La Forge et Choisel

Les camps d’internement ne sont pas une innovation de la Seconde guerre mondiale. La Première guerre mondiale a déjà connu la création de « camps de concentration », destinés à concentrer en un lieu des personnes réputées hostiles. Ainsi, par exemple, en Loire-inférieure, le petit séminaire de Guérande est réquisitionné pour retenir plusieurs centaines d’Allemands. Puis au milieu des années 1930, des camps d’hébergement sont ouverts pour accueillir des réfugiés espagnols fuyant les combats et les troupes franquistes. A la fin des années 1930 le gouvernement Daladier crée un nouveau type de camp chargé d’exclure ceux qu’il appelle les « indésirables ». Puis les camps accueillent des internés politiques, en particulier des communistes.
La région de Châteaubriant intéresse les autorités à partir de 1939. Des réfugiés espagnols puis des nomades sont internés dans des usines désaffectées à la Forge-Neuve à Moisdon-la-Rivière. Le gouvernement de Vichy, sous le contrôle de l’occupant allemand, renforce l’internement au cours de l’hiver 1940-1941.

La Loire-Inférieure, comme la totalité du littoral atlantique, reçoit au printemps 1937 des milliers de républicains espagnols fuyant les Asturies et le pays basque conquis par les troupes rebelles de Franco. Le préfet réquisitionne des locaux de la caserne d’Ancenis. L’effondrement du front républicain de Catalogne en février-mars 1939 conduit près de 500 000 réfugiés à franchir les Pyrénées. Le préfet ouvre de nouveau la caserne d’Ancenis, les femmes et les enfants sont hébergés dans des locaux disponibles sur la côte. Des réfugiés se trouvent à l’intérieur des terres, comme à Châteaubriant où le sous-préfet réquisitionne deux usines désaffectées sommairement réaménagées : des logements ouvriers inoccupés dans le village de Ruigné à Juigné-les-Moutiers et l’usine de la Forge-Neuve à Moisdon-la-Rivière, désormais inexploitée. Près d’un millier de femmes et d’enfants s’y installent à partir du 13 mai 1939, derrière les barbelés. Les conditions de vie sont difficiles : le ravitaillement est très insuffisant, il n’y a pas d’école, le manque d’hygiène est préoccupant. A l’automne 1939, la guerre entre la France et l’Allemagne provoque l’afflux de nouveaux réfugiés avant même le terrible exode de mai – juin 1940. Les hommes, toujours internés dans les camps du sud, sont plus ou moins contraints de s’engager dans les compagnies de travailleurs espagnols (CTE) formées pour remplacer les hommes mobilisés. Une compagnie venue de Gurs rejoint alors Saint-Nazaire.

Avant la guerre, une législation d’exception permet aux préfets d’interner à partir de novembre 1938 les étrangers qualifiés d’’’indésirables’’. En septembre 1939, tous les étrangers de sexe masculin de 17 à 50 ans sont internés. Des nomades d’origine étrangère expulsés de la région parisienne sont repoussés vers la province et quelques dizaines arrivent du côté du Croisic et de Saint-Nazaire. En novembre, un nouveau décret-loi Daladier généralise l’internement administratif à tous les individus dangereux pour la défense nationale et la sécurité publique. Le préfet maritime se sert de ce décret pour chasser les nomades étrangers de la zone de guerre qu’est le littoral et les assigner à résidence à l’intérieur, Moisdon-la-Rivière, Juigné-les-Moutiers et Bouvron. Le 6 avril 1940, un décret interdit à tous les nomades de circuler pour la durée de la guerre. En Loire-Inférieure, quatre localités de regroupement sont désignées : Juigné-les-Moutiers, Saint-Nicolas-de-Redon, Derval et Soudan.

Un mois plus tard, les troupes allemandes atteignent Châteaubriant. Des milliers ce prisonniers affluent, parqués dans des camps sommaires : le camp A au Moulin-Roul sur la commune de Soudan, le camp B dans le marais de la Courbetière sur la route de Saint-Nazaire, le camp S sur le stade de la Ville-en-Bois sur la route de Nantes et enfin le camp C dans le champ de courses de Choisel sur la route de Fercé. Les officiers logent dans le collège Saint-Joseph et au château.

