du bûcheronnage en forêt. Finalement nous avons accepté l’usine. Là au moins il faisait chaud ».

Lever à 4 h du matin, lit à faire au carré, appel qui dure longtemps, cinq par cinq, même les malades qui pouvaient tenir debout. Attendre qu’on nous compte : la blockova, l’aufseherin, le commandant … et il faut trouver le même nombre ou recommencer à compter. Un liquide noir en guise de café. Se laver. Schnell, schnell. Et partir au travail.

Pour aller travailler, d’abord se ranger, puis marcher au pas en chantant. « Alli Allo, chantaient les premiers rangs. Nous, les Françaises, nous étions en bout de colonne car nous n’avons jamais su marcher au pas, nous ne voulions pas marcher au pas. Et nous chantions : as-tu vu la casquette la casquette, as-tu vu la casquette du père Bugeaud, Elle est faite la casquette, la casquette, Elle est faite avec du poil de chameau ». [vieux chant historique que Radio-Alger avait adopté comme indicatif]

« J’ai appris à manier la perceuse, le tour, la scie circulaire. C’est un Allemand qui m’a appris, il s’est adouci quand il a compris que j’étais là pour faits de Résistance, et pas « droit commun ». J’ai pris tout mon temps pour apprendre le maniement des machines car je ne voulais pas travailler pour l’Allemagne »

Marcelle Baron, dans cette usine, s’efforçait de percer de biais : le trou devenait inutilisable, la mèche cassait. Elle a été tabassée souvent. D’autres filles limaient certaines dents de la scie circulaire : les pièces fabriquées avaient des défauts.

Punies

« Nous travaillions en équipe. Douze heures de jour. Ou douze heures de nuit. Je ne faisais pas partie de la même semaine que mon amie Marcelle Baron et j’en étais très triste. Mais nous, les Françaises, nous nous soutenions beaucoup. Les plus jeunes, comme moi, essayaient de faire rire les autres. Nous n’avions sur le dos qu’une robe légère. La neige a commencé à tomber dès octobre-novembre. En mai 1945 la neige n’avait pas encore fondu. Il faisait -25°. Il fallait tenir cependant ».

Le soir, les appels étaient plus redoutables que le matin, car on pouvait être « appelées » : achtunddreißigtausendachthundertvierundfünfzig, pour avoir parlé, pour avoir passé trop de temps dans les « toilettes », pour avoir déplu tout simplement. C’était alors une liste de punitions, à effectuer le dimanche matin. « C’est ainsi que j’ai déchargé des rutabagas, et des pommes de terre. J’ai transporté des ferrailles aussi et déchargé un wagon de briques. Avec le froid qu’il faisait, cette corvée vous arrachait la peau des mains ».

Une seule fois Gisèle a pu écrire à sa famille, en allemand bien sûr, texte imposé « Je mange bien, je dors bien. Envoyez moi un colis ». « Ma lettre n’est arrivée qu’en décembre 1944, je n’ai jamais eu de colis. Celles d’entre nous qui en ont reçu ont tout partagé. Trois ou quatre morceaux de sucre par personne, un ou deux gâteaux. Le grand plaisir ».

Plus le temps passait, plus la soupe était claire, il fallait la manger dehors, debout, dans la gamelle. Les déportées qui le pouvaient « organisaient » (volaient) des betteraves blanches ou un os à la cuisine, pour le ronger comme elles pouvaient. « J’avais fabriqué un couteau à l’usine, en ponçant un morceau de fer sur une meule. Je le cachais dans ma chaussette. J’étais la fille à la chaussette car mes chaussettes, grises au départ, étaient raccommodées avec des fils de toutes les couleurs donnés par les filles qui travaillaient à la couture ».

Ce calvaire a duré onze mois. « Et puis, début mai 1945, les Allemands nous ont mis sur les routes en direction de Flossenbürg. Nous avons erré pendant 5 jours, partout nous nous heurtions aux Alliés. Les Allemands nous trimballaient d’une grange à l’autre, il faisait un froid de canard. Et nous sommes revenues au camp ». Le 7 mai 1945, « ils sont là ». Les tanks américains ont ouvert les grilles du camp de Zwodau.

Gisèle et ses compagnes ont pu partir vers Duisburg, dans des camions pas couverts. Trois jours de voyage, « comme des wagons à bestiaux, mais avec de la paille. Nos pauvres os à fleur de peau ressentaient toutes les secousses du camion. Lors des arrêts, nous allions en campagne chercher des œufs et des poulets, les prisonniers français nous aidaient ».

Franchir le Rhin (le pont n’avait plus de rambarde). Charleville Mézières. Angers. Là Gisèle a pu faire téléphoner à ses parents et au mari de Marcelle Baron. « A Nantes, sur le quai de la gare, j’ai pu voir mon père, ma sœur, mon frère de qui je n’avais plus eu de nouvelles ». A cette évocation la voix de Gisèle se brise. « Pour Marcelle, il a fallu aller chercher une civière. Moi je ne faisais plus que 38 kg mais tout le temps de ma déportation, je savais que je reviendrais, j’étais de celles qui redonnaient confiance aux compagnes qui n’avaient plus le moral »

Gisèle, depuis, témoigne de ce qu’elle a vécu, sans haine : les souffrances, la solidarité, pour que « cela » ne se reproduise pas. Pour la remercier, les enfants ont chanté « Nuit et brouillard ».

Ecoutez Gisèle raconter :

