Malgré l’éloignement géographique de la frontière, un nombre important de rescapés de la guerre civile espagnole sont arrivés dans la Basse-Loire après 1939, entre 1500 et 2000 selon les recensements de l’époque. Parmi eux, une forte proportion de militants pour qui la lutte contre le fascisme continue sur le sol de France, d’où leur engagement dans la Résistance.
Parmi ces réfugiés, les communistes sont sans aucun doute les mieux organisés, forts de leur expérience acquise durant leurs trois ans de lutte contre les franquistes, mais ils sont beaucoup plus fichés encore que leurs camarades français. En plusieurs rafles qui se succèdent de juin à novembre 1942, la police de
Vichy arrive à arrêter et interner 88 Espagnols. L’organisation clandestine du P.C.E. est totalement démantelée. Un certain nombre de ces résistants sont envoyés sur Paris pour être jugés par des tribunaux d’exception, beaucoup seront déportés à Mauthausen, Dachau, d’autres enfermés dans les camps de Voves ou Rouillé, et cinq d’entre eux resteront emprisonnés à la prison Lafayette de Nantes afin de comparaître au «Procès des 42» dont le but est de prouver que le «terrorisme» est le fait de «guérilleros» étrangers, à la solde de Moscou.
Ce procès inique, qui se déroule en janvier 1943 au Palais de Justice de Nantes, doit démontrer l’existence de ce complot communiste et en même temps impressionner la population. Alfredo Gomez-Ollero,
Benedicto Blanco-Dobarro, Miguel Sanchez-Tolosa, Ernesto Prieto-Hidalgo et Basilio Martin figurent au banc des accusés.
Malgré la minceur des griefs, surtout pour les trois derniers, le tribunal de guerre nazi n’hésite pas à les envoyer à la mort, aux côtés de 32 Français. C’est le 13 février que les cinq Espagnols sont fusillés au Bêle à Nantes puis inhumés dans le cimetière de La Chapelle-Basse-Mer.
Le « carré des Espagnols » a été entretenu régulièrement par les édiles de la commune, l’UNC et Madame Giraudet. Le Comité du Souvenir a toujours honoré leur mémoire, inscrivant depuis 2003 ce pèlerinage annuel à son calendrier. Mieux, depuis 2004 il a pu établir le contact avec les familles des cinq fusillés. Celles-ci ont pu venir se recueillir à La Chapelle-Basse-Mer. Une plaque a été apposée sur la maison natale d’AlfredoGomez Ollero dans le village galicien de Paderne à l’initiative de l’association les Amis de la République. La mémoire de ces résistants a pu ainsi être réactivée des deux côtés des Pyrénées.
Alain BERGERAT
historien
TRIBUNE LIBRE PARUE DANS « L’ HUMANITE » du 4 Août 2006
Ils ont été trimbalés de camp en camp, puis dispersés aux quatre coins de la France, le plus souvent embrigadés au sein des CTE (compagnies de travailleurs étrangers, qui deviennent en 1940 les GTE, groupements de travailleurs étrangers), et c’est ainsi qu’un nombre important de ces émigrés espagnols atterrissent dans la Basse Loire. D’après des recensements de l’époque, ils seraient entre 1 500 et 2 000, employés pour nombre d’entre eux par l’organisation Todt, qui construit alors le mur de l’Atlantique. C’est pourquoi Saint-Nazaire offre la concentration la plus importante de ces réfugiés espagnols, 250 rien que pour le camp Franco, à Gron, sur la commune de Montoir-de-Bretagne. À Nantes, ils sont sans doute au plus une petite centaine, beaucoup plus dispersés dans l’agglomération. Parmi eux, une forte proportion de militants pour qui la lutte contre le fascisme continue sur le sol de France. Souvent sans aucune nouvelle de leurs familles, isolés dans un pays dont ils ne comprennent pas encore très bien la langue, ils ont su garder dans la clandestinité leurs réseaux de solidarité et de lutte. Parmi ces réfugiés, les communistes sont sans aucun doute les mieux structurés.
La police de Vichy, qui les a particulièrement à l’oeil, nous permet de tout connaître, ou presque, de leur organisation clandestine. C’est sans grande difficulté, grâce à une filature efficace, que deux militants, Bautista Lopez et Celso Diaz, sont arrêtés en venant récupérer en gare de Nantes les colis de journaux que leur envoie la direction parisienne. Ils sont les premières victimes d’une série de rafles qui se succèdent de juin à novembre 1942 et qui se soldent au total par l’arrestation et l’internement de 88 Espagnols. Toute l’organisation clandestine du PCE s’en trouve démantelée. Un certain nombre de ces résistants sont envoyés à Paris pour être jugés par des tribunaux d’exception, beaucoup seront déportés à Dachau, Mauthausen, d’autres enfermés dans les camps de Voves ou Rouillé, et cinq d’entre eux resteront enfermés à la prison Lafayette de Nantes afin de prouver à la population que le « terrorisme » est le fait de « guérilleros » étrangers, envoyés par Moscou.
La presse collaboratrice exulte. Les Espagnols ne sont pas les seuls concernés par cet appel à la répression : Italiens, Russes, Polonais sont aussi visés, sans parler bien sûr des communistes nantais. Mais il s’agit avant tout de prouver à la population que ce sont ces étrangers qui, comme le dit à la même époque le maire, Gaétan Rondeau, « constituent un danger permanent ». Le procès inique qui se déroule en janvier 1943 au palais de justice de Nantes, baptisé plus tard « procès des 42 », doit démontrer l’existence de ce complot communiste, en même temps qu’il vise à impressionner la population. Cinq Espagnols figurent au banc des accusés : Alfredo Gomez-Ollero et Benedicto Blanco-Dobarro, en tant que chefs de l’Organisation spéciale, Miguel Sanchez-Tolosa, Ernesto Prieto-Hidalgo et Basilio Martin, comme simples membres du groupe de Blanco-Dobarro. Malgré la minceur des griefs, surtout pour les trois derniers, le tribunal de guerre nazi n’hésite pas à les envoyer à la mort, aux côtés de 32 Français.
Le 13 février 1943, les cinq Espagnols sont fusillés au champ de tir du Bêle, puis inhumés dans le cimetière de la petite commune de La Chapelle-Basse-Mer, aux côtés de 12 Français dont les corps réintégreront plus tard les lieux de sépulture souhaités par leurs familles.Champ de tir du Bèle à Nantes
Cette histoire ne constitue qu’une des nombreuses pages du livre d’or de la Résistance, mais son devenir dans la mémoire mérite d’être évoqué et peut être retenu comme exemple significatif des jeux et des enjeux entre histoire et mémoire, illustrant aussi bien les aléas de la mémoire française que ceux de la mémoire espagnole, avec des décalages propres au devenir spécifique de chacun des deux pays.
Restons tout d’abord de ce côté des Pyrénées. La tombe des cinq résistants espagnols aurait très bien pu se trouver à l’abandon et sombrer dans l’oubli. Mais elle a été entretenue régulièrement par les édiles de La Chapelle-Basse-Mer, ce dont il faut leur rendre hommage.
Quant au Parti communiste de Loire-Atlantique et aux organisations qui gravitent autour de lui, en particulier le Comité du souvenir, ils honorent la mémoire de leurs camarades espagnols depuis 2003, inscrivant désormais ce pèlerinage annuel à leur calendrier, même s’il ne revêt pas l’ampleur de l’hommage rendu aux martyrs emblématiques de la résistance communiste, ceux de Châteaubriant.
Mais, depuis quelques années, la volonté d’intégrer cette cérémonie des otages de Châteaubriant dans la perspective plus large d’un hommage à tous les martyrs de la Résistance, la nécessité aussi de dépasser la simple mémoire pour revenir à l’histoire ont conduit à diverses initiatives, dont la mise en place d’un nouveau collectif, dit du « procès des 42 », et l’organisation d’un colloque qui a permis de remettre en lumière des résistants communistes dont le souvenir tendait quelque peu à s’effacer, et parmi eux les cinq Espagnols.
Jean Chauvin, en publiant les carnets que son père envoyait en cachette à sa mère du fond de sa prison, nous a appris qu’il partageait sa cellule avec quatre Espagnols. Et en 2004, suite à la victoire de la gauche aux élections espagnoles, le Collectif du procès des 42 eut l’idée d’envoyer aux autorités de Madrid un avis de recherche pour tenter d’établir le contact avec les familles de ces cinq fusillés. C’est ainsi que, très vite, deux premières familles se manifestèrent, des familles qui ignoraient tout de leur parent, frère, père, grand-père ou oncle, depuis son départ d’Espagne. Tout au plus avaient-elles été informées du décès, mais elles ignoraient l’activité de résistant, le procès, l’exécution et, bien sûr, le lieu de la sépulture.
La venue de ces familles à Nantes et leur recueillement sur les lieux où leur ancêtre avait été exécuté ou enterré ont donné lieu à des scènes émouvantes. Dans la foulée, le carré du cimetière de
La Chapelle-Basse-Mer fut remis à neuf, et une sculpture, réalisée par le plasticien d’origine allemande Ekkehart Rautenstrauch et payée par une souscription volontaire, fut inaugurée le 12 février 2006, en présence des deux filles d’Alfredo Gomez-Ollero, de la soeur de Miguel Sanchez-Tolosa et d’une foule de 400 personnes environ.
Un banquet amical put ensuite réunir près de 200 convives, parmi lesquels d’anciens voisins de ces résistants venus évoquer leurs souvenirs, comme Madeleine Farge, qui habitait près d’Alfredo, à Doulon, et qui l’a reconnu sur une photo de la presse locale. Elle a pu ainsi témoigner du temps où il travaillait à la construction de la gare de triage ferroviaire du Grand-Blottereau.
Autre moment fort de cette journée quand Miguela, la soeur de Miguel Sanchez-Tolosa, fit part de sa volonté de laisser son frère reposer en cette terre française, au milieu de ceux qui ne l’avaient jamais oublié, plutôt que de le rapatrier en pays valencien, où la droite nationaliste a repris les rênes de la province. Beaucoup d’émotion, beaucoup de larmes aussi.
Cette belle histoire nous rappelle ce qu’a pu être la Résistance, loin des images stéréotypées qu’on en donne trop souvent. Une belle illustration aussi de ce qu’a été et de ce que peut être encore le véritable internationalisme.
Enfin, dernier moment non moins émouvant, mais plus significatif encore sur le plan politique, cette histoire a enclenché en Espagne un processus d’activation de la mémoire des combattants de la guerre civile. Alors que la génération précédente semblait souhaiter avant tout l’oubli, aujourd’hui les petits-enfants veulent savoir. Les Espagnols prennent ainsi le relais des organisations françaises. Au printemps 2006, à l’initiative d’un collectif des « amis de la République », dans le village galicien de Paderne, une plaque a été posée sur la maison natale d’Alfredo Gomez-Ollero, en présence de la télévision et des autorités de la province de Galice. À Ribadavia, près d’Orense, un colloque a évoqué la vie de Blanco-Dobarro, en présence de représentants du collectif nantais. La presse espagnole semble enfin découvrir une guerre qu’elle a si longtemps occultée. Suite aux avis de recherche qu’elle a publiés, des témoignages ont pu être recueillis, comme celui de cet homme de quatre-vingt-six ans qui avait appartenu au même commando qu’Ollero sur le front de Madrid.
À l’image de ce qui se met en place un peu partout dans la péninsule, un véritable travail de mémoire et d’histoire se met en place pour sortir de l’oubli cette page d’histoire. Des archives nantaises ont été déposées à Madrid et peuvent laisser augurer d’une fructueuse coopération entre Espagnols et Français pour mieux connaître cet épisode tragique d’une histoire qui nous est en grande partie commune, et qui appartient aux pages les plus glorieuses du combat pour la liberté et pour la dignité de l’homme.
(Texte de Alain Bergerat, historien, et Carlos Fernandez, membre du Collectif du procès des 42).
Allocution d’ouverture de Monsieur Michel Ménard,
Président du Conseil départemental de Loire-Atlantique
Monsieur le Président du Comité du Souvenir,
Monsieur le Directeur du Musée de la Résistance nationale,
Mesdames, Messieurs,
Le 4 mars 2022, tous les élus de notre institution étaient réunis devant l’Hôtel du département pour dire, au moment où les bruits de bottes et de bombes revenaient en Ukraine, notre engagement pour la Liberté des peuples.
En vous accueillant dans cet hémicycle aujourd’hui, j’ai le sentiment de répondre à la même exigence.