Le régime de Vichy, qui s’installe en juillet 1940, entend ’’redresser’’ la France et pour cela combattre ‘’l’anti-France’’ : étrangers, juifs, communistes et autres ‘’indésirables’’. Il se sert de la législation répressive laissée par la Troisième République. Les nomades sont à nouveau concernés par les mesures d’internement à la demande du Commandement militaire allemand qui demande de les arrêter en octobre 1940. Le préfet s’exécute et les interne le 11 novembre 1940 à La Forge-Neuve libéré des Espagnoles. Le camp a une capacité de 320 places. Les nomades internés sont 285 au 1er janvier 1941. Les conditions de vie sont épouvantables, la mortalité infantile est très élevée. Il faut trouver une solution. Les derniers prisonniers de guerre partent vers les stalags d’Allemagne au début de l’année 1941 et l’occupant accepte de mettre les installations de Choisel à disposition des autorités françaises. Entre le 27 février et le 6 mars 1941, 335 nomades sont transférés de Moisdon à Châteaubriant où ils occupent un quartier de 11 baraquements isolé du reste du camp par un réseau de barbelés. Les relations avec d’autres catégories d’internés comme les proxénètes sont parfois conflictuelles. Le sous-préfet de Châteaubriant B. Lecornu obtient que les nomades retournent à La Forge en septembre où les conditions de vie se révèlent de nouveau très difficiles à la mauvaise saison.
En 1940, le lieu est sinistre, une usine désaffectée entourée de fils de fer barbelés, le bâtiment est en mauvais état, situé en contre-bas d’un barrage qui retient les eaux du Don, l’humidité est source de tracas. Il n’y a, à l’ouverture du camp, ni lavabo, ni lavoir, ni douches, ni WC. Le réfectoire est un hangar qui n’est fermé que sur trois côtés. L’eau est puisée dans l’étang. Les conditions d’hygiène sont déplorables. Malgré la présence de deux infirmières l’état sanitaire est préoccupant. Le docteur Aujaleu, Inspecteur général des camps et centres d’internement ne peut conclure son rapport que sur une demande de fermeture. Le 13 mai 1942, 267 personnes dont 150 enfants prennent le train pour Le Mans afin de rejoindre le camp de Mulsanne, avant un transfert à Montreuil-Bellay (Maine-et-Loire) où seront regroupés tous les tsiganes de l’ouest de la France. Au total, de novembre 1940 à mai 1942, 567 nomades ont fréquenté le camp de La Forge.

Source
François MACE, La Forge & Choisel, Les camps de Châteaubriant, Amicale de Châteaubriant-Voves-Rouillé, 2004

« Les Fusillés de Châteaubriant »

Ils sont appuyés contre le ciel
Ils sont une trentaine appuyés contre le ciel
Avec toute la vie derrière eux
Ils sont pleins d’étonnement pour leur épaule
Qui est un monument d’amour
Ils n’ont pas de recommandations à se faire
Parce qu’ils ne se quitteront jamais plus
L’un d’eux pense à un petit village
Où il allait à l’école
Un autre est assis à sa table
Et ses amis tiennent ses mains
Ils ne sont déjà plus du pays dont ils rêvent
Ils sont bien au-dessus de ces hommes
Qui les regardent mourir
Il y a entre eux la différence du martyre
Parce que le vent est passé là ils chantent
Et leur seul regret est que ceux
Qui vont les tuer n’entendent pas
Le bruit énorme des paroles
Ils sont exacts au rendez-vous
Ils sont même en avance sur les autres
Pourtant ils disent qu’ils ne sont pas des apôtres
Et que tout est simple
Et que la mort surtout est une chose simple
Puisque toute liberté se survit.
René-Guy Cadou, « Les Fusillés de Châteaubriant », in René-Guy Cadou, Pleine Poitrine, Périgueux, P. Fanlac, 1946.
Repris dans Pierre Seghers, La Résistance et ses Poètes : France 1940-1945, p. 435, Paris, Éditions Seghers, 1974.
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Le 22 octobre 1941, sortant d’une réunion pédagogique à Châteaubriant, il croise trois camions bâchés qui roulent vers la carrière de la sablière alors qu’il rentre vers l’école où il enseigne à Saint-Aubin-des –Châteaux. Les traces de sang sur la route et les chants de La Marseillaise ou de L’Internationale qui s’échappent des camions ne laissent aucun doute : il croise le chemin des otages fusillés, auxquels il dédie ce poème qui sera publié en 1946 dans le recueil Pleine Poitrine.
Cadou a ensuite été instituteur à partir de 1943 à Louisfert, près de Châteaubriant. Désormais la maison d’école – « Demeure René-Guy Cadou » est une Maison d’écrivain, musée et résidence d’artistes, ouverte au public. Renseignements : www.commune.louisfert.fr