L’arrivée au camp

La vie dans le block 10

Cet article a été conçu par le journal en ligne La Mée

http://www.journal-la-mee.fr/3202-gisele-giraudeau-la-fille-a-la

Marthe GALLET de Saint-Nazaire à la Libération de Paris

Le 3 novembre 2014, une foule emplit la grande salle de la résidence du Traict, sur le front de mer de Saint-Nazaire. Tous ces gens, famille, amis, camarades, résidents, personnel de l’EPHAD sont venus souhaiter un bon anniversaire à Marthe Gallet, et pas n’importe lequel: le 100ème.
Marthe Gallet, « ce petit bout de femme à la vie extraordinaire »1 est une figure nazairienne dont la vie est jalonnée d’engagements multiples.
Née en 1914, Marthe Robert entre à l’Ecole normale d’institutrices de Nantes et commence à militer au syndicat des instituteurs, au Groupe des jeunes. Elle militait déjà au Parti communiste depuis 1934. C’est l’époque des luttes antifascistes, du soutien à l’Espagne républicaine et du Front populaire qui l’enthousiasme. C’est dans un défilé à La Baule qu’elle rencontre Frédéric. Instituteur, lui est passé par l’Ecole normale de Savenay. Tous deux sont militants, Frédéric devient responsable du Comité du Front populaire, tandis que Marthe s’occupe de l’Union des Jeunes Filles de France, un mouvement créé par Danièle Casanova et d’autres pour permettre aux jeunes filles, en un temps où la mixité n’était pas ce qu’elle est aujourd’hui, de s’engager elles aussi. Elle épouse Frédéric en 1937 et ils obtiendront un poste double à Trignac en 1939.
1939, c’est la guerre. Frédéric est mobilisé, il laisse sur le quai de la gare sa femme et sa fillette, Françoise née l’année précédente. Grâce à deux militants, Raymonde et Ernest Pichon2, elle reprend contact avec le parti communiste, hors la loi depuis le 26 septembre 1939 et participe à la diffusion de tracts et journaux clandestins et apporte son aide aux militants traqués par la police, car la répression est féroce.
« Septembre 1942. Soudain vers onze heures du soir, des coups violents ébranlent la porte. Ma sœur était avec moi. Son mari venait de quitter la maison avec Albert Rocheteau3. Tout de suite, nous avons eu peur pour eux. Mais la police arrêtait cette nuit-là toute une liste de suspects dont je faisais partie. Comment expliquer que malgré la douleur de quitter ma petite Françoise endormie dans son berceau, je ressentis une sorte de soulagement. Ma sœur partit dans la nuit par des chemins détournés, roulant ma petite fille dans sa poussette. Elle la conduisit à Saint-Nazaire chez ses grands-parents.(…)
Je fus conduite à pied à la prison de Saint-Nazaire où je retrouvai « Tante Fine » arrêtée la nuit même au Croisic. Les policiers voulaient savoir où se trouvaient Georges et Léone, les interrogatoires se succédèrent. A l’un d’eux, ils amenèrent une petite fille de l’âge de Françoise me promettant la liberté si je donnais une adresse.
Je fis connaissance avec la saleté de la prison et pourtant j’étais privilégiée. Nous n’étions que trois dans une grande pièce, mais les tas de chiffons qui s’amoncelaient étaient un lieu d’élection pour les souris; nous trouvions sous nos paillasses des nichées de petites souris toutes roses. J’étais avec deux condamnées de droit commun dont je garde un excellent souvenir, l’une emprisonnée pour avortement, l’autre rejetée par la société, Marie, à qui j’apprenais l’orthographe. »
Après Saint-Nazaire, c’est le circuit des prisons : château de Gaillon (Eure), camp de la Lande près de Tours, où elle fait une tentative d’évasion, infructueuse mais qui lui fait inventer La Chanson des évadés, de nouveau Tours puis le transfert à la prison des Tourelles à Paris qu’évoque Patrick Modiano dans son roman Dora Bruder, d’où elle s’évade en février 1944 après avoir pris quelques cours d’espagnol auprès de Républicaines internées. Elle reprend sa place dans la résistance, et s’engage dans les FTP, elle devient l’agente de liaison Michèle, attachée à l’Etat-major du Colonel André, de son vrai nom Albert OUZOULIAS4 et parcourt Paris à vélo pour transmette les courriers et les instructions. Arrive l’insurrection d’août 1944, elle est en première ligne et participe à ce titre à la libération de Paris.
marthe_gallet.jpgPrison des Tourelles- Hiver 1943 Marthe est au centre
Après la Libération, elle rentre à Saint-Nazaire et reprend son métier d’institutrice à l’école Jean Jaurès. Elle anime et préside l’Union des Femmes françaises, mouvement né pendant l’Occupation à partir des comités populaires féminins (aujourd’hui Femmes solidaires). Les combats ne manquent pas. Si la guerre est finie, les conflits ne manqueront pas – Indochine, Algérie, Vietnam . Conflits sociaux également dans lesquels elle est investie: 1955, 1967, 1968. Luttes pour l’école et la laïcité.
Marthe Gallet nous a quittés en 2015 dans sa 101ème année.
1- Ouest-France 7/11/2014
2- Ernest Pichon, membre du triangle de direction de la résistance communiste nazairienne avec Emile Bertho et Pierre Mahé, il sera arrêté le 5 août 1942, torturé, emprisonné, il comparaît devant la Cour spéciale de Rennes avec 25 autres communistes, en février 1943. Il sera déporté à Buchenwald.
3- Albert Rocheteau, membre de l’Organisation spéciale, puis des FTP
4 – Albert Ouzoulias, adjoint du colonel Rol-Tanguy, auteur de Les Bataillons de la jeunesse Editions sociales

Le camp des Tourelles
Avant le Bureau des légendes et l’existence de la télévision, la caserne des Tourelles, dans le 20ème arrondissement de Paris, qui abrite aujourd’hui les services de renseignements, a été un camp d’internement. 7 658 personnes y ont été internées entre novembre 1940 et le 19 août 1944: des « indésirables » étrangers, des communistes, des femmes juives, des réfractaires au STO.
Le 14 mai 2018, la Ville de Paris a dévoilé une plaque commémorative, au 163, boulevard Mortier Paris 20ème, à la mémoire des populations internées dans cette caserne entre 1940 et 1944. Le Musée de l’Histoire vivante de Montreuil possède et a exposé fin 2019/début 2020 trente et un portraits d’interné-e-s des Tourelles
Pour en savoir plus
* reportage dans L’Humanité-Dimanche n° 689 2 au 8 janvier 2020
* Louis Poulhès , Un camp d’internement en plein Paris : Les Tourelles, Atlande éditeur

Esther GAUDIN, la « fille aux planches » témoigne

« La Résistance, ce mot qu’on voudrait voir sombrer dans l’oubli, évoque pour moi un passé déjà lointain mais qui n’a pas commencé seulement aux heures sombres de 1940 et 1941. La participation de ma famille et notamment de mon père 1 à la lutte contre le fascisme dès 1934, me portait tout naturellement à prendre parti. Les plus fidèles souvenirs, ceux que ma mémoire a fixés comme déterminants: les paroles de Gabriel Péri lors d’un meeting à Nantes où il appelait au soutien total à l’Espagne républicaine. Ce soir là, je savais que si la République espagnole était vaincue, nous aurions la guerre ! Nous étions en 1938.

De la désobéissance…

En août 1940, les troupes allemandes faisaient leur entrée à Nantes, j’avais 14 ans. Je fréquentais à cette époque le collège Aristide Briand, place de la République à Nantes. S’il n’y avait pas eu les conversations de mes parents, certaines allées et venues dans la maison, une première perquisition de la police française, puis l’arrestation de mon père, la vie aurait peut-être continué pour moi comme pour beaucoup de mes camarades de classe.
Mais, lorsque le professeur de français nous pria, dans le cadre du cours, de rédiger une lettre que tous les collégiens français devaient adresser au Maréchal Pétain, d’un bond publiquement dans la classe, je refusai de faire ce « devoir ». C’était un acte de contestation rare à l’époque, dans une classe. A la demande d’explication du professeur, je répondis tout simplement que mon père venait d’être interné administratif2 par la police du Maréchal.
Le professeur me pria d’aller la voir après les cours, elle fut des plus compréhensives, regrettant toutefois que mon refus se soit manifesté publiquement. En mon for intérieur, je regrettais cette mise en cause de son autorité, mais je n’en laissais rien paraître. Une seule chose comptait, mon refus qui avait entraîné celui de toute la classe, et, à ma connaissance, aucun devoir ne fut remis, ni à ce moment-là, ni plus tard et les répercussions allèrent bien au-delà du simple refus de composer un devoir vénérant le fantoche de l’époque.

