LES 50 OTAGES

Ceux de Nantes

©Comité du souvenir. Chaque année le vendredi le plus proche du 22 octobre, une Veillée du souvenir se tient devant le Monument

Le 23 octobre 1941, en ouvrant leur journal quotidien, validé par la Propaganda Staffel, les Nantais découvrent l’avis publié par le Militärbefehlshaber  Otto von Stülpnagel. Le commandant des troupes allemandes annonce l’exécution la veille de 48 otages en représailles à la mort du Feldkommandant Hotz, abattu le 20 octobre.

Plus tard dans la journée, une affiche recouvre les murs de la ville.

La liste (ci-dessous dans L’OEuvre) comprend 19 noms d’otages « de Nantes », 1 de Saint-Nazaire, 1 de Saint-Herblain. La veille en fin d’après-midi, 16 ont été fusillés au champ de tir du Bêle, 5 au Mont-Valérien près de Paris et 27 dans la carrière de La Sablière à Châteaubriant soit 48 noms au total.

Ceux de Nantes, qui sont-ils ?

Ce sont des anciens combattants de la guerre 1914-1918, regroupés derrière Léon Jost, président-fondateur du comité d’entente des associations d’anciens combattants créé en 1932, fort de 60 000 adhérents, unis par le serment de Verdun pour « travailler à la paix des vivants ». Le 19 juin 1940, Nantes, déclarée « ville ouverte » par les autorités locales, tombe aux mains des Allemands. Ceux-ci regroupent les nombreux soldats français, britanniques, belges présents en ville. Dès le 19 au soir, ils sont 2 500 entassés sans eau, ni pain, dans la caserne Cambronne et au quartier Richemont.

L’oeuvre. 23 octobre 1941

De l’aide aux prisonniers de guerre…

 Le 28 juin, alertés par Paul Birien, plusieurs responsables Fernand Ridel, Léon Jost, Alexandre Fourny se réunissent dans un café de la route de Paris et décident d’une intervention auprès des autorités allemandes afin d’améliorer la situation des prisonniers de guerre retenus à Nantes. Dès le lendemain, ils obtiennent l’autorisation de ravitailler les prisonniers et livrent 125 kg de pain et de charcuterie. Le 30 juin, le bureau du Comité d’entente, réuni à son siège 10, rue de L’Arche-Sèche, apprend que 35 000 prisonniers dont 20 000 de la région nantaise sont répartis dans plusieurs camps à Châteaubriant, ville occupée depuis le 17 juin,

 dans un complet dénuement. Un autre camp est ouvert à Savenay et comprend 16 000 hommes et un autre encore à Ancenis. Afin de légaliser son activité, le Comté d’entente crée un Comité d’aide aux prisonniers et obtient le soutien des autorités – préfet, maire etc. – de la Croix rouge, de la Chambre de commerce.

…au réseau d’évasion

Dans l’ombre, se développe une autre activité, illégale celle-ci, d’aide à l’évasion de prisonniers dirigée par Auguste Bouvron. Le plus souvent, ces évasions ont lieu à l’occasion de corvées effectuées à l’extérieur des camps. Les prisonniers se cachent et sont reconduits à Nantes dans les camions de ravitaillement qui ne repartent donc pas à vide. Dans les bureaux du Comité, 18 rue Saint-Léonard, les évadés reçoivent des faux papiers, des fiches de démobilisation, des cartes d’alimentation, un peu d’argent et des vêtements civils. Epaulé par un cheminot, Marin Poirier, Auguste Bouvron constitue un réseau de passeurs en Charente pour franchir la ligne de démarcation ou dans le Finistère, en direction de l’Angleterre. Les Allemands constatent des évasions sans en connaître le nombre exact et soupçonnent le Comité d’entente qu’ils mettent sous surveillance. Le 15 juin, les hommes de la Geheime feldpolizei (GFP), la police militaire secrète se rend rue Saint-Léonard et arrêtent Paul Birien, Auguste Blot et les 2 secrétaires Mme Lemeute et Mlle Litoux. Puis ils se rendent à l’usine LU dont Léon Jost est directeur de la production et du personnel et l’arrêtent. Le circuit se poursuit, Alexandre Fourny est arrêté dans son cabinet d’avocat. Le soir ils sont écroués à la prison militaire des Rochettes, accompagnés dès le lendemain par Me Ridel. Le 20 janvier, trois autres anciens combattants rejoignent le groupe : Auguste Blouin, Pierre Roger et Marin Poirier. Informé de ces arrestations, Auguste Bouvron reste caché à Clisson où il se trouve.

Les détenus sont jugés mais, faute de preuves, les juges du tribunal militaire allemand, qui siège 4 rue Sully, délivrent un non-lieu. Cependant, 48 heures plus tard, ils sont de nouveau arrêtés et Léon Jost l’est à son tour le 3 mars. Le 22 avril 1941, le groupe des anciens combattants est une nouvelle fois convoqué au tribunal, mais après deux renvois successifs au 6 puis au 30 mai l’audience n’a finalement lieu que le 15 juillet. Ils sont accusés d’avoir favorisé 900 évasions de prisonniers de guerre. Interrogés un à un, tous nient les faits, à l’exception de Pierre Roger qui charge ses « camarades ». Il est relaxé. Jost, Fourny, Ridel, Blot et Blouin sont condamnés à 3 ans de prison, Mlle Litoux à 6 mois et Marin Poirier à 4ans et demi. Ils déposent un pourvoi en appel. Le 27 août, les sentences tombent : le tribunal confirme les peines sauf pour Mlle Litoux dont la peine passe de 6 mois à 3 ans de prison tandis que Marin Poirier est condamné à mort. Le Feldkommandant Hotz rejette le recours en grâce rédigé par les avocats. Le 30 août, l’abbé Fontaine, aumônier de la prison Lafayette, l’assiste jusqu’au champ de tir du Bêle. Selon son témoignage, Marin Poirier refuse que ses bourreaux lui bandent les yeux. Il refuse la main que lui tend l’officier allemand. « Je ne me suis jamais sali. Faites votre devoir » lui rétorque-t-il.

Marin Poirier est ainsi le premier fusillé nantais.  Il est enterré sur place avant d’être transféré à Saint-Julien-de-Concelles le 8 novembre 1941, puis ses obsèques solennelles se déroulent le 13 novembre 1945 à Nantes en même temps que celles de tous les fusillés. La veille, le lieutenant de vaisseau Henri Honoré d’Estienne d’Orves et ses compagnons Yann Doornick et Maurice Barlier avaient été fusillés au Mont-Valérien.