René-Guy Cadou

André LE MOAL

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Fils d’Alain Le Moal, docker, et de Marie-Anne Postic, ménagère, André Le Moal, chaudronnier vivant à Saint-Nazaire, semble n’avoir été membre d’aucun parti ni réseau de résistance. Néanmoins, ses parents et son frère étaient tous trois militants communistes et André Le Moal fut, selon le témoignage de sa belle-sœur, un lecteur de l’Humanité.
Le 7 juillet ou 7 septembre 1941, selon les sources, il fut arrêté, de même que son frère, lors d’une rixe avec un soldat allemand dans une foire. La Feldgendarmerie l’emmena pour « manifestation germanophobe et violence contre des soldats allemands » et André Le Moal fut incarcéré à la prison Lafayette de Nantes.
Si son frère Marcel fut libéré le jour même, André Le Moal fut condamné à trois ans de prison par le tribunal militaire allemand de Nantes et désigné comme otage par les autorités allemandes, qui le fusillèrent comme tel le 22 octobre 1941 au terrain du Bêle, à Nantes, en représailles à l’exécution du lieutenant-colonel Hotz.
Inhumé dans un premier temps avec cinq autres otages au cimetière de Haute-Goulaine, André Le Moal repose désormais au carré militaire du cimetière de la Chauvinière, à Nantes. Son nom figure sur plusieurs plaques commémoratives et monuments aux morts nantais.
SOURCES : DAVCC, Caen, B VIII dossier 2 (Notes Thomas Pouty). – Mémorial GenWeb. – Dominique Bloyet, Presse-Océan. – État civil.
Julien Lucchini
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GIL José

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Cliché AP-CP
Fils de Joaquin Gil, garçon de bureau, et de Valentina Rodriguez, ménagère, José Gil, ouvrier, célibataire, vivait à Nantes. Il y fut arrêté le 5 septembre 1941 après s’être semble-t-il battu avec un policier au cours d’une foire. On trouva sur lui un revolver et, pour cette raison, la police française le remit aux autorités allemandes. Selon le mémorial GenWeb, il avait été arrêté une première fois le 8 mai par la Gestapo. Avait-il été relâché ?
Résistant, il était membre du Front national, et militait au sein d’une organisation communiste clandestine. José Gil fut incarcéré à la prison Lafayette de Nantes, et désigné comme otage. Le 22 octobre 1941, en représailles au meurtre de Hotz, il fut exécuté à Nantes, au camp de tir de la Bêle, par les autorités allemandes.
Il fut inhumé au carré militaire du cimetière de la Chauvinière (Nantes). La mention « Mort pour la France » lui fut accordée à titre posthume.
Son nom figure sur plusieurs monuments aux morts de la ville de Nantes.
Sources
SOURCES : DAVCC, Caen, B VIII dossier 2 (Notes Thomas Pouty). – Jean-Marc Berlière, Franck Liaigre, Le sang des communistes. Les Bataillons de la jeunesse dans la lutte armée. Automne 1941, Paris, Fayard, 2004. – Mémorial GenWeb. – État civil.
Julien Lucchini
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Robert GRASSINEAU