…aux débuts de la Résistance

Peu de temps après, je fus contactée par un étudiant parisien, dont je n’ai jamais connu l’exacte identité. J’acceptai de participer aux activités du Front National Universitaire. A partir de ce moment, régulièrement des tracts dénonçant le fascisme, étaient distribués au collège et au lycée Clemenceau.
La Résistance s’organisait, la lutte devenait plus dure, mon père interné à Châteaubriant nous parlait des camarades affectés à la baraque des otages. C’est là que furent choisis une grande partie des 27 de Châteaubriant. c’est parmi les meilleurs militants, les plus éprouvés que fut fait le choix de Pétain et de Pucheu, mon père fut épargné.
Quelques temps après, on me confia une mission : aller chercher, à Châteaubriant, le paquet de planches sur lesquelles les fusillés avaient écrit, en plus de leurs lettre, leurs dernières volontés. Les camarades les avaient détachées de la baraque et camouflées dans le camp. Elles en furent sorties par le camarade Roger Puybouffat2, dentiste à Châteaubriant, qui était admis au camp pour dispenser des soins dentaires aux intéressés. Inutile de préciser les risques pris par ce camarade.
Je pris le train de Nantes pour Châteaubriant et je me rendis directement chez le dentiste. Je ne pouvais y rester, les enfants étaient jeunes et bavards. Munie de mon lourd et précieux colis, je pris mon premier repas au restaurant de la gare, seule, en attendant le retour vers Nantes.
J’avais des consignes strictes en cas de fouille le train, mais fort heureusement tout se passa bien et les planches, cachées en lieu sûr, sont aujour-d’hui au Musée de l’Histoire vivante à Montreuil3. Pour moi, il reste le souvenir d’une certaine appréhension bien sûr, mais aussi d’une grande fierté. Ces hommes étaient morts, ils avaient tout donné, il fallait que le monde et la jeunesse sachent qui ils étaient et pourquoi ils étaient morts.
planche_guy_moquet.jpgPlanche gravée par Guy Môquet, aujourd’hui exposée au Musée d’Histoire vivante de Montreuil
Peu de temps après, mon père s’évadait du camp de Choisel4. Ce fut une période difficile, remplie d’inquiétude pour ma famille. Il était recherché et nous dûmes, maman et moi, nous cacher avant de quitter la région. J’avais quitté le collège avec chagrin, certaines de mes compagnes de classe me croyaient à Londres. D’autres savaient bien que je n’étais pas si loin. La Résistance avait fait son chemin.

Dans le maquis de Nort-sur-Erdreesther_gaudin200.jpg

A Paris, j’aidais maman dans son travail d’agent de liaison, je transportais des tracts, j’étudiais. Ces activités furent interrompues à l’arrestation de maman et pendant 12 à 15 mois, j’essayai d’apporter à mes parents un peu de réconfort et les colis dont ils avaient besoin en prison, pour survivre. Jusqu’au jour où, revenue illégalement à Nort-sur-Erdre, je repris contact avec les partisans (FTPF) du secteur.
Ce fut une courte, mais enthousiaste période. Nous assistions à l’effondrement des oppresseurs, qui battus, n’en demeuraient pas moins dangereux. Le drame du maquis de Saffré5 en est un terrible témoignage. Seuls nos camarades FTP avaient été clairvoyants; hélas, le courage des jeunes FFI n’a pas empêché le massacre.
J’entrai ensuite tout naturellement au 2ème bataillon et participai à la lutte. La Libération était proche, il subsistait encore quelques îlots de soldats allemands retranchés dans des « poches » dont celle où nous combattions, la « poche de Saint-Nazaire ».
Puis ce fut le premier contact avec Nantes après trois ans d’absence. Une distribution de vivres effectuée à Chantenay-les-Nantes libéré, boulevard de la fraternité, quelle joie débordante ! La population, privée de pain et de produits de première nécessité, nous accueillait à bras ouverts.
Des moments difficiles nous attendaient encore. A la joie de la Libération succédait l’anxiété pour tous ceux qui, déportés en Allemagne, ne donnaient aucune nouvelle. La guerre continuait, Hitler n’était pas encore vaincu. Mon bataillon cantonné à Guémené-Penfao participait à la bataille et a contribué à la défaite des forces allemandes demeurées dans le secteur. C’est là que, blessée dans un accident de moto, je quittai mes camarades pour un séjour de deux mois à l’hôpital.
Je fus juste rétablie pour participer avec le bataillon à la première commémoration des Fusillés de Châteaubriant. Rassemblement inoubliable par son ampleur et par la présence des représentants de toute la Résistance, mais aussi des armées alliées: Américains, Soviétiques, Anglais. Marcel Cachin sorti récemment de la clandestinité, malgré sa fatigue, était là pour saluer tous ceux qui à Châteaubriant et ailleurs avaient donné leur vie pour la France. Mais à côté de tous les grands noms de la Résistance, tout le peuple de Châteaubriant et des environs était venu.

Souvenons-nous de « Tante Madeleine »

J’ai essayé de rapporter fidèlement ce que fut ma contribution à la Résistance de notre peuple à l’occupation allemande. Je ne peux terminer sans évoquer le souvenir de celle qu’on a appelée Tante Madeleine et qui a été, pendant les années noires, celle qui a aidé de toutes les manières les combattants dans le secteur de Nort-sur-Erdre. C’est chez elle que, très naturellement, j’ai trouvé refuge. C’est chez elle que tous ceux qui se battaient faisaient halte pour y puiser le réconfort moral et matériel. Elle donnait tout ce qu’elle possédait et son commerce était le lieu de rencontre où se croisaient de nombreux résistants.
Elle a lutté jusqu’au bout. seule la certitude que son mari6, déporté en Allemagne, ne reviendrait pas, a eu raison de ses nerfs. Elle est morte sans qu’on ait pu lui témoigner comme il eût fallu notre reconnaissance et notre affection. On ne peut ignorer cette femme exemplaire: Madeleine Legoff.
Source
Amicale de Châteaubriant – Voves – Rouillé