11 novembre 1940 : les étudiants manifestent à l’Etoile et à Nantes aussi.

L’entrée des Allemands dans Nantes le 19 juin 1940, produit un nouvel effet de sidération après celui de la débâcle. Si la plupart des Nantais choisissent de ne pas choisir, quelques actes de refus de l’Occupation se produisent peu à peu, spontanément : inscriptions à la craie sur les murs, refus de descendre du trottoir pour laisser le passage aux militaires allemands, papillons (on ne disait pas encore flyers), sabotage de lignes téléphoniques ou de câbles électriques etc.

Un coup d’éclat survient à l’occasion du 11 novembre 1940, le premier depuis l’Occupation. La marche à l’Etoile des étudiants et lycéens parisiens est bien connue. A Nantes aussi, à l’appel d’étudiants de Clemenceau, des lycéens et étudiants bravant l’interdiction, célèbrent la victoire de 1918. Plusieurs dizaines se rassemblent dans le Jardin des Plantes, puis pénètrent dans la cour d’honneur du lycée Clemenceau et déposent une gerbe devant le monument aux Morts. Ils défilent ensuite en ville et le cortège grossit d’élèves du lycée de jeunes filles, de l’école professionnelle Launay, de Livet et d’autres établissements. Le groupe remonte vers le monument aux morts de la ville. La police allemande procède à des arrestations, mais cette première manifestation publique a encouragé un certain nombre de jeunes à aller plus loin.

Le drapeau français flotte au sommet de la cathédrale.

L’impact de cette journée est d’autant plus fort qu’une surprise attend les Nantais au saut du lit. Des passants constatent que le drapeau français, interdit, flotte au sommet de la cathédrale Saint-Pierre au cœur de Nantes. Initiative de l’évêque Mgr Villepelet ? Peu probable. Le bouche à oreille provoque bientôt un attroupement. L’évêché alerte la Kommandantur qui envoie ses Feldgendarmes pour tenter de disperser la foule. Un soldat est missionné pour grimper et arracher le drapeau, mais ne parvient qu’à déchirer la partie rouge. Il faut faire appel aux pompiers et à la grande échelle qui parviennent à décrocher le drapeau seulement à … 11h30. Toute la matinée, les Nantais ont apprécié le spectacle. Les auteurs de cet acte de résistance seront connus plus tard. Il s’agit de Michel Dabat, 19 ans, étudiant aux Beaux-Arts et son ami Christian de Mondragon, lycéen de 16 ans qui ont entrepris de hisser le drapeau tricolore sur l’une des tours de la cathédrale au nez et à la barbe des patrouilles allemandes et en défi au couvre-feu.

De premiers réseaux se constituent

Après la manifestation étudiante, plusieurs jeunes rencontrent un cheminot, Marcel Hévin qui cherche des bonnes volontés « pour faire quelque chose ». Un groupe se forme autour de lui pour venir en aide aux personnes qui souhaitent gagner la Grande Bretagne et collecter des renseignements stratégiques en vue de les transmettre à Londres. Il y a là notamment Henri Vandernotte, employé des magasins Decré, Hubert Caldecott, un pharmacien nazairien, Frédéric Creusé, un ancien de l’école Livet, Jean Grolleau et Jean-Pierre Glou, étudiants de l’Institut polytechnique de l’Ouest (future Ecole centrale), Philippe Labrousse, un ancien du lycée Clemenceau, qui après des études de droit est maintenant directeur du contentieux aux chantiers de Penhoët à Saint-Nazaire.

Le démantèlement d’un autre réseau de renseignements, le réseau Nemrod, constitué par le lieutenant de vaisseau Henri Honoré d’Estienne d’Orves provoque des arrestations en chaîne. L’étau se resserre autour de Marcel Hévin, dénoncé, et il est arrêté de même que Michel Dabat puis Frédéric Creusé, Christian de Mondragon, Philippe Labrousse, Jean Grolleau et Jean-Pierre Glou. Au siège de la Gestapo, les coups pleuvent pour faire avouer les accusés. Car l’aveu est la reine des preuves et justement les preuves manquent. Au point que les juges allemands sont contraints de prononcer un non-lieu à l’encontre de Hévin, Labrousse et Caldecott le 19 juillet 1941. Le 8 août, Dabat est condamné à 4 mois, Glou écope de 6 semaines, et Grolleau de 15 jours de prison, Creusé est acquitté. Néanmoins ils sont maintenus en détention à l’exception de Christian de Mondragon, libéré en raison de son jeune âge. Ce qui motive l’interrogation de Frédéric Creusé dans une lettre à ses parents : « Sommes-nous pris comme otages ? ». Le 30 septembre, Hevin, Caldecott et Labrousse sont conduits au Fort de Romainville, près de Paris où sont déjà détenus Charles Ribourdouille, 33 ans et Victor Saunier, 28 ans.

La composition de la liste Le 20 octobre, Hitler exige 100 ou 150 otages pour venger la mort du Feldkommandant Karl Hotz, abattu à Nantes par un groupe de jeunes résistants communistes.

Puis les modalités se précisent : 50 immédiatement et 50 autres si les coupables ne sont pas arrêtés avant le 23 octobre à minuit. Des primes mirobolantes sont offertes aux délateurs. A Paris, le Commandant militaire de la Wehrmacht, Otto von Stülpnagel et le ministre de l’intérieur Pucheu, arrivé de Vichy se concertent. Pucheu a fait dresser une liste de 200 noms, réduite à 61, choisis parmi les communistes internés dans le camp de Choisel à Châteaubriant. Pucheu voudrait faire exécuter uniquement des communistes et des cégétistes qu’il exècre. Les Allemands tiennent à appliquer strictement le Code des otages promulgué il y a

peu à la demande d’Hitler. Il s’agit d’établir une liste d’hommes aux profils variés, d’âges variés et des Nantais puisque c’est à Nantes que le Feldkommandant a été abattu. Or, il y a dans les prisons de Nantes des prisonniers qui ont agi contre les Allemands et sont donc considérés comme otages. Il faut aussi puiser dans ce vivier. D’autant qu’il y a parmi eux des communistes comme René Carrel, ancien des Brigades internationales en Espagne, José Gil, ouvrier de la navale, Léon Ignasiak, ouvrier des Forges de Basse-Indre, Robert Grassineau, Maurice Allano, André Le Moal, jeune nazairien de 17 ans.