Robert Grassineau était le fils de Joseph Grassineau et de Jeanne Le Falhun. Adèle Grassineau, son épouse, lui donna une fille, Yolande, née au mois de septembre 1931. Le couple était domicilié rue d’Allonville à Nantes.
Selon le témoignage de Félix Moricet, chaudronnier à Donges, Robert Grassineau travaillait au moment de son arrestation sur un chantier de l’organisation Todt à la construction d’un blockhaus à Donges (Loire-Inférieure, Loire Atlantique). Il fut un temps hébergé par le couple Moricet. Le samedi il retournait à Nantes au domicile conjugal. Il fut arrêté sur son lieu de travail suite à une perquisition au domicile des Moricet où les autorités découvrirent un pistolet de gros calibre.
Il fut interné à partir du 6 octobre 1941 et condamné à mort par le tribunal militaire allemand de Nantes comme otage et pour détention d’armes à la suite de l’exécution du lieutenant-colonel Hotz.
Il a été fusillé le 22 octobre 1941 au terrain du Bêle à Nantes.
Le statut d’Interné Politique lui fut attribué en mars 1953.
Le comité départemental du souvenir des fusillés de Châteaubriant et de Nantes définit Robert Grassineau comme un militant ou un sympathisant communiste.
Il a sa tombe au cimetière militaire de la Chauvinière à Nantes
Pour citer cet article :
https://maitron.fr/spip.php?article161606, notice GRASSINEAU Robert, Léon, Jean par Alain Prigent, Serge Tilly, version mise en ligne le 9 juillet 2014, dernière modification le 4 mars 2018.
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Planche 39

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Le Dr Bauer, alias Clément est chargé par Jacques Duclos, alias Frédéric de convaincre Joë Nordmann, alias Jean de passer la ligne de démarcation, puis de se rendre à Nice, en zone sud et de trouver l’écrivain Louis Aragon afin de lui remettre une liasse de documents, sortis clandestinement du camp de Châteaubriant, au lendemain du massacre du 22 octobre 1941, avec cette seule consigne : Fais en un monument ! Celui-ci rédigera Les Martyrs, signé Le Témoin des martyrs, publié dans la clandestinité en février 1942.
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Désiré Granet
GRANET Désiré

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Né dans une famille de blanchisseurs établie dans la commune depuis la guerre de 1870, Désiré Granet perdit son père en 1905. Sa mère se remaria en 1909 avec François Derbise, vernisseur, et lui donna six enfants qui s’ajoutèrent aux deux qu’elle avait déjà de son premier mariage.

Désiré Granet dut travailler très tôt. Employé chez Verzieux en 1921, manœuvre chez Pierrot Gourmand en 1926, mécanicien-chauffeur lorsqu’il épousa le 21 janvier 1928, à Ivry, Yvonne Lange, cartonnière, il fut en même temps un militant politique. Adhérent de bonne heure aux Jeunesses communistes, il en devint rapidement un des dirigeants locaux : il était en 1927 secrétaire du 7ème rayon. En 1930, il entra au Parti communiste. Il habitait alors dans la famille de sa femme à Vitry-sur-Seine.
C’est un peu plus tard, vers 1935, que commença son activité syndicale. Il dirigea, en 1936, les grèves d’usines vitryotes comme Breton, Stienbach, Néochrome et d’autres et devint secrétaire de la Fédération CGT du Papier-Carton jusqu’à la guerre. Il siégea à la commission administrative de la CGT en 1938-1939. Il fut membre du Conseil national économique de 1938 à 1940 (14ème, devenue 16ème section professionnelle – industrie du papier, du livre, de la presse et des arts graphiques).

Mobilisé le 8 septembre 1939 dans la DCA, il fut démobilisé le 11 août 1940 et fit preuve d’une grande activité clandestine notamment dans la constitution des Comités populaires. Il fut arrêté le 4 octobre à Vitry et connut les camps d’internement et prisons d’Aincourt, Fontevraud, Clairvaux le 21 janvier 1941, selon le registre d’écrou et enfin le camp de Choisel, Châteaubriant où il fut transféré le 15 mai 1941. Désigné comme otage, il refusa toute intervention en sa faveur de l’ex-syndicaliste Chassagne, devenu chef de cabinet de Pucheu, et fit partie du groupe des « vingt-sept fusillés » de Châteaubriant, exécutés le 22 octobre 1941.