1- Pierre Gaudin – métallo, syndicaliste CGTU-CGT, militant communiste, résistant, déporté. Interné politique au Croisic, il est transféré dans le camp de Choisel à Châteaubriant d’où il s’évade le 24 novembre 1941. Il est arrêté le 3 septembre 194é2 et condamné par la section spéciale de la Cour d’appel de Paris, il est emprisonné à la Santé puis dans la centrale d’Eysses où il prend part à l’insurrection de février 1944. Il est alors déporté à Dachau, puis Mauthausen d’où il rentre à Nantes en juillet 1945 et reprend le combat.
2- Roger Puybouffat a joué un grand rôle dans l’aide aux internés de Choisel, pas seulement comme dentiste. Il a payé cher son engagement. Le 13 décembre 1941, il est arrêté par Touya, il comparaît devant le tribunal correctionnel de Châteaubriant et est acquitté faute de preuves. Néanmoins il n’est pas libéré mais interné dans le camp de Voves. Il est ensuite déporté vers Sarrebrück, Neuengamme, Mauthausen et enfin Loib-Pass. Rentré à Paris le 20 juin 1945, il est dans un état médicalement catastrophique. Il survivra pendant « 38 années volées aux nazis ». Il décède en décembre 1983.
3- BD Immortels ! Cette action est dessinée dans la Bande dessinée éditée par le Comité du souvenir, planches 25 et 26 puis 36 et 37.
4- Camp de Choisel – Situé à Châteaubriant, le camp interne d’abord des Roms et des droits communs. A la suite de la grande rafle d’octobre 194à , réalisée par la police française parmi les responsables communistes, élus, syndicalistes, les militants sont transférés à Choisel à partir de mai 1941, après un périple à travers plusieurs prisons (Clairvaux, Fontevrault etc)
5 – Maquis de Saffré – A l’été 1943, un maquis se forme au lieu-dit « La Maison Rouge » sur la commune des Touches, près de Nort-sur-Erdre (44). Des jeunes réfractaires au STO s’entraînent dans la forêt de Teillay. Décision est prise de regrouper les forces et de transférer le maquis en forêt de Saffré. Le 28 juin 1944, peu avant le lever du jour, 2 500 soldats allemands et miliciens « français » attaquent les maquisards. 13 maquisards meurent au combat, 27 sont faits prisonniers et sont fusillés le lendemain au château de la Bouvardière, à Saint-Herblain.
6 – Ernest Legoff, militant communiste et CGTU très actif à Saint-Nazaire, il s’installe à Nort-sur-Erdre comme gérant d’un magasin des Docks de l’Ouest. Arrêté par le SPAC le 12 août 1942, il est jugé avec 44 autres accusés en 1943 (Procès des 42), condamné, il est déporté et meurt le 15 mars 1944 à Dora.

Elsa Triolet dans la Résistance

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« La poésie prit le maquis » écrivit Paul Eluard, évoquant l’engagement dans la Résistance d’écrivains – beaucoup de poètes effectivement, qu’il publia dans la clandestinité: L’Honneur des poètes. Elsa Triolet fut l’une des rares écrivaines françaises célèbres qui ait participé à la Résistance à la fois par ses actes et par ses écrits.

L’entreprise était périlleuse: elle était d’origine étrangère (russe !), juive et mariée à un écrivain communiste, directeur d’un journal interdit Ce soir, surveillé par la police. Peu avant la fin de la guerre, pour la première fois depuis 1940, elle écrit le 1er février 1945 à sa sœur, Lili Brik, en Union soviétique: « Notre calvaire a commencé en 1939. Le 2 septembre Aragon a été mobilisé, le 3 octobre il y a eu chez mois une grandiose perquisition. Nous étions suivis par les flics. Quand Aragon en a eu assez, il a demandé à quitter son bataillon, en quelque sorte disciplinaire, pour le front. Il s’est retrouvé dans une division de blindés qui ne reculaient que sur ordre; fin mai, ils ont dû fuir par la mer, si tu te souviens de la retraite de Belgique, par Dunkerque, en Angleterre: de là ils sont allés à Brest et à travers toute la France sans cesser de se battre jusqu’à l’Armistice. Pendant ce temps, j’étais surveillée en permanence et on m’aurait sans doute arrêtée, si n’était intervenue la fuite générale de Paris… ». Un peu plus tard, dans une lettre à sa sœur, le 17 mai 1945, elle précise:  » en 39, (…) les gens passaient sur l’autre trottoir pour ne pas avoir à me serrer la main et la seule personne qui ne m’abandonnait pas était le flic qui me filait partout. » Son deuxième livre en français, sur Maïakovski est détruit par la police. Ce sera pire à la fin de la guerre quand le lieutenant SS Rothke du commandement de la Gestapo et de la SD en France demande au commandeur de la Gestapo de Marseille « d’arrêter immédiatement la juive Elsa Kagan, dite Triolet, maîtresse d’un nommé Aragon également juif. » A la chasse aux « judéo-bolchéviques » s’ajoute la propagande vichyste antiféministe qui stigmatise les femmes intellectuelles, les rendant en partie responsables de la défaite.

1940
Toutes les conditions étaient donc réunies pour qu’Elsa Triolet se taise; or elle ne s’est pas tue. De janvier à mai 1940, alors qu’Aragon est mobilisé, que se tient le procès des députés communistes, elle publie dans la NRF, dirigée par Jean Paulhan, quatre articles sous le titre « Souvenirs de la guerre de 1939 » jusqu’à ce que la revue, sous la pression de Drieu la Rochelle, mette fin à cette publication. Dans cette chronique, contrebalançant la propagande hitlérienne, elle s’attaque au racisme. En juin 1940, alors qu’Aragon est pris dans la « poche » de Dunkerque, la police interroge E. Triolet pour savoir où il est mobilisé. Elle quitte alors Paris pour tenter de le retrouver, ce qui se produit fin juin à Javerlhac, en Dordogne où il est démobilisé.
A partir de ce moment ses activités vont tantôt rejoindre celles d’Aragon, tantôt être menées de façon autonome. Après être passés en Corrèze chez Renaud de Jouvenel, ils se réfugient chez Pierre Seghers aux Angles, puis à Nice de la fin de 1940 au 11 novembre 1942. Auparavant, elle a participé avec Georges Sadoul, à Carcassonne à la création du réseau des « Etoiles » qui s’étendra progressivement sur 41 des 42 départements de la zone sud et regroupera des intellectuels de différentes branches. Elle décrit leur activité dans sa lettre à Lili Brik:  » Nous travaillons avec les intellectuels, Aragon avait la responsabilité de toute la zone libre. Nous sortons le journal Les Etoiles et avons monté une maison d’édition, La Bibliothèque française. Dans la clandestinité, bien sûr. Notre réseau à très vite couvert toutes les branches de la science, de l’art, environ 50 000 personnes ont rejoint l’organisation; dans toutes les villes ont commencé à sortir des journaux locaux des médecins, des juristes, des enseignants etc. Nous avions nos agents de liaison qui diffusaient la littérature, c’étaient comme des commis-voyageurs qui établissaient les contacts. Le principal adjoint d’Aragon était Georges Sadoul. » Le journal Les Etoiles paraîtra de février 1943 jusqu’à la Libération. E. Triolet agit donc en relation avec un ou plusieurs réseaux résistants, y compris la MOI.
Vivre en couple, avec un autre résistant, n’était pas sans danger et posait des problèmes de sécurité. E. Triolet ne voulant pas céder sur son engagement dans la Résistance, envisage plutôt de quitter Aragon, refusant le conseil de celui-ci, qui lui suggérait de se concentrer sur son travail littéraire. Bonne leçon de féminisme: « Elsa m’avait arraché mes lunettes masculines, ces préjugés de l’homme qui (…) confine sa femme à n’être que sa femme, son reflet ». Aragon la suit dans cette opposition et c’est peut-être le point de départ de sa réflexion féministe, qui va se développer dans ces années-là.

