Comité Départemental du Souvenir des Fusillés de Châteaubriant de Nantes et de la Résistance en Loire-Inférieure

Des Nantais témoignent sur les bombardements de 1943

Le 4 octobre, le journal OUEST-FRANCE a organisé  à Nantes une soirée sur les bombardements des 16 et 13 septembre. Cette soirée faisait suite à la publication d’un ensemble d’articles de grande qualité. Trois historiens  – Ambre Ivol, Andrew Knapp et Christophe Belser ont apporté leur éclairage puis des témoins ont partagé leurs souvenirs de ces terribles journées. Plusieurs autres témoignages, dont certains avaient été confiés à notre Comité, ont été lus par des élèves du lycée Carcouët. Nous publions ci-dessous ceux de Monique Arradon, Jean-Claude Baron et Jean Cesbron.

 

Témoignage de Monique ARRADON sur les bombardements de Nantes

Monique Arradon avait 12 ans en 1943. Elle vivait à Nantes, où elle est née. Elle a remis au Comité du souvenir son témoignage sur les bombardements de Nantes les 16 et 23 septembre 1943 qui l’ont marquée, comme les fusillades des Otages à Nantes, Châteaubriant et au Mont-Valérien, deux ans auparavant, le 22 octobre 1941 « Comme une volée de grains jetée aux poulets, le 16 septembre 1943, une pluie de bombes américaines tombe sur Nantes. Ce jeudi-là, fin de vacances, j’étais avec ma mère  chez ma tante, quartier de Saint-Félix, assez éloigné du port.

Nous ne fûmes pas trop inquiètes de la sirène d’alerte, qui allait retarder notre retour à la maison. Les Nantais ne craignaient plus guère, jour et nuit, les alertes au cours desquelles rien ne se passait sauf quelques bombes lancées, en piqué, sur le port par les aviateurs anglais. Une batterie de DCA, allemande, au bout de notre avenue, ne m’empêchait plus de dormir…

Contrairement aux Nazairiens, fuyant leur ville, enflammée chaque nuit, où seule résistait la base sous-marine, qui nous prédisait des catastrophes…

Donc, en cette fin d’après-midi ensoleillée, le 16 septembre, nous fûmes atterrées par le bruit épouvantable, incessant, sa durée, les détonations et les lueurs d’incendies qui irradiaient le ciel, bleu.

Annick, ma cousine, arriva, blanche de plâtras, choquée. Elle était restée coincée dans son bureau. Fuir, fuir Nantes…

Sitôt l’alerte terminée, au bout de combien de temps ? Très inquiètes, ma mère et moi revînment vite à la maison. Claude, mon frère, arriva, assourdi par les explosions. Il s’était protégé sous le pont de la Motte-Rouge, au bord de l’Erdre. Il avait vu Nantes flamber. Peu éloigné, à vol d’oiseau du centre-ville, il entendit s’écrouler une rue entière, la rue de l’Arche-Sèche, transformée en fleuve de pierres.

Puis mon père rentra. De son bureau il avait vu les malades de l’Hôtel-Dieu descendre en hâte par les fenêtres dans leurs draps. Il avait traversé à vélo la ville en feu pour rejoindre notre quartier, au rond-point de Paris.

La rue du calvaire, baptisée à jamais, n’était que flammes. Le samedi, lorsque nous allâmes mesurer l’ampleur du désastre, la rue brûlait encore, longue torche couchée, allumée au pied de l’église Saint- Nicolas.

Chaque rue révélait son drame, la dérision des immeubles éventrés sur la poignante intimité de ceux qui désormais étaient sous les décombres. Fleurs jaunes délavées d’un papier peint entourant le cadre du grand-père soldat, le chatoiement d’un miroir intact, un lit de fer préparé pour la nuit, au-dessus du vide…

Le jeudi 23 septembre, une semaine après,  les bombardements reprirent. Stupeur et colère.

Il faisait très beau cet automne-là. Le 23 septembre, on prépare la rentrée scolaire du 1er octobre. Courait dans Nantes l’histoire de ce grand-père accompagné de ses petits-enfants pour faire des achats d’écoliers  et qui n’en revinrent jamais. Nous étions séparés, sans nouvelle possible des parents et amis, par des montagnes de pierres, des gouffres de cendre. Il faudra des années et des milliers de bras pour « déblayer » Nantes, après la guerre.

Mon souvenir le plus vif est celui des obsèques des victimes. Tous les Nantais valides y assistaient – un dimanche, je crois. Nous fûmes bloqués près du lycée Clemenceau, chapelle ardente, qui fournissait sans fin les « cercueils » portés à dos d’hommes. Impossible d’approcher la cathédrale Saint-Pierre. Des cercueils ? Il n’y en avait plus dans Nantes. Planches hâtivement assemblées, de divers formats. Que restait-il de certains Nantais ? « Tout » ce qu’on avait pu retirer des décombres avait été casé dans des caisses. Je n’ai pas souvenir de fleurs. Il ne devait pas subsister de fleurs en septembre 1943, pas même ces gros dalhias d’automne, prémices des chrysanthèmes frisés de la Toussaint, pour nos morts.

La décision est annoncée : tous les enfants au-dessous de 15 ans doivent quitter Nantes. Ma mère, ma grand-mère, mon frère et moi partîmes pour Vigneux-de-Bretagne, avec les meubles de valeur. En arrivant nous apprîmes de notre famille, le pire. Odile Caudal, notre cousine de vingt ans, descendue sur la recommandation de son père, dans l’abri « creusé » place Viarme, y avait été déchiquetée par une bombe.