Le conseil municipal de Vitry-sur-Seine, par une délibération du 10 octobre 1945, attribua son nom à la rue Mansart, dans laquelle il habitait au n° 15.
Son frère aîné, Eugène, né à Ivry en 1901, employé de commerce, militant communiste de sa commune natale, fut dans la Résistance agent de liaison radio du Parti communiste. Il fut arrêté, déporté en Allemagne où il mourut le 28 octobre 1944 à Dora-Mittelbau.
Désiré Granet avait un fils Raymond, âgé de onze ans au moment de son exécution.
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Dernières lettres

Désiré Granet à sa femme, à son fils
Châteaubriant, camp de Choisel

22 octobre 1941

Ma chère Yvonne,

Quand cette lettre te parviendra tu auras appris l’horrible nouvelle.
Dans un instant, je serai parti rejoindre ceux qui déjà sont déjà tombés.
Comme tu me l’as demandé, je suis courageux, je n’ai pas peur de la mort.

Ma chère Yvonne, pardonne-moi les petites choses que durant ma vie trop courte je t’ai fait fait subir, aime bien notre petit comme je l’aimais, fais-en un homme courageux et honnête, sois fidèle à ma mémoire.

Je pars en emportant la certitude que tu ne seras pas seule, mes amis et mes parents t’aideront à supporter la douleur qui te frappe. Ma pauvre chérie, je t’ai toujours aimée et dans quelques minutes un point final sera mis à mon existence.
Ma dernière pensée s’en va vers vous.

Je ne tremble pas, cette lettre est mal écrite parce que je l’écris le long d’un mur.

Allez ma petite Yvonne, sois courageuse comme je le suis, du courage et de la confiance en l’avenir. Nous sommes ici 27 qui dans un instant seront exécutés, leur courage à tous est magnifique.

Allez, ma petite Yvonne, embrasse une dernière fois tes parents pour moi, ainsi que les miens. Je t’embrasse une dernière fois.

Ton Dédé jusque la mort.

Une dernière pensée à tous les amis.

Mercredi 22 octobre 1941

Mon cher petit Raymond,

C’est fini, tu ne verras plus ton papa que tu aimais tant. Quelle cruelle douleur pour ton petit cœur d’enfant. Je sais que mon souvenir restera impérissable dans ta mémoire.

Avant de te quitter pour la dernière fois, je te demanderai de tenir la promesse que tu m’avais faite, apprends bien à l’école, aime bien ta mère qui m’a tant aimé et qui t’aime tant. Sois bien sage, c’est là ma dernière recommandation.

Tu es bien jeune, 11 ans, et tu n’as plus ton papa, console ta maman et dans la vie sois bien courageux et honnête.

Allez, mon gars, une dernière fois je t’embrasse bien. Embrasse une dernière fois ta mère pour moi, te voilà grand, tu remplaceras ma mémoire auprès de ta mère.

Adieu mon gars.

Bons baisers de ton papa qui s’en va en t’envoyant sa dernière pensée.

D. Granet.
SOURCES : DAVCC, Caen, B VIII dossier 2. — Arch. Paris, listes électorales de Vitry. – Arch. com. Ivry, listes électorales et nominatives. – Arch. com. Vitry, 1BIB025. – Arch. A. Marty, E 1. – Alfred Gernoux, Châteaubriant et ses martyrs, Nantes, Éd. du Fleuve, 1946, 132 p. – Lettres des fusillés de Châteaubriant, édité par l’Amicale des anciens internés patriotes de Châteaubriant-Voves, 1954, Fernand Grenier, Ceux de Châteaubriant, préface de Jean Marcenac, 3e éd., Paris, Éd. Sociales, 1967. – Ivry, fidèle à la classe ouvrière et à la France, édité par la municipalité d’Ivry-sur-Seine en 1970. – Claude Angeli et Paul Gillet, Debout, partisans !, op. cit., p. 337. – Jacques Duclos, Mémoires, t. 3, 2e partie, p. 62. – Guy Krivopissko, La Vie à en mourir. Lettres de fusillés 1941-1944, Tallandier, 2003. — État civil, Ivry-sur-Seine et Vitry-sur-Seine.
Michèle Rault, Nathalie Viet-Depaule
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CARREL René