Pour parler avec vous d’un combat politique fondamental, sans doute le plus important, celui qui défend l’état de droit contre la loi du plus fort, la démocratie contre l’autocratie, une vie organisée autour de règles communes respectueuses de chacun plutôt qu’un monde régi par l’oppression et la brutalité.
La leçon de la résistance est bien celle-là : lorsque la loi laisse libre cours à l’arbitraire, s’exonère de la question du juste et de l’injuste, lorsque les mécanismes mêmes de la démocratie sont instrumentalisés pour asservir et opprimer, la seule alternative réside dans la détermination des peuples à choisir librement leur destin.
La vérité d’une démocratie n’est pas dans la manière dont on désigne un chef mais davantage dans la manière dont elle s’organise pour permettre aux citoyens d’empêcher ceux qui ont le pouvoir d’en abuser.
Cette force hors-du-commun pour inventer librement l’avenir et le progrès humain animait les Francs-Tireurs-Partisans.
Aujourd’hui, nos générations partagent une responsabilité majeure, dont je crois nous ne mesurons pas assez l’importance. Pour beaucoup, nous n’avons pas vécu la seconde guerre mondiale. Les victimes de la déportation et les acteurs de la résistance disparaissent.
Au fur et à mesure des soubresauts du monde, si l’on n’y prend garde, le regard que l’on porte sur ces événements devient moins précis, soumis au contexte politique du moment, parfois instrumentalisé comme en témoignaient encore certains discours récents lors des élections présidentielles.
Il en résulte une sorte de confusion qui est un peu comme une nouvelle humiliation pour celles et ceux qui ont donné leur vie pour combattre le nazisme.
Il faut au contraire, j’en suis convaincu, s’employer avec la rigueur de l’historien à dire, débattre et transmettre. Il faut notamment expliquer comment des hommes et des femmes d’origines, de convictions politiques différentes se sont retrouvés au-delà de leurs différences, leurs antagonismes parfois, pour faire résistance.
Donner un visage, une voix, une identité, à ces milliers de femmes et d’hommes qui ont souffert jusqu’à donner leur vie face à l’horreur de l’oppression nazie, c’est essentiel. Et cela signifie aussi comprendre le sens et le moteur de leur engagement.
Même si je ne partage pas cette conviction politique, je sais combien nous devons aux militants communistes des FTP et comment le contexte politique d’après-guerre et le dévoiement d’une utopie ont trop souvent conduit à taire cette part d’histoire.
Pour construire du commun, je crois qu’il faut collectivement avoir une relation apaisée avec notre histoire. La connaître, la partager avec rigueur pour l’assumer sans en être prisonnier.
C’est pour cela qu’il y a de nombreux mois déjà, lorsque le président Christian Retailleau m’a parlé du projet de ces journées d’études, je lui avais proposé de vous accueillir ici, à l’Hôtel du Département.
L’Hôtel du Département, c’est par définition un espace de citoyenneté et je trouve important que ce soit rappelé dans cet hémicycle, où siègent habituellement les 62 élus départementaux, un moment important dans notre histoire démocratique et républicaine.
Votre présence à toutes et tous, ici, pour évoquer la mémoire des 45 résistants FTP condamnés à mort en 1943 fait honneur à notre institution.
Je vous souhaite à toutes et tous une bonne journée.
Le souvenir des « 50 Otages » :
les premiers fusillés en Loire-Inférieure
Communication d’Eric Brossard,
Agrégé d’histoire, professeur relais du Musée de la Résistance nationale.
Pour la première communication de la journée d’étude, Eric Brossard a pour tâche de traduire la construction du souvenir des 50 Otages, premiers fusillés de Loire-Inférieure, notion éminemment immatérielle.
L’exécution du commandant Hotz est un choc considérable pour l’occupant, et ses complices de Vichy. A leurs yeux, les violences contre les autorités militaires allemandes sont le fait de « hors-la-loi» communistes, agissant en faveur de l’ennemi et au détriment des populations locales. Hitler demande l’exécution d’otages et la publicité des mesures répressives : il faut faire un exemple.
C’est une lecture idéologique en même temps que géographique – avec, après un nouvel attentat en Gironde, le choix de quatre sites d’exécutions quasiment simultanées (Nantes, Châteaubriant, Paris, Bordeaux) – qui est faite sur l’ensemble du territoire occupé.
Charles de Gaulle intervient dès le 23, puis le 25 octobre, alors que les déclarations de Churchill et Roosevelt, à la même date, sont larguées par tracts sur le territoire national. La presse soviétique reprend les faits et les réactions.
Les premiers éléments de la construction du souvenir en Loire-Inférieure sont immédiats et bien réels. Citons le récit de l’abbé Moyon, la récupération des planches de la baraque 6 sur lesquelles les fusillés ont gravé leurs ultimes messages, le recueillement des familles à la Toussaint 1941, la maquette d’un monument fabriquée en cachette, la diffusion de L’Humanité clandestine le 1er novembre 1941.
Puis ce sont les images qui circulent, avec la figure de Guy Môquet dès 1942. Quant à la diffusion du Crime contre l’esprit signé « Le Témoin des Martyrs » (Aragon), à partir de février 1942, elle est considérable.
A la Libération, divers comités et associations se sont créés. Les commémorations pérennes à Châteaubriant sont placées sous l’égide du PCF et de la CGT qui délèguent leurs plus hauts responsables et mobilisent les participants.
A partir de 1986 s’ajoutent le réaménagement de la carrière de La Sablière, le rachat de la ferme, l’ouverture d’un musée, l’exposition thématique au Musée d’histoire dans le château des Ducs de Bretagne : « Nantes dans la deuxième guerre mondiale ». En 1991, c’est l’inauguration du monument au Bêle, lieu d’exécution des otages nantais, suivie en 2018 de la pose de la plaque listant tous les fusillés sur le site.
La réhabilitation des sites, comme La Blisière, lieu d’exécution de 9 otages le 15 décembre 1941, la visibilité des lieux de mémoire comme Saint-Nazaire, la Maison des Syndicats, les cimetières de La Chauvinière, Rezé, Sainte-Luce, La Chapelle-Basse-Mer, l’éclat donné à la mémoire des fusillés espagnols, l’attribution de noms de rues, l’action de nouveaux comités locaux renforcent la matérialité de la présence mémorielle.
En s’appuyant sur un programme officiel, les commémorations mobilisent les partenaires pour enrichir et développer la construction du souvenir. En prenant un tournant culturel, en adoptant un caractère événementiel, la mémoire s’est ravivée et s’est renouvelée,
lesquelles les fusillés ont gravé leurs ultimes messages, le recueillement des familles à la Toussaint 1941, la maquette d’un monument fabriquée en cachette, la diffusion de L’Humanité clandestine le 1er novembre 1941.
Puis ce sont les images qui circulent, avec la figure de Guy Môquet dès 1942. Quant à la diffusion du Crime contre l’esprit signé « Le Témoin des Martyrs » (Aragon), à partir de février 1942, elle est considérable.
A la Libération, divers comités et associations se sont créés. Les commémorations pérennes à Châteaubriant sont placées sous l’égide du PCF et de la CGT qui délèguent leurs plus hauts responsables et mobilisent les participants.
A partir de 1986 s’ajoutent le réaménagement de la carrière de La Sablière, le rachat de la ferme, l’ouverture d’un musée, l’exposition thématique au Musée d’histoire dans le château des Ducs de Bretagne : « Nantes dans la deuxième guerre mondiale ». En 1991, c’est l’inauguration du monument au Bêle, lieu d’exécution des otages nantais, suivie en 2018 de la pose de la plaque listant tous les fusillés sur le site.
La réhabilitation des sites, comme La Blisière, lieu d’exécution de 9 otages le 15 décembre 1941, la visibilité des lieux de mémoire comme Saint-Nazaire, la Maison des Syndicats, les cimetières de La Chauvinière, Rezé, Sainte-Luce, La Chapelle-Basse-Mer, l’éclat donné à la mémoire des fusillés espagnols, l’attribution de noms de rues, l’action de nouveaux comités locaux renforcent la matérialité de la présence mémorielle.
En s’appuyant sur un programme officiel, les commémorations mobilisent les partenaires pour enrichir et développer la construction du souvenir. En prenant un tournant culturel, en adoptant un caractère événementiel, la mémoire s’est ravivée et s’est renouvelée, appelant à faire mieux encore dans une synergie peut-être complexe, mais néanmoins nécessaire, entre mémoire locale, mémoire familiale, mémoire nationale, mémoire militante et mémoire officielle.
Communication de Louis Poulhès
Agrégé et docteur en histoire
Louis Poulhès inscrit les procès de janvier et août 1943 à Nantes dans la continuité des répressions anticommunistes après la signature du pacte germano-soviétique.
En 1939, le gouvernement Daladier de la IIIe République interdit les publications et réunions communistes (août), dissout les organisations communistes et suspend les conseils municipaux à majorité communiste (septembre), radie des fonctionnaires, procède à des arrestations et à des internements administratifs sur décision préfectorale (novembre). En avril 1940, le gouvernement adopte le décret Sérol : les communistes encourent désormais la peine de mort pour trahison.
Dès le début de l’Occupation, le nouvel Etat français collabore et continue la traque des communistes : Vichy a le même objectif de criminalisation des communistes que l’Occupant. Les Allemands délèguent d’abord à Vichy la répression anticommuniste mais l’invasion allemande de l’Union Soviétique ouvre une nouvelle période. Les Allemands procèdent à une vaste opération d’internement des personnes « sous influence soviétique », ouvrent leurs propres camps d’internement, encouragent Vichy à renforcer ses opérations de police et de répression. S’ensuivent côté français l’institution de Sections spéciales auprès des cours d’appel, d’un Tribunal d’État et la création d’une police parallèle, le Service de police anticommuniste (SPAC). Les Allemands, eux, jugent, condamnent et exécutent les membres des groupes armés, avant en 1944 de déporter les membres de la branche politique.
A Nantes, c’est la police française, très efficace, qui démantèle les groupes armés communistes qu’elle livre aux Allemands. Au total, elle arrête plus de 140 résistants français et espagnols. 45 sont jugés par le tribunal militaire allemand lors du « procès-spectacle » de janvier 1943 puis 16 en août.
Communication d’Alain Bergerat,
Agrégé d’histoire, professeur honoraire en classes préparatoires
Alain Bergerat rappelle en introduction que dans le cadre du 80ème anniversaire des « Procès des 42 et des 16 », était inaugurée à Nantes la rue Alfredo Gomez Ollero en présence de la famille et de l’Ambassadeur d’Espagne en France.
Et l’historien précise que son intervention s’appuie grandement sur la recherche et les travaux réalisés depuis de nombreuses années par Carlos Fernandez, auteur et militant au sein du « Collectif du Procès des 42 ».
En premier lieu, il interroge : pourquoi tant d’Espagnols ? Et de resituer leur parcours à partir de la défaite des troupes régulières de la République espagnole, dès leurs arrivées en France dans ce que l’on a appelé « La Retirada » et par la suite leurs engagements (forcés) dans les C.T.E. (Compagnies des Travailleurs Etrangers) d’où leur présence dans ce département de Loire-Inférieure, sur l’Atlantique.
L’historien aborde ensuite leur participation à la résistance et détaille leur rôle très actif dans l’organisation clandestine du parti communiste espagnol en mettant l’accent sur la personnalité de cinq d’entre eux.
Il développe ensuite la répression subie par ces résistants particulièrement surveillés par la police française et considérés comme « des bandits de droit commun ». Puis il aborde succinctement la place de ces Espagnols dans le cadre du « Procès des 42 ».
Dans un dernier temps, il s’étend davantage sur la mémoire de ces Espagnols. Entre mémoire et histoire, il rappelle les nombreuses initiatives du Comité du Souvenir pour retrouver les familles des cinq républicains fusillés à Nantes et de quelles manières ils sont honorés depuis vingt ans.
Enfin Alain Bergerat termine son propos sur l’activation de la mémoire en Espagne. Ce sera le principal objet des questions posées par le public auxquelles répondra Carlos Fernandez.
Communication de Franck Liaigre,
Docteur en histoire
L’été-automne 1941 marque le début de la lutte armée des communistes à la demande de la direction du PC clandestin, qui répond elle-même à une demande de Moscou.
Albert Ouzoulias, responsable des Bataillons de la jeunesse, créés par les Jeunesses communistes, vient à Nantes et rencontre Guy Gaultier, responsable d’un groupe de militants de Pont-Rousseau et Jean Vignau-Balous, chef de l’Organisation spéciale (OS). Un document de Pierre Rebière, responsable national de l’OS, fait alors état de 13 combattants actifs en Loire-Inférieure, essentiellement des Nantais. Ces chiffes paraissent faibles, néanmoins ils attestent de «l’importance énorme, exceptionnelle» de Nantes dans la résistance communiste. L’OS se renforce et recrute 10 nouveaux combattants au 1er trimestre 1942 dont 5 sont déjà entrés dans la clandestinité. A Paris on compte à ce stade 280 FTP, 20 en Meurthe & Moselle, 20 à Nantes, 15 à Rennes et 11 à Brest, soit 46 au total pour la région Bretagne.