1941
Fin juin 1941, après l’arrestation de Gabriel Péri en mai, elle se rend à Paris avec Georges Dudach, leur agent de liaison pour la zone occupée. Ils sont arrêtés après avoir franchi la ligne de démarcation et emprisonnés trois semaines à Tours. E. Triolet a l’idée d’un subterfuge: dire qu’ils arrivaient de Paris et que, pris de peur au moment de franchir la ligne, ils revenaient sur leurs pas. Le 15 juillet, ils sont relâchés et refoulés sur…Paris où ils rencontrent Georges Politzer, sa femme Maïe et Danièle Casanova. C’était le but de leur voyage ! Ils convainquent Politzer de la possibilité de faire paraître légalement une littérature de contrebande, préparent le n°2 de La Pensée libre et organisent avec J. Paulhan et Jacques Decour un groupement d’écrivains préfigurant le Comité national des écrivains. Dans sa Préface au désenchantement, E. Triolet raconte les péripéties de cette création du CNE: « Aragon et Paulhan décidèrent de tâter le terrain en premier auprès de Georges Duhamel et s’en furent chez lui, dans sa maison de campagne ».
C’est également au cours de ce séjour qu’ils préparent avec Jacques Decour le projet de publication des Lettres françaises. Puis ils rentrent en zone sud. A l’automne 1941, va paraître dans L’université libre un Manifeste des intellectuels de la zone occupée dont la rédaction est probablement due à Aragon, E. Triolet, P. Seghers et Andrée Viollis. Durant cette période E. Triolet écrit, pour la revue de P. Seghers Poésie 41, une série d’articles intitulés Fantômes 41 puis Fantômes et monstres 42, série qui s’achève en mars 1942. Elle y évoque l’atmosphère trouble et sombre de cette période et y définit à mots couverts, en mars 1941, ce que l’on a appelé « la contrebande ». Elle y évoque aussi les Juifs pourchassés par les nazis et par Vichy.
En ce temps là, « c’était dur et pénible ». Pour survivre, elle écrit des nouvelles : La Belle épicière, Le Destin personnel, Henri Castellat, Mille regrets pour dire: « Ne croyez pas que personne n’ose désobéir »

1942
A Villeneuve-lès-Avignon elle écrit aussi Clair de lune, le premier texte qui contienne une évocation des camps de concentration. A Nice leur sont parvenues de Suisse, par l’intermédiaire de Bernard Anthonioz les premières images des camps allemands. L’écriture de cette nouvelle coïncide avec la venue en France, à la fin juin 1942, d’Eichmann qui transmet l’ordre de Himmler de déporter tous les Juifs de France sans distinction, ni considération de leur citoyenneté française. A Nice, Aragon avait reçu la visite de Joë Nordmann qui lui a remis de la part de Frédéric (Jacques Duclos) les témoignages et lettres des fusillés de Châteaubriant à partir desquels il écrira Les Martyrs par Le Témoin des Martyrs.
E. Triolet avait commencé un roman Le Cheval blanc, qu’elle achèvera à Villeneuve-lès-Avignon en novembre 1942. A l’époque, face à la récupération par les nazis de mythes comme celui de Tristan, Aragon avait entrepris de revenir à la culture française du Moyen âge, à la littérature de chevalerie. E. Triolet pensait que cela ne pouvait toucher la jeunesse et elle crée le personnage de Michel Vigaud, « ce héros est de la même espèce que ces centaines de milliers de héros anonymes qui peuplent aujourd’hui la France » (Les Lettres françaises). La censure n’a coupé qu’une phrase. Le roman paraît le 10 juin 1943.
C’est à Nice que leur parvient la nouvelle des arrestations de G et M. Politzer, de D. Casanova et G. Dudach qui sera fusillé avec Politzer le 30 mai 1942. Les Italiens entrent à Nice le 11 novembre, il est temps pour eux de quitter la ville, ce qu’ils font le jour même pour se réfugier au-dessus de Dieulefit, dans la Drôme dans une ferme isolée, abandonnée – « Le Ciel » – où logent deux antifascistes allemands, Ella Rumpf et Hermann Nuding. Il leur faut de nouveaux faux-papiers qu’E. Triolet ira chercher à Lyon auprès de Pascal Pia et Albert Camus qui appartiennent au mouvement Combat. Ils y retourneront, nouveau refuge, le 31 décembre chez René Tavernier.

1943
A Lyon elle rédige Les Amants d’Avignon, nouvelle qu’elle a conçue à Dieulefit et qui paraîtra illégalement en octobre aux Editions de Minuit (clandestines), sous le pseudonyme de Laurent Daniel, choisi en hommage à Laurent et Danièle Casanova. Cette nouvelle, qui a pour décor Avignon met en scène une jeune femme ordinaire, Juliette Noël, amenée à se comporter héroïquement, poussée par les circonstances. Elle est une des premières écrivaines, sinon la première, à mettre en scène le rôle des femmes dans la Résistance.
Mais l’action continue. En avril, elle se rend à Paris avec Aragon qui veux reprendre contact avec Paul Eluard pour réunir les deux parties du CNE, zone sud et zone nord pour une meilleure efficacité. A Lyon , elle participe activement aux activités du CNE – sud, mais l’arrestation de Jean Moulin le 21 juin fait de Lyon une ville trop dangereuse et elle se réfugie avec Aragon à Saint-Donat qui est le siège du commandement FFI de la Drôme-nord. Elle a de nouveau changé de nom et s’appelle désormais Elizabeth Andrieux. Ils y sont restés jusqu’à la Libération, faisant des déplacements fréquents à Valence, Lyon, Paris. C’est au cours d’un voyage à Paris qu’ils manquent d’être arrêtés dans le train, avec des papiers compromettants : un texte de Gabriel Péri et le manuscrit du Musée Grévin de… François la colère, l’un des pseudonymes littéraires d’Aragon.
En 1943, à l’initiative du CNE, E. Triolet se rend dans le Lot pour un reportage sur les maquis. Avec Jean Marcenac, ils parcourent toute la zone sud, « passant souvent au ras de la catastrophe » dit-il. Elsa impressionne son compagnon: « Le courage intellectuel d’E. Triolet se doublait d’un courage physique, d’une fermeté combattante qui m’a émerveillé dans les années de la Résistance. » Cette expérience est relatée dans la nouvelle Cahiers enterrés sous un pêcher tandis qu’un reportage publié dans Les Lettres françaises évoque des soldats russes évadés de camps allemands et réfugiés dans les maquis.
Réel et fiction s’entremêlent, ainsi dans une nouvelle elle insère le collage d’un tract reproduisant une vue du camp d’Auschwitz, un autre texte évoque l’exécution de Bertie Albrecht. Il est clair qu’évoquer Auschwitz au moment où les Allemands ont décidé de s’occuper eux-mêmes des arrestations et des déportations en zone sud constitue un acte de résistance courageux.

1944
Mise à part la nouvelle Yvette, récit de 1943, publiée clandestinement en mai, l’année 1944 est consacrée à l’activité résistante et journalistique. Aragon et elle-même rédigent et impriment des tracts sur une presse à bras récupérée par G. Sadoul. Les Etoiles continuent de paraître, feuille recto/verso dactylographiée et reproduite avec un carbone jusqu’au n° 9, puis imprimée à partir du n°10, avec une périodicité mensuelle à partir de janvier 1944. En juin 1944, elle fonde avec Aragon un nouveau journal La Drôme en armes qu’elle écrit d’abord entièrement à la main, il est ensuite ronéoté puis imprimé à Romans, et des gens courageux le cachaient dans des cageots de pêches ou d’abricots et le distribuaient à travers la Drôme, à la barbe des Allemands. Ils y donnent des nouvelles de la région, relatent les combats des FFI, l’arrivée de l’armée américaine.
Le 14 juin, elle avait participé à la réception d’un parachutage d’armes près de Saint-Donat, épisode qu’elle raconte dans la nouvelle Le premier accroc coûte deux cents francs (phrase codée qui annonçait le débarquement en Provence). Des représailles sanglantes suivirent le 15 juin ce parachutage et ils réussirent de justesse à échapper aux Allemands.