Chaque année, le 22 octobre un hommage officiel est rendu au champ de tir du Bêle

La liste des otages est ainsi arrêtée : 27 internés du camp de Choisel, élus communistes, dirigeants de la CGT seront fusillés à Châteaubriant, 16 otages emprisonnés à Nantes (13 à Lafayette, 3 aux Rochettes) seront fusillés au champ de tir du Bêle et 5 internés au Fort de Romainville seront fusillés au Mont-Valérien.

 De même qu’à Châteaubriant où les corps des fusillés sont inhumés anonymement dans 9 communes du Castelbriantais, ceux de Nantes seront enterrés dans le vignoble à Basse-Goulaine, Haute-Goulaine et Saint-Julien-de-Concelles. Les fusillés du Mont-Valérien seront inhumés au cimetière parisien d’Ivry.

Pour mémoire

Le 22 octobre 1944, le boulevard des 50 Otages, tracé sur l’ancien cours de l’Erdre, est inauguré en présence de 100 000 personnes. L’après-midi une foule immense se rassemble dans la carrière des fusillés à Châteaubriant, en présence notamment du ministre de l’Air Charles Tillon – ancien chef des FTP, Marcel Cachin, directeur de L’Humanité, Michel Debré, commissaire de la République.

Le 14 janvier 1945, le général de Gaulle vient remettre à Clovis Constant, chef de la délégation municipale (maire provisoire en attendant les élections) la Croix de Compagnon de la Libération, décernée à la ville de Nantes le 11 novembre 1941. Le 9 juin 1945, les corps des fusillés, exhumés des différents cimetières sont amenés au Musée des Beaux-Arts où est dressée une chapelle ardente avant les obsèques solennelles qui réunissent une foule considérable.

Le 22 octobre 1952 est inauguré le monument aux 50 Otages et à la Résistance, conçu par Marcel Fradin avec le concours de Jean Mazuet pour les statues.

Sources

*Didier GUYVARC’H et Loïc LE GAC, préface de Thomas FONTAINE, En vie, en joue, enjeux. Editions du CHT *Dominique BLOYET, Etienne GASCHE Nantes, Les 50 Otages, Editions CMD

Des Nantais témoignent sur les bombardements de 1943

Le 4 octobre, le journal OUEST-FRANCE a organisé  à Nantes une soirée sur les bombardements des 16 et 13 septembre. Cette soirée faisait suite à la publication d’un ensemble d’articles de grande qualité. Trois historiens  – Ambre Ivol, Andrew Knapp et Christophe Belser ont apporté leur éclairage puis des témoins ont partagé leurs souvenirs de ces terribles journées. Plusieurs autres témoignages, dont certains avaient été confiés à notre Comité, ont été lus par des élèves du lycée Carcouët. Nous publions ci-dessous ceux de Monique Arradon, Jean-Claude Baron et Jean Cesbron.

 

Témoignage de Monique ARRADON sur les bombardements de Nantes

Monique Arradon avait 12 ans en 1943. Elle vivait à Nantes, où elle est née. Elle a remis au Comité du souvenir son témoignage sur les bombardements de Nantes les 16 et 23 septembre 1943 qui l’ont marquée, comme les fusillades des Otages à Nantes, Châteaubriant et au Mont-Valérien, deux ans auparavant, le 22 octobre 1941 « Comme une volée de grains jetée aux poulets, le 16 septembre 1943, une pluie de bombes américaines tombe sur Nantes. Ce jeudi-là, fin de vacances, j’étais avec ma mère  chez ma tante, quartier de Saint-Félix, assez éloigné du port.

Nous ne fûmes pas trop inquiètes de la sirène d’alerte, qui allait retarder notre retour à la maison. Les Nantais ne craignaient plus guère, jour et nuit, les alertes au cours desquelles rien ne se passait sauf quelques bombes lancées, en piqué, sur le port par les aviateurs anglais. Une batterie de DCA, allemande, au bout de notre avenue, ne m’empêchait plus de dormir…

Contrairement aux Nazairiens, fuyant leur ville, enflammée chaque nuit, où seule résistait la base sous-marine, qui nous prédisait des catastrophes…

Donc, en cette fin d’après-midi ensoleillée, le 16 septembre, nous fûmes atterrées par le bruit épouvantable, incessant, sa durée, les détonations et les lueurs d’incendies qui irradiaient le ciel, bleu.

Annick, ma cousine, arriva, blanche de plâtras, choquée. Elle était restée coincée dans son bureau. Fuir, fuir Nantes…

Sitôt l’alerte terminée, au bout de combien de temps ? Très inquiètes, ma mère et moi revînment vite à la maison. Claude, mon frère, arriva, assourdi par les explosions. Il s’était protégé sous le pont de la Motte-Rouge, au bord de l’Erdre. Il avait vu Nantes flamber. Peu éloigné, à vol d’oiseau du centre-ville, il entendit s’écrouler une rue entière, la rue de l’Arche-Sèche, transformée en fleuve de pierres.

Puis mon père rentra. De son bureau il avait vu les malades de l’Hôtel-Dieu descendre en hâte par les fenêtres dans leurs draps. Il avait traversé à vélo la ville en feu pour rejoindre notre quartier, au rond-point de Paris.

La rue du calvaire, baptisée à jamais, n’était que flammes. Le samedi, lorsque nous allâmes mesurer l’ampleur du désastre, la rue brûlait encore, longue torche couchée, allumée au pied de l’église Saint- Nicolas.

Chaque rue révélait son drame, la dérision des immeubles éventrés sur la poignante intimité de ceux qui désormais étaient sous les décombres. Fleurs jaunes délavées d’un papier peint entourant le cadre du grand-père soldat, le chatoiement d’un miroir intact, un lit de fer préparé pour la nuit, au-dessus du vide…

Le jeudi 23 septembre, une semaine après,  les bombardements reprirent. Stupeur et colère.

Il faisait très beau cet automne-là. Le 23 septembre, on prépare la rentrée scolaire du 1er octobre. Courait dans Nantes l’histoire de ce grand-père accompagné de ses petits-enfants pour faire des achats d’écoliers  et qui n’en revinrent jamais. Nous étions séparés, sans nouvelle possible des parents et amis, par des montagnes de pierres, des gouffres de cendre. Il faudra des années et des milliers de bras pour « déblayer » Nantes, après la guerre.