Son père, une nuit entière, manipula des restes de corps humains pour retrouver à l’aube, une main. Reconnue à la bague de la mère d’Odile, morte jeune, qu’elle portait.

Les nouvelles les plus atroces circulaient. »

Monique Arradon

.* Plus tard, devenue artiste peintre et sculpteure reconnue, elle a conçu pour la carrière de la Sablière, un projet de monument Hommage aux fusillés de Châteaubriant dont elle a offert le prototype au musée de la Résistance de Châteaubriant, où il est exposé depuis le 80e anniversaire de cet événement tragique.

Monique Arradon expose une sculpture 

Bonsoir. Je m’appelle Jean Cesbron

Je suis né en 1935 et ma sœur en 1936 à Malville  où mes parents étaient instituteurs publics. Mobilisé en Septembre 1939, mon père est décédé en 1942 des suites de la guerre.

Le 16 Septembre 1943 nous sommes allés, ma mère, ma sœur et moi chez Decré pour y faire les courses de la rentrée scolaire qui avait lieu le 1er Octobre à cette époque.

Nous étions chez Decré quand les sirènes ont retenti indiquant une alerte aérienne .Le magasin a été évacué et nous sommes partis à pied pour rejoindre Pont Rousseau où nous résidions chez mes grands parents maternels .Pendant les alertes les tramways ne roulaient pas. Lorsque nous sommes arrivés chaussée de la Madeleine on percevait le bruit des moteurs d’avions qui volaient au dessus de Nantes.

Ma mère craignant la destruction possible du pont de la Madeleine a fait, comme d’autres piétons,  le choix de nous faire pénétrer dans le couloir ouvert d’un grand immeuble, côté droit de la rue de la Madeleine après la maternité et l’Hôtel Dieu .Le couloir où nous avons pénétré était sombre, humide et froid. Dans ce couloir qui possédait un escalier en pierre, une dizaine de personnes étaient assises sur les marches ou debout appuyées sur le mur. Il n’y avait pas d’enfants, pas de pleurs, pas de bruit, personne ne parlait.    

Serré contre ma mère, je ne me souviens pas avoir eu peur bien qu’on entendît dans ce couloir sinistre le bruit des avions et des explosions fortes et peu éloignées.

Lorsque la sirène a annoncé le départ des avions, donc la fin du bombardement nous sommes sortis et j’ai constaté que sur le pont de la Madeleine  il y avait des gens. Nous avons donc traversé la Loire et regagné Rezé par le pont de fer SNCF ouvert sur une voie aux piétons et cyclistes.

Le jeudi 23 septembre dans la matinée des avions ont bombardé Nantes et Rezé .

Mon grand père chez qui nous habitions a considéré que notre sécurité n’était plus assurée. Il a estimé que nous ne pouvions plus demeurer chez lui à Rezé.

Le même jour le Préfet de Loire inférieure et le Maire de Nantes ont décidé l’évacuation des enfants, des lycéens. En fin d’après midi nous sommes allés ma mère, ma sœur et moi à la gare de l’Etat où nous avons pris le train des ouvriers pour Clisson. Ce train s’est arrêté  avant les ponts de la Vendée et j’ai vu brûler la ville de Nantes : un brasier énorme, des explosions terribles proches du train immobile.

J’avais alors 8 ans et demi et ces visions d’incendies sont gravées dans ma mémoire pour toujours.

Depuis je hais la guerre et me suis engagé pour la paix et l’entente  entre les peuples.

Jean Cesbron  –  1/10/ 2023.

Jean-Claude Baron

« J’ai vécu dans Nantes dévastée »

Jean-Claude Baron est né en 1939. Il garde des souvenirs d’enfance de Nantes dévastée par les bombardements. Avec ses parents, Marcelle et Alfred Baron, ils n’ont jamais pu regagner leur appartement de Doulon, qui avait été « soufflé ».

« En 1943, nous étions réfugiés dans un hameau près de Nort-sur-Erdre, fuyant les restrictions alimentaires et les premiers bombardements sur Nantes. Mon père était dans la clandestinité et ma mère, employée chez Brissoneau, était une résistante active, elle cachait des résistants, Agente de liaison, elle est arrêtée par la Gestapo en mars 1944, déporté à Ravensbrück, elle reviendra très affaiblie en mai 1945 », expose-t-il.

 « C’est ma grand-mère et ma grande sœur qui s’occupaient de moi, j’avais 4 ans. En mai 1945, mon père, réintégré aux Batignolles, avait obtenu une maison ouvrière à la Halvêque car il était impossible de retourner dans l’appartement de Doulon, « soufflé » lors des bombardements de septembre 1943. C’était dans les années 1950 que j’ai vécu dans Nantes dévastée. Je me souviens de la rue du Calvaire rasée, sauf le haut et le bas ; Decré rasé, place Royale à demi-rasée ; les baraques du Commerce occupant le cours Saint-André, les grands magasins installés dans des entrepôts en face le château des Ducs, plus tard, un ami, Georges Douard, profondément marqué par les bombardements où il avait perdu son frère, a écrit un livre témoignage. »

Pour Jean-Claude Baron, qui perpétue toujours le souvenir de cette terrible période : « 1943, c’est aussi le procès des 42, avec 37 condamnations à mort, la résistance décapitée. L’usine des Batignolles fut aussi bombardée par les Anglais, bombardements ciblés, causant la mort de 42 ouvriers. Les bombardements de septembre 1943 par les Américains visaient le port, la gare, mais eux n’étaient pas ciblés, poursuit-il. Aujourd’hui, amoureux de la ville où je suis né, j’aime « lire » les façades et celles de la reconstruction, elles sont intégrées, mais portent pour ceux qui les regardent de douloureux souvenirs. »

16 et 23 septembre 1943, Nantes anéantie par les bombardements

Le 16 d’abord, puis le 23 septembre, « une pluie de fer, de feu, d’acier, de sang »(1) s’abat sur la ville. Les Américains déversent des tonnes de bombes et laissent derrière eux 1 463 tués, 2 500 blessés ; 2 000 immeubles sont détruits ou à raser. Et tant de vies brisées.