En septembre, après une étape à Lyon où ils rencontrent le général De Gaulle, ils rentrent à Paris le 25 et retrouvent leur appartement « sens dessus dessous », perquisitionné plusieurs fois par la Gestapo et la police française. Son livre de nouvelles Le premier accroc coûte deux cents francs » dont elle écrit à sa sœur qu' »il sortira dès qu’il y aura du papier », reçoit le Prix Goncourt au titre de l’année 1944, première femme à recevoir ce Prix.

***

Elsa Triolet sera décorée de la médaille de la Résistance par décret du 11 mars 1947. Elle a fait preuve d’un immense courage, accompagné d’une forte lucidité et d’une grande modestie. Comme beaucoup de Résistantes, elle a transporté des tracts, des brochures et a joué parfois le rôle d’agent de liaison. Elle a travaillé avec de nombreux autres résistants appartenant à différents réseaux: FTP, FTP-MOI, Combat, groupe Morhange etc.

Son activité essentielle a consisté à informer par des reportages, des articles, des tracts, des textes écrits à la main, ou tapés à la machine, ronéotés ou imprimés et transportés et diffusés au risque de sa vie. De tout ceci est né une œuvre personnelle, écrite parfois en dialogue avec Camus, avec Aragon et en inventant des formes d’expression nouvelles, correspondant à l’époque qu’elle traversait. « La littérature de la Résistance, écrit-elle en 1964, aura été une littérature dictée par l’obsession et non par une décision froide. Elle était le contraire de ce qu’on décrit habituellement par le terme d’engagement, elle était la libre et difficile expression d’un seul et unique souci: se libérer d’un intolérable état de choses. » Plus tard elle assistera au Tribunal de Nuremberg, où le massacre de Saint-Donat sera à l’ordre du jour de la séance du 31 janvier 1946. Son action résistante et ses écrits ont contribué à la reconnaissance du rôle des femmes dans la Résistance et dans la société en général.

Source
Elsa Triolet dans la Résistance: l’écriture et la vie par Marianne Delranc-Gaudric –
Version longue (avec abondance de notes) sur le site de l’ERITA www.louisaragon-elsatriolet.org

Lire Elsa Triolet
Personnalité hors du commun, Elsa Triolet est une écrivaine injustement méconnue. Si ses livres sont rarement sur les rayons des librairies, ils ne sont pourtant pas épuisés. Ils peuvent donc être commandés.
Nous pouvons conseiller aux jeunes qui n’ont pas connu les années noires évoquées ci-dessus et ceux, déjà plus âgés qui commencent à les oublier plusieurs livres:

Mille regrets Folio 6,90 € , Nouvelles écrites à Nice pendant l’Occupation, au début de 1941
Le Cheval blanc Folio 8,50 €, roman écrit à Nice en 1941-42
Le Premier accroc coûte deux cents francs -Folio 9,70 € Nouvelles – Prix Goncourt
dont Les Amants d’Avignon Folio 2€ (tiré à part)
Le destin personnel & La belle épicière Folio 2€

Plutôt qu’Amazon, nous vous conseillons de les commander en ligne sur le site de libraires indépendants, qui en assureront la livraison en toute sécurité en ces temps de confinement.

La dignité de la femme
A l’occasion de la Journée internationale de lutte pour les droits des femmes du 8 mars 1948, elle publie un texte dans Les Lettres françaises sur « la dignité de la femme ». Elle y reprend une réflexion commencée dans les années 20 sur le sexisme du langage et fait remarquer que « le même mot accolé au mot femme ou au mot homme prend une signification différente. Un homme honnête est celui qui ne vole pas, une femme honnête est celle qui n’a pas d’amant. Or, « la dignité de l’homme n’est pas autre chose que la dignité de l’être humain, être-homme ou être-femme. Les femmes se sont battues dans cette guerre pour la dignité de l’homme, pour ne pas vivre à genoux, pour que l’homme n’ait pas à essuyer des crachats sur son visage, dans ce combat elles ont subi la prison, le martyre, la mort ». Elle poursuit, avançant des idées et des revendications progressistes et féministes et ajoute: « la ‘dignité de l’homme’ chez la femme, la dignité de l’être humain est, comme pour l’homme, dans sa liberté, son indépendance, son droit au travail, ses droits et devoirs de citoyenne. Croyez-vous que j’enfonce des portes ouvertes? Que je prêche devant des convaincus ? A l’usage, ces convictions ne sont chez les hommes que des faux-semblants. La dignité de la femme en tant qu’être humain demande en premier lieu que la poussière des siècles soit enlevée de la tête des hommes ».

Ce texte peut être retrouvé dans l’Anthologie des Lettres françaises qui vient d’être publiée aux éditions Herman

Le droit de vote des femmes est conquis en 1944. Merci qui ?

Les Français votent depuis deux siècles, mais les Françaises n’ont conquis ce droit que beaucoup plus récemment. C’était le 21 avril 1944. Les femmes devenaient électrices et éligibles. Comme les hommes ! Un an plus tard, elles votaient pour la première fois. Récit.
Au sein de la Résistance, se déroule entre 1942 et 1944 un débat entre ses différentes composantes – mouvements, syndicats, partis -. En 1942, après avoir reçu à Londres pour la première fois un représentant de la Résistance intérieure, le général De Gaulle propose une première ébauche de projet politique. Dans ce texte du 23 juin 1942, connu sous le nom de « Déclaration aux journaux clandestins », il évoque le droit de vote des femmes, mais de façon encore floue : « Dès l’ennemi chassé du territoire, les hommes et les femmes de chez nous éliront l’Assemblée nationale qui décidera souverainement des destinées de la Nation ». Au sein du Conseil National de la Résistance (CNR), l’opposition du représentant des radicaux, Paul Bastid, empêche une prise de décision. Le CNR fonctionne en effet, selon la règle de l’unanimité de ses membres.