Mon souvenir le plus vif est celui des obsèques des victimes. Tous les Nantais valides y assistaient – un dimanche, je crois. Nous fûmes bloqués près du lycée Clemenceau, chapelle ardente, qui fournissait sans fin les « cercueils » portés à dos d’hommes. Impossible d’approcher la cathédrale Saint-Pierre. Des cercueils ? Il n’y en avait plus dans Nantes. Planches hâtivement assemblées, de divers formats. Que restait-il de certains Nantais ? « Tout » ce qu’on avait pu retirer des décombres avait été casé dans des caisses. Je n’ai pas souvenir de fleurs. Il ne devait pas subsister de fleurs en septembre 1943, pas même ces gros dalhias d’automne, prémices des chrysanthèmes frisés de la Toussaint, pour nos morts.

La décision est annoncée : tous les enfants au-dessous de 15 ans doivent quitter Nantes. Ma mère, ma grand-mère, mon frère et moi partîmes pour Vigneux-de-Bretagne, avec les meubles de valeur. En arrivant nous apprîmes de notre famille, le pire. Odile Caudal, notre cousine de vingt ans, descendue sur la recommandation de son père, dans l’abri « creusé » place Viarme, y avait été déchiquetée par une bombe.

Son père, une nuit entière, manipula des restes de corps humains pour retrouver à l’aube, une main. Reconnue à la bague de la mère d’Odile, morte jeune, qu’elle portait.

Les nouvelles les plus atroces circulaient. »

Monique Arradon

.* Plus tard, devenue artiste peintre et sculpteure reconnue, elle a conçu pour la carrière de la Sablière, un projet de monument Hommage aux fusillés de Châteaubriant dont elle a offert le prototype au musée de la Résistance de Châteaubriant, où il est exposé depuis le 80e anniversaire de cet événement tragique.

Monique Arradon expose une sculpture 

Bonsoir. Je m’appelle Jean Cesbron

Je suis né en 1935 et ma sœur en 1936 à Malville  où mes parents étaient instituteurs publics. Mobilisé en Septembre 1939, mon père est décédé en 1942 des suites de la guerre.

Le 16 Septembre 1943 nous sommes allés, ma mère, ma sœur et moi chez Decré pour y faire les courses de la rentrée scolaire qui avait lieu le 1er Octobre à cette époque.

Nous étions chez Decré quand les sirènes ont retenti indiquant une alerte aérienne .Le magasin a été évacué et nous sommes partis à pied pour rejoindre Pont Rousseau où nous résidions chez mes grands parents maternels .Pendant les alertes les tramways ne roulaient pas. Lorsque nous sommes arrivés chaussée de la Madeleine on percevait le bruit des moteurs d’avions qui volaient au dessus de Nantes.

Ma mère craignant la destruction possible du pont de la Madeleine a fait, comme d’autres piétons,  le choix de nous faire pénétrer dans le couloir ouvert d’un grand immeuble, côté droit de la rue de la Madeleine après la maternité et l’Hôtel Dieu .Le couloir où nous avons pénétré était sombre, humide et froid. Dans ce couloir qui possédait un escalier en pierre, une dizaine de personnes étaient assises sur les marches ou debout appuyées sur le mur. Il n’y avait pas d’enfants, pas de pleurs, pas de bruit, personne ne parlait.    

Serré contre ma mère, je ne me souviens pas avoir eu peur bien qu’on entendît dans ce couloir sinistre le bruit des avions et des explosions fortes et peu éloignées.

Lorsque la sirène a annoncé le départ des avions, donc la fin du bombardement nous sommes sortis et j’ai constaté que sur le pont de la Madeleine  il y avait des gens. Nous avons donc traversé la Loire et regagné Rezé par le pont de fer SNCF ouvert sur une voie aux piétons et cyclistes.

Le jeudi 23 septembre dans la matinée des avions ont bombardé Nantes et Rezé .

Mon grand père chez qui nous habitions a considéré que notre sécurité n’était plus assurée. Il a estimé que nous ne pouvions plus demeurer chez lui à Rezé.

Le même jour le Préfet de Loire inférieure et le Maire de Nantes ont décidé l’évacuation des enfants, des lycéens. En fin d’après midi nous sommes allés ma mère, ma sœur et moi à la gare de l’Etat où nous avons pris le train des ouvriers pour Clisson. Ce train s’est arrêté  avant les ponts de la Vendée et j’ai vu brûler la ville de Nantes : un brasier énorme, des explosions terribles proches du train immobile.

J’avais alors 8 ans et demi et ces visions d’incendies sont gravées dans ma mémoire pour toujours.

Depuis je hais la guerre et me suis engagé pour la paix et l’entente  entre les peuples.

Jean Cesbron  –  1/10/ 2023.

Jean-Claude Baron

« J’ai vécu dans Nantes dévastée »

Jean-Claude Baron est né en 1939. Il garde des souvenirs d’enfance de Nantes dévastée par les bombardements. Avec ses parents, Marcelle et Alfred Baron, ils n’ont jamais pu regagner leur appartement de Doulon, qui avait été « soufflé ».

« En 1943, nous étions réfugiés dans un hameau près de Nort-sur-Erdre, fuyant les restrictions alimentaires et les premiers bombardements sur Nantes. Mon père était dans la clandestinité et ma mère, employée chez Brissoneau, était une résistante active, elle cachait des résistants, Agente de liaison, elle est arrêtée par la Gestapo en mars 1944, déporté à Ravensbrück, elle reviendra très affaiblie en mai 1945 », expose-t-il.

 « C’est ma grand-mère et ma grande sœur qui s’occupaient de moi, j’avais 4 ans. En mai 1945, mon père, réintégré aux Batignolles, avait obtenu une maison ouvrière à la Halvêque car il était impossible de retourner dans l’appartement de Doulon, « soufflé » lors des bombardements de septembre 1943. C’était dans les années 1950 que j’ai vécu dans Nantes dévastée. Je me souviens de la rue du Calvaire rasée, sauf le haut et le bas ; Decré rasé, place Royale à demi-rasée ; les baraques du Commerce occupant le cours Saint-André, les grands magasins installés dans des entrepôts en face le château des Ducs, plus tard, un ami, Georges Douard, profondément marqué par les bombardements où il avait perdu son frère, a écrit un livre témoignage. »

Pour Jean-Claude Baron, qui perpétue toujours le souvenir de cette terrible période : « 1943, c’est aussi le procès des 42, avec 37 condamnations à mort, la résistance décapitée. L’usine des Batignolles fut aussi bombardée par les Anglais, bombardements ciblés, causant la mort de 42 ouvriers. Les bombardements de septembre 1943 par les Américains visaient le port, la gare, mais eux n’étaient pas ciblés, poursuit-il. Aujourd’hui, amoureux de la ville où je suis né, j’aime « lire » les façades et celles de la reconstruction, elles sont intégrées, mais portent pour ceux qui les regardent de douloureux souvenirs. »

16 et 23 septembre 1943, Nantes anéantie par les bombardements

Le 16 d’abord, puis le 23 septembre, « une pluie de fer, de feu, d’acier, de sang »(1) s’abat sur la ville. Les Américains déversent des tonnes de bombes et laissent derrière eux 1 463 tués, 2 500 blessés ; 2 000 immeubles sont détruits ou à raser. Et tant de vies brisées.