« Nantes est au firmament de la lutte armée» et la police le sait. On dénombre 65 actions. Les FTP ont deux objectifs : entraver la production industrielle et créer un climat d’insécurité pour les Allemands, y compris en tuant des militaires. De ce point de vue, après l’attentat d’octobre 1941, le plus retentissant de la période de l’Occupation est celui du cinéma nantais Apollo.
Pour autant l’action n’est pas aisée. P. Rebière souligne le manque d’armement, moins sensible à Nantes où les combattants ont des armes récupérées lors de la débâcle. Mais ce dénuement « n’enlève rien à la force de conviction des combattants, à leur audace et leur remarquable courage».
La chute. Ce sont les polices françaises qui arrêtent la totalité des membres des groupes armés communistes. Le rôle du commissaire André Fourcade, arrivé à Nantes en 1938, est à souligner. C’est un policier compétent, zélé et ambitieux. Les Allemands ne font pas confiance à la police nantaise, hormis à la police mobile. A Rennes, opère le commissaire Soutif et à Angers, Marcel Fritz mise sur Jacques Poupard, un jeune policier aux dents longues qu’il recrute en lui promettant une montée en grade rapide. Il y a là également l’inspecteur Pierre Larrieu, le pire tortionnaire du SPAC-SRMAN, une police parallèle qui intervient à Nantes à la demande du préfet Dupart.
Son moyen d’action : la torture pour obtenir des « aveux ». L’aveu : « la reine des preuves » ! La violence exercée par le SPAC-SRMAN comprend trois phases : après la gifle puis le passage à tabac, c’est l’utilisation du nerf de bœuf. Ce qui explique que des « combattants d’un courage inouï » finissent par livrer des informations. La police a en outre la force du nombre : 480 policiers sont mobilisés pour retrouver Raymond Hervé après son évasion du tribunal, action dans laquelle le juge Le Bras a été tué.
Une autre situation aide la police. Les FTP vivent de manière très spartiate. Ils se recrutent entre eux donc se connaissent. Le cloisonnement est difficile.
Communication de Serge Defois,
Docteur en histoire.
Serge Defois convoque les archives du barreau de Nantes, les écrits privés des avocats, ceux d’Edmond Duméril, conseiller-interprète auprès du préfet, et la presse collaborationniste locale.
Il dessine un procès mis en scène, fortement médiatisé, dont l’objectif est de criminaliser les communistes aux yeux de l’opinion.
La mise en scène du procès par l’occupant.
Le tribunal militaire allemand est à cette occasion déporté vers la cour d’Assises du Palais de Justice de Nantes. Le procès est public et fait salle comble. On s’assure de sa médiatisation. Il dure treize jours. Les accusés sont assistés par cinq avocats (un Parisien et quatre Nantais) au lieu de gradés allemands faisant habituellement office d’avocats.
La parodie de justice.
Ces avocats commis d’office ne rencontrent les accusés qu’au premier jour d’audience. Douze jours de procès en matinée, soit 50 heures en tout pour 45 accusés ; un procès mené tambour battant, en allemand, sur la base d’aveux extorqués sous les coups portés par des policiers qui témoignent à la barre sans prêter serment. Sept minutes de plaidoirie par accusé – y compris le temps de traduction, préparée dans la nuit pour le lendemain du réquisitoire, sans recours en grâce possible, neuf exécutions dès le lendemain…
Un procès vitrine dont les avocats de la défense, peu soupçonnables de proximité politique avec les accusés, ont compris qu’ils participaient à une parodie de justice.
Cette mise en scène atteste l’importance pour l’occupant et Vichy de criminaliser les communistes : si les accusés ont un procès, si leur défense est garantie par de vrais avocats, et s’ils sont condamnés, c’est donc bien pour leurs activités criminelles. Les accusés ne sont pas des patriotes puisqu’il y a des étrangers parmi eux, des Espagnols, un Italien, bref des « agents de Moscou »… Bandits, assassins, criminels de droit commun, ils nuisent aux Français plus qu’à l’occupant, voilà l’idée que l’Occupant veut faire passer.
Maîtresse de conférences à l’Université de Caen
Le franc-tireur et le terroriste judéo-bolchévique:
La qualification de « franc-tireur » est introduite dans le droit pénal militaire allemand en 1938.
La phobie du franc-tireur est née dans le cadre de la guerre contre les francs-tireurs français de1870-1871 lorsque, en référence au précédent révolutionnaire de 1793, le gouvernement de défense nationale de Gambetta décrète la « levée en masse ». C’est une interprétation restrictive de la convention de La Haye de 1899 et 1907.
Le nouveau code pénal militaire nazi dispose « qu’en dehors du temps très court de l’invasion, tout acte de résistance de la population civile contre la puissance occupante est illégal et qu’en tant qu’acte de franc-tireur, il devra être sanctionné par la peine de mort ».
A compter de l’invasion de l’URSS par l’Allemagne, la figure du franc-tireur est perçue en France à travers le prisme déformant du judéo-bolchévisme, ce qui conduit à une criminalisation à la fois juridique et idéologique de la Résistance dont les conséquences se font vite sentir dans les prétoires militaires allemands.
L’Allemagne nazie est le premier État à interdire de sanctionner les combattants illégaux sans procédure judiciaire, mais dans le cadre d’une procédure judiciaire militaire accélérée et simplifiée. Très vite le résistant français est donc perçu à travers le prisme déformant de l’anticommunisme et de l’antisémitisme.
Après plusieurs procès, celui dit des 42, qui se tient à Nantes du 15 au 28 janvier 1943 est probablement le plus important de l’Occupation par le nombre de peines de mort prononcées, à savoir 37. Si la plupart des accusés sont condamnés pour « actes de franc-tireur » et dans une moindre mesure pour « intelligence avec l’ennemi », ce sont les infractions dites de droit commun lésant surtout les Français qui retiennent d’abord l’attention du tribunal. Le Ministère public insiste particulièrement sur les accusations d’assassinat, tentative d’assassinat, vols, cambriolage, attaque à main armée, destruction, ou encore incendie, alors que les atteintes à l’armée allemande ne le mobilisent que marginalement. Le tribunal peut ainsi dénier tout caractère politique aux actes incriminés et nier en bloc le patriotisme que les accusés revendiquent, ce qu’entend confirmer la présence d’Espagnols dans le box des accusés. Le tribunal assure dans ces conditions démasquer des imposteurs, agents du communisme, dont la seule patrie est en fait l’URSS
Pendant l’Occupation, plus de 1 500 civils désignés comme « terroristes » sont jugés pour acte de « franc-tireur » par les tribunaux militaires allemands implantés en France occupée dont près de 1 300 durant les seules années 1943 et 1944. 90 % de ces prévenus ont été condamnés à mort et la plupart d’entre eux exécutés.
Communication de Thomas Fontaine,
Docteur en histoire, directeur des projets au Musée de la Résistance nationale
Thomas Fontaine insiste d’emblée sur l’importance de ces deux procès, instruits à
Nantes, en janvier et en août 1943. Les archives de ces procès récemment retrouvées permettent d’établir une chronologie et un état des lieux quasi complets, archives conservées à la Division des archives des conflits contemporains du Service historique de la Défense à Caen. Pendant sa présentation, Thomas Fontaine montrera à l’écran divers documents issus de ces archives.
Trois points fondamentaux sont développés :
– l’envergure des procès tenus à Nantes, le nombre d’inculpés et de condamnations à mort ;
– l’opération de propagande allemande développée à l’occasion de ce procès ;
– l’active collaboration policière franco-allemande qui a permis l’arrestation et les condamnations des membres des groupes de la branche armée et de la branche politique du PCF clandestin.
Les deux procès ne sont pas une exception dans la répression allemande. L’outil répressif vise à se montrer légitime car l’occupation allemande entend être légitime. Les procès visent en premier lieu les groupes armés FTP. Les 50 exécutions des deux procès nantais de 1943 constituent un lourd bilan. Les motifs d’accusation sont les attentats, les cambriolages et les sabotages, les assassinats contre l’Occupant. Les premières exécutions ont lieu dès le lendemain du procès. Les condamnations à mort sont aussi appliquées à deux femmes, commuées en déportation « nuit et brouillard », trois détenus sont acquittés mais ne sont pas libérés, remis à la Gestapo, placés en internement administratif et déportés.
La collaboration policière franco-allemande vise avant tout à organiser la répression contre les groupes armés communistes. Elle a été l’objet des accords Laval-Oberg de l’été 1942, qui instaurent une répartition des rôles : la police française fait l’enquête, eu égard à son expérience de terrain, procède aux arrestations, avant que la police allemande se saisisse des affaires FTP communistes pour les juger. L’exemple des procès nantais est particulièrement significatif des « relations étroites », « cordiales », qui ont présidé à la chute des groupes communistes. Les services français et allemands se félicitant des arrestations, les Allemands veulent faire de ces procès une opération de propagande contre les groupes résistants. La machinerie judiciaire allemande permet de viser le communiste. La presse locale, accréditée par les Allemands, parle « d’épuration » et de condamnations de « véritables criminels dangereux ».
Les archives de ces deux procès se révèlent donc d’une grande importance pour cerner aujourd’hui la répression de la Résistance armée communiste : rapports détaillés, déroulé des procès tenus en allemand, jugement, explication des peines, lettres personnelles des condamnés, archives saisies.
Faire ressortir l’importance de ces deux procès, montrer ce qu’a été la lutte communiste clandestine, œuvrer pour la transmission, c’est tout le travail de l’histoire. La mémoire est un choix et l’on en mesure les limites dans le cas des procès nantais encore largement méconnus.
Comptes-rendus des interventions réalisés par le Comité départemental du Souvenir
vendredi 19 janvier à 20h00
Espace Montluc, rue de la Guilletière
LES 50 Théâtre d’ici ou d’ailleurs / Tout public Tout le monde connaît la lettre de Guy Môquet, mais très peu connaissent l’histoire des 50 otages. Qui étaient ces 50 Otages fusillés à Châteaubriant et Nantes le 22 octobre 1941 ? Que s’est-il réellement passé, dans quelles circonstances ? Ces otages, d’où venaient-ils, pourquoi ont-ils été choisis par le gouvernement de Vichy et les Nazis en 1941? Cette pièce de théâtre nous replonge dans la vie des 50 otages, tout en voyageant joyeusement dans le temps et dans les lieux. Le chant et la musique s’invitent librement au voyage dans un parti pris poétique très vivant. L’histoire de ces | résistants hommes et femmes nous émeut, nous bouleverse. Subissant la période très noire du nazisme, ces 48 fusillés n’ont pas baissé les bras. Ils aimaient la VIE. Ce spectacle qui vient de faire un triomphe au Théâtre de la Belle Etoile à Saint-Denis (93) sera présenté par le Théâtre d’ici et d’ailleurs à Saint-Etienne-de-Montluc le 19 janvier à 20h Tarif : Prévente 8€ / Sur place 10€ (plein), 8€ (réduit) Réservations : site de la mairie. Onglet Mes loisirs/Vie culturelle/Billetterie Prévente : 8 €, sur place 10€ Billets à retirer auprès de la bibliothèque de St Étienne de Montluc |
Samedi 20 janvier à 9h30 –
Bibliothèque 3, rue de la Paix 44360 St Etienne de Montluc
Dédicace et rencontre
autour du livre En vie, en joue, enjeux
sur l’histoireet la mémoiredes 50 Otages
avec les auteurs Didier Guyvarc’h et Loïc Le Gac
En vie. Guy Môquet a toujours 17 ans et Léon Jost 57. Leur vie et celle de leurs compagnons a été interrompue à Châteaubriant, à Nantes ou au Mont-Valérien le 22 octobre 1941, sous les balles de la Wehrmacht. Leur mort en a fait des héros. Qui étaient-ils ? Ce livre tente d’y répondre en croisant leurs parcours et dessine un portrait de groupe.
En joue. Le 20 octobre 1941, Gilbert Brustlein, Spartaco Guisco et Marcel Bourdarias, trois « courageux garçons » (Charles de Gaulle) en mission, abattent à Nantes le Feldkommandant Hotz. Aucun officier d’un grade aussi élevé n’a jusqu’alors été exécuté. Ils donnent ainsi le signal
de la lutte armée et « font entrer la Résistance intérieure dans la guerre » (Thomas Mann). En représailles, Hitler ordonne de fusiller cinquante otages.