Les escadrilles alliées ont pour objectifs la destruction du port de Nantes, qui abritait des navires d’assistance aux sous-marins et autres navires allemands amarrés sur le quai de la Fosse, ainsi que la destruction de la base de l’aviation militaire allemande de Château-Bougon, à Bouguenais, d’où la Luftwaffe faisait décoller les avions qui allaient bombarder l’Angleterre. A noter que déjà, l’usine d’aviation située à proximité – la SNCASO, aujourd’hui Airbus – avait été aux trois-quarts détruite lors d’un précédent raid le 4 juillet 1943.
Mais, au lieu de voler dans le sens de la Loire, les bombardiers ont traversé la ville perpendiculairement au fleuve et à très haute altitude, lâchant leurs bombes sur le centre-ville et ratant leurs cibles.
Dès 1938, Nantes était dotée d’un système de Défense passive, dont le siège se trouvait dans l’Hôtel Rosmadec, l’un des bâtiments de l’Hôtel de ville.
Le centre-ville n’avait pas été bombardé auparavant. Certes, les alertes avaient été nombreuses, mais les avions survolaient la ville pour aller finalement bombarder Saint-Nazaire. De sorte que les Nantais ne prenaient pas très au sérieux ces alertes et négligeaient de se rendre aux abris. Avant le 16 septembre 1943, Nantes avait déjà connu 320 alertes et 10 bombardements aériens qui avaient causé la mort de 68 victimes. (2) Selon le préfet, ces bombardements anglais étaient compris et acceptés par les Nantais car ils visaient l’aéroport et les usines qui travaillaient pour l’Allemagne. C’est le cas de ceux des 23 mars et 4 juillet qui avaient rassuré les Nantais quant à la volonté des Alliés de ne s’en prendre qu’à des objectifs militaires. Et il y a le souvenir des fusillades de Châteaubriant et du Bêle le 22 octobre 1941 qui ont eu un retentissement non seulement dans tout le pays, mais également au plan international. Roosevelt et Churchill ont condamné l’exécution des 50 Otages et on pense que de ce fait, Nantes est à l’abri d’une attaque massive de l’aviation alliée.

16 septembre 1943

Tout change le 16 septembre 1943. C’est une belle journée ensoleillée, le ciel est bleu, sans un nuage. « On préparait la rentrée des classes. La foire de septembre était installée sur le terre-plein de la Petite Hollande. On avait tellement l’habitude d’entendre les sirènes et les avions survoler pour aller bombarder Saint-Nazaire qu’on n’y prenait plus garde. » témoigne Jeanne Corpard –Fougerat. Peu après 15 h 30, les sirènes donnent l’alerte. Dix minutes plus tard, par vagues successives 160 forteresses volantes B 17 de la 8ème Air Force américaine survolent l’est de la ville, la gare de triage du Grand-Blottereau, le port, les quartiers ouvriers de Chantenay et Roche-Maurice. L’Hôtel Dieu qui accueille 800 malades est touché par 47 bombes, faisant 40 morts et 36 blessés parmi le personnel hospitalier. En un quart d’heure, 1 450 bombes s’abattent sur 600 points de chute dans la ville et son agglomération. Le centre-ville reçoit 130 bombes qui déclenchent de nombreux incendies, notamment rue du Calvaire, place Royale, St Nicolas, le quartier ouvrier du Marchix. La ville est sous le choc.
bomb_-place_royale.jpg

La place Royale après les bombardements. Seule la fontaine a résisté.

bombardements_-rue_de_nantesjpg.jpg

Une rue du centre-ville après les bombardements

Le 23 septembre 1943
Les objectifs des Alliés n’ayant pas été atteints le 16, deux nouveaux raids aériens sont lancés contre la ville le 23 septembre. Six groupes de la 8ème Air Force reçoivent l’ordre de bombarder le port. A 8 h 55, l’alerte est déclenchée. A 9 h 14, les premiers avions survolent la ville. A 9 h 20, les premières bombes sont lâchées sur la zone portuaire. Puis le soir à 18 h 55, les sirènes retentissent de nouveau : une centaine de B 17 reviennent bombarder la ville.
bomb_carte_ntes.pngCarte du centre-ville montrant les zones bombardées