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Domicilié à Nantes, René Carrel était un ancien des Brigades internationales en Espagne. Secrétaire d’un syndicat, René Carrel fut surpris lors d’un collage d’affiches, interné le 12 mars 1941. Le tribunal allemand FK 518 de Nantes le condamna le 15 avril 1941 à un an de prison.
Détenu à la prison Lafayette, il a été fusillé comme otage à Nantes- champ de tir du Bêle le 22 octobre 1941, le même jour que les fusillés de Châteaubriant, en représailles à l’exécution de l’officier allemand Hotz.
La mention « Mort pour la France » lui fut attribuée le 14 février 1945. Il fut inhumé au carré des fusillés du cimetière de la Chauvinière à Nantes où son nom a été gravé sur le monument des cinquante otages.

SOURCES : DAVCC, Caen, B VIII 2. – Jean-Pierre Sauvage, Xavier Trochu, Mémorial des victimes de la persécution allemande en Loire-Inférieure, fusillés et exécutés, 2001.
Annie Pennetier, Jean-Pierre Besse
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Dons asso
DONS

Le Comité pérennise le souvenir des victimes du nazisme et du régime de Vichy.
Il transmet la mémoire de la Résistance en Loire-Inférieure et des valeurs qu’elle portait.
Il promeut des manifestations, ou participe aux cérémonies qui y concourent.
Il organise en liaison avec l’Amicale Châteaubriant-Voves-Rouillé-Aincourt, à laquelle le Comité s’affile, les commémorations et manifestations d’hommages et du souvenir.
Il entretient des liens d’amitié et de travail avec les associations, personnalités, collectivités… qui partagent les mêmes valeurs au service de la mémoire.
Il coopère avec les comités locaux existants en particulier ceux de Châteaubriant et Indre adhérents du Comité départemental.

Pour faire un don cliquer sur le lien suivant: https://www.payasso.fr/resistance-44fr/dons

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Jean-Pierre TIMBAUD

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Fils d’un représentant en papiers pour viande de boucherie et d’une ouvrière à domicile, tous deux limousins installés à Paris avant sa naissance, Jean-Pierre Timbaud fut élevé jusqu’à l’âge de huit ans par sa grand-mère paternelle en Dordogne, puis grandit à Paris, dans le XIe arrondissement, jusqu’à la Première Guerre mondiale. Son père ayant été mobilisé dans l’infanterie, sa mère emmena les quatre enfants à Payzac, dans la ferme familiale, où, en l’absence des hommes envoyés au front, il fit de menus travaux et garda vaches et moutons au lieu de fréquenter l’école. Deux ans plus tard, il rejoignit à Decazeville (Aveyron) son père qui venait d’être affecté en usine pour la fabrication de matériel de guerre. C’est là qu’il commença son apprentissage de fondeur.

Revenu à Paris avec sa famille, Jean-Pierre Timbaud poursuivit son apprentissage, non loin de chez lui, dans une fonderie, cité Griset dans le XIe arrondissement. Il y resta trois ans puis fut embauché chez Debard, rue Oberkampf, qu’il quitta pour travailler dans des petites fonderies du Marais. Il avait adhéré en 1922 à la Jeunesse communiste. En novembre 1923, il fut appelé au 25e Régiment d’infanterie à Nancy (Meurthe-et-Moselle) pour effectuer son service militaire, durant lequel il participa à la campagne contre la guerre du Maroc.
De retour à la vie civile, Jean-Pierre Timbaud reprit son métier dans le Marais et devint vite un militant syndical. Embauché chez Antoine Rudier, un fondeur d’art du XVe arrondissement qui avait pour clients Maillol, Renoir, Rodin ou Bourdelle, Jean-Pierre Timbaud paracheva sa formation. Là, connu déjà des autres fondeurs pour son activité syndicale, il fut élu délégué de sa section syndicale dont Peyraud était le secrétaire. Il était également secrétaire adjoint de sa cellule, qui était rattachée au sixième rayon du Parti communiste. Il se maria en 1927 avec une mécanicienne en chaussures.