Enjeux. Ces deux événements, dont l’écho est international, marquent un tournant. C’est le premier massacre de masse de civils à l’Ouest. Il atteste l’évolution de la politique de répression des Nazis, et en retour, des obstacles à la Collaboration « sincère et loyale » prônée par Vichy. Le massacre du 22 octobre 1941, retenu par le Tribunal international de Nuremberg, constitue un événement fondateur pour le droit international.
Quatre-vingts ans après, la mémoire de l’événement a évolué. Mais elle reste vive. Écrire l’histoire des trois journées de l’automne 1941, puis des quatre-vingts de leur mémoire, c’est aussi postuler que des vies ordinaires peuvent résister à l’oubli quand elles disent non.
Didier Guyvarc’h, historien, agrégé, maître de conférences honoraire en histoire contemporaine à l’IUFM, Université de Rennes 2 est l’auteur de nombreux ouvrages et articles.Loïc Le Gac, enseignant puis proviseur, est l’un des animateurs du Comité du souvenir des fusillés de Châteaubriant, Nantes et de la Résistance en Loire-Inférieure et de son site www.resistance-44.fr
INDRE
Le Comité local du Souvenir d’Indre a organisé sa cérémonie en mémoire d’Eugène et Léoncie Kerivel et de 2 résistants indrais le 15 octobre. Annoncée par des articles dans Presse-Océan et Ouest-France, la cérémonie a rassemblé 60 personnes en présence du maire d’Indre Anthony Berthelot et de la maire de Couëron Carole Grelaud, avec la participation des élèves de CM2 des écoles publiques d’Indre dont certains porte-drapeaux juniors. C’est sur le Môle près du marché que le rendez-vous a été donné à 8 h 45, avec un dépôt de fleurs sur le Palis d’ardoise peint aux visages d’Eugène et de Léoncie Kérivel. À 9 h, les musiciens de la fanfare de l’école de musique ont conduit les participants jusqu’au cimetière. Le dépôt de gerbes au monument aux Morts a été suivi de la lecture par les petits-enfants de Thierry Diquelou du poème de Paul Éluard Liberté. Nouveauté cette année : l’allocution de Jean-Luc Le Drenn, président du Comité, a été accompagnée d’une évocation artistique de Claudine Merceron et de Pascal Gilet. Jean-Luc Le Drenn a notamment déclaré que « la transmission des valeurs de la résistance auprès des jeunes générations est nécessaire dans un monde tourmenté confronté au fanatisme religieux, aux idées fascistes racistes communautaristes » avant de souligner l’aide précieuse de la municipalité indraise : « La mairie a commandé plusieurs drapeaux juniors pour les quatre enfants porte-drapeaux et un drapeau floqué “Comité local d’Indre“». La présence d’élèves a permis de mesurer le travail de mémoire réalisé par le Comité envers la jeunesse indraise.
NANTES Veillée du souvenir
La Veillée du souvenir a réuni près de 200 personnes, le vendredi 20 octobre, devant le Monument aux 50 Otages et à la Résistance. Le président du Comité départemental du souvenir Christian Retailleau a accueilli le préfet des Pays de la Loire et de Loire-Atlantique Fabrice Rigoulet-Roze, l’adjoint à la maire de Nantes Olivier Chateau, le député Mounir Belhamiti et les autorités civiles et militaires.
Puis le jeune maître de cérémonie Clément Leparoux a appelé, dans l’ordre protocolaire, au dépôt des gerbes, celle du Comité du souvenir et de l’Amicale déposée par Christian Retailleau et Maryse Veny-Timbaud, de nombreuses gerbes des organisations syndicales, des associations mémorielles et du PCF*, du député, de la municipalité et du préfet. Après l’appel aux morts, La Marseillaise, la minute de silence et le Chant des partisans, Catherine Tuchais a pris la parole au nom du Comité du souvenir.
« Aucun combat pour la liberté, le progrès et la paix n’est jamais vain »
Elle a retracé le contexte des fusillades d’otages du 22 octobre 1941 et présenté ces 48 hommes « épris de liberté, qui avaient choisi le combat contre l’oppression nazie » expliquant comment ce massacre « a marqué un tournant dans la résistance ». « Il faut sans cesse transmettre les valeurs de la Résistance aux jeunes générations, résister aux sirènes du repli sur soi et continuer à lutter encore et toujours contre la destruction des conquêtes sociales de la Libération » a-t-elle ajouté en évoquant la mobilisation récente contre la réforme des retraites. Elle a ensuite évoqué « le contexte international où règne la division et la terreur », mentionnant les guerres en Ukraine et au Proche-Orient avant de rendre hommage à Dominique Bernard l’enseignant d’Arras, « victime du fanatisme et du refus de l’émancipation par le savoir. »
L’évocation artistique était intitulée, 80e anniversaire oblige, Dans les coulisses du CNR. Ecrite par Claudine Merceron du Théâtre d’ici ou d’ailleurs et interprétée avec brio par Pascal Gillet, Michel Hermouet et les jeunes Lili et Manolo et l’autrice. Le texte était composé des dernières lettres de Jean-Pierre Timbaud et Michel Dabat, d’extraits du journal de Pierre Rigaud, retraçant la journée tragique dans le camp de Choisel, la mise en exergue de l’action des jeunes Michel Dabat et Christian de Mondragon le 11 novembre 1940 et celle des anciens combattants qui avaient mis en place des réseaux d’évasion des prisonniers de guerre. Autant de « graines de l’espoir » qui commencèrent à germer avec la création du CNR le 27 mai 1943, nouvel indice après Stalingrad en février que « Hitler n’est plus invincible ».
Lors de la réception à l’Hôtel de ville, Olivier Chateau a rappelé l’intérêt que porte la municipalité à l’activité du Comité du souvenir et à l’importance du travail de transmission de cette Histoire auprès des nouveaux Nantais et des jeunes générations. Christian Retailleau, dans ses remerciements, a assuré la municipalité de la détermination du Comité.
*Outre les gerbes déposées par le préfet, le député et celle de la municipalité, citons celles de la CGT : UD (Fabrice David),UL (Nelly Goyet), Fédération des industries chimiques (Christophe Janot), Municipaux ( Anita Gadet), FAPT, Cheminots ( Stéphane Godart), Airbus (Laurence Danet), Retraités 44 (Yannick colin), Retraités Nantes (Michel Charrier) ; FSU(Marie Raynaud), PCF 44 (Aymeric Seassau et Pédro Maia), PCF Nantes (Pascal Divay et Clotilde Mathieu), Mouvement de la JC ( Gabriel Augeat), ADIRP (Yveline Larzul-Durand et Noël Leprime)
Cérémonies officielles
Le samedi 22 se sont déroulées à Nantes les cérémonies officielles. Au monument des 50 otages d’abord, la cérémonie – le protocole étant assuré par Xavier Trochu – était présidée par la sous-préfète Marie Argouarc’h et Bassem Asseh, premier adjoint représentant la maire de Nantes Johanna Rolland en présence des autorités civiles et militaires et des représentants des associations mémorielles. Une deuxième étape a conduit les participants au champ de tir du Bêle, lieu de l’exécution des 16 otages nantais. L’appel des fusillés a été confié aux comédiennes Claudine Merceron et Martine Ritz. La dernière lettre de Jean-Pierre Glou a été lue. Comme la veille, l’anniversaire de la création du CNR a été évoqué. L’intervention s’est conclue sur la chanson d’Henri Franceschi Merci Monsieur Croizat. A noter la présence du commandant Joel Beckner, attaché militaire de l’ambassade des Etats-Unis, qui a déposé une gerbe. Ce moment officiel s’est conclu, sous une pluie battante, au cimetière de La Chauvinière où reposent un certain nombre des fusillés. La municipalité nantaise fleurit le 1er novembre les tombes de ceux qui sont inhumés dans d’autres cimetières.
CHÂTEAUBRIANT
A Choisel puis au Château. Les cérémonies castelbriantaises ont commencé, sous la pluie et un vent violent, le samedi 21 octobre par un hommage à l’ensemble des internés sur le lieu même où se trouvait le camp de Choisel. Un monument et un panneau explicatif identifient aujourd’hui ce lieu de mémoire. Une centaine de personnes étaient présentes. En présence de Catherine Ciron, représentant le maire Xavier Hunault, qui a pris la parole, Carine Picard-Nilès, présidente de l’Amicale, Sylvie Rogé, secrétaire générale et Serge Adry, président du Comité local du souvenir, des maires du Castelbriantais, et de l’attaché parlementaire du député Jean-Claude Raux, un émouvant hommage a été rendu par Jean-Jacques Catreux à Odette Nilès, la dernière survivante du camp qui nous a quittés le 27 mai dernier. Puis une deuxième étape du parcours mémoriel a conduit les commémorants dans la cour du château médiéval, là où dans la soirée du 22 octobre sanglant, les corps des martyrs avaient été déposés dans l’attente de la fabrication par les entreprises de menuiserie Nourrisson et Maussion de 27 cercueils – sans noms – avant leur inhumation le lendemain dans 9 cimetières de la région.
Au musée. A 17h, une centaine de personnes ont répondu, malgré la pluie et le froid, à l’invitation au vernissage de la nouvelle exposition temporaire consacrée au thème du Concours national de la Résistance et de la Déportation : « Résister contre la Déporttation », dont la qualité a été saluée par tous. Le sous-préfet Marc Makhlouf, Catherine Ciron, adjointe au maire et conseillère départementale ont pris la parole. Les Inspecteurs pédagogiques régionaux Michel Durif et Valérie Lejeune étaient présents. Gilles Bontemps, président des Amis du musée a rendu hommage à Jean-Paul Le Maguet, ancien conservateur du musée.
A La Blisière. Après le 22 octobre, « la liste tragique n’est pas close pour autant » comme l’avait écrit à sa femme Adrien Agnès. Le 15 décembre 1941, lui-même et huit autres internés ont été extraits de la baraque des otages. Cette fois les camions n’ont pas traversé la ville mais ont pris la direction de Soudan puis de Juigné-les-Moutiers. La fusillade a eu lieu en pleine forêt, au lieu-dit La Blisière. Claude Gaudin au nom du Comité départemental du souvenir a rappelé le contexte de cette exécution, et de celles qui se sont déroulées simultanément au Mont-Valérien (69 fusillés dont Gabriel Péri), à Caen (13 dont Lucien Sampaix), Fontrevaud (4). Après avoir évoqué chacun des fusillés, il a ajouté : « notre présence témoigne de notre volonté de préserver notre démocratie en péril. Honorer la mémoire des fusillés de La Blisière qui ont combattu la barbarie nazie au péril de leur vie, c’est permettre à tous de réfléchir et de tirer des enseignements de leur engagement et des valeurs qu’ils défendaient. »
Hommage à Odette Nilès. En fin de matinée, une réception à l’Hôtel de Ville a été l’occasion pour le maire Xavier Hunault de rendre un hommage émouvant à Odette Nilès.
Dans la carrière de la Sablière. Forte participation populaire pour ce 82ème anniversaire. Le soleil était au rendez-vous, il faisait aussi beau que le 22 octobre 1941. 2 500 personnes – beaucoup de jeunes – ont participé à cet hommage. Le cortège, parti du rond-point Fernand Grenier auquel Gwen Herbin a rendu hommage pour l’Amicale, a été emmené vers la carrière par l’harmonie municipale Les Baladins musiciens, au son du Chant des partisans, accompagnée d’une trentaine de porte-drapeaux et de nombreux porteurs de gerbes. En ouverture de la cérémonie officielle, présidée par le préfet des Pays de la Loire et de Loire-Atlantique M. Fabrice Rigoulet-Roze, des jeunes scolaires ont procédé au dépôt de terres prélevées sur des lieux de résistance dans 5 des 183 alvéoles du sous-bassement du monument créé par Antoine Rohal en 1950.