Le bilan humain et matériel des bombardements
Le bilan humain est terrible. Au total, 1463 civils sont tués et plus de 2 500 blessés sont recensés. Les listes ont été minutieusement établies par Jean-Pierre Sauvage et Xavier Trochu. Pour la journée du 16 on décompte 977 noms, pour celle du 23, on dénombre 63 victimes en matinée et 197 dans la soirée. Il convient d’ajouter les 27 disparus, les 113 corps non identifiés. 67 soldats allemands ont été tués. Une chapelle ardente est installée au musée des Beaux-Arts. Les dégâts matériels sont énormes : plus de 2 000 maisons et immeubles sont détruits, 6 000 sont inhabitables, il faut les raser. 513 hectares sont totalement ravagés. On dénombre 10 000 personnes sans abri. (3)
Ces bombardements dévastateurs ont bouleversé le visage de la ville et laissé une trace encore visible aujourd’hui dans l’architecture du centre-ville.
A la suite de ces trois bombardements, un exode massif des Nantais commence vers des villes alentour et à la campagne. Sur 200 000 habitants, on considère que plus des deux-tiers, de 70 à 100 000 quittent la ville. Un appel à la population est d’ailleurs lancé par le préfet Bonnefoy. Après la Libération, des milliers d’habitants ont été relogés dans des baraquements en bois ou en tôle. Des cités de relogement pour sinistrés ont été construites en marge du centre-ville : Chêne des Anglais, Hauts-Pavés, Serpette, Contrie, Grand-Clos etc. Certes, l’urgence a primé sur l’esthétisme. Confiée en 1948 à l’architecte Michel Roux-Spitz, la reconstruction de Nantes a duré une quinzaine d’années.
bombard-_avis.jpg

 Avis à la population après les bombardements du 23 septembre 1943

La perception des bombardements par les Nantais

Ne comprenant pas l’imprécision de ces bombardements, la population nantaise conçoit une certaine rancœur. Selon le préfet, cette fois une majorité de Nantais condamne ces bombardements. Pour l’occupant et les collaborateurs, les bombardements sont une aubaine. Vichy tente de récupérer cette détresse, mène « une guerre de propagande dans les ruines encore fumantes des bombardements » (4) et les exploite comme la presse collaborationniste laquelle, telle Le Matin, qualifie les pilotes américains de « pirates ». Des inscriptions hostiles aux Américains apparaissent sur les ruines. Des tracts pétainistes sont distribués. Le groupe Collaboration publie des photos des dégâts et invite les Nantais à le rejoindre.
Le journal collaborationniste Le Phare, dont l’immeuble de la place du Commerce n’est plus qu’une carcasse fumante, est imprimé par L’Ouest-Eclair à Rennes. Il publie photos, listes des cérémonies funèbres, comptes-rendus d’obsèques et textes sur la cruauté des bombardements dont il stigmatise les auteurs.(5)
bomb-aff-propa-vichy.jpg

Affiche de propagande vichyste

La mémoire des bombardements

Cette rancœur perdurera et si les Nantais expriment leur soulagement et leur joie à l’entrée des soldats américains à Nantes le 12 août 1944, Nantes ne connaît pas les scènes de liesse qu’ont vécues d’autres villes.
En 2014, l’angle du Cours Olivier-de-Clisson et du boulevard Jean-Philippot est baptisé Esplanade des victimes-des-bombardements-des-16-et-23-septembre-1943. A Saint-Herblain, une rue du 16-septembre (sans précision de l’année) signale que cette ville a également été touchée. Une plaque rappelle le souvenir des sauveteurs de la Défense passive à l’entrée de leur ancien P.C., à la mairie, Hôtel Rosmadec. Et une place, sur l’axe de la rue du Calvaire, a pris le nom de place des Volontaires-de- la-Défense-passive.
Chaque année une cérémonie du souvenir a lieu à l’Hôtel Rosmadec puis au cimetière de La Chauvinière où les victimes ont été inhumées.
Le film d’Agnès Varda Jacquot de Nantes évoque ces bombardements qui avaient marqué le jeune Jacques Demy, alors âgé de douze ans, réfugié ensuite avec sa famille à La Chapelle-Basse-Mer. Dans son superbe récit Régine, Paul-Louis Rossi, évoque « les temps paléolitiques » vécus dans l’habitation au sol de terre battue et « où on faisait la cuisine accroupi », où il avait été évacué. (6)
L’historien Didier Guyvar’ch écrit : « Les bombardements des 16 et 23 septembre participent à la construction de l’image de Nantes, « ville résistante et martyre ». (7) Leur mémoire permet d’héroïser les sauveteurs de la Défense passive, de souligner le courage d’édiles municipaux ou d’autorités religieuses par ailleurs soutiens du régime de Vichy. Cette fonction intégratrice, et occultante, de la mémoire trouve cependant sa limite dans la mise en cause récurrente des Américains jugés peu soucieux de la population civile. »(8)
Notes
1- PREVERT Jacques, Paroles
2- source : Archives municipales
3- GUIVARC’H Didier, Dictionnaire de Nantes, Article Bombardements, PUR
& Patrimonia site de la ville de Nantes
4 – COZIC Jean-Charles et GARNIER Daniel , La Presse à Nantes, tome III, L’Atalante
6 – ibid
6 – ROSSI Paul-Louis, Régine, Julliard
Son père, Paolo Rossi, a été arrêté. Il vient d’être jugé et condamné le 13 août 1943 avec les FTP du procès des 16, déporté le 6 septembre en Allemagne où il sera fusillé à Tübingen le 20 novembre suivant.
7- Ouest-France, 15 août 1945
8 – op. cité

Sources
Dictionnaire de Nantes PUR (Patrimonia, https://patrimonia.nantes.fr
Archives municipales de Nantes www.archives.nantes.fr
La Société Académique de Nantes et Loire-Atlantique présente sur son site une galerie de photos de la ville à la suite des bombardements. (hébergée par le site des archives municipales)

 

 

Hommage à Jean de Neyman, grand résistant humaniste
©Xavier Trochu

Comme chaque année à l’initiative du Comité du Souvenir et de la section locale du PCF, dont il était membre, un hommage émouvant a été rendu à Jean de Neyman le 2 septembre à l’occasion du 79e anniversaire de son exécution par les nazis.