En 1928, il entra au bureau du sous-rayon du XVe arrondissement, qui le chargea de renforcer l’action des militants syndiqués de Citroën. Membre depuis le congrès du 22 mars 1930 de la commission exécutive de l’Union syndicale CGTU des travailleurs de la Métallurgie de la région parisienne (20e Union), Jean-Pierre Timbaud devint en 1931 l’un des secrétaires du syndicat unitaire des métallurgistes parisiens et fut délégué au VIe congrès national, qui se tint à Paris du 8 au 14 novembre 1931. Il avait suivi, cette année-là, les cours d’une école centrale du Parti communiste à Pierrefitte (Seine, Seine-Saint-Denis) avec Lucien Monjauvis et Jeannette Vermeersch, ce qui lui valut d’être présenté aux élections législatives de 1932 dans la troisième circonscription du XVe arrondissement de Paris, où il obtint 21,2 % des voix au premier tour et 34,2 % au second par rapport aux inscrits. Il brigua également un siège, au mois de juin suivant, à des élections municipales partielles dans le quartier de Grenelle, mais en vain.

En mars 1933, Jean-Pierre Timbaud fit preuve de ses talents d’organisateur et d’orateur en dirigeant une grève aux usines Citroën qui allait durer trente-cinq jours. Profitant du mécontentement d’un atelier devant les diminutions de salaire de 18 % à 20 % annoncées par la direction, il impulsa la grève, qui s’étendit bientôt d’atelier en atelier, de chaîne de montage en chaîne de montage, incitant les ouvriers à désigner leurs délégués et à former un comité de grève pour faire face au lock-out. L’enjeu était de taille, puisqu’il s’agissait d’entraîner les 18 000 salariés des différentes usines (XVe, Levallois, Clichy et Saint-Ouen) dans la lutte. Jean-Pierre Timbaud fit en sorte que le comité de grève, composé de cent quatre-vingts membres (confédérés, unitaires, communistes, socialistes ou inorganisés), dirige l’action jusqu’à ce que la direction consente à ne diminuer les salaires que de 9 à 10 % et à lever les sanctions pour fait de grève. Ce fut un succès incontestable pour la dynamique syndicale (de 100 syndiqués, on était passé à 1 400), mais aussi un échec relatif, que Jean-Pierre Timbaud attribua en partie au manque de soutien du Parti communiste.

Faut-il attribuer à d’éventuels désaccords entre le sous-rayon du Parti communiste du XVe arrondissement et le syndicat CGTU des Métaux ou à la manière dont cette grève fut menée, ou encore à la seule difficulté pour le syndicat des Métaux de payer un permanent, le fait que Jean-Pierre Timbaud se retrouve en 1934 cantonnier à Gennevilliers (Seine, Hauts-de-Seine), dont le maire était Jean Grandel ? Sous le couvert de cet emploi municipal, il anima le comité de chômeurs de Gennevilliers, fut même le directeur de sa colonie de vacances à Granville (Manche), mais devint surtout responsable intersyndical de la zone comprenant Asnières, Gennevilliers, Levallois, Clichy et Colombes.

Il fallut attendre le congrès de la Fédération réunifiée des Métaux, en mars 1936, pour que Jean-Pierre Timbaud soit réélu membre de la commission exécutive fédérale. Aux côtés d’Alfred Costes, il mit tout en œuvre pour que son syndicat joue dûment son rôle au moment des occupations d’usines de mai-juin 1936 et des bouleversements du Front populaire. En 1937, il fit partie d’une délégation de métallurgistes parisiens qui se rendit en Espagne républicaine pour porter des fonds recueillis dans les usines. Il était devenu en mai, cette année-là, l’un des secrétaires de la Maison des métallurgistes, inaugurée par Benoît Frachon, rue d’Angoulême dans le XIe arrondissement.