Ce projet pédagogique piloté par Romain Barre a fait intervenir cette année les établissements suivants : – terre du Frontstalag 181 de Saumur collectée par le lycée Sadi Carnot – Jean Bertin de Saumur – terre du Camp Tsigane de Montreuil-Bellay collectée par le lycée Sadi Carnot – Jean Bertin de Saumur – terre de Brême en Allemagne collectée par le Berufsbildende Schulen de Verden (Lycée professionnel) – terre de Terezin (République Tchèque) collectée par le collège Gaston Couté de Voves – terre de Saint Etienne de Montluc (Loire – Atlantique) collectée par le collège Paul Gauguin de Cordemais – terre du pont de Thouars (Deux-Sèvres) collectée par le lycée Henri Dunant d’Angers – terre des Grands-Bas à Villevêque, lieu d’atterrissage (Maine et Loire) collectée par le lycée David d’Angers d’Angers |
Après l’appel des noms des fusillés suivi du Chant des partisans, interprété par l’Harmonie, la voix d’Odette Nilès a résonné dans la carrière. Dans cet extrait d’un entretien d’Odette Nilès avec le journaliste Daniel Mermet en 2016, elle évoque, avec beaucoup d’émotion, sa réaction et celle des internés en ce début d’après-midi du 22 octobre 1941 au moment où les otages ont été extraits du camp.
De nombreuses personnalités étaient présentes*, invitées par le maître de cérémonie Claude Nilès à déposer des gerbes au pied des 27 poteaux supportant les portraits des fusillés. En plus de ces 27 gerbes de nombreuses autres ont été déposées au pied des stèles. La Marseillaise a retentit, suivie d’une minute de silence puis du Chant des marais tandis que les personnalités saluaient les 37 porte-drapeaux présents. Des extraits des dernières lettres de fusillés ont été diffusées pendant ce salut. Carine Picard-Nilès a ensuite pris la parole.La présidente de l’Amicale de Châteaubriant a déclaré à propos d’Odette Nilès: « Oui, nous continuerons à porter son œuvre de mémoire et celle de toutes ces femmes et de ces hommes morts pour que nous vivions libres, mais sans la déformer, sans la réécrire, sans la minorer ». Faisant écho au Chant des partisans, elle poursuit : « Ami, entends-u les bruits sourds des peuples qui ouffent de la guerre à nos portes, en Ukraine, au Haut-Karabah en arménie, sur le continent africain, en Isrraël et Palestine sous le joug de dirigeants fascistes ou fanatiques ? » * Puis le secrétaire général du PCF, dont la plupart des fusillés étaient membres, s’est exprimé à son tour : « Le 22 octobre 1941, dans cette clairière, 27 hommes tombaient sous les balles allemandes. Ving-sept noms inscrits à jamais au Panthéon de la mémoire nationale. Vingt-sept vies volées par la barbarie et qui donnèrent à la Résistance française une irrésistible force populaire. Châteaubriant est un symbole. Symbole d’un crime devant l’Histoire,symbole d’un puple travailleur qui refusa l’occupation, animé ar sa soif de justice sociale et d’émancipation.(…) Se montrer dignes de [leur] héritage, c’est contribuer à le défendre et le faire vivre partout où il se trouve menacé ; c’est mettre l’être humain au cœur de tous nos choix, c’est continuer à défendre la paix(…) 82 ans après cette commémoration demeure d’une cruelle actualité, l’heure où les fanatismes, les extrémismes, la barbarie s’en prennent aveuglément à des civils. »
Le Théâtre d’ici et d’ailleurs, accompagné de comédiennes et comédiens amateurs et d’élèves de CM1/CM2 de l’école Jean Monnet d’Issé dirigés par Kristine Maerel et leurs enseignant.e.s Pascaline Labbé et David Vieau (commune dont était originaire Alexandre Fourny, otage fusillé à Nantes) ont alors pris possession du plateau et interprété Les graines de l’espoir, une création de Claudine Merceron. Cette lecture théâtralisée, lue, jouée et chantée a évoqué les événements de 1941 et de la création en 1943 du Conseil national de la Résistance. Interprétée avec talent, elle s’est achevée par la chanson fétiche de ce rendez-vous annuel dans la carrière des fusillés : L’Age d’or (Léo Ferré) interprétée avec fougue et émotion par la vingtaine d’artistes et reprise en chœur par la foule qui vibre toujours à cette chanson.
Il restait aux nombreux cars venus de différentes régions, aux centaines de voitures stationnées sur l’esplanade Ambroise Croizat à reprendre la route et rentrer à bon port, aux bénévoles à retrousser les manches pour ranger les 2 000 chaises, démonter les stands, comme à l’équipe des cégétistes de Mines-énergie qui ont assuré la restauration rapide sur le site.
Parmi les personnalités présentes, citons le Préfet des Pays de la Loire et de Loire-Atlantique M. Rigoulet-Roze, le sous-préfet de Châteaubriant M. Marc Makhlouf, M. Xavier Hunault, maire de Châteaubriant, son adjointe Mme Catherine Ciron, conseillère départementale et plusieurs maires du castelbriantais, Aymeric Seassau, représentant la maire de Nantes, xxx représntant la mairie de Paris, Lydie Mahé, adjointe au maire de Saint-Nazaire, le député Jean-Claude Raux, la sénatrice Karine Daniel, les sénateurs Gérard Lahellec et Philippe Grosvalet, Carine Picard-Nilès, présidente de l’Amicale, et Sylvie Rogé, secrétaire générale, Christian Retailleau, président du comité départemental du souvenir accompagné de Serge Adry du comité de Châteaubriant, Jean-Luc Le Drenn, du comité d’Indre, Fabien Roussel, secrétaire général du PCF, Fabrice David, secrétaire de l’UD CGT, Myriam Lebkiri, représentant Sophie Binet, secrétaire générale de la CGT, Robin Salecroix et Véronique Mahé, co-secrétaires départementaux du PCF 44, Anita Charrieau et Julien Delaporte PCF 85, Assan Lakehoul, secrétaire national du Mouvement de la jeunesse communiste et Léna Raud, secrétaire nationale de l’UEC, plusieurs secrétaires généraux de Fédérations de la CGT : FILPAC, Mine-Energie, Services publics, FAPT etc. , des secrétaires régionaux Pays de Loire, Picardie, Normandie, les représentants d’organisations mémorielles ARAC, ANACR, FNDIRP, Comité parisien de Libération, Familles de fusillés, du Mont Valérien, de Souge, Familles de fusillés et massacrés de la Résistance, AFMD, Lucienne Nayet, présidente du Musée de la Résistance nationale et Gilles Bontemps, musée de Châteaubriand, Nous avons noté parmi la foule la présence de Philippe Martinez et celle Chantal Trubert, dessinatrice des portraits des 48 fusillés (également présente à Nantes à la Veillée du souvenir) |
POUR EN SAVOIR PLUS
https://resistance-44.fr/wp-content/uploads/2023/12/Carine-PIcard-Niles-Chateaubriant-22-10-23-5.pdf
https://resistance-44.fr/wp-content/uploads/2023/12/Fabien-Roussel_Discours_Chateaubriant_2023-1.pdf
Alors que les atteintes à la démocratie se multiplient, que les conquis de la Résistance – et dernièrement les retraites – sont systématiquement remis en cause, alors que les déformations de l’Histoire sont en vogue, que le fond de l’air est brun et que les bruits de bottes se font entendre encore aux portes de l’ Europe et ailleurs dans le monde, les rassemblements organisés à l’occasion du 82ème anniversaire de l’Octobre sanglant de 1941 ne constitueront pas seulement un hommage aux fusillés, mais aussi une réponse à cette dérive et une manifestation de notre conviction que « résister se conjugue au présent ».
Le programme des initiatives
L’Amicale Châteaubriant-Voves – Rouillé – Aincourt, organisatrice avec le Comité départemental du souvenir et ses comités locaux de Châteaubriant et d’Indre a conçu un programme comprenant de nombreuses initiatives.
14 octobre – Saint-Herblain – 17h, bibliothèque Paul Eluard, avenue des Plantes rencontre avec l’historienne Dominique Comelli autour de la BD Immortels ! sur les 50 Otages
15 octobre – Indre – 8h45, place Odette Nilès (bord de Loire) puis au monument aux morts au cimetière. Hommage à Eugène et Léoncie Kérivel et aux résistants indrais.
Nantes.
Exposition des portraits des 48 otages, réalisés par l’artiste Chantal Trubert, le long du boulevard des 50 Otages
Vendredi 20 octobre – 17h45, Monument aux 50 Otages et à la Résistance Veillée du souvenir. Evocation artistique conçue par Claudine Merceron, Théâtre d’ici et d’ailleurs : Dans les coulisses du C.N.R. – Réception à l’Hôtel de Ville
Samedi 21 octobre – 10h, Cérémonies officielles devant le Monument aux 50 Otages et à la Résistance puis au champ de tir du Bêle et au cimetière de La Chauvinière (transport assuré par car entre ces lieux)
Châteaubriant.
Samedi 21 octobre – 14h30, rassemblement devant la stèle du camp de Choisel : hommage aux internés suivi dans la cour du Château d’un hommage aux fusillés.
17h, musée de la Résistance – vernissage de l’exposition temporaire 2023-2024 « Résister à la Déportation en France et en Europe », dans le cadre du Concours national de la Résistance et de la Déportation.
Dimanche 22 octobre – 10h, La Blisière – Juigné-les-Moutiers. Hommage aux 9 fusillés du 15 décembre 1941
13h30 – rassemblement au rond-point Fernand Grenier. Hommage à Fernand Grenier puis départ en cortège vers la carrière de La Sablière derrière les porte-drapeaux et porteurs de gerbes. Cérémonie officielle, hommage à Odette Nilès, allocution de Monsieur Fabien Roussel, député, secrétaire national du PCF.
Evocation théâtrale conçue par Claudine Merceron et Elodie Retière et le Théâtre d’ici et d’ailleurs.
Des stands de restauration rapide seront à disposition du public ainsi que des stands de littérature avec dédicaces d’auteurs.
Transport gratuit par cars, organisés par les villes de Nantes et Saint-Nazaire Nantes 10H30 – Départ place du Vieux Doulon ( arrêt bus) 10h40 – Boulevard de Sarrebrück (arrêt Haubans) 10h50 – Place Pirmil ( station tram/bus) 11h00 – Chantiers navals (station tram/bus) 11h05 – Place Zola (arrêt côté Renardières) 11h10 – Place des Châtaigniers / Abel Durand (arrêt Massacre face à Carrefour) 11h 25 – Eglise du Pont du Cens (arrêt bus) 11h30 – Le Cardo (station tram/bus) Saint-Nazaire 11h00 – départ parking du Théâtre, côté CIL 11h15 – Trignac- Place de la Mairie 11h40 – Montoir-de-Bretagne, place du marché Inscriptions Nantes – comitesouvenir@resistance-44.fr ou 06.33.83.74.35 Saint-Nazaire – alain.trigodet@free.fr ou 06.95.70.63.96 Restauration rapide sur le stand Mines-Energie CGT à l’entrée de la carrière ou pique-nique Retour à l’issue de la cérémonie par le même itinéraire. |
Le 22 octobre avant, pendant et après la cérémonie, la librairie de l’Amicale de Châteaubriant et le stand du Comité de Loire-Atlantique vous accueilleront et vous proposeront des livres sur la Résistance et notamment sur les fusillés de Châteaubriant et de Nantes. Vous pourrez obtenir des dédicaces des auteurs.
Outre la BD Immortels ! ci-dessus
sera proposé le livre
EN VIE, EN JOUE, ENJEUX. Les 50 Otages de Didier Guyvarc’h et Loïc Le Gac, préface de Thomas Fontaine
Ouvrage de référence sur la naissance de la résistance, le code des otages, l’internement administratif, les fusillades du 22 octobre 1941, le parcours des fusillés et la mémoire de cet évènement et ses évolutions au fil du temps.
Les circonstances dans lesquelles ce texte a été écrit sont maintenant connues: Dans les tout premiers jours de novembre 1941 , le jeune avocat Joë Nordmann eut un rendez-vous avec le docteur Bauer. Bauer était le messager de Jacques Duclos (alias Frédéric) demandant si Nordmann était prêt à se rendre en zone non occupée pour voir Louis Aragon et lui transmettre des documents. Prêt ? Nordmann l’était. Lors du rendez-vous suivant, Bauer lui remit une liasse de papiers pliés ou froissés: les documents sortis clandestinement du camp de Châteaubriant, rédigés par des témoins du drame. Accompagnant le tout, un billet très bref: « Fais de cela un monument ! Frédéric ».