Les escadrilles alliées ont pour objectifs la destruction du port de Nantes, qui abritait des navires d’assistance aux sous-marins et autres navires allemands amarrés sur le quai de la Fosse, ainsi que la destruction de la base de l’aviation militaire allemande de Château-Bougon, à Bouguenais, d’où la Luftwaffe faisait décoller les avions qui allaient bombarder l’Angleterre. A noter que déjà, l’usine d’aviation située à proximité – la SNCASO, aujourd’hui Airbus – avait été aux trois-quarts détruite lors d’un précédent raid le 4 juillet 1943.
Mais, au lieu de voler dans le sens de la Loire, les bombardiers ont traversé la ville perpendiculairement au fleuve et à très haute altitude, lâchant leurs bombes sur le centre-ville et ratant leurs cibles.
Dès 1938, Nantes était dotée d’un système de Défense passive, dont le siège se trouvait dans l’Hôtel Rosmadec, l’un des bâtiments de l’Hôtel de ville.
Le centre-ville n’avait pas été bombardé auparavant. Certes, les alertes avaient été nombreuses, mais les avions survolaient la ville pour aller finalement bombarder Saint-Nazaire. De sorte que les Nantais ne prenaient pas très au sérieux ces alertes et négligeaient de se rendre aux abris. Avant le 16 septembre 1943, Nantes avait déjà connu 320 alertes et 10 bombardements aériens qui avaient causé la mort de 68 victimes. (2) Selon le préfet, ces bombardements anglais étaient compris et acceptés par les Nantais car ils visaient l’aéroport et les usines qui travaillaient pour l’Allemagne. C’est le cas de ceux des 23 mars et 4 juillet qui avaient rassuré les Nantais quant à la volonté des Alliés de ne s’en prendre qu’à des objectifs militaires. Et il y a le souvenir des fusillades de Châteaubriant et du Bêle le 22 octobre 1941 qui ont eu un retentissement non seulement dans tout le pays, mais également au plan international. Roosevelt et Churchill ont condamné l’exécution des 50 Otages et on pense que de ce fait, Nantes est à l’abri d’une attaque massive de l’aviation alliée.

16 septembre 1943

Tout change le 16 septembre 1943. C’est une belle journée ensoleillée, le ciel est bleu, sans un nuage. « On préparait la rentrée des classes. La foire de septembre était installée sur le terre-plein de la Petite Hollande. On avait tellement l’habitude d’entendre les sirènes et les avions survoler pour aller bombarder Saint-Nazaire qu’on n’y prenait plus garde. » témoigne Jeanne Corpard –Fougerat. Peu après 15 h 30, les sirènes donnent l’alerte. Dix minutes plus tard, par vagues successives 160 forteresses volantes B 17 de la 8ème Air Force américaine survolent l’est de la ville, la gare de triage du Grand-Blottereau, le port, les quartiers ouvriers de Chantenay et Roche-Maurice. L’Hôtel Dieu qui accueille 800 malades est touché par 47 bombes, faisant 40 morts et 36 blessés parmi le personnel hospitalier. En un quart d’heure, 1 450 bombes s’abattent sur 600 points de chute dans la ville et son agglomération. Le centre-ville reçoit 130 bombes qui déclenchent de nombreux incendies, notamment rue du Calvaire, place Royale, St Nicolas, le quartier ouvrier du Marchix. La ville est sous le choc.
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La place Royale après les bombardements. Seule la fontaine a résisté.

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Une rue du centre-ville après les bombardements

Le 23 septembre 1943
Les objectifs des Alliés n’ayant pas été atteints le 16, deux nouveaux raids aériens sont lancés contre la ville le 23 septembre. Six groupes de la 8ème Air Force reçoivent l’ordre de bombarder le port. A 8 h 55, l’alerte est déclenchée. A 9 h 14, les premiers avions survolent la ville. A 9 h 20, les premières bombes sont lâchées sur la zone portuaire. Puis le soir à 18 h 55, les sirènes retentissent de nouveau : une centaine de B 17 reviennent bombarder la ville.
bomb_carte_ntes.pngCarte du centre-ville montrant les zones bombardées

Le bilan humain et matériel des bombardements
Le bilan humain est terrible. Au total, 1463 civils sont tués et plus de 2 500 blessés sont recensés. Les listes ont été minutieusement établies par Jean-Pierre Sauvage et Xavier Trochu. Pour la journée du 16 on décompte 977 noms, pour celle du 23, on dénombre 63 victimes en matinée et 197 dans la soirée. Il convient d’ajouter les 27 disparus, les 113 corps non identifiés. 67 soldats allemands ont été tués. Une chapelle ardente est installée au musée des Beaux-Arts. Les dégâts matériels sont énormes : plus de 2 000 maisons et immeubles sont détruits, 6 000 sont inhabitables, il faut les raser. 513 hectares sont totalement ravagés. On dénombre 10 000 personnes sans abri. (3)
Ces bombardements dévastateurs ont bouleversé le visage de la ville et laissé une trace encore visible aujourd’hui dans l’architecture du centre-ville.
A la suite de ces trois bombardements, un exode massif des Nantais commence vers des villes alentour et à la campagne. Sur 200 000 habitants, on considère que plus des deux-tiers, de 70 à 100 000 quittent la ville. Un appel à la population est d’ailleurs lancé par le préfet Bonnefoy. Après la Libération, des milliers d’habitants ont été relogés dans des baraquements en bois ou en tôle. Des cités de relogement pour sinistrés ont été construites en marge du centre-ville : Chêne des Anglais, Hauts-Pavés, Serpette, Contrie, Grand-Clos etc. Certes, l’urgence a primé sur l’esthétisme. Confiée en 1948 à l’architecte Michel Roux-Spitz, la reconstruction de Nantes a duré une quinzaine d’années.
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 Avis à la population après les bombardements du 23 septembre 1943