Une cinquantaine de personnes étaient rassemblées sur le site d’Heinlex à Saint-Nazaire, en présence de la famille, Mmes Dominique de Neyman et Claire Buchbinder et M. Pierre Stapf, ainsi que Mme Véronique Mahé, conseillère régionale, MM Christian Retailleau, président du Comité du Souvenir, Yves Bourbigot, président de l’association Buchenwald – Dora 44, Stéphane Marsac, président de l’ADIRP 44 et Pierre Billon, président de la section de Saint-Nazaire de l’UNC.

©P. Morel

Dans son allocution, le secrétaire du PCF de Saint-Nazaire Cédric Turcas a retracé la vie et l’engagement de Jean de Neyman.

https://resistance-44.fr/wp-content/uploads/2023/09/Ceremonie-commemorative-en-hommage-a-Jean-de-NEYMAN-20_23-Recuperation-automatique.pdf

Né à Paris en 1914 de parents polonais, professeur agrégé de physique, il adhère en 1934 au PCF, en étant très actif dans le combat antifasciste et le soutien aux résistants antinazis allemands.

Après sa démobilisation en 1940, il est exclu de l’enseignement public par le régime de Vichy qui a interdit la fonction publique aux Français d’origine étrangère.

Devenu professeur du secondaire dans le privé à La Baule (44), il s’implique rapidement dans la résistance, dans son milieu d’abord puis avec les communistes nazairiens. Il entre dans la clandestinité en mai 1944 avec son groupe de résistants Francs-tireurs et partisans (FTP). Dans la poche de Saint-Nazaire constituée en août et forte de près de 30 000 soldats ennemis, ils multiplient les actions de guérilla, sabotages d’installations, prises d’équipements et d’armes, et soutiennent les déserteurs allemands

Arrêté pour avoir tenté de sauver l’un d’eux, il est condamné à mort par les autorités militaires allemandes et fusillé le 2 septembre 1944 au château d’Heinlex.

©Didier

Dans une lettre à ses parents, il écrit : « Parmi tous les risques, j’ai l’intention de prendre mes responsabilités aussi clairement que ma conscience m’en donnera les moyens. Je voudrais que vous – (ceux qui survivront) – sachiez vous consoler de ma perte, car je me considère comme un élément, un petit chaînon dans l’évolution de notre monde, et puisque nous sommes dans la période du gros travail, et qu’il doit y avoir d’innombrables chaînons de brisés et d’usés, peu importe au total qu’ils le soient de façon rationnelle, individuelle … », ce que commente ainsi Cédric Turcas : «  Quelle leçon nous apporte Jean dans cette lettre empreinte d’une conscience collective, d’une conscience républicaine ô combien supérieure à sa propre existence. Comment ne pas y voir la somme des êtres résistants qui ont eu à faire ces choix éclairés au risque de leur vie pour que nous puissions vivre libres, vivre en paix ? Comment ne pas y voir une sommation à diffuser aujourd’hui ces valeurs dans notre société, à l’heure où les derniers témoins vivants de cette époque nous quittent peu à peu ? ».

©Xavier Trochu

A la fin de la cérémonie, conclue par le verre de l’amitié offert par la section PCF, rendez-vous a été donné l’année prochaine aux participants pour le 80e anniversaire de l’exécution de Jean de Neyman. Cet événement mémoriel devant associer historiens, municipalités, artistes et le monde scolaire sera l’occasion de faire connaître aux nouvelles générations cette figure héroïque de la résistance nazairienne.

Hommage à six des 48 Otages fusillés le 22 octobre 1941et inhumés à Basse – Goulaine

Le 22 octobre 1941, 48 otages étaient exécutés par les nazis, sur ordre d’Hitler. Six d’entre eux, fusillés au Bêle, à Nantes, ont été inhumés anonymement, au cimetière de Basse-Goulaine. Le 17 juin 2023, la Ville et le Comité du souvenir ont organisé une cérémonie lors de laquelle une plaque, pour ne pas les oublier, a été dévoilée, au cimetière du bourg.

Rappelons le contexte. Le 20 octobre 1941, le lieutenant-colonel Karl Hotz, chef des troupes allemandes d’occupation à Nantes, est abattu par un commando de résistants communistes. En représailles, Hitler exige l’exécution de 50 otages. Quarante-huit seront finalement fusillés le 22 octobre 1941 : 27 dans la carrière de la Sablière, à Châteaubriant : 16 au champ de tir du Bêle, à Nantes et cinq au Mont Valérien (Hauts-de-Seine).

Pour éviter tout recueillement sur les tombes, et toute manifestation d’hostilité à leur égard, les Allemands ont choisi de disperser les corps dans des communes éloignées de Châteaubriant et de Nantes, lieux des exécutions et, à l’époque, mal desservies par les transports. Les cercueils portaient un simple numéro, sans nom. Ils seront transférés à Nantes pour les obsèques solennelles, le 9 juin 1945.

Pour ne pas les oublier et leur donner un visage, le Comité départemental du souvenir des fusillés de Châteaubriant et Nantes et de la Résistance en Loire-Inférieure a initié un parcours de la mémoire qui relie les 9 communes du castelbriantais et les 3 communes du vignoble nantais : Saint-Julien-de-Concelles, Haute-Goulaine, et Basse-Goulaine. La cérémonie du 17 juin 2023 a constitué le dernier jalon du parcours.