Nordmann quittait Paris en janvier 1942, par le train, ayant roulé tant bien que mal les papiers dans la couture de son slip. Après un arrêt à Nevers, pour obtenir de faux papiers d’identité par une amie, il passe la ligne de démarcation et arrive à Nice à l’adresse indiquée, dans le Vieux Nice, quartier des « Ponchettes ». Aragon est bouleversé en découvrant les documents. Il offrit l’honneur de composer ce texte à d’autres écrivains présents à Nice. Mais Roger Martin du Gard, Georges Duhamel, André Malraux et André Gide se récusèrent. Et Aragon écrivit Les Martyrs par le Témoin des Martyrs. En quelques semaines le texte bouleversant d’Aragon était parvenu dans onze pays, alliés ou neutres, et il fut bientôt lu à la radio de Londres (apporté par E. d’Astier de la Vigerie), radio-Brazzaville, Radio Moscou, et à New York. (Témoignage de Joë Nordmann, Aux vents de l’Histoire, Actes Sud, 1996)
Châteaubriant
C’est en leur nom que je vous parle
Mots clés: Châteaubriant, Aragon, Guy Môquet
Je ne sais qui lira ce qui va suivre. Je m’adresse à tous les Français et aussi simplement à tous ceux qui, au-delà des limites de la France, ont quelques sentiments humains dans le cœur, quelles que soient leurs croyances, leur idéologie, leur nation. Peut-être seront-ils retenus de m’accorder créance, parce que je ne signerai pas. J’atteste qu’il n’est rien au monde que je voudrais autant pouvoir faire que d’avoir l’honneur de signer ceci. C’est la mesure de l’iniquité et de la barbarie qu’aujourd’hui nous ne puissions dire notre nom pour appuyer une cause aussi juste, aussi généralement considérée comme noble et élevée, qu’est la cause de la France. Ceux qui meurent pour elle dans notre pays meurent anonymes ; le plus souvent, on ne dit même pas qu’ils sont morts, et tout ce qu’on ose écrire, c’est qu’un individu a été exécuté. Je partage ici le glorieux anonymat de tant de morts que vous ne pouvez plus vous étonner de cet anonymat. Si j’élève une faible voix, c’est parce que certains des morts me l’ont demandé, c’est en leur nom que je vous parle. Ils sont tombés sous les balles allemandes. Ils sont morts pour la France.
Les faits sont simples et personne ne les nie. Le 22 octobre 1941, 27 hommes ont été exécutés par les Allemands à côté du camp de Châteaubriant (Loire-Inférieure) pour des faits datant de quelques jours, dont ils étaient notoirement ignorants, pour l’acte d’hommes qu’ils ne connaissaient pas, sans s’être solidarisés avec ces hommes, mais livrés à l’occupant afin d’être exécutés, et cela par le ministère de l’Intérieur d’un gouvernement qui se dit français, qui en avait lui-même dressé la liste. Pris dans le camp où ils étaient détenus par une simple suspicion ou passibles de toute façon de peines moindres, ils ont été passés par les armes sur l’avis de ceux qui prétendent assurer la police dans le pays, y donnant ainsi l’exemple révoltant du crime. On dira : c’étaient des communistes. Est-il possible que des Français, est-il possible que des hommes, unis à d’autres hommes, à d’autres femmes par les liens de la chair, de l’affection, de l’amitié, puissent se satisfaire d’une phrase pareille ? Tous ceux qui diront, croyant se débarrasser ainsi de la chose : c’étaient des communistes n’entendent-ils pas que cela n’excuse pas le crime allemand, mais que cela honore les communistes ? Ces hommes étaient prisonniers pour leurs idées, ils avaient défendu leurs croyances au mépris de leur liberté. Ils s’étaient refusé à suivre l’exemple de ceux qui, se reniant par lâcheté ou par intérêt, sont passés dans le camp de ceux qu’ils combattaient la veille. S’ils avaient voulu les imiter, ils auraient pu, comme certains, revêtir l’uniforme allemand et être libres, collaborer aux journaux, aux organisations que l’Allemagne contrôle, et être libres. Ils ne l’ont pas voulu. On les a envoyés à la mort. Il y a eu dans le monde des hommes comme ceux-là, et même ceux qui ne croient pas en Dieu, ceux qui haïssent l’Église dont ils sont martyrs ne sont jamais à ce point entraînés par la violence anticléricale qu’ils ne reconnaissent pas la grandeur, la noblesse, la beauté du sacrifice des chrétiens jetés aux bêtes, qui chantaient dans les supplices. Vous pouvez haïr le communisme, vous ne pouvez pas ne pas admirer ces hommes. Écoutez !
Au camp de Châteaubriant, il y avait, en octobre 1941, un peu plus de quatre cents prisonniers. On sait ce qu’est la vie dans ces camps, on ne sait pas assez le courage qu’y déploient des hommes et des femmes démunis de tout, mais qui ne paraissent se préoccuper que de maintenir le moral de tous. À Châteaubriant, ils préparaient des divertissements communs, ils faisaient des cours pour mettre en commun le savoir particulier de chacun. Le 20 octobre, un lundi, on y apprend qu’un officier allemand vient d’être tué à Nantes. Vers une heure de l’après-midi, un officier de la Kommandantur confère avec les directeurs du camp. Il s’agit de désigner des otages. Deux cents dossiers environ sont remis par le camp au chef de cabinet du sous-préfet qui les portera à Paris, au ministère de l’Intérieur, où seront choisis les otages. On ne peut s’en tenir à l’exposé nu des faits. Depuis qu’il y a des guerres, les belligérants ont considéré comme otages des hommes, des notables désignés d’avance pour porter les conséquences des actes de leurs concitoyens contre l’ennemi. Ici, c’est après l’acte que sont choisis de prétendus otages et parmi les hommes qui ne peuvent matériellement en être solidaires. Quels hommes ? Des notables dont la perte aura un caractère retentissant ? Non ! Des hommes qui portent le poids de leurs idées, qui sont choisis par ceux-là qui prétendaient assurer l’ordre, leurs ennemis politiques qui y trouvent l’occasion de vengeances personnelles. Parmi eux, il y a des étudiants, des ouvrières. Quelques-uns sont presque des enfants. Ce n’est plus le bourgmestre qui répond de ses concitoyens comme jadis. « Otages ? – Non. – Martyrs ? – Oui. » Ce même 20 octobre, les troupes allemandes prennent la garde du camp, à la place des gardes mobiles français. Les prisonniers sont consignés dans les baraques jusqu’au lendemain 9 heures. Vers 9 heures du soir les sentinelles tirent dans le camp, croyant voir une ombre ; une balle entre dans la baraque 10 et siffle aux oreilles d’un prisonnier couché. Le lendemain, la garde allemande est relevée. Des rumeurs circulent. les prisonniers apprennent le départ pour Paris du chef de cabinet du sous-préfet avec les dossiers. On prétend que trente otages doivent être désignés dans le camp. Dans la baraque 19, il y a vingt et un hommes : une indiscrétion a fait savoir que c’est de cette baraque que viendra le gros du contingent exigé. Vers 9 heures du soir, les soldats allemands reprennent la garde (…) Voici les vingt-sept enfermés dans la baraque 6. Chacun reçoit une feuille et une enveloppe pour écrire ses dernières volontés. Kérivel est autorisé à faire ses adieux à sa femme internée dans le même camp. J’ai sous les yeux le récit des mêmes heures fait par un autre interné qui se trouvait dans la baraque 10. Il traduit aussi cette angoisse sourde et montante des deux journées, les bruits qui courent, encore incertains, les signes précis d’un événement qu’on croit deviner sans en être sûr. Puis l’arrivée de l’officier et des gendarmes. « Quand s’ouvre la baraque 10, le sous-lieutenant Touya lance sans hésitation, avec un sourire pincé, un seul nom : Guy Môquet. Le nom est un couperet qui tombe sur chacun de nous, une balle qui perce chacune de nos poitrines. Il répond d’un seul : présent ! Et comme sans réfléchir, droit, plus grand que jamais, notre Guy s’avance d’un pas rapide et assuré, dix-sept ans, plein d’inconscience et de vie ! À peine éveillé aux premiers rêves de l’amour, il est parti, notre Guy, comme serait parti un peu de nous. » On cherche à se persuader dans les baraques que la partie n’est pas jouée ; cependant, suivant un autre témoignage, les otages étaient si sûrs de leur sort que Timbaud avait décidé de liquider toutes ses provisions en un bon repas et demandé à deux de ses camarades d’écrire à sa femme et à sa fille s’il lui arrivait quelque chose. D’autres camarades faisaient remarquer à Pesqué qu’il serait prudent de fumer tout de suite ses trois paquets de tabac. Quant à Poulmarch, il se faisait disputer après le repas de midi pour ne pas avoir fait chauffer l’eau du thé : « Dépêche-toi au lieu de dormir, nous n’aurons même pas le temps de boire le thé. » En effet, l’eau du thé est restée sur le feu.
Maintenant, dans les baraques, on attend. Chaque porte, chaque fenêtre a été condamnée avec un lit dressé contre les parois. Ils voient le curé de Béré entrer dans le camp. Cela en dit long. Le curé de Châteaubriant s’est récusé. On voit passer Mme Kérivel, autorisée à voir son mari. L’espoir disparaît. C’est à 14 h 22 que le prêtre sort de la baraque 6. Cinq minutes plus tard, des camions allemands apparaissent sur la route. Alors, de la baraque, un chant monte : la Marseillaise. Tout le camp P1 reprend le chant à son tour. Oh ! les avez-vous jamais bien entendues, ces paroles françaises : « Ils viennent jusque dans nos bras égorger nos fils, nos compagnes ! » À 15 heures, les camions sont rangés devant la baraque 6. Voici les termes mêmes du récit d’un des rescapés. « Le lieutenant ouvre la porte et commence le dernier appel. À l’annonce de son nom, chacun d’eux se présente. Les gendarmes fouillent, vident toutes les poches et leur attachent les mains, puis les font monter dans les camions. Chaque camion prend neuf camarades, ceux-ci n’arrêtent pas de chanter et nous font des signes d’adieu, car ils nous voient à la fenêtre. Ténine interpelle l’officier allemand : “C’est un honneur pour nous, Français, de tomber sous les balles allemandes.” Puis, désignant le jeune Môquet qui n’a que dix-sept ans : “Mais c’est un crime de tuer un gosse…”. »
Il faudrait tout citer, chaque récit, car ils s’éclairent l’un l’autre. Dans cet autre, il y a des larmes aux yeux de ceux qui assistent impuissants au drame. Le geste instinctif de se découvrir quand éclate la Marseillaise des condamnés. Ah ! Ce n’est pas César qui salue ceux qui vont mourir, mais la France, mais l’avenir du pays pour lequel ils meurent. Comme ils reconnaissent les voix lointaines, celles de Timbaud, de Môquet ! Après la Marseillaise, il y a le Chant du départ et comment lire, dans ce texte d’un homme simple, sans en avoir les yeux humides, cette remarque : « Qu’ils sont beaux, ces vers : Un Français doit vivre pour elle ! Pour elle, un Français doit mourir. » Puis vient l’Internationale. Et une voix seule, jeune, fraîche, entonne la Jeune Garde. C’est Môquet, pour sûr, le benjamin des otages. On ne peut pas couper ce récit-là. « Par la fenêtre, nous voyons des ombres s’agiter à travers les interstices de la palissade. Nous devinons que nos camarades prennent place dans les camions. Nous nous massons aux fenêtres, côté nord, pour voir le départ de nos héros. Les gendarmes sont toujours là, impassibles, postés de dix mètres en dix mètres. Plus loin, sous le mirador, on distingue les silhouettes sombres des soldats allemands casqués et armés. Une voiture à cheval entre. Elle ne va pas loin. Un gendarme arrête le cheval par la bride et lui fait faire demi-tour. Le temps est superbe, le ciel d’une pureté exceptionnelle pour un 22 octobre. Pas une âme qui vive. La consigne est parfaitement respectée dans notre quartier. Seul Kiki, notre petit fox-terrier, se roule dans l’herbe, heureux de s’étirer et de s’ébattre au soleil. À côté de la 9e, des pas martèlent le plancher. Enfin la Marseillaise, une fois de plus, s’élève de l’autre côté des palissades. Les moteurs sont mis en marche. Les camions vont partir. La Marseillaise s’envole des camions, irrésistible, gagne tout le camp, baraque par baraque. Les gendarmes rendent les honneurs militaires à nos camarades quand ils montent dans les camions et au moment où ceux-ci s’ébranlent… » Alors, mus par le chant qui les a gagnés, ceux dont les camarades viennent de partir pour le supplice, tous se trouvent soudain – hors des baraques. Ils sont quatre cents à chanter. Deux couplets, deux refrains de la Marseillaise.