La perception des bombardements par les Nantais

Ne comprenant pas l’imprécision de ces bombardements, la population nantaise conçoit une certaine rancœur. Selon le préfet, cette fois une majorité de Nantais condamne ces bombardements. Pour l’occupant et les collaborateurs, les bombardements sont une aubaine. Vichy tente de récupérer cette détresse, mène « une guerre de propagande dans les ruines encore fumantes des bombardements » (4) et les exploite comme la presse collaborationniste laquelle, telle Le Matin, qualifie les pilotes américains de « pirates ». Des inscriptions hostiles aux Américains apparaissent sur les ruines. Des tracts pétainistes sont distribués. Le groupe Collaboration publie des photos des dégâts et invite les Nantais à le rejoindre.
Le journal collaborationniste Le Phare, dont l’immeuble de la place du Commerce n’est plus qu’une carcasse fumante, est imprimé par L’Ouest-Eclair à Rennes. Il publie photos, listes des cérémonies funèbres, comptes-rendus d’obsèques et textes sur la cruauté des bombardements dont il stigmatise les auteurs.(5)
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Affiche de propagande vichyste

La mémoire des bombardements

Cette rancœur perdurera et si les Nantais expriment leur soulagement et leur joie à l’entrée des soldats américains à Nantes le 12 août 1944, Nantes ne connaît pas les scènes de liesse qu’ont vécues d’autres villes.
En 2014, l’angle du Cours Olivier-de-Clisson et du boulevard Jean-Philippot est baptisé Esplanade des victimes-des-bombardements-des-16-et-23-septembre-1943. A Saint-Herblain, une rue du 16-septembre (sans précision de l’année) signale que cette ville a également été touchée. Une plaque rappelle le souvenir des sauveteurs de la Défense passive à l’entrée de leur ancien P.C., à la mairie, Hôtel Rosmadec. Et une place, sur l’axe de la rue du Calvaire, a pris le nom de place des Volontaires-de- la-Défense-passive.
Chaque année une cérémonie du souvenir a lieu à l’Hôtel Rosmadec puis au cimetière de La Chauvinière où les victimes ont été inhumées.
Le film d’Agnès Varda Jacquot de Nantes évoque ces bombardements qui avaient marqué le jeune Jacques Demy, alors âgé de douze ans, réfugié ensuite avec sa famille à La Chapelle-Basse-Mer. Dans son superbe récit Régine, Paul-Louis Rossi, évoque « les temps paléolitiques » vécus dans l’habitation au sol de terre battue et « où on faisait la cuisine accroupi », où il avait été évacué. (6)
L’historien Didier Guyva’ch écrit : « Les bombardements des 16 et 23 septembre participent à la construction de l’image de Nantes, « ville résistante et martyre ». (7) Leur mémoire permet d’héroïser les sauveteurs de la Défense passive, de souligner le courage d’édiles municipaux ou d’autorités religieuses par ailleurs soutiens du régime de Vichy. Cette fonction intégratrice, et occultante, de la mémoire trouve cependant sa limite dans la mise en cause récurrente des Américains jugés peu soucieux de la population civile. »(8)
Notes
1- PREVERT Jacques, Paroles
2- source : Archives municipales
3- GUIVAC’H Didier, Dictionnaire de Nantes, Article Bombardements, PUR
& Patrimonia site de la ville de Nantes
4 – COZIC Jean-Charles et GARNIER Daniel , La Presse à Nantes, tome III, L’Atalante
6 – ibid
6 – ROSSI Paul-Louis, Régine, Julliard
Son père, Paolo Rossi, a été arrêté. Il vient d’être jugé et condamné le 13 août 1943 avec les FTP du procès des 16, déporté le 6 septembre en Allemagne où il sera fusillé à Tübingen le 20 novembre suivant.
7- Ouest-France, 15 août 1945
8 – op. cité

Sources
Dictionnaire de Nantes PUR (Patrimonia, https://patrimonia.nantes.fr
Archives municipales de Nantes www.archives.nantes.fr
La Société Académique de Nantes et Loire-Atlantique présente sur son site une galerie de photos de la ville à la suite des bombardements. (hébergée par le site des archives municipales)

 

 

Hommage à Jean de Neyman, grand résistant humaniste
©Xavier Trochu

Comme chaque année à l’initiative du Comité du Souvenir et de la section locale du PCF, dont il était membre, un hommage émouvant a été rendu à Jean de Neyman le 2 septembre à l’occasion du 79e anniversaire de son exécution par les nazis.

Une cinquantaine de personnes étaient rassemblées sur le site d’Heinlex à Saint-Nazaire, en présence de la famille, Mmes Dominique de Neyman et Claire Buchbinder et M. Pierre Stapf, ainsi que Mme Véronique Mahé, conseillère régionale, MM Christian Retailleau, président du Comité du Souvenir, Yves Bourbigot, président de l’association Buchenwald – Dora 44, Stéphane Marsac, président de l’ADIRP 44 et Pierre Billon, président de la section de Saint-Nazaire de l’UNC.

©P. Morel

Dans son allocution, le secrétaire du PCF de Saint-Nazaire Cédric Turcas a retracé la vie et l’engagement de Jean de Neyman.

https://resistance-44.fr/wp-content/uploads/2023/09/Ceremonie-commemorative-en-hommage-a-Jean-de-NEYMAN-20_23-Recuperation-automatique.pdf

Né à Paris en 1914 de parents polonais, professeur agrégé de physique, il adhère en 1934 au PCF, en étant très actif dans le combat antifasciste et le soutien aux résistants antinazis allemands.

Après sa démobilisation en 1940, il est exclu de l’enseignement public par le régime de Vichy qui a interdit la fonction publique aux Français d’origine étrangère.

Devenu professeur du secondaire dans le privé à La Baule (44), il s’implique rapidement dans la résistance, dans son milieu d’abord puis avec les communistes nazairiens. Il entre dans la clandestinité en mai 1944 avec son groupe de résistants Francs-tireurs et partisans (FTP). Dans la poche de Saint-Nazaire constituée en août et forte de près de 30 000 soldats ennemis, ils multiplient les actions de guérilla, sabotages d’installations, prises d’équipements et d’armes, et soutiennent les déserteurs allemands

Arrêté pour avoir tenté de sauver l’un d’eux, il est condamné à mort par les autorités militaires allemandes et fusillé le 2 septembre 1944 au château d’Heinlex.