Qui étaient ces combattants ?

Joseph Gil, 19 ans, était ouvrier d’usine, à Nantes. Résistant et membre du Front national pour la libération et l’indépendance de la France, il militait au sein d’une organisation communiste clandestine. Il a été arrêté le 5 septembre 1941, en possession d’un revolver, par la police française.

Jean Platiau, 20 ans, était employé de commerce. Il a été arrêté pour action en faveur de l’ennemi, le 22 novembre 1940, à Nantes, par l’Abwehr (service de renseignements de la Wehrmacht).

Jean Grolleau, 21 ans, s’engagea dès le mois de septembre 1940 dans la Résistance avec d’autres étudiants. Le 13 mai 1941, il a été arrêté à Nantes par l’Abwehr. Suspecté d’intelligence avec l’ennemi mais faute de preuves contre lui, il espérait une prochaine libération, quand il fut désigné comme otage.

Léon Ignasiak, 48 ans, était chauffeur de four aux Forges de Basse-Indre. Militant communiste et syndicaliste CGT, il a été arrêté le 20 octobre 1941 pour ce motif par la police française.

Paul Birien, 50 ans, représentant de commerce, et Joseph Blot, 50 ans, entrepreneur de couverture, appartenaient au groupe des anciens combattants de la Première Guerre mondiale. Arrêtés par les Allemands, ils furent accusés d’aide à l’évasion de prisonniers.

La cérémonie, organisée par la municipalité avec le Comité du souvenir et le soutien de l’UNC, de plusieurs associations mémorielles et du PCF, a rassemblé une centaine de personnes.

Après un premier dépôt de gerbe à l’intérieur du cimetière, la plaque a été dévoilée par le maire Alain Vey, accompagné de la députée Sophie Errante et l’ancien maire Bernard Poignant  et le président du Comité Christian Retailleau, accompagné d’Elie Brisson de l’UNC

Puis le cortège a rejoint le monument pour la Paix, où Alain Vey et Christian Retailleau ont pris la parole, en présence du Conseil municipal des jeunes. La fanfare L’Echo de Saint-Sébastien-sur-Loire a interprété avec brio La Marseillaise et le Chant des partisans.

À l’issue de cette séquence, une évocation artistique a été proposée : un extrait de la pièce Les 50  a été interprété par des artistes du Théâtre D’ici ou d’ailleurs et du Théâtre Balivernes, emmenés par Claudine Merceron. Le verre de l’amitié a été offert par la municipalité.

Crédit photos : Ghislaine Leloup, Didier Goan
Odette Nilès est décédée

Chères amies, chers amis,

C’est avec une infinie tristesse que nous avons appris le décès d’Odette Nilès, survenu le 27 mai au moment où la journée nationale de la Résistance était célébrée dans de nombreuses localités.

Née en 1922, sa vie entière, résumée dans la notice biographique du Maitron ci-jointe, a été consacrée à la défense de ses idéaux en faveur de la justice sociale, de la liberté, de l’égalité et de la paix. 

Jeune résistante communiste, elle connaît l’internement dans différents camps, dont celui de Châteaubriant où elle assiste avec ses camarades le 22 octobre 1941 au départ des 27 otages vers le lieu de leur martyr, et les combats de libération au sein des FTP.

Elle succède à son mari Maurice Nilès comme présidente de l’Amicale de Châteaubriant-Voves-Rouillé-Aincourt, afin de perpétuer le souvenir de ses camarades de résistance et  combattre sans relâche les idées de l’extrême-droite.

La disparition d’Odette Nilès, dernière survivante du camp de Choisel à Châteaubriant, nous oblige à transmettre, plus encore, la mémoire des résistants et les valeurs de la Résistance contenues dans le programme du CNR  » Les jours heureux ».

Nous présentons à son fils Claude Nilès, à sa petite-fille Carine Picard-Nilès et à toute sa famille nos plus sincères condoléances.

Christian Retailleau

Président du Comité du Souvenir – Résistance 44

Comité départemental du souvenir des fusillés de Châteaubriant et Nantes et de la Résistance en Loire-Inférieure

1, place de la Gare de l’Etat – case 1 – 44276 Nantes Cedex 2
www.resistance-44.fr

Le 1er Mai sous l’Occupation (1939-1944)

Sous la menace d’un second conflit mondial le 1er Mai 1939 ne s’annonce pas sous les meilleurs auspices. Signés en septembre 1938, les accords de Munich censés préserver la paix divisent la CGT. Dans les entreprises, les conquêtes du Front populaire, contestées par le patronat, sont remises en cause par les décrets-lois gouvernementaux. La grève générale de protestation décidée lors du congrès de la CGT réuni à Nantes en novembre 1938 est sévèrement réprimée, de nombreux militants sont arrêtés, des milliers de travailleurs licenciés. Dans ce contexte inquiétant, la CGT affaiblie et divisée déclare que le 1er Mai 1939 n’entraînera pas obligatoirement de cessation de travail. Les grévistes sont rares en Loire- Inférieure mais des rassemblements à Nantes, Saint-Nazaire, Châteaubriant témoignent d’une volonté de maintenir le caractère traditionnel du 1er Mai.