Le lieutenant Touya, qui tout à l’heure serrait les mains de l’officier allemand qui venait prendre livraison des vingt-sept martyrs, est bien embarrassé, mais il montre aux détenus la sentinelle allemande, et déjà il siffle. Eux, les détenus, sur un mot d’ordre qui circule parmi eux, se taisent et le silence tombe sur les bourreaux. Il faudra bien que le lieutenant consente quelques renseignements. De groupe en groupe, on se les passe, ainsi que la liste des otages. Touya leur a déclaré qu’ils seront fusillés dans une heure, à 16 h 15. Aussitôt, on décide de se rassembler à cette minute-là. L’heure est lente et lourde à passer dans les baraques. C’est pendant cette heure-là que, pieusement, dans la baraque numéro 6, certains vont recopier les instructions laissées par les condamnés. Les planches où ils ont marché, qu’ils ont touchées, sont découpées et mises à l’abri comme des reliques. À 16 h 15, les voilà tous rassemblés comme pour l’appel, tête nue, en silence, trois cents hommes réunis par camp. Dans chaque camp, l’appel est fait. Au nom des fusillés, un camarade répond : « Fusillé ! » Une minute de silence. Cérémonial simple, sobre, spontané. Ils l’ont naturellement inventé. Et peut-être inaugureront-ils, pour la suite des temps, la commémoration qui fera du 22 octobre de chaque année un anniversaire pour tous les Français, le deuil, l’orgueil aussi, parce que vingt-sept Français sont morts comme on sait mourir chez nous. De la soirée qui suit, que rapporter ? Seulement le courage de Mme Kérivel. Cette femme admirable, quand elle est venue à la cellule des condamnés embrasser son mari, prise de pitié à la vue du jeune Guy Môquet, a proposé aux officiers de prendre sa place. On le lui a refusé. Maintenant, son calme fait l’admiration de tous. Elle se promène sur la piste avec ses amis. « Pourquoi se frapper ? Nous ne sommes pas ici pour cueillir des fleurs, la vie continue. » Et elle dit aux femmes : « Surtout, faites votre fête dimanche, rien n’est changé ! » Elle tiendra ainsi toute la soirée, ce n’est que dans sa baraque que la fièvre s’emparera d’elle. Mais le lendemain la retrouvera debout, courageuse.
C’est le lendemain que l’on apprend les détails de l’hécatombe. C’est dans une carrière de sable, à deux kilomètres de Châteaubriant, qu’ils ont été fusillés. Ils avaient traversé la ville en chantant la Marseillaise dans les camions. Les gens se découvraient sur leur passage. On imagine l’émotion qui régnait dans la ville. À la ferme voisine de la carrière, les paysans étaient consignés par les Allemands, portes et volets clos, une mitrailleuse braquée sur leurs portes. Par un raffinement singulier, l’exécution a eu lieu en trois fournées. Il y avait trois rangées de neuf poteaux dans la carrière. Les exécutions ont été faites en trois salves : à 15 h 55, à 16 heures et à 16 h 10. Les vingt-sept condamnés ont voulu aller à la mort les yeux non bandés et les mains libres. Ces hommes, en tombant, ont étonné leurs bourreaux, ils ont chanté jusqu’à la dernière minute. Ils criaient : « Vive la France ! Vive l’URSS ! Vive le Parti communiste ! » Le docteur Ténine a dit à l’officier allemand qui commandait le peloton : « Vous allez voir comment meurt un officier français ! » Et le métallurgiste Timbaud, avec cette décision qu’il a toujours montrée dans la vie, a choisi pour sa dernière parole un cri bien particulier qui risque de rester comme un souvenir dans le cœur des hommes qui ont tiré sur lui, Français : « Vive le Parti communiste allemand ! » Il avait demandé du feu à un gendarme pour fumer une dernière cigarette. Au départ, dans le camion, il a dit quelques mots sévères au lieutenant Touya. Il est mort comme il a vécu. C’est une image qui restera de l’ouvrier français, notre frère. Les gendarmes ont rapporté la montre de l’un, une lettre de l’autre, l’alliance d’un autre. Ils ont dit aux détenus ce qui se disait dehors. Eux-mêmes partagent l’émotion du camp et de la ville. La municipalité a refusé d’enfermer les corps dans les cercueils ignobles que les autorités allemandes avaient apportés. Les corps ont passé la soirée au château de la ville. On les dispersera le lendemain dans les divers cimetières de la région. Les familles pourront y aller, mais elles ne sauront pas quelle tombe est la leur, car les cercueils ne porteront pas de noms, mais un numéro correspondant à un registre, pour plus tard… et c’est tout. À la carrière, les gens du pays se sont rendus nombreux en pèlerinage ; on voyait encore les poteaux, le sang sur le sable. On sait maintenant que le même jour, à Nantes, vingt et un otages étaient tombés dans des conditions semblables. Quarante-huit en tout pour la journée du 22 octobre. Le dimanche suivant, plus de 5 000 personnes ont défilé dans la carrière, et déposé des fleurs.
C’est d’un garde mobile que l’on tient les détails de l’exécution. Cet homme déclare que les vingt-sept victimes lui ont donné une leçon de courage ineffaçable. Guy Môquet, qui avait eu une faiblesse au départ, mais dont le courage avait été égal à celui des autres en chemin, s’est évanoui dans la carrière. Il a été fusillé évanoui. Dans le pays, on se répète les mots des martyrs. Le jour de la Toussaint, les défilés ont recommencé, une gerbe de fleurs a été déposée à l’emplacement de chaque poteau dans la carrière tragique, des bouquets ont été portés dans les cimetières. Les autorités allemandes ont interdit les défilés et ont fait une enquête pour rechercher « les coupables » qui avaient apporté des fleurs. Un détail terrible : lors de la mise en bière, l’un des cadavres (on frémit de le reconnaître) était trop grand pour la caisse. Un Allemand prit une barre de fer pour l’y faire entrer. Comme le fossoyeur municipal qui était présent protestait, l’autre cria : « Kommunist, pas Français ! » Ce mot-là, oui, il faudra qu’aucun Français ne l’oublie. Les brutes qui sont venues chez nous, jusque dans la mort, disposer de la nationalité des nôtres, d’un enfant de dix-sept ans, nous apprennent par là même ce qui nous unit contre eux. Il est seulement étrange et monstrueux que le mot de cette brute, il puisse se trouver parmi nous des gens pour le reprendre. Nous n’oublierons pas qui a envoyé au poteau cet enfant et ses vingt-six camarades, qui tranquillement, d’un bureau d’un de nos ministères, a jeté aux balles allemandes ceux qui devaient mourir la Marseillaise à la bouche et la France au cœur, parce qu’il pensait, comme les bourreaux : « Communistes, pas Français ! » (1).
Il faudrait parler de ces vingt-sept hommes. Comment ne pas marquer à leur tête le député Michels qui portait, aux yeux des autorités françaises, le seul crime d’avoir voté contre la guerre, contre cette guerre à l’Allemagne : voici qu’il est tombé sous les balles allemandes, désigné par les autorités françaises. Il laisse une femme et deux enfants. À côté de lui, Poulmarc’h, secrétaire de syndicat à Ivry ; sa femme reste avec un enfant de six ans et deux personnes à sa charge. Voici le métallurgiste parisien Timbaud qui laisse une femme avec un enfant de treize ans, et deux jours de travail par semaine. Voici Vercruysse, de Paris, mutilé de la face de l’autre guerre, qui laisse une femme sans ressources avec un enfant de huit ans. Les soldats du Kaiser n’avaient pu que le défigurer, ceux de Hitler lui ont donné le coup de grâce. Voici Granet, de Vitry ; sa femme fait des ménages pour élever un enfant de onze ans. Barthélémy, de Tours, retraité des chemins de fer, cinquante-sept ans, dont le fils est marié, mais la femme de ce fils a été emprisonnée à Niort. Bartoli, qui avait cinquante-trois ans, une femme et un enfant. Bastard, d’Angers, lui, n’avait que vingt et un ans ; une mère le pleure. Bourhis, dont l’ordre de libération est arrivé le soir même de l’exécution, instituteur à Saint-Brieuc ; il laisse une femme institutrice et un enfant de six ans. Laforge, instituteur, devait comme lui être libéré. Il laisse une femme, professeur de lycée, et un enfant de dix-sept ans. C’est Lalet, étudiant de vingt et un ans, déjà marié, dont la libération est arrivée pendant qu’il écrivait ses dernières volontés ; cela ne l’a pas sauvé du poteau. Lefevre, d’Athis-Mons, nous laisse une femme et quatre enfants. Le Panse, de Nantes, laisse une femme malade avec deux enfants de cinq et trois ans. Môquet, notre Guy, comme disaient les camarades, le martyr de dix-sept ans, avait à sa charge sa mère et son jeune frère de dix ans, son père étant lui aussi emprisonné. Pesqué, docteur à Aubervilliers, cinquante-six ans, laisse un enfant. Pourchasse, trente-trois ans, laisse une femme sans ressources avec deux enfants de dix et quatre ans ; sa sœur a été arrêtée. Renelle, ingénieur de Paris, laisse une fille de vingt ans qui devra faire vivre sa grand-mère. L’artisan imprimeur Tellier, d’Armilly (Loiret), quarante-quatre ans, veuf. Le docteur Ténine, trente-cinq ans, celui qui dit : « Vous allez voir comment meurt un officier français ! », médecin à Antony, fils d’un chauffeur de taxi qui, sans travail, était à sa charge, venait de perdre son fils de huit ans, quelques jours plus tôt ; on dit que sa femme, apprenant l’exécution quelques jours après ce terrible deuil, s’est tuée volontairement (2). Voici Kérivel, dont la femme eut le triste privilège, prisonnière à Châteaubriant, de l’embrasser à la dernière heure. Voici Delavacquerie qui avait dix-neuf ans et en paraissait quinze. Huynh Khuong An, Annamite, dont le pays a été livré aux Japonais tandis que lui était livré aux Allemands et que sa femme était jetée en prison à Rennes. Voici David, Grandel, Guéguin, Gardette… Tous des gens pauvres qui vivaient de leur travail.
Est-ce bien la France, direz-vous, où se passent des choses pareilles ? Oui, c’est la France, soyez-en sûrs. Car ces vingt-sept hommes représentent la France mieux que ceux qui les ont désignés aux bourreaux allemands. Leur sang n’aura pas coulé en vain : il restera comme une tache indélébile au visage de l’envahisseur. Ce sang précieux, c’est le rouge de notre drapeau qu’il a reteint et qui, mieux que jamais, se marie au blanc et au bleu de la France pour marquer l’unité de notre pays contre l’ennemi installé sur notre terre et la poignée de traîtres pourvoyeurs de ces bourreaux.
L’HUMANITE, 21 octobre 2011
Copyright Jean Ristat
(1) On sait aujourd’hui que Pucheu, de qui à Alger justice devait être faite, était avant guerre l’homme qui pour les trusts remettait à Doriot l’argent de la trahison de classe et de la trahison nationale.
Cette même main qui payait la provocation livra les patriotes aux balles allemandes. Comment aujourd’hui s’étonner des journaux que payent en France les patrons sains et saufs de Pucheu, et du travail qu’ils font, du langage de Goebbels par eux repris ?
(2) Heureusement inexact. Ce bruit m’était arrivé d’une source dont
je n’avais pas de raison de douter : quelques mois plus tard, Mme Ténine nous rendait visite à Nice, dans cette petite pièce où j’avais écrit
les Martyrs.
NDLR : Le lieutenant Touya, placé en résidence surveillée à Saintes, à la Libération, fut libéré, puis promu capitaine et décoré de la Légion d’honneur.
Louis Aragon
* Cet épisode de la mission de Joë Nordmann et de sa rencontre avec Aragon est dessiné dans la BD Immortels!, publiée par le Comité du Souvenir
Dans une lettre adressée sa femme, Adrien Agnès, relate, minute par minute les événements des 20 au 22 octobre 1941 dans le camp de Choisel. Sa lettre a été publiée ensuite sous forme d’un tract de 4 pages, intégralement reproduit dans le livre En vie, en joue, enjeux de Didier Guyvarc’h et Loïc Le Gac, préface de Thomas Fontaine, édité aux éditions du CHT.
Châteaubriant, Choisel.
Ma chère femme,
Maintenant que le désastre est accompli je veux que tu puisses réaliser le drame dans toute son horreur. Aussi je vais te le relater depuis son origine, minute par minute.
Lundi 20 octobre, nous apprenons au camp vers dix heures qu’un officier allemand vient d’être assassiné à Nantes. Je me trouvais au bureau du lieutenant, attendant d’être reçu par lui, car je venais réclamer contre la retenue faite sur mon mandat d’une façon arbitraire. On ne m’a pas reçu mais au contraire on nous a renvoyés à nos baraques respectives, en nous indiquant que nous ne serions reçus ni ce jour, ni les suivants.