©Didier

Dans une lettre à ses parents, il écrit : « Parmi tous les risques, j’ai l’intention de prendre mes responsabilités aussi clairement que ma conscience m’en donnera les moyens. Je voudrais que vous – (ceux qui survivront) – sachiez vous consoler de ma perte, car je me considère comme un élément, un petit chaînon dans l’évolution de notre monde, et puisque nous sommes dans la période du gros travail, et qu’il doit y avoir d’innombrables chaînons de brisés et d’usés, peu importe au total qu’ils le soient de façon rationnelle, individuelle … », ce que commente ainsi Cédric Turcas : «  Quelle leçon nous apporte Jean dans cette lettre empreinte d’une conscience collective, d’une conscience républicaine ô combien supérieure à sa propre existence. Comment ne pas y voir la somme des êtres résistants qui ont eu à faire ces choix éclairés au risque de leur vie pour que nous puissions vivre libres, vivre en paix ? Comment ne pas y voir une sommation à diffuser aujourd’hui ces valeurs dans notre société, à l’heure où les derniers témoins vivants de cette époque nous quittent peu à peu ? ».

©Xavier Trochu

A la fin de la cérémonie, conclue par le verre de l’amitié offert par la section PCF, rendez-vous a été donné l’année prochaine aux participants pour le 80e anniversaire de l’exécution de Jean de Neyman. Cet événement mémoriel devant associer historiens, municipalités, artistes et le monde scolaire sera l’occasion de faire connaître aux nouvelles générations cette figure héroïque de la résistance nazairienne.

Hommage à six des 48 Otages fusillés le 22 octobre 1941et inhumés à Basse – Goulaine

Le 22 octobre 1941, 48 otages étaient exécutés par les nazis, sur ordre d’Hitler. Six d’entre eux, fusillés au Bêle, à Nantes, ont été inhumés anonymement, au cimetière de Basse-Goulaine. Le 17 juin 2023, la Ville et le Comité du souvenir ont organisé une cérémonie lors de laquelle une plaque, pour ne pas les oublier, a été dévoilée, au cimetière du bourg.

Rappelons le contexte. Le 20 octobre 1941, le lieutenant-colonel Karl Hotz, chef des troupes allemandes d’occupation à Nantes, est abattu par un commando de résistants communistes. En représailles, Hitler exige l’exécution de 50 otages. Quarante-huit seront finalement fusillés le 22 octobre 1941 : 27 dans la carrière de la Sablière, à Châteaubriant : 16 au champ de tir du Bêle, à Nantes et cinq au Mont Valérien (Hauts-de-Seine).

Pour éviter tout recueillement sur les tombes, et toute manifestation d’hostilité à leur égard, les Allemands ont choisi de disperser les corps dans des communes éloignées de Châteaubriant et de Nantes, lieux des exécutions et, à l’époque, mal desservies par les transports. Les cercueils portaient un simple numéro, sans nom. Ils seront transférés à Nantes pour les obsèques solennelles, le 9 juin 1945.

Pour ne pas les oublier et leur donner un visage, le Comité départemental du souvenir des fusillés de Châteaubriant et Nantes et de la Résistance en Loire-Inférieure a initié un parcours de la mémoire qui relie les 9 communes du castelbriantais et les 3 communes du vignoble nantais : Saint-Julien-de-Concelles, Haute-Goulaine, et Basse-Goulaine. La cérémonie du 17 juin 2023 a constitué le dernier jalon du parcours.

Qui étaient ces combattants ?

Joseph Gil, 19 ans, était ouvrier d’usine, à Nantes. Résistant et membre du Front national pour la libération et l’indépendance de la France, il militait au sein d’une organisation communiste clandestine. Il a été arrêté le 5 septembre 1941, en possession d’un revolver, par la police française.

Jean Platiau, 20 ans, était employé de commerce. Il a été arrêté pour action en faveur de l’ennemi, le 22 novembre 1940, à Nantes, par l’Abwehr (service de renseignements de la Wehrmacht).

Jean Grolleau, 21 ans, s’engagea dès le mois de septembre 1940 dans la Résistance avec d’autres étudiants. Le 13 mai 1941, il a été arrêté à Nantes par l’Abwehr. Suspecté d’intelligence avec l’ennemi mais faute de preuves contre lui, il espérait une prochaine libération, quand il fut désigné comme otage.

Léon Ignasiak, 48 ans, était chauffeur de four aux Forges de Basse-Indre. Militant communiste et syndicaliste CGT, il a été arrêté le 20 octobre 1941 pour ce motif par la police française.

Paul Birien, 50 ans, représentant de commerce, et Joseph Blot, 50 ans, entrepreneur de couverture, appartenaient au groupe des anciens combattants de la Première Guerre mondiale. Arrêtés par les Allemands, ils furent accusés d’aide à l’évasion de prisonniers.

La cérémonie, organisée par la municipalité avec le Comité du souvenir et le soutien de l’UNC, de plusieurs associations mémorielles et du PCF, a rassemblé une centaine de personnes.

Après un premier dépôt de gerbe à l’intérieur du cimetière, la plaque a été dévoilée par le maire Alain Vey, accompagné de la députée Sophie Errante et l’ancien maire Bernard Poignant  et le président du Comité Christian Retailleau, accompagné d’Elie Brisson de l’UNC

Puis le cortège a rejoint le monument pour la Paix, où Alain Vey et Christian Retailleau ont pris la parole, en présence du Conseil municipal des jeunes. La fanfare L’Echo de Saint-Sébastien-sur-Loire a interprété avec brio La Marseillaise et le Chant des partisans.

À l’issue de cette séquence, une évocation artistique a été proposée : un extrait de la pièce Les 50  a été interprété par des artistes du Théâtre D’ici ou d’ailleurs et du Théâtre Balivernes, emmenés par Claudine Merceron. Le verre de l’amitié a été offert par la municipalité.

Crédit photos : Ghislaine Leloup, Didier Goan
Odette Nilès est décédée

Chères amies, chers amis,

C’est avec une infinie tristesse que nous avons appris le décès d’Odette Nilès, survenu le 27 mai au moment où la journée nationale de la Résistance était célébrée dans de nombreuses localités.

Née en 1922, sa vie entière, résumée dans la notice biographique du Maitron ci-jointe, a été consacrée à la défense de ses idéaux en faveur de la justice sociale, de la liberté, de l’égalité et de la paix. 

Jeune résistante communiste, elle connaît l’internement dans différents camps, dont celui de Châteaubriant où elle assiste avec ses camarades le 22 octobre 1941 au départ des 27 otages vers le lieu de leur martyr, et les combats de libération au sein des FTP.

Elle succède à son mari Maurice Nilès comme présidente de l’Amicale de Châteaubriant-Voves-Rouillé-Aincourt, afin de perpétuer le souvenir de ses camarades de résistance et  combattre sans relâche les idées de l’extrême-droite.

La disparition d’Odette Nilès, dernière survivante du camp de Choisel à Châteaubriant, nous oblige à transmettre, plus encore, la mémoire des résistants et les valeurs de la Résistance contenues dans le programme du CNR  » Les jours heureux ».