A l’Assemblée consultative provisoire (ACP) à Alger, le 22 mars 1944, le syndicaliste chrétien Robert Prigent, de l’OCM (Organisation civile et militaire – proche des démocrates chrétiens) a fait admettre le principe du vote des Françaises. Deux jours plus tard, le 24 mars la Commission de réforme de l’Etat présidée par le sénateur radical Giaccobi, chargée de préparer le rétablissement des pouvoirs publics à la Libération, au terme d’une discussion « courtoise mais passionnée » selon F. Grenier, adopte par 51 voix contre 16, un amendement du député communiste Fernand Grenier (un évadé de Châteaubriant), instituant le droit de vote des femmes : « Les femmes sont électrices et éligibles aux mêmes conditions que les hommes ». L’adoption de cet amendement « clair et net » a mis fin « à toutes les subtilités » de ceux qui ne voulaient pas du droit de vote, de ceux qui ne l’accordaient que pour les législatives, ou uniquement pour les élections locales ou encore tel le sénateur Giaccobi, qui ne laissaient subsister que l’éligibilité, soit le droit pour la femme d’être élue sans être elle-même électrice.
Le 21 avril 1944, lors de la session de l’ACP, l’article 17 de l’ordonnance portant organisation des pouvoirs publics en France après la Libération reprend les termes exacts de l’amendement Grenier.
Le Comité Français de la Libération Nationale (CFLN) valide l’ordonnance. Puis le Gouvernement provisoire de la République Française (GPRF), qui remplace le CFLN à partir du 3 juin 1944, présidé par le général De Gaulle, le reprend dans son ordonnance du 5 octobre.
A l’ACP d’Alger, deux arguments ont emporté l’adhésion de la majorité : il faut rendre hommage à la résistance féminine et mettre la France au diapason des Etats démocratiques.

En effet les femmes n’ont pas seulement lutté pour leurs droits spécifiques, elles ont été nombreuses à s’engager dans les luttes pour le progrès social et les combats de la Résistance face à l’occupant allemand et au gouvernement de Vichy. Le colonel Rol-Tanguy leur a rendu hommage, déclarant en 1944 : « Sans les femmes, la moitié de notre travail aurait été impossible. Leur tâche a été dure, surtout dans les dernières années de la clandestinité. Le poste de commandement régional de Paris fonctionnait dès le 12 août en bonne partie grâce aux femmes ».
Et Gilberte Brossolette de préciser : « On a dit que c’est le général de Gaulle qui a donné le droit de vote aux femmes, c’est inexact. C’est la Résistance. Vous savez que les femmes se sont magnifiquement conduites pendant la Résistance. Elle se sont acharnées, elles ont travaillé dans l’ombre des hommes… »
Le premier vote légal des femmes aura lieu à l’occasion de l’élection municipale des 29 avril et 13 mai 1945. On estime à 3% le nombre de conseillères municipales, généralement élues sur des listes issues de la Résistance et du PCF. Dans notre région Odette Roux, à 28 ans, pour la liste Union pour la Résistance antifasciste est élue maire des Sables-d’Olonne et devient la première femme à administrer une ville de sous-préfecture. Puis la même année, le 21 octobre 1945, les femmes participent aux premiers scrutins nationaux : le référendum et les législatives. Trente-cinq femmes sont élues députées : dix-sept communistes, neuf MRP, huit socialistes et une PRL. La première femme élue vice-présidente de l’Assemblée Nationale est Madeleine Braun, en 1946.
Déjà des femmes se sont présentées à des élections antérieures. Ainsi en 1925 aux élections municipales, souvent sur des listes communistes. Et plusieurs ont été élues (une dizaine, selon Marcel Cachin (L’Humanité du 11.5.1925). Le 3 mai 1925, Douarnenez, au pays des sardinières, est le théâtre d’un événement inédit. Pour la première fois en France, une femme – Joséphine Pencalet – est élue conseillère municipale. Joséphine Pencalet était une penn sardin, l’une des ouvrières des conserveries qui venaient de mener plusieurs grandes grèves. Elle siège pendant plusieurs mois, jusqu’à ce que le Conseil d’Etat rejette son recours : elle contestait l’arrêté préfectoral d’annulation de son élection.
Précisons, que des femmes ont siégé dans certains conseils municipaux dès 1944. Il s’agissait des « délégations spéciales ». Leurs membres n’étaient pas élus, mais nommés à titre provisoire par les préfets sur avis des Comités départementaux de Libération (CDL). Ainsi la délégation spéciale nommée le 28 août 1944 à Nantes, présidée par Clovis Constant, comprenait quatre femmes : Emilienne Bagrin, adjointe spéciale de Chantenay, Ursule Chevalier, Alexandrine Moysan et Anne-Marie Turbaux.

Sources:
BUGNON Fanny – De l’usine au Conseil d’Etat, Vingtième siècle -revue de Sciences Po, 2015
Joséphine Pencalet, Dictionnaire Le Maitron
GRENIER Fernand – C’était ainsi, Editions sociales, 1959
GUERAICHE William – Le 24 mars 1944, Clio 1, 1995
KIRSCHEN Marie – Est-ce De Gaulle qui a donné le droit de vote aux femmes ? Libération 29 avril 2015

Un long chemin vers le droit de vote des femmes : d’Olympe de Gouges à Fernand Grenier