            Les divisions au sein de la CGT s’étalent au grand jour lors du congrès de l’Union départementale réuni à Saint-Nazaire les 13 et 14 avril 1940 lorsque Léon Jouhaux, secrétaire confédéral, critique avec véhémence les dirigeants locaux (Gaston Jacquet et Pierre Gaudin) qui n’ont pas dénoncé le pacte germano-soviétique signé le 20 août 1939. Alors que la France est en guerre depuis huit mois, le 1er Mai 1940 est calme et laborieux. La CGT n’a pas appelé à manifester. La CFTC a cru de son devoir de célébrer la fête chrétienne du 1er Mai … le jour de l’Ascension. Les dirigeants des deux organisations (Jouhaux et Tessier) exaltent à la radio nationale « la collaboration du patronat et du salariat à la pacification intérieure par l’intensification de la production et de la justice sociale ». En août, CGT et CFTC sont dissoutes. La « Révolution nationale » est en marche.

            En 1941, le gouvernement de Vichy entend s’approprier le 1er Mai. Considéré comme un symbole de division et de haine, il devient désormais légal de célébrer « la Fête du travail et de la concorde sociale », journée prétexte à écouter la parole du maréchal. L’initiative n’est pas unanimement partagée et soulève les craintes de la Feldkommandantur de Nantes qui interdit toutes manifestations, alors que la presse locale relaie de rassurantes informations préfectorales sur la mise sous surveillance d’éléments perturbateurs susceptibles de se livrer à une propagande communiste. Ces mesures préventives n’évitent pas que des résistances se manifestent : diffusion de L’Humanité clandestine, collage de papillons tricolores sur les vitrines de la rue Crébillon, inscriptions « Vive Thorez » quai de Versailles, drapeau rouge avec faucille et marteau hissé au mât de pavillon près du monument aux morts.

            En 1942, l’hostilité à la Charte du travail promulguée le 4 octobre 1941 commence à s’exprimer. L’occupant, dont une partie de l’armée est empêtrée sur le front russe, donne des signes de fébrilité. La « Fête du travail et de la concorde sociale » qui se voulait grandiose, est morose. Décalée au 2 mai pour assurer deux jours de repos consécutifs et une économie de charbon et d’électricité, elle traduit les difficultés du moment. Consacrée au travail, elle offre l’opportunité d’une large distribution de médailles aux plus méritants. De son côté, dans l’ombre, la résistance s’organise et s’exprime sous différentes formes : le discours du maréchal n’est pas, comme prévu, diffusé par haut-parleur dans toutes les entreprises faute d’un réel empressement à les doter du matériel nécessaire ; l’occupant, qui redoute les manifestations le plus souvent à l’initiative des groupes communistes, ne peut empêcher la diffusion de tracts dénonçant le pillage des matières premières, revendiquant tickets d’alimentation et augmentations de salaires ; entre Nantes et Pontchâteau, deux pylônes sont dynamités, un troisième dynamitage aurait privé la Bretagne d’électricité ; répondant à un appel de la radio anglaise, 1500 Nantais bravent l’interdiction expresse de manifester en se rassemblant près de la mairie sans être autrement inquiétés par la police municipale nantaise.

            En 1943, le cours de la guerre est en train de changer mais toute manifestation demeure interdite « tout incident, dans les circonstances actuelles étant de nature à provoquer une dangereuse tension dans les rapports entre l’occupant et l’occupé » rappelle le préfet régional. Après trois ans d’activités clandestines, les militants CGT confédérés et unitaires, aboutissent à la réunification syndicale le 17 avril 1943, cinq semaines avant la création du Conseil national de la Résistance. Malgré un appel de Londres à cimenter cette unité ouvrière dans la lutte, aucune manifestation n’est organisée le 1er Mai dans le département. Le maréchal peut donc tenter de faire oublier aux Français son impuissance à régler leurs problèmes en leur distribuant force médailles à son effigie et en offrant un goûter aux enfants de prisonniers.

            En mai 1944, alors que l’on évoque la possibilité d’un débarquement des troupes alliées et que l’urgence est à l’intensification des actes de résistance à l’occupant, la CGT reconstituée appelle à faire du 1er Mai une journée de combat pour la libération. Un appel resté vain à Nantes où aucune manifestation à caractère politique n’est tolérée hormis cette fête organisée au théâtre Graslin, en présence d’artistes parisiens, au cours de laquelle le préfet est chargé de s’assurer que le seul orateur autorisé soit acquis aux principes de la Révolution nationale. Dans une ville sous les décombres des derniers bombardements, le cœur n’y est pas. Le matin du 1er Mai, beaucoup de Nantais ont quitté la ville à bicyclette. Les nécessités du ravitaillement l’avaient emporté sur les attraits du music-hall parisien.

Après quatre ans d’occupation, la tentative de récupération politique du 1er Mai par le gouvernement de Vichy a échoué. C’est dans une France libérée du totalitarisme nazi et de la « Révolution nationale » que les Nantais célébreront le 1er Mai 1945.

                                                                   Michel TACET.

Il y a 80 ans, le 17 avril 1943

Des accords du Perreux à la création du CNR

Le Nantais Raymond Sémat œuvre à la réunification de la CGT

Raymond Sémat, vous connaissez? « Nantais venu d’ailleurs », né à Mazamet en 1896, tourneur, il travaille à Béziers. En 1932, il s’établit à Nantes où il s’illustre dans l’action syndicale: secrétaire du syndicat unitaire des Métaux, secrétaire de l’UL CGTU, il dirige également la 15ème Union Régionale de la CGTU. A partir de 1935 il se consacre à ses nouvelles responsabilités nationales de secrétaire de la Fédération des Métaux et il prend part aux pourparlers nationaux qui conduisent à la réunification syndicale de mars 1936, à la veille du Front populaire.