Nous présentons à son fils Claude Nilès, à sa petite-fille Carine Picard-Nilès et à toute sa famille nos plus sincères condoléances.

Christian Retailleau

Président du Comité du Souvenir – Résistance 44

Comité départemental du souvenir des fusillés de Châteaubriant et Nantes et de la Résistance en Loire-Inférieure

1, place de la Gare de l’Etat – case 1 – 44276 Nantes Cedex 2
www.resistance-44.fr

Le 1er Mai sous l’Occupation (1939-1944)

Sous la menace d’un second conflit mondial le 1er Mai 1939 ne s’annonce pas sous les meilleurs auspices. Signés en septembre 1938, les accords de Munich censés préserver la paix divisent la CGT. Dans les entreprises, les conquêtes du Front populaire, contestées par le patronat, sont remises en cause par les décrets-lois gouvernementaux. La grève générale de protestation décidée lors du congrès de la CGT réuni à Nantes en novembre 1938 est sévèrement réprimée, de nombreux militants sont arrêtés, des milliers de travailleurs licenciés. Dans ce contexte inquiétant, la CGT affaiblie et divisée déclare que le 1er Mai 1939 n’entraînera pas obligatoirement de cessation de travail. Les grévistes sont rares en Loire- Inférieure mais des rassemblements à Nantes, Saint-Nazaire, Châteaubriant témoignent d’une volonté de maintenir le caractère traditionnel du 1er Mai.

            Les divisions au sein de la CGT s’étalent au grand jour lors du congrès de l’Union départementale réuni à Saint-Nazaire les 13 et 14 avril 1940 lorsque Léon Jouhaux, secrétaire confédéral, critique avec véhémence les dirigeants locaux (Gaston Jacquet et Pierre Gaudin) qui n’ont pas dénoncé le pacte germano-soviétique signé le 20 août 1939. Alors que la France est en guerre depuis huit mois, le 1er Mai 1940 est calme et laborieux. La CGT n’a pas appelé à manifester. La CFTC a cru de son devoir de célébrer la fête chrétienne du 1er Mai … le jour de l’Ascension. Les dirigeants des deux organisations (Jouhaux et Tessier) exaltent à la radio nationale « la collaboration du patronat et du salariat à la pacification intérieure par l’intensification de la production et de la justice sociale ». En août, CGT et CFTC sont dissoutes. La « Révolution nationale » est en marche.

            En 1941, le gouvernement de Vichy entend s’approprier le 1er Mai. Considéré comme un symbole de division et de haine, il devient désormais légal de célébrer « la Fête du travail et de la concorde sociale », journée prétexte à écouter la parole du maréchal. L’initiative n’est pas unanimement partagée et soulève les craintes de la Feldkommandantur de Nantes qui interdit toutes manifestations, alors que la presse locale relaie de rassurantes informations préfectorales sur la mise sous surveillance d’éléments perturbateurs susceptibles de se livrer à une propagande communiste. Ces mesures préventives n’évitent pas que des résistances se manifestent : diffusion de L’Humanité clandestine, collage de papillons tricolores sur les vitrines de la rue Crébillon, inscriptions « Vive Thorez » quai de Versailles, drapeau rouge avec faucille et marteau hissé au mât de pavillon près du monument aux morts.

            En 1942, l’hostilité à la Charte du travail promulguée le 4 octobre 1941 commence à s’exprimer. L’occupant, dont une partie de l’armée est empêtrée sur le front russe, donne des signes de fébrilité. La « Fête du travail et de la concorde sociale » qui se voulait grandiose, est morose. Décalée au 2 mai pour assurer deux jours de repos consécutifs et une économie de charbon et d’électricité, elle traduit les difficultés du moment. Consacrée au travail, elle offre l’opportunité d’une large distribution de médailles aux plus méritants. De son côté, dans l’ombre, la résistance s’organise et s’exprime sous différentes formes : le discours du maréchal n’est pas, comme prévu, diffusé par haut-parleur dans toutes les entreprises faute d’un réel empressement à les doter du matériel nécessaire ; l’occupant, qui redoute les manifestations le plus souvent à l’initiative des groupes communistes, ne peut empêcher la diffusion de tracts dénonçant le pillage des matières premières, revendiquant tickets d’alimentation et augmentations de salaires ; entre Nantes et Pontchâteau, deux pylônes sont dynamités, un troisième dynamitage aurait privé la Bretagne d’électricité ; répondant à un appel de la radio anglaise, 1500 Nantais bravent l’interdiction expresse de manifester en se rassemblant près de la mairie sans être autrement inquiétés par la police municipale nantaise.

            En 1943, le cours de la guerre est en train de changer mais toute manifestation demeure interdite « tout incident, dans les circonstances actuelles étant de nature à provoquer une dangereuse tension dans les rapports entre l’occupant et l’occupé » rappelle le préfet régional. Après trois ans d’activités clandestines, les militants CGT confédérés et unitaires, aboutissent à la réunification syndicale le 17 avril 1943, cinq semaines avant la création du Conseil national de la Résistance. Malgré un appel de Londres à cimenter cette unité ouvrière dans la lutte, aucune manifestation n’est organisée le 1er Mai dans le département. Le maréchal peut donc tenter de faire oublier aux Français son impuissance à régler leurs problèmes en leur distribuant force médailles à son effigie et en offrant un goûter aux enfants de prisonniers.

            En mai 1944, alors que l’on évoque la possibilité d’un débarquement des troupes alliées et que l’urgence est à l’intensification des actes de résistance à l’occupant, la CGT reconstituée appelle à faire du 1er Mai une journée de combat pour la libération. Un appel resté vain à Nantes où aucune manifestation à caractère politique n’est tolérée hormis cette fête organisée au théâtre Graslin, en présence d’artistes parisiens, au cours de laquelle le préfet est chargé de s’assurer que le seul orateur autorisé soit acquis aux principes de la Révolution nationale. Dans une ville sous les décombres des derniers bombardements, le cœur n’y est pas. Le matin du 1er Mai, beaucoup de Nantais ont quitté la ville à bicyclette. Les nécessités du ravitaillement l’avaient emporté sur les attraits du music-hall parisien.

Après quatre ans d’occupation, la tentative de récupération politique du 1er Mai par le gouvernement de Vichy a échoué. C’est dans une France libérée du totalitarisme nazi et de la « Révolution nationale » que les Nantais célébreront le 1er Mai 1945.

                                                                   Michel TACET.