En France, les femmes ont obtenu le droit de vote presque un siècle après les hommes. Elles ont dû lutter durement pour obtenir le droit d’être citoyennes, qui ne leur a été ni donné, ni accordé, ni octroyé : elles l’ont conquis !
Selon l’historien William GUERAICHE : « Le débat du 24 mars 1944 (voir l’article « Les femmes sont électrices et éligibles … ») peut s’interpréter comme l’achèvement d’une lutte qui remonte aux premières heures de la Révolution et comme l’aboutissement d’un processus législatif de courte durée ».
Des femmes ont voté aux Etats-Généraux de 1789. Olympe de Gouges publie sa Déclaration des droits de la femme et de la citoyenne en 1791. « La femme a le droit de monter sur l’échafaud, elle doit avoir également le droit de monter à la tribune » dit-elle. L’année précédente, Condorcet avait souligné que la différence des sexes n’est pas pertinente sur le plan politique. Il s’opposait ainsi au discours de l’abbé Sieyès qui, le 21 juillet 1789, distinguait les citoyens « actifs » et « passifs », et classait les femmes dans la deuxième catégorie. L’inégalité est alors justifiée au nom de la « nature », qui a fait des femmes des êtres faibles.
Les femmes sont ainsi exclues du droit de vote par l’Assemblée nationale le 22 décembre 1789, exclusion confirmée par la Constitution de 1791 puis par un vote de la Convention le 24 juillet 1793.
En 1848, la IIème République ne prend pas même le soin de préciser que le suffrage prétendument « universel » est exclusivement masculin. En 1849, Jeanne Deroin mène campagne et tente de se présenter aux élections législatives, mais sa candidature n’est pas acceptée.
Le droit de vote ne devient une priorité féministe qu’à la fin du 19ème siècle. Hubertine Auclert (1848 – 1914) fait figure de pionnière. Son nom est méconnu du grand public. Mais les féministes d’hier et d’aujourd’hui savent ce que les femmes doivent à son combat. Elle fonde, en 1876, le premier groupe suffragiste français, la société « Le Droit des femmes ». Elle est la première Française à se reconnaître dans le projet politique qu’est le féminisme. Au IIIème Congrès ouvrier socialiste à Marseille, elle ne mâche pas ses mots, s’adressant à ses camarades en ces termes, le 22 octobre 1879 :  » Si vous, prolétaires, vous voulez aussi conserver des privilèges, les privilèges de sexe, je vous le demande, quelle autorité avez-vous pour protester contre les privilèges de classe ? »
Au début du 20ème siècle, l’idée suffragiste s’étend. Louise Weiss, dans les années 1930, multiplie les actions, à l’instar des suffragettes anglo-saxonnes.
C’est en 1901 qu’est déposée la première proposition de loi sur le vote des femmes. Le député Paul Dussaussoy en dépose une autre en 1906 en faveur du vote aux seules élections locales. En 1909, Ferdinand Buisson, l’un des fondateurs de la Ligue des Droits de l’Homme (LDH) dépose un rapport parlementaire, favorable à la réforme du droit de vote. En 1910, lors de la IIème Conférence internationale des femmes socialistes à Copenhague, Clara Zetkin propose la création de la Journée internationale des femmes, journée de manifestation annuelle afin de militer pour le droit de vote, l’égalité et le socialisme. Cette initiative est à l’origine du 8 mars.
Au sortir de Première Guerre mondiale, après avoir durement travaillé pour remplacer les hommes partis au front, et après des années d’actions, de débats, alors que 138 millions de femmes votent déjà dans 24 pays, les femmes obtiennent un vote favorable au suffrage féminin intégral, le 20 mai 1919 à la Chambre des députés par 344 voix contre 97 (proposition F. Buisson). Mais le Sénat s’y oppose trois ans plus tard, le 21 novembre 1922 (156 voix contre 134), comme il le fera à nouveau en 1925, 1932 et 1935. La même année 1919, le 15 juillet, le pape Benoît XV se prononce pour le droit des femmes.
En 1925, la question des droits politiques des femmes revient à l’agenda politique à l’occasion de la préparation des élections municipales : trois propositions de loi sont déposées successivement par le communiste Marcel Cachin d’abord (26 juin 1924), puis le conservateur mais suffragiste Louis Marin (16 décembre 1924) et enfin, par le socialiste Henry Fontanier (28 janvier 1925). Cette dernière proposition est reprise par le rapporteur de la Commission du suffrage universel, Pierre-Etienne Flandin, député de centre droit. Le 7 avril 1925, par 390 voix contre 183, la Chambre adopte ce texte, mais – empruntant à la proposition Marin – réduit le droit de vote aux seules élections locales, contrairement à la proposition Cachin qui incluait tous les types d’élections.
Encouragées par ce vote, des femmes sont candidates aux municipales de 1925, en position éligible.
Le 12 juillet 1927, La Chambre des députés adopte une résolution – par 396 voix contre 94 –  » invitant le gouvernement à hâter, devant le Sénat, la discussion du projet de loi voté par la Chambre des députés concernant le suffrage des femmes aux élections municipales ». Cette résolution est confirmée par un nouveau vote de la Chambre le 13 décembre 1928.
Par trois fois, les 19 juin 1928, 21 mars 1929, et 26 juin 1931, le Sénat refuse d’inscrire la question à son ordre du jour.
Arrive 1936, le Front Populaire. En juillet, pour la sixième fois, les députés se prononcent. Ils votent à l’unanimité pour le suffrage des femmes (475 voix contre 0), mais le gouvernement s’abstient ! Et le Sénat persiste à ne pas inscrire le texte à l’ordre du jour.
Trois femmes sont nommées sous-secrétaires d’Etat : Cécile Brunschwig (Education nationale), Irène Joliot-Curie (Recherche scientifique) et Suzanne Lacore (Petite Enfance). Bonnes pour faire des ministres, les femmes n’étaient pas jugées aptes à être des citoyennes.
Pourquoi une telle obstination de la part du Sénat ? Il est dominé par les radicaux, lesquels émettent des doutes sur l’autonomie des femmes vis à vis de l’Eglise. Perçues comme des individus sous influence, dévotes, elles seraient susceptibles de voter selon les consignes de leur curé. La prise de position du Pape renforce leur hostilité. Et la crise de février 1934 les conforte dans l’idée que la République étant fragile, le statu-quo s’impose.
La Seconde Guerre mondiale constitue une accélération de la réflexion sur le suffrage des femmes. Au sein de la Résistance française se déroule, entre 1942 et 1944, un débat entre ses différentes composantes – mouvements, syndicats, partis. En 1942, le général De Gaulle dans une adresse aux mouvements de la Résistance intérieure évoque le droit de vote des femmes, mais en termes encore flous. En mars 1944, à l’Assemblée consultative provisoire d’Alger, seule l’éligibilité est envisagée par la Commission de réforme de l’Etat. C’est un amendement du député communiste Fernand Grenier qui introduit le droit de vote dans la discussion. Mais on est encore loin du consensus ! Deux arguments toutefois emportent l’adhésion de la majorité : rendre hommage à la résistance féminine et permettre à la France de rattraper son (grand) retard. L’amendement Grenier est adopté par 51 voix contre 16. Le 21 avril 1944, le général de Gaulle signe l’ordonnance, incluant l’amendement Grenier, pour le Comité Français de la Libération nationale (CFLN), puis le 5 octobre, le Gouvernement provisoire de la République Française (GPRF) incorpore cet amendement à l’ordonnance pour la réorganisation des services publics à la Libération.
Sources:
BARD Christine – Les Filles de Marianne, Fayard,1995
HUARD Raymond – Le suffrage universel, L’Humanité, 4 novembre 2011
KACI Mina – Hubertine Auclert, L’Humanité 2 août 2017
www.assemblee-nationale.fr

Nous refusons les restrictions d’accès aux archives

Déclaration de Christian RETAILLEAU,
président du Comité départemental du Souvenir des fusillés de Châteaubriant et Nantes et de la Résistance en Loire-Inférieure

Le Comité départemental du Souvenir des fusillés de Châteaubriant et Nantes et de la Résistance en Loire-Inférieure partage l’inquiétude des historiennes et historiens face aux restrictions sans précédent de l’accès aux archives publiques, notamment celles du ministère de la Défense pour la période 1940 – 1969. Elles sont devenues, de fait, inaccessibles.

Cette situation découle d’une décision administrative récente, en contradiction avec la loi de 2008 sur l’ouverture des archives. Elle impose, notamment au personnel du Service historique de la défense (SHD) de vérifier pour chaque document s’il a fait l’objet d’une procédure de classement au titre du secret-défense. Or les faibles moyens humains dont dispose le SHD, au regard des kilomètres de linéaires archivés, rendent cette tâche titanesque impossible. Notre expérience nous permet de témoigner de la durée déjà excessivement longue des délais de communication. Au-delà du SHD, toutes les archives publiques sont concernées. La période 1940 – 45 est particulièrement visée. Ces restrictions ne permettront pas aux chercheurs de progresser dans la connaissance de cette période fondatrice de notre société contemporaine.
C’est le travail des historiennes et historiens, ainsi que celui des archivistes, qui est remis en cause. De même que le droit des citoyens à connaître leur Histoire. Notre Comité considère que le travail de mémoire doit reposer avant tout sur un travail d’histoire, c’est pourquoi il s’associe aux démarches* engagées par les professionnels pour faire annuler cette décision administrative totalement abusive. Sans cette annulation, il existerait une impossibilité d’accéder à des archives pourtant communicables de plein droit.
Nantes, le 22 février 2020

https://www.change.org/p/emmanuel-macron-nous-d%C3%A9non%C3%A7ons-une-restriction-sans-pr%C3%A9c%C3%A9dent-de-l-acc%C3%A8s-aux-archives-contemporaines