Au cours des négociations de Matignon, il est avec Benoît Frachon l’un des deux « ex-unitaires » signataires des Accords Matignon. Après le congrès de Nantes en 1938, il accède à la Commission administrative de la CGT réunifiée.

 Il est arrêté en octobre 1940, en même temps que son fils Roger ainsi que Timbaud, Granet, Poulmarc’h et tant d’autres syndicalistes livrés aux Allemands par le sinistre policier Peyrouton, promu Ministre de l’Intérieur de Pétain. Il est interné successivement à Aincourt, Clairvaux, Fontevrault puis Choisel/Châteaubriant d’où il s’évade le 16 juin 1941, avec l’aide de Germaine Hénaff. Repris en décembre 1942, il est interné à Voves d’où il s’évade de nouveau le 11 janvier 1944 avant de rejoindre les FTP puis de retrouver ses responsabilités syndicales à la Libération.

Raymond Sémat en combattant FTP – FFI

Entre temps, il est chargé par B. Frachon de missions à hauts risques. La scission de 1939 avait creusé un fossé entre les deux grands courants du mouvement syndical. Les « ex-unitaires » souhaitent que la CGT se réunifie pour contrer l’attentisme, refuser la Charte du travail et lutter contre l’occupant et Vichy. Une première prise de contacts a  lieu en décembre 1940 au siège de la Fédération du Bois, suivie le 17 mai 1941 d’une rencontre « à caractère informatif » entre des responsables des deux courants. Certains signes encourageants (notamment le Manifeste des 12, par lequel 9 ex-confédérés et 3 responsables de la CFTC se démarquent de la politique de Vichy) incitent B. Frachon à confier à R. Sémat la mission de prendre contact avec Léon Jouhaux, secrétaire général de la CGT, alors en résidence surveillée à Cahors. En août 1942, Raymond Sémat a le contact avec Louis Saillant qu’il informe de l’objectif de Benoit Frachon et la rencontre avec Jouhaux a lieu le 22 septembre 1942 à Cahors.  Un accord de principe est trouvé pour poursuivre les discussions.

Certes des clivages persistent mais le processus est enclenché et rejoint le souci de Jean Moulin qui considérait comme prioritaire l’union des forces syndicales les plus susceptibles d’entraîner les mouvements de Résistance intérieure. L’arrestation de Jouhaux en novembre 1942 et celle de Sémat en décembre interrompent les contacts. C’est alors André Tollet qui est chargé de les rétablir avec l’aide de Henri Raynaud, autre évadé de Châteaubriant, en lien constant avec Benoît Frachon. Les contacts reprennent en janvier 1943 puis un accord verbal est scellé le 17 avril 1943, après une nuit de discussions dans un pavillon au 9, rue du Stade, chez Fritsch, beau-père de Saillant, au Perreux (aujourd’hui dans le Val-de-Marne) avec Louis Saillant et Robert Bothereau, ouvrant la voie à la réunification clandestine de la CGT.

La réunification, bien qu’imparfaite, a eu trois conséquences importantes:

1. Elle a entraîné les ex-confédérés dans une condamnation de la Charte du travail et au-delà dans la condamnation de la politique générale du régime de Vichy;

2. Elle a permis, après l’effondrement du début de l’Occupation, une augmentation sensible des effectifs et un regain des luttes syndicales.

3. Elle a permis que le syndicalisme résistant prenne toute sa place dans les organes de la Résistance. La CGT est représentée au CNR par Louis Saillant, la CFTC l’est par Gaston Tessier. Des syndicalistes de la CGT et de la CFTC siègent à l’Assemblée consultative d’Alger (sur les 22 rapports ou propositions qui y sont déposés, 9 sont le fait de la CGT)

Certes, réalisée au niveau confédéral, la réunification fut plus difficile au niveau des Fédérations et des UD. Ainsi il ne semble pas qu’elle ait pu se réaliser en Loire-Inférieure, notamment en raison des vagues d’arrestations des militants ex-unitaires qui agissent à la fois sur le terrain revendicatif et sont actifs dans la lutte politique et militaire contre Vichy et l’occupant et sont les principales victimes de la répression. La CGT reste géographiquement coupée entre la région nantaise dominée par les amis de Léon Jouhaux (Auguste Péneau et Gabriel Goudy) tandis que la région nazairienne (Jouvance et Blanchard) est aux mains des amis de Belin, ex-numéro 2 de la CGT devenu à Vichy, le ministre du travail de Pétain.

© DR -Louis Saillant

Les Accords du Perreux conclus entre les représentants des deux tendances syndicales ont constitué un tournant majeur et donné un formidable élan à la Résistance. Ils ont apporté à Jean Moulin – alias Régis qui a œuvré à lever les obstacles à l’unité entre les deux courants – des éléments de conviction pour surmonter les réticences et réussir à créer le 27 mai 1943 le Conseil National de la Résistance dans lequel la CGT représentée par Louis Saillant – qui en deviendra le président, jouera un rôle essentiel dans l’élaboration du programme du CNR et par conséquent dans les réformes économiques et sociales de la Libération.

                                                              Loïc LE GAC

Sources:

Guy Haudebourg Défendre les travailleurs sous l’Occupation Annales de Bretagne 2009

Jean-Pierre Lecrom Syndicalisme & Résistance Colloque de Cachan 1995

André Tollet La classe ouvrière dans la Résistance (Editions sociales)

François Hincker in Le syndicalisme dans la Résistance (Editions de la Courtille)

André Narritsens, Cahier d’histoire sociale, n° 144 décembre 2017 (IHS CGT)