En 1938, lors du congrès fédéral à l’issue duquel il fut réélu, Jean-Pierre Timbaud s’opposa à Léon Chevalme et Marcel Roy, qui repoussaient ses propositions d’une plus forte représentation des syndicats de la région parisienne. Il devint également, à partir de 1938, membre du bureau du conseil d’administration de la Mutuelle du métallurgiste, qui venait d’être créée.

Mobilisé dès le début de la Seconde Guerre mondiale au camp de Mourmelon (Marne), où il fut le chauffeur d’un colonel, puis replié dans la Haute-Vienne, il rentra illégalement à Paris, où il joignit Eugène Hénaff. Il fut alors chargé de la constitution des comités syndicaux clandestins et de la diffusion de La Vie ouvrière. Arrêté le 18 octobre 1940, il fut d’abord interné à Aincourt (Seine-et-Oise, Val-d’Oise), puis, en décembre, à la centrale de Fontevraud (Maine-et-Loire) et, en janvier 1941, à celle de Clairvaux (Aube). Transféré le 14 mai suivant à Châteaubriant, Jean-Pierre Timbaud a été fusillé le 22 octobre 1941 avec vingt-six autres détenus. Ses derniers mots, « Vive le Parti communiste allemand ! », qu’il aurait criés avant de tomber, firent de lui l’une des grandes figures de la Résistance communiste.
Jovial, exigeant et doué d’un réel talent d’orateur, Jean-Pierre Timbaud incarna longtemps l’image du métallurgiste parisien qui consacra sa vie à servir un idéal révolutionnaire. Paris honora sa mémoire en donnant son nom à la rue d’Angoulême. De nombreuses villes en France, mais aussi Berlin-Est, du moins jusqu’à la chute du mur, tinrent à lui rendre hommage en dénommant l’une de leurs rues : Jean-Pierre-Timbaud.


Sa dernière lettre ne figurait pas dans Lettres de fusillés, Éditions France d’Abord, 1946 (185 p.). Une version parut en 1958 dans Lettres de fusillés, préface de Jacques Duclos, 1958 (77 p., p. 19) et reprise dans l’édition de 1970 (126 p., p. 33-34)

Le 22 octobre 1941.
Mes deux grands amours,
C’est la dernière lettre que je vous écris.
Je vais être fusillé dans quelques instants. Mais, chéris, ma main ne tremble pas. Je suis un honnête travailleur ; c’est vous deux qui êtes à plaindre.
II vous faudra surmonter ce grand malheur. Soyez courageuses comme je le suis.
Toute ma vie j’ai combattu pour une humanité meilleure. J’ai la grande confiance que vous verrez réalisé mon rêve ; ma mort aura servi à quelque chose.
Ma dernière pensée s’en va vers vous ; tout d’abord à vous deux, mes chères amours de ma vie, et puis au grand idéal de ma vie.
Mes deux chères amours de ma vie, du courage ! Vous me le jurez. Vive la France ! Vive le prolétariat international !
Encore une fois, tant que j’ai la force de le faire des millions de baisers.
Celui qui vous adore.
P. TIMBAUD.
Ci-joint 500 francs que j’avais sur moi ; ils vous serviront.
Un million de baisers.
PIERROT

SOURCES :logo_maitron-2.jpg DAVCC, Caen, dossier 2 (Notes Thomas Pouty). – Arch. Nat., F7/13131, 13771. – Arch. PPo., 321. – L’Humanité, 1930-1939 et 5 octobre 1990. – Le Métallo, 1934-1939. – L. Monjauvis, Jean-Pierre Timbaud, Éd. Sociales, 1971. – Lettres des fusillés de Châteaubriant, Amicale des anciens internés patriotes de Châteaubriant-Voves-Rouillé. – R. Linet, 1933-1943, La traversée de la tourmente, Messidor, 1990. – 50e Anniversaire de Châteaubriant, « Le guide du militant de la métallurgie », FMT-CGT, février 1992. – Témoignage de sa fille.
Nathalie Viet-Depaule