A 11 heures, l’officier de la Kommandantur vient conférer avec la direction du camp. Il faut désigner des otages. Les dossiers sont remis au nombre de 200 environ au chef de cabinet du sous-préfet. Celui-ci se rend à Paris au ministère de l’Intérieur et là on choisit les otages.
Ce même jour, les troupes allemandes gardent le camp. Il nous est signifié à nous et surtout à la baraque 19 de ne sortir sous aucun prétexte après la nuit jusqu’au matin neuf heures.
Vers vingt et une heures, trois coups de fusil sont tirés, simultanément, d’un mirador. Les sentinelles ont aperçu des ombres dans le camp. Une balle traverse le toit de la baraque 10 et ricoche pour venir traverser une vitre à hauteur du lit d’un camarade qui était couché.
Mardi 21 octobre. La garde du camp par les Allemands est relevée à neuf heures du matin. Toute la journée se passe dans une atmosphère lourde de menaces. On pense qu’il doit être désigné des otages parmi les internés. Le soir à vingt et une heures, les Allemands reprennent la garde.
Avant cela, nous avons confirmation que Monsieur Poli, le chef de Cabinet du Sous-Préfet, est parti pour Paris au ministère de l’Intérieur avec la liste des détenus et que parmi ceux-là trente des nôtres doivent être désignés. Nous savons que c’est notre baraque qui doit fournir le contingent exigé. Nous en déduisons qu’étant vingt et un dans ce local, neuf des autres baraques devront compléter cette liste.
Nous discutons cette nuit-là assez tard, et nul ne se fait d’illusions sur le sort qui nous attend : c’est une veillée funèbre, néanmoins aucun de nous ne manifeste d’angoisse ni de crainte. Sans crânerie chacun attend la suite du drame et la seule appréhension que l’on puisse avoir et dont on discute c’est : serons-nous guillotinés ou fusillés ?
Dans la nuit, un nouveau coup de feu est tiré sur une ombre imaginaire. Cela nous rappelle la façon dont nous sommes gardés et l’interdiction de sortir qui nous a été faite.
Chacun de nous va se coucher et cherche à dormir, ce qui nous est bien difficile. Nous avons discuté le soir sur le sort qui nous attend, Granet, Timbaud, Michels, Grandel, Auffret, Bartoli, Barthélémy sont assis sur mon lit et chacun dit son mot ou son appréciation sur la situation.
Mercredi 22 octobre. Le réveil est plus sombre qu’à l’ordinaire ; chacun sent la menace sur le camp. A 9 heures, nous allons chercher le café.
Vers dix heures, le sous-préfet, le lieutenant Moreau et le lieutenant Touya passent devant la baraque et vont examiner la porte du camp qui donne sur la route de Fercé. Examinent-ils la possibilité de faire passer la voiture par cette porte ? C’est possible comme nous le comprendrons plus tard.
Quelques instants après, le lieutenant Touya réunit ses gendarmes pour passer les consignes nouvelles. Tous sont consignés au camp et la brigade qui avait été relevée a été ramenée, d’après un ordre reçu en cours de route. La plupart de nous font des déplacements au camp P 1 et beaucoup, c’est pour revoir une dernière fois les camarades.
Midi. Nous nous mettons à table et nos camarades aidés de Michels font cuire du poisson que nous avons reçu.
A 13 heures, le repas terminé, beaucoup se mettent à écrire à leurs familles. Que raconter à celles-ci, sinon des faits sans importance et qui sont loin de notre pensée.
Maurice, Victor et Jacq se promènent ensemble, Timbaud et Granet se promènent avec Poulmarc’h. De ma fenêtre on a vue sur tout le camp P 2. Barthélémy, qui partage la même table que moi, et qui est en train d’écrire à sa femme détenue à la prison de Niort, pousse une exclamation d’étonnement.
Il est 13h30. Les gendarmes viennent en ordre et au pas de marche se ranger vers la porte qui ouvre sur notre camp. L’adjudant de gendarmerie poste les hommes à l’intérieur du P 2 tout le long des barbelés à raison d’un homme tous les 10 mètres.
A ce moment les Allemands apparaissent, suivis du lieutenant Touya. Un seul mot dans la baraque : « Ça y est, c’est pour nous, ils viennent nous chercher. » Les lettres sont interrompues ainsi que les promenades. Tous se précipitent aux fenêtres pour voir ce qui se prépare.
Les Allemands installent un fusil mitrailleur au milieu de la cour du camp P2 face à la baraque centrale n°6. Tous les prisonniers sont enfermés dans leurs baraques respectives avec un gendarme en faction à chaque porte.
Le lieutenant Touya suivi de l’officier allemand et de nombreux gendarmes, ouvre la porte qui commande l’entrée de notre camp et cette troupe se dirige vers notre baraque. Les cœurs sont serrés, mais aucune peur, aucun malaise parmi les vingt présents à la baraque.
Le lieutenant ouvre la porte, salue cérémonieusement. Il entre, suivi de l’officier allemand. Il prononce ces mots : « Salut messieurs, préparez-vous à sortir à l’appel de votre nom. » Nous sommes tous prêts, massés devant mon lit qui est le premier à gauche en entrant.
Le lieutenant appelle alors : Michels, Poulmarc’h, Granet… et au fur et à mesure de l’appel les désignés sortent et chacun attend l‘appel de son nom. Après en avoir appelé seize de notre baraque, on appelle alors Delavacquerie. Le docteur Jacq répond que c’est au camp P 1. Aussitôt le lieutenant se retire en fermant la porte, et les camarades sont entraînés au camp P 2 dans la baraque 6.
Les six qui restons non appelés nous nous regardons avec stupeur, nous n’avons eu peur ni les uns ni les autres et la seule impression qui nous domine en ce moment tragique, c’est l’étonnement d’être encore ici et de n’avoir pas été désignés, mais la liste tragique n’est pas close pour cela.
Dans le même apparat, les autorités se dirigent vers le camp P 1 et à la baraque 1, elles appellent Kérivel, à la 3 David, Bastard et Le Panse, à la 4 Delavacquerie et Lefebvre, à la 8 Tellier et Lalet, à la 9 Pourchasse et Vercruysse, enfin à la 10, Môquet.
Tous ces camarades sont emmenés à leur tour au camp P2 et au passage on prend Gardette à l’infirmerie. Les 27 camarades sont enfermés dans la baraque 6. On permet à Kérivel de faire ses adieux à sa femme, qui est dans le camp, internée comme lui. A chaque otage on remet alors une feuille de papier et une enveloppe pour que chacun écrive ses dernières volontés.
Il était 13h50 quand les gendarmes se sont dirigés vers notre baraque. A 14 heures, tous les condamnés sont enfermés dans la baraque 6 entourés de gendarmes et des autorités. Chaque fenêtre et chaque porte ont été condamnées avec les lits dressés contre la paroi.
Nous suivons la course des minutes sur la montre et tu dois comprendre dans quel état d’esprit et dans quelle angoisse nos voyons arriver le curé qui a été mandé par les autorités.
Aucun condamné n’accepte son ministère, mais plusieurs d’entre eux lui ont confié de leurs objets ou correspondance. Il serait intéressant de savoir qu’elles ont été les paroles confiées à cet homme et son impression sur l’attitude et la valeur de nos malheureux camarades. Il ne sortira de la baraque que quelques minutes avant l’expiration du délai qui leur été accordé, c’est-à-dire 14 h25.
A 14h30, nous voyons arriver sur la route des camions allemands qui doivent emmener nos malheureux camarades. A ce moment nous entendons chanter La Marseillaise par les condamnés. Les camarades du camp P 1 reprennent le chant à leur tour.
A 15 heures précises, les camions sont venus se ranger devant la baraque 6. Le lieutenant ouvre la porte et commence le dernier appel. A l’annonce de son nom chacun se présente. Les gendarmes fouillent et vident toutes les poches, ils attachent les mains de nos amis et les font monter dans le camion.
Chaque camion prend neuf camarades. Ceux-ci n’arrêtent pas de chanter La Marseillaise et nous font des dignes d’adieu car ils nous voient de la fenêtre.
Ténine interpelle l’officier allemand et dit d’abord : « C’est un honneur pour un Français de tomber sous les balles allemandes. » Puis, désignant Môquet qui n’a que dix-sept ans, il dit que c’est un crime de tuer un gosse. Môquet répond : « Laisse Ténine, je suis autant communiste que toi. »
Timbaud s’adresse au lieutenant Touya, mais on ne distingue pas ce qu’il dit. Michels, parlementaire déchu pour avoir désapprouvé la guerre à l’Allemagne, est fusillé par les Allemands.
A 15h15, tous les camions sont prêts. Les gendarmes se figent au garde-à-vous, et tous pleurent devant l’attitude héroïque de nos amis. Les camions s’ébranlent et quelques minutes après ils passent sur la route qui longe le camp et les voix de nos frères qui chantent toujours s’entendent encore.
Nous sommes avisés qu’ils vont être fusillés à seize heures quinze. Nous ne saurons que plus tard que le lieu d’exécution est une carrière de sable à deux kilomètres de Châteaubriant.
Tout le monde sort des baraques et nous nous rendons aussitôt vers la baraque 6. Sur les parois nos camarades ont inscrit leurs derniers espoirs et c’est d’une main ferme qu’ils ont tracé là leurs suprêmes espérances et leur confiance inébranlable dans l’avenir.
A 16 h 15 exactement, chaque camp se réunit et appelle chaque victime. Un autre répond : Fusillé. Un silence absolu règne dans le camp. Nos amis ne sont plus. Ils sont tombés 9 à la fois et les 3 salves se sont succédées et ont été entendues à 15h50, 16 heures et 16h10.
Le soir arrive. Nous avons les premiers échos de l’acte dernier de la tragédie. Les camarades ont traversé Châteaubriant sans cesser de chanter La Marseillaise. Les gens sur leur passage se découvraient respectueusement. L’émotion dans la ville est à son comble. A côté de la carrière, les gens de la ferme avaient été enfermés chez eux et consignés.
L’angoisse est toujours dans le camp car il faut encore 52 otages dont la moitié doit être prélevée au camp.
Jeudi 23 octobre. – Le matin est toujours aussi chargé de menaces. Pourtant vers midi, l’officier de la Kommandantur vient informer le lieutenant Touya que l’on ne prendra plus d’otages dans le camp, la conduite de nos amis a été si héroïque que l’officier allemand dit : « Les communistes français sont des braves et ne ressemblent pas aux communistes allemands. »
Notre appréhension s’efface peu à peu mais la douleur d’avoir perdu de tels camarades se fait ressentir maintenant plus fortement que la veille. Malgré les affirmations qui viennent de nous être faites nous nous estimons toujours sous le coup d’une menace.
Nous apprenons dans quelles conditions nos camarades ont été exécutés. La carrière de sable qui a été utilisée porte encore les traces des poteaux contre lesquels furent collées les victimes. Pour chaque homme il y avait un peloton de 10 soldats.
Les corps furent mis dans les camions et transportés au château. La terre est pleine de sang. On nous dit que beaucoup de gens du pays se sont rendus à la carrière et ont contemplé les traces de cette tragédie.
Vendredi 24 octobre – Les corps de nos camarades auraient été mis dans des bières de chêne. Les cercueils ont été dirigés par dans neuf communes différentes et nos amis reposent maintenant en cette terre bretonne qu’aucun de nous n’avait considérée comme devant recevoir son sang et d’une façon aussi barbare.
Cette page d’histoire restera la flétrissure indélébile de ceux qui l’ont ordonnée.
D’autres détails ne sont pas moins terribles. Ténine venait de perdre son gosse qu’il adorait. Huynk-Khuong avait sa compagne à la prison de Rennes, condamnée à vingt ans de travaux forcés. Barthélémy dont la femme est en prison à Niort, était passé au juge d’instruction le vendredi précédent et il devait partir le 22 au matin en jugement à Bressuire. Lalet, jeune étudiant de vingt ans, marié depuis un an, dont la libération est arrivée à Châteaubriant le jour de sa mort. Bourhis, de Trégunc, dont la libération est arrivée en même temps. Môquet qui n’a dû son exécution qu’à son nom. Son père, député communistes, est à la prison d’Alger.
Voilà, ma chérie, les heures tragiques que nous avons vécues. Les six survivants de la baraque ne pourront jamais oublier ces instants qui nous privent d’un capital si pur et si grand, car on a pris à notre affection l’élite du camp.
Si la France était pourvue de traitres, elle a prouvé qu’il y a encore des héros d’une bravoure exemplaire, dont le souvenir restera un symbole de foi, de loyauté, de patriotisme.
Leur exemple ne sera pas vain.
Je termine en te disant confiance, toujours